Lamberto Bava chez Carlotta : Le fils qui en savait trop (2024)

Est-ce que parce qu’il était «fils de», qu’il en savait trop lui-même sur la manière de réaliser un film que Lamberto Bava n’a jamais acquis de ce côté des Alpes la popularité acquise par son géniteur, l’illustre Mario Bava ? Sans doute les plus bisseux des amateurs de pellicules se souviennent-ils essentiellement de lui pour les deux Démons, respectivement sortis en 1985 et 1986 ?

Raison de plus pour aller piocher dans le nouveau florilège que nous propose Carlotta, déjà éditeur des deux Démons. Au programme, donc, deux œuvres de Lamberto Bava qui n’ont rien à voir avec l’horrifique, se rapprochant davantage des gialli, un genre cinématographique quasiment inventé par papa avec La Fille qui en savait trop. Ce sont les très agréables à regarder Le foto di Gioia (1987, Delirium — ou Sentences de mort) et Body Puzzle (1992, ressorti en Italie sous le titre Misteria). Avec, en outre, un ouvrage écrit par Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele, déjà auteurs d’un Mario Bava, le magicien des couleurs, paru chez Lobster en 2019. À travers deux longues conversations captivantes et excitantes, Lamberto revient sur ses rapports avec son grand-père Eugenio Bava, pionnier de la prise de vues dans le cinéma italien des origines, et son père Mario, grand chef op’ et maître du fantastique. Il évoque bien sûr sa carrière d’assistant-réalisateur puis de cinéaste, son amitié avec Dario Argento et prouve qu’il connaît parfaitement son métier.

Delirium présente cette photo léchée et érotique très à la mode dans les années quatre-vingt. Ici, puisque les personnages principaux sont des photographes et des modèles nues, que l’on immortalise dans des piscines ou en studio, cela est approprié. Des meurtres vont être perpétrés, tandis que la police est totalement inefficace. Curieusement, vues par l’assassin, les filles trucidées deviennent des monstres semblant sortir de peintures surréalistes. À noter que, parmi elles, se trouve Sabrina Salerno, actrice et chanteuse sous le nom de Sabrina et dont on se souvient avec émotion du clip Boys, Boys, Boys, s’amusant dans une piscine dont les remous avaient du mal à maintenir en place son maillot.

Au fur et à mesure que l’étau se resserre autour de Gioia (Serena Grandi), ancienne modèle devenue directrice d’une revue de charme, tous les personnages présents autour d’elle deviennent suspects potentiels, du moins dans l’esprit du spectateur : sa concurrente directe qui cherche à racheter les droits de la revue (Capucine), un photographe (David Brandon), l’ex-amant revenu inopinément (George Eastman), le voisin paralysé (Karl Zinny), jusqu’à l’amie (Daria Nicolodi) et au frère (Vanni Corbellini). Seul le flic (Lino Salemme) — et encore — semble innocent dans cette machination terriblement machiavélique. Car l’assassin, plutôt que d’user de l’arme blanche chère au giallo, multiplie les mises en scène et est capable d’employer autant une fourche que des abeilles.

On l’a dit, la photo est esthétique et Lamberto Bava et son chef opérateur Gianlorenzo Battaglia nous offrent plusieurs très beaux plans, tel celui d’une porte s’ouvrant sur un magnifique ciel bleu, et quelques séquences à l’angoisse extrêmement bien ficelée. On n’oubliera pas celle qui se déroule dans un magasin de vêtements sur plusieurs étages, dans lequel Gioia se retrouve traquée, et qui est formidablement réalisée.

Dans le supplément, Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele ont raison d’aller chercher des influences du côté de Hitchcock et de De Palma, tant dans les thématiques que dans la manière de les filmer. Delirium est donc une très bonne surprise qui nous rend curieux à propos du deuxième opus de Bava contenu dans le coffret.

Body Puzzle est, lui aussi, un film à énigmes. Là encore, rôde un assassin dont on ne sait réellement qui il est : un malade mental ? Un fantôme ? Et Lamberto Bava mène de nouveau son scénario de main de maître, se servant une fois de plus de décors grandioses — la villa dans Le foto di Gioia, la maison dans Body Puzzle — au sein desquels le danger est omniprésent. Le film fait une allusion directe au serial killer baptisé dans les journaux «le monstre de Florence», que l’on accuse de crimes commis de 1968 à 1985, et qui est resté un traumatisme dans les mémoires. Bava et Luigi Kuveiller, le directeur de la photographie, ne craignent pas les séquences chocs, tels ces meurtres dans une piscine ou devant des enfants aveugles — idée géniale s’il en est.

Cette fois, le commissaire joué par Tomas Arana est efficace et tente au maximum d’aider celle qui est en danger (Joanna Pacula). Les principaux atouts résident dans la mise en scène et dans la musique et les sons, ainsi que le soulignent dans le bonus Duchaussoy et Vandestichele, qui pensent qu’ils sont ici «plus importants que l’image».

Autant dire que Delirium et Body Puzzle sont deux belles découvertes qui donnent envie, de même que le livre qui est consacré à leur auteur Lamberto Bava, de se plonger dans la carrière de ce cinéaste finalement assez méconnu chez nous.

Jean-Charles Lemeunier

«Delirium» et «Body Puzzle» de Lamberto Bava : sortie en Blu-ray chez Carlotta le 1er octobre 2024.

«Lamberto Bava, conteur né» de Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele, éd. Carlotta, 150 pages, sorti le 3 octobre 2024.

Lamberto Bava chez Carlotta : Le fils qui en savait trop (2024)

References

Top Articles
Latest Posts
Recommended Articles
Article information

Author: Twana Towne Ret

Last Updated:

Views: 6513

Rating: 4.3 / 5 (44 voted)

Reviews: 83% of readers found this page helpful

Author information

Name: Twana Towne Ret

Birthday: 1994-03-19

Address: Apt. 990 97439 Corwin Motorway, Port Eliseoburgh, NM 99144-2618

Phone: +5958753152963

Job: National Specialist

Hobby: Kayaking, Photography, Skydiving, Embroidery, Leather crafting, Orienteering, Cooking

Introduction: My name is Twana Towne Ret, I am a famous, talented, joyous, perfect, powerful, inquisitive, lovely person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.