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Titre : Traité pratique et raisonné d'hydrothérapie, recherches cliniques sur l'application de cette médication au traitement des congestions chroniques,... par Louis Fleury,...
Auteur : Fleury, Louis (1810-1874). Auteur du texte
Éditeur : (Paris)
Date d'édition : 1852
Sujet : Hydrothérapie
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30442860f
Type : monographie imprimée
Langue : français
Langue : Français
Format : In-8° , VIII-568 p., pl.
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Description : Contient une table des matières
Description : Avec mode texte
Description : Ouvrages de référence
Droits : Consultable en ligne
Droits : Public domain
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5844423n
Source : Bibliothèque nationale de France, département Sciences et techniques, 8-TE157-25
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 28/06/2010
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TRAITE
PRATIQUE ET RAISONNÉ
D'HYDROTHÉRAPIE.
« L'hydrothérapie n'est pas un système médical nouveau, mais elle peut y conduire. »
(SCOUTETTEN, de l'Hydrothérapie; Paris, 1843.)
« Sans partager l'engouement de ceux qui voient dans l'hydrothérapie une panacée universelle, j'ai toujours pensé que si elle parvenait à se placer sur la-base solide des faits et de l'observation, elle ferait époque dans l'histoire de la médecine pratique. »
(SCHEDEL , Examen, clinique de l'hydrothérapie ; Paris, 1845.)
«C'est assurément aujourd'hui un des sujets de thérapeutique les plus intéressants que l'hydrothérapie. On ne peut douter qu'elle ne soit un moyen puissant, et on doit reconnaître aussi qu'il est peu de médications applicables à un plus grand nombre de cas divers. »
(VALLEIX, Bull. général de thérapeutique ; Paris, 1848.)
« Liberam profiteor medicinam : nec ab antiquis suin, nec « a novis ; utrosque, ubi veritatem colunt, sequor. »
(BAGLIVI.)
Paris. — RIGNOUX, Imprimeur de la Faculté de Médecine, rue Monsieur- le -Prince, 31.
TRAITE
PRATIQUE ET RAISONNÉ
D'HYDROTHÉRAPIE.
RECHERCHES CLINIQUES
SUH L'APPLICATION DE CETTE MÉDICATION AU TRAITEMENT
DBS CONGESTIONS CHRONIQUES DU FOIE , DE LA RATE, DE L'UTÉRUS, DES POUMONS ET DU COEUR; DES NÉVRALGIES ET DES RHUMATISMES MUSCULAIRES; DE LA CHLOROSE ET DE L'ANÉMIE; DE LA FIÈVRE INTERMITTENTE; DES DÉPLACEMENTS DE LA MATRICE, DE L'HYSTERIE;
DES ANKYLOSES , DES TUMEURS BLANCHES, DE LA GOUTTE; DES MALADIES DE LA MOELLE ,
DES AFFECTIONS CHRONIQUES DU TUBE DIGESTIF, DES PERTES SÉMINALES, ETC.
Médecin de l'Établissement hydrothérapique de Belle vue-sous-Meudon, Professeur agrégé de la Faculté de Médecine de Paris,
Membre honoraire de la Société anatoraique de Paris,
Membre correspondant de la Société nationale de Médecine de Marseille,
de l'Académie royale de Médecine de Belgique,
Chevalier de la Légion d'Honneur et de l'Ordre de Léopold de Belgique,
l'un des Auteurs du Compendium de médecine pratique.
PARIS.
LABÉ, ÉDITEUR, LIBRAIRE DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE, place de l'École-de-Médecine, 23 (ancien n° 4).
1852
En 1837 je publiais, dans les Archives générales de médecine, un mémoire sur l'hydrothérapie; le premier, je faisais connaître en France une médication systématique née en Allemagne, et déjà employée dans une grande partie de l'Europe; j'exposais les procédés empiriques, étranges, mis en pratique, dans un hameau de la Silésie autrichienne, par un paysan ignorant, sous la tyrannique domination duquel venaient se ranger en foule les grands de la terre ; je proclamais les succès remarquables et déjà nombreux obtenus par Priessnitz ; j'appliquais à l'hydrothérapie ces paroles de Bordeu : Cette méthode soulève d'importantes questions qu'il faut éclairer par l'observation, et je prenais la résolution d'étudier sérieusement une médication dont l'incontestable puissance me semblait devoir fournir, en se régularisant, un précieux agent à la thérapeutique.
La laborieuse rédaction du Compendium de médecine pratique me força d'ajourner à un temps indéterminé la réalisation de mes projets.
En 1846, un asthme, dont les accès périodiques avaient depuis huit ans résisté à toutes les ressources de la médecine, me ramena vers l'hydrothérapie, non pas à titre de médecin seulement, mais encore à titre de malade. Medice, cura te ipsum! —Je devins le premier sujet de mes observations, de mes recherches, de mes expériences, au milieu d'une écurie et d'une remise transformées en salle de douches , dans une modeste habitation de Bellevue, où j'avais été vainement chercher les bienfaits du repos et de la cam-
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pagne pour moi-même, et surtout pour une santé qui m'était chère, et que je ne devais pas, hélas ! avoir le bonheur de voir s'améliorer.
Cette tentative, provoquée plutôt par le découragement et la curiosité que par une espérance raisonnée, me conduisit à des résultats qui excitèrent vivement mon intérêt; bientôt la reconnaissance et la conviction de pouvoir être utile à mes semblables me décidèrent à faire de l'hydrothérapie l'objet d'une étude attentive et suivie.
Pendant deux ans, je poursuivis, dans le silence, des recherches expérimentales et cliniques, dont mes amis les plus intimes eux-mêmes^ ne furent pas informés ; j'en puisai exclusivement les éléments dans le cercle assez restreint de ma clientèle, et dans celui beaucoup plus vaste de la population pauvre de la commune de Meudon.
En 1848 seulement, je me crus assez éclairé et suffisamment riche de faits pour pouvoir enfin entretenir le public médical de mes travaux; je présentai à l'Adadémie des sciences, et j'insérai dans les Archives générales de médecine, un mémoire- sur les douches froides appliquées au traitement de la fièvre intermittente ; dans la même année, parurent, dans le même recueil, mes. recherches sur l'an-. kylose incomplète, sur les effets et l'opportunité des divers modificateurs dits hydrothérapiques.
En 1849 je publiai, dans la Gazette médicale de Paris, un travail fort étendu sur les douches froides appliquées au traitement des engorgements et des déplacements de la matrice.
L'année 1860 vit paraître, dans la Gazette médicale de Paris, un mémoire sur les douches froides et la sudation appliquées au traitement des névralgies et des rhumatismes musculaires.
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En 1851 j'insérai, dans les Archives générales de médecine, des recherches importantes sur l'emploi des douches froides excitantes contre le tempérament lymphatique, la chlorose et l'anémie.
Ce n'est qu'après six annnées d'études non interrompues, après avoir graduellement transformé la petite salle de douches de Bellevue en un vaste et complet établissement, après avoir expérimenté sur moi-même l'action physiologique des modificateurs hydrothérapiques, et leur action curative sur un nombre considérable de malades, que je me suis cru suffisamment autorisé à publier, sur l'hydrothérapie , un travail d'ensemble, dans lequel il fût enfin possible aux praticiens de trouver une appréciation raisonnée et scientifique d'une médication qui s'est violemment créé une place dans la thérapeutique, mais dont les eftets, l'opportunité, la valeur, les dangers, sont encore un objet de doute et d'incertitude pour la plupart des hommes éclairés et impartiaux.
Depuis 1837, époque de mon premier travail, l'hydrothérapie a fait son chemin dans le monde ; elle s'est acquis la faveur du public ; elle a opéré des guérisons remarquables ; elle a convaincu quelques médecins, et s'est imposée à beaucoup d'autres. Mais, il faut bien le reconnaître, l'intérêt industriel a dominé, et pour ainsi dire absorbé l'intérêt scientifique; l'hydrothérapie est encore considérée, par la plupart des médecins, comme une médication empirique, un moyen extrême, une dernière ressource, qu'il n'est permis d'employer qu'après avoir épuisé toutes les autres, et en présence d'un danger qui autorise toutes les tentatives.
Comment en serait-il autrement, puisque l'hydrothérapie n'a encore été l'objet d'aucun travail sérieusement scientifique, d'aucunes recherches propres à en établir les effets
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physiologiques, la valeur curative, les indications et les contre-indications.
Les ouvrages justement estimés, mais déjà fort anciens, de MM. Scoutetten et Schedel, ne sont qu'un exposé fidèle des pratiques suivies à Graefenberg ; n'ayant point appliqué la méthode, n'ayant aucune expérience personnelle, ces auteurs n'ont pu ajouter à leur narration que quelques aperçus, quelques appréciations, quelques conseils, dont je suis loin de nier la justesse et la valeur, mais dont je ne crains point de proclamer l'insuffisance pour le praticien qui cherche un guide capable de le diriger dans une voie inconnue et pleine. d'écueils.
En choisissant l'hydrothérapie pour sujet de mes investigations , je me suis proposé de transformer une médication puissante, mais empirique, systématique, exclusive, aveugle, entachée d'ignorance ou de charlatanisme, en une médication rationnelle, méthodique, avouée par la science, en rapport avec l'état actuel de nos connaissances physiologiques et pathologiques.
Je crois avoir réussi, et avoir rendu ainsi à la thérapeutique un éminent service. (Puisse le public, ce souverain arbitre, au jugement duquel j'en appelle, partager ma conviction, et me tenir compte des difficultés, des préventions, des obstacles de toute nature, que j'ai rencontrés sur ma route.
Les détails dans lesquels je viens d'entrer, je les devais à mes confrères, à moi-même, et aux quelques hommes qui m'ont encouragé et soutenu de leur bienveillante impartialité.
Bellevue, le 25 mars 1852.
L. FLEURY.
TRAITE
PRATIQUE ET RAISONNE
D'HYDROTHERAPIE.
Hydrothérapie, hydriatrie, hydrothérapeutique, hydropathie, hydrosudopathie, hydrosudothérapie. Chacun comprend aisément le sens étymologique de ces différentes dénominations ; mais si, abandonnant la lettre pour l'esprit, on se demande quelle est leur valeur en médecine pratique, quelle est la médication qu'elles représentent, on se trouve dans une étrange perplexité. Les uns emploient ces mots pour désigner toute application extérieure d'eau froide, faite dans un but de curation ; les autres ont principalement en vue l'administration de l'eau froide à l'intérieur, et à hautes doses. Ceux-ci veulent que l'usage de l'eau froide soit accompagné de sudations abondantes, provoquées à l'aide du calorique animal; ceux-là désignent ainsi toute médication qui fait intervenir l'eau, à quelque titre que ce soit, froide ou chaude, seule ou associée à la sudation ou à tout autre modificateur. D'autres enfin entendent exclusivement par là une médication systématisée, que nous ferons connaître plus loin.
Si l'on tient compte de l'époque à laquelle les dénominations que nous venons d'énumérer ont été introduites dans le langage scientifique, des circonstances qui ont provoqué leur adoption, du sens qui leur a été primitivement assigné, il est incontestable qu'elles doivent être employées pour désigner exclusivement la médication empirique instituée par Priessnitz ; mais, en nous plaçant à ce point de vue restreint, notre tâche se trouverait réduite aux proportions d'une stérile narration.
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2 TRAITÉ PRATIQUE ET RAISONNÉ D'HYDROTHÉRAPIE.
Décrire fidèlement les divers procédés suivant lesquels l'eau froide et la sudation sont mises en oeuvre à Groefenberg, et dans les nombreux établissements hydrothérapiques où l'on suit les mêmes errements; reproduire une formule à peu près invariable, et qui, en présence des conditions pathologiques les plus différentes, ne subit que d'insignifiantes modifications ; énumérer les nombreuses maladies contre lesquelles cette médication empirique a été dirigée, sans pouvoir citer, le plus ordinairement, des observations convenablement recueillies et suffisamment concluantes, sans posséder les éléments d'une appréciation raisonnée : tel serait le cadre que nous aurions à remplir; tel n'est point celui que nous nous sommes tracé.
Nous donnerons à la dénomination d'hydrothérapie ou d'/ydrosudothérapie (mot que nous eussions préféré, n'eût été sa composition hybride ) l'acception la plus large possible, et nous l'appliquerons à l'étude thérapeutique complète de deux modificateurs puissants, qui peuvent être employés isolément ou simultanément.
L'eau froide, à l'extérieur et à l'intérieur ;
Le calorique, à titre d'agent sudorifique.
Cette étude se divisera en deux parties :
La première, historique et critique;
La seconde, pratique et dogmatique. Dans la première partie, nous exposerons et nous apprécierons dans deux chapitres distincts :
1° Les diverses applications qui ont été faites en thérapeutique de l'eau froide et du calorique, en dehors du système de Priessnitz, soit avant, soit depuis lui,
2° La méthode de Priessnitz, c'est-à-dire I'HYDROTHÉRAPIF.
SYSTÉMATIQUE ET EMPIRIQUE.
Dans la seconde partie, nous exposerons nos recherches personnelles , nous dirons comment nous comprenons l'emploi thérapeutique de l'eau froide et du calorique; nous nous efforcerons de jeter les fondements de THYDRQTHÉRAPIE, RATIONNELLE
RATIONNELLE SCIENTIFIQUE.
PREMIÈRE PARTIE.
HISTORIQUE ET CRITIQUE.
CHAPITRE PREMIER.
DES DIVERSES APPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES DE L'EAU FROIDE ET DU CALORIQUE, FAITES EN DEHORS DU SYSTÈME DE PRIESSNITZ, SOIT, AVANT, SOIT APRÈS LUI.
§ Ier. — De l'eau froide.
A. DES APPLICATIONS CHIRURGICALES
DE L'EAU FROIDE.
L'emploi chirurgical de l'eau froide paraît remonter à la plus haute antiquité; les,Hébreux , les Scythes, les Mèdes, le tenaient , dit-on, en grand honneur.
Hippocrate connaissait les propriétés sédatives de l'eau froide; dans les aphorismes 23 et 25 de la section v, il en recommande l'usage contre l'hémorrhagie, l'inflammation récente , l'érysipèle non ulcéré , les tumeurs articulaires douloureuses et non accompagnées de plaies. Dans le livre de Liquidorum usu, dans ceux où il traite des fractures et des luxations, il fait souvent' mention de l'eau; mais ici le texte est obscur, et-l'on ne sait, le plus ordinairement, s'il s'agit de l'eau chaude ou de l'eau froide : à cette dernière , il attribue une action pernicieuse sur les nerfs, les os, et les dents.
En résumé, on neitrouve dans les écrits hippocratiques que des indications vagues, auxquelles Celse, Galien, Aetius, n'ont
4 HISTORIQUE ET CRITIQUE.
rien ajouté. Le premier cependant vante les bons effets de plumasseaux trempés dans de l'eau froide, pour obtenir la cicatrisation des plaies : Levis plaga, ajoute-t-il, javatur si ex aqua frigida expressa spongia imponitur. Aetius déclare , d'une manière générale , que l'eau froide est très-utile dans les maladies externes: Optimum est hoc praesidium contra loesionern ab extemis.
Nous ne parlons point de Musa et de Charmis, dont les pratiques peu connues et peu médicales, à ce qu'il paraît, rendirent néanmoins la santé à Auguste, à Horace et à Sénèque.
Les Arabes mentionnent à peine l'eau froide; cependant Rhazès conseille de traiter les brûlures récentes par des compresses trempées dans de l'eau glacée et fréquemment renouvelées; Avicenne emploie l'eau froide contre les fractures et les luxations.
Peadaiit tout le moyen âge, l'eau froide reste dans le plus profond oubli ; mais , au XVe siècle, elle reparaît sur la scène chirurgicale, principalement en Italie, où des charlatans en obtiennent, dans le traitement des plaies, des blessures, des ulcères, des effets tellement favorables, qu'ils parviennent à persuader aux populations que cette action bienfaisante est due à une influence surnaturelle, à des opérations cabalistiques, etc. Pendant deux siècles, cette croyance se propage et pénètre de plus en plus dans les convictions. Elle s'établit en France, pendant la guerre d'Italie, sous François Ier, et au siège de Metz, en 1553, Ambroise Paré lui-même «a le désagrément de voir les blessés, dont il méritait, à tant de titres, l'entière confiance, lui préférer trop souvent un certain ignorant et empirique, appelé maître Doublet, lequel était devenu chirurgien de M. de Nemours, et n'avait d'autre talent que de conjurer l'eau, le liage et la charpie destinés aux pansements, ce qui lui réussissait très-bien, de l'aveu des contemporains, dans les blessures, même les plus graves. »
Sans parler de Biondo ou Blondus, et de Palatius, dont je n'ai pu me procurer les ouvrages, et dont les doctrines ont donné
DES APPLICATIONS CHIRURGICALES DE L'EAU FROIDE. 5
lieu à d'obscures controverses (1), l'Italie vit naître, dans le XVIe siècle, plusieurs chirurgiens, partisans de l'eau froide dans le traitement des plaies, qui s'efforcèrent de démontrer qu'il n'était point nécessaire de faire intervenir une puissance surnaturelle pour obtenir des résultats aussi remarquables que ceux dont se vantaient les charlatans. En France, A. Paré soutint la même doctrine : «Je ne veux laisser à dire, s'écrie-t-il, qu'aucuns guarissent les playes auec eau pure, après aiioir dit dessus certaines paroles, puis trempent en l'eau des linges en croix et les renouuellent souuent. Je dy que ce ne sont les paroles ni les croix, mais c'est l'eau qui nettoyé la playe, et par sa froideur garde l'inflammation et la fluxion qui pourraient uenir à la partie offensée» (2). En 1563, Gabriel Fallope préconisa également l'eau naturelle, comme une source féconde de succès que les chirurgiens, amis de leur art et soigneux de leur réputation, ne doivent point abandonner aux charlatans. Mais tous ces efforts restèrent impuissants contre les fraudes intéressées des uns, contre la crédulité superstitieuse des autres, et l'intervention de Martel et de Laurent Joubert ne fut guère plus efficace.
Depuis cette époque jusqu'à la fin du siècle dernier, l'eau froide subit de nombreuses vicissitudes : tantôt complétement oubliée, tantôt momentanément préconisée par quelques chirurgiens, tels que Lamorier, Sancassani, Caldani, Boenneken, Danter, etc. Parmi ceux qui prirent la parole en sa faveur, Theden mérite une mention particulière.
Theden, suivant les errements de son maître Hahn, a employé l'eau froide dans des cas de violente inflammation traumatique du pied, dans des cas de hernies , contre l'érysipèle, et dans plusieurs autres circonstances, dont il sera question plus loin ; il a eu recours aux affusions, aux lotions, aux corn(1)
corn(1) Malgaigne, de l'Irrigation dans les maladies chirurgicales, thèse de concours; Paris, 1842. (2) A. Paré, OEuvres complètes, édif. Malgaigne. t. I. p. 97.
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presses mouillées souvent renouvelées, et il déclare que ce sont «les clabauderies de l'envie et de la méchanceté qui l'ont empêché d'étendre autant qu'il l'aurait bien voulu l'emploi de cet agent, dont il a toujours retiré les plus heureux effets» (1).
Dans une autre partie de son ouvrage, Theden indique une application de l'eau froide dont nous montrerons plus loin toute l'importance. Il s'agit de douches froides appliquées au traitement de l'ànkylose, c'est-à-dire « de la roideur qui subsiste ordinairement dans les articulations après la gûérison des plaies qui affectent ces parties. »
«L'effet que l'on peut attendre des douches, dit Theden, est toujours en raison de la hauteur de laquelle la liqueur est versée. » La façon la plus commode de les administrer est d'avoir un vase pourvu d'un robinet, que l'on ouvre autant qu'il le faut, pour que les gouttes se succèdent aussi rapidement que possible sans se confondre, et placé à une hauteur plus ou moins considérable. «J'ai quelquefois élevé la machine à la hauteur de quatre étages. A Torgau, j'en ai établi une sous un toit, en plein air, de la hauteur de trois étages, dans la maison d'une femme paralysée; j'en ai place une sur le haut d'une cheminée. La malade recevait l'eau sous le manteau de sou foyer, et elle s'en est bien trouvée. »
Le malade reste exposé à la douche une demi-heure, une heure, une ou deux fois par jour, ou une fois tous les deux jours, selon les circonstances (2).
Si maintenant, pour se rendre un compte exact du rôle qu'a joué l'eau froide dans la pathologie chirurgicale depuis le xve siècle jusque vers la fin du XVIIe, on ne se contente point de citations et d'appréciations reproduites par les auteurs sur la foi les uns des autres ; si l'on remonte aux sources, si l'on compulse les écrits de Joubert, de François Martel, de de
(1) Theden, Progrès ultérieurs de la chirurgie, tradnct. de Chayron,
p. 179 et suiv.; Bouillon, 1777. (2) Theden , foc cit. , p. 89-91.
DES APPLICATIONS CHIRURGICALES DE L'EAU FROIDE. 7
La Motte, etc., on ne tarde pas à se convaincre que les choses ont été singulièrement exagérées par les défenseurs contemporains de l'eau froide. Il est certain pour nous que , pendant les interminables querelles que nous avons rappelées, l'eau n"a rendu, en grande partie, que des services négatifs au traitement des plaies et des blessures par armes de guerre. Employée, souvent tiède, pour laver, pour absterger les plaies, pour humecter la charpie, elle n'a jamais servi de base à une médicalion régulière, suivie, méthodique ; mais en se substituant exclusivement à l'huile, au vin , à la poix, aux mille topiques excitants, irritants, dont on couvrait les plaies à cette époque, en ramenant le pansement à une sage expectation et à une favorable simplicité , elle a permis à la nature d'accomplir plus vite, plus facilement et plus heureusement, un travail de réparation que l'art semblait prendre à tâche de contrarier, de rendre plus long, plus douloureux et moins sûr. Tel est, suivant nous, le véritable point de vue' sous lequel la question doit être envisagée.
En 1785, un accident survenu à Strasbourg fournit l'occasion à Lombard et à Percy de faire des observations très-étendues, dans lesquelles l'eau froide occupe une place beaucoup plus sérieuse et plus importante.
Pendant des épreuves faites pour fixer l'opinion du gouverment sur la bonté respective de différentes pièces d'artillerie, plusieurs soldats sont blessés, et transportés à l'hôpital militaire , dont Lombard était chirurgien en chef; celui-ci, aidé de Percy, place le premier appareil sur ces plaies contuses et déchirées, et «tout se passa selon les règles de l'art»; mais, la nouvelle de cet accident s'étant répandue dans le pays, un meunier alsacien vint trouver l'intendant de la province, et lui persuada si bien qu'il savait rendre l'eau ordinaire infaillible pour la guérison des plaies, que ce magistrat ordonna que les canonniers lui fussent livrés pour être pansés exclusivement par lui, et afin que Lombard et Percy ne rompissent point le charme, on les écarta des pansements, et on ne leur per-
8 HISTORIQUE ET CRITIQUE.
mit d'y assister que le douzième, le vingtième, et le trentième jour.
Le meunier se mit à laver les plaies avec de l'eau de rivière, dans laquelle, marmottant entre ses dents quelques mots inintelligibles et faisant divers signes, tantôt d'une main, tantôt de l'autre, il jetait une petite pincée de poudre blanche , qu'on reconnut être de l'alun ; après les avoir bien lavées et baignées, il les couvrait avec du linge et de la charpie, qu'il trempait dans son eau, toujours en gesticulant, et prononçant à voix basse les paroles sacrées.
Six canonniers avaient eu les mains dilacérées, et les chirurgiens avaient été incertains s'ils n'en pratiqueraient point la désarticulation; cinq avaient été frappés au bras par les éclats d'une pièce crevée, et les plaies étaient accompagnées d'une perte de substance et d'une contusion considérable.
« Toutes ces plaies furent cicatrisées en six semaines, sans avoir causé de grandes douleurs, et sans qu'on y eût appliqué autre chose que de l'eau préparée comme il a été dit, et toujours médiocrement froide. On ne les découvrait qu'une fois par jour; mais, de trois en trois heures, On avait soin de les arroser avec la même eau, que le meunier appelait son eau bénite, et qu'en effet il semblait composer de même, avec du sel, des gestes, et des paroles.
«Cette leçon, ajoute Percy, ne fut pas perdue pour nous. Après avoir avoué que peut-être nous n'eussions pas obtenu une guérison aussi prompte ni aussi commode par la méthode usitée en pareil cas, nous ne craignîmes pas d'affirmer qu'avec de l'eau simple nous réussirions aussi bien, pour ne pas dire mieux, que le meunier avec ses charmes... Quelque temps après, nous eûmes la triste occasion de tenir et de gagner notre défi. Pendant de nouvelles épreuves d'artillerie, nous eûmes trente-quatre blessés, qui furent tous pansés par Lombard avec l'eau simple, tantôt un peu tiède, tantôt froide ; les parties furent soutenues avec des attelles et autres moyens mécaniques appropriés aux cas, on appliqua des bandages mé-
DES APPLICATIONS CHIRURGICALES DE L'EAU FROIDE. 9
thodiques, et le quarante-cinquième jour, malgré la gravité et la complication bien constatées de quelques-unes des blessures, toutes furent guéries» (1).
C'est à l'occasion de ces faits, selon Percy, que Lombard aurait publié, en 1786, son Précis sur les propriétés de l'eau simple employée comme topique dans la cure des maladies chirurgicales (2).
«L'eau froide, dit Lombard (p. 174), ralentit l'acion du phlogistique, resserre le calibre des vaisseaux, et modère le jeu des fluides; par ses effets secondaires, elle fortifie lés nerfs et rétablit le cours interrompu de l'esprit qui les parcourt. C'est ainsi, sans doute , qu'elle dissipe certaines douleurs, qu'elle prévient les spasmes et l'engorgement chez quelques-uns.».
Dans le pansement des plaies, où il est absolument nécessaire d'en réitérer souvent l'application, elle s'oppose à l'accumulation des fluides, rend la suppuration plus prompte et moins abondante (p. 181 ).
Dans l'érysipèle, Lombard craint que l'eau froide ne refoule la matière érysipélateuse et ne produise ainsi de grands maux; il lui préfère par conséquent l'eau tiède (p. 186-188).
Plus loin, il s'élève contre les préjugés qui font proscrire l'eau froide dans les plaies de tête , et il montre qu'il l'a employée plusieurs fois, en pareil cas , avec le plus grand succès.
Les fomentations et les douches d'eau froide calment souvent des douleurs de tête opiniâtres, dissipent l'inflammation des méninges, les mouvements convulsifs des frénétiques et des maniaques (p. 192).
L'eau froide guérit souvent les ulcères, et amène une cicatrice plus solide et plus durable que celle que l'on obtient par le feu (p. 203) ; elle est très-utile dans les ulcères cancéreux, pour calmer les douleurs, et on doit la préférer à tous les topiques stupéfiants.
(1) Percy, Dictionn. des sciences méd:, art. Eau, t. X , p. 477-480.
(2) Lombard, Opuscules de chirurgie; Strasbourg, 1786.
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Les contusions et la plupart des infiltrations sanguines tiennent un des premiers rangs parmi les tumeurs dont la résolution est opérée par l'eau froide; il faut encore ranger ici les engorgements qui résultent des fortes extensions, des entorses, des vraies ou fausses luxations, et des fractures; le tremblement occasionné par la faiblesse des nerfs, la paralysie , les tumeurs rhumatismales, les fluxions vénériennes des bourses, la tuméfaction de la prostate, les hernies étranglées.
L'eau froide est encore très-utile dans le traitement de plu-, sieurs maladies des yeux, des oreilles, de la langue, des organes génito-urinaires. « Les injections froides ou glacées dans le.vagin et l'utérus fortifient le tissu de ces parties et leurs ligaments. » L'eau froide est employée avec avantage contre les hémorrhoïdes externes, le circosèle, les varices des jambes, les extensions des ligaments et des muscles, la faiblesse des articulations, le rachitis, les fractures, les hémorrhagies, les brûlures, la congélation, les engelures.
Dans ce travail, Lombard résume, fidèlemeut et avec soin, toutes les recherches qui ont été faites avant lui; il produit plusieurs observations tirées de sa pratique personnelle ; mais il ne fait aucune mention des faits qui, au dire de Percy , se seraient passés à Strasbourg l'année précédente, et auraient été l'occasion de sa publication. Faut-il, avec M. Malgaigne, conclure de ce singulier silence que Percy en a imposé ? Nous ne le pensons point, en présence des détails circonstanciés et précis dans lesquels ce chirurgien est entré ; il est probable qu'il ne s'agit ici que d'une simple erreur de date, et que l'ouvrage de Lombard est, au contraire, antérieur à l'affaire des blessés de Strasbourg.
Quoiqu'il en soit, Percy, appelé bientôt sur le vaste et sanglant théâtre des guerres de la République et de l'Empiré, poursuivit, pour son propre compte, les recherches de Lombard sur les.applications d'eau froide, et il a résumé dans l'article que nous avons cité les résultats de sa pratique.
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«J'ai fait aux armées, dit-il, un grand usage de l'eau de source, de puits, de ruisseau, de rivière, comme je pouvais me la procurer. Après avoir fait laver les plaies, je mouillais la charpie et les compresses, et dans bien des cas, ce pansement durait jusqu'à la guérison... C'est principalement dans les plaies avec déchirement des membranes, des aponévroses , des tendons, que L'eau a le plus d'efficacité. Avec elle, j'ai sauvé, dans une foule de circonstances, des membres et surtout des mains et des pieds, qui étaient à tel point dilacérés et maltraités qu'il paraissait imprudent d'en différer l'amputation. De longues immersions dans de l'eau froide , l'application d'épongés ou de linges épais imbibés d'eau, l'eau enfin sous toutes les formes prévenait ou modérait les accidents, contenait dans de justes bornes l'irritation et l'inflammation, amenait une suppuration aussi bonne que le comportait la nature des parties , et j'obtenais une guérison que nul autre moyen ne pouvait disputer à l'eau, puisque je n'avais eu recours qu'à elle... En général, lorsqu'il y a prurit, chaleur, inflammation, les lotions d'eau douce sont calmantes et rafraîchissantes. L'ardeur de l'érysipèle ne devient souvent supportable qu'à force d'eau... Il est des phlegmasies qui dégénéreraient promptement en gangrène, si on ne se pressait d'en réprimer l'excès par des affusions, immersions et applications continuelles d'eau froide... Lorsqu'on a fait une opération importante, l'eau seule peut tenir lieu de tous les topiques... Quand, dans les plaies de quelque étendue, il survient une inflammation trop vive, les ablutions et fomentations d'eau souvent répétées produisent un très-bon effet... Depuis la simple excoriation jusqu'aux plaies les plus graves, l'eau peut rendre des services réels, et rarement elle trompe l'espoir de celui qui se confie en elle et qui sait en faire usage;.. On redoutait encore beaucoup , il y a cinquante ans, les applications froides dans les plaies de tête; maintenant on a éprouvé que l'eau frojde est au moins aussi utile dans ces lésions que dans celles du reste du corps... A l'égard des plaies par armes à feu, je ne me lasserai pas de répéter que l'eau doit
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jouer le premier rôle dans leur curation, et que les chirurgiens qui en feront un usage rationnel et méthodique obtiendront incomparablement plus de succès, que ceux qui n'auront pas la force de s'élever au-dessus des préventions qu'un mode de traitement si simple fait concevoir... S'il était possible, dans un coup de feu, ou toute autre blessure grave au coude, au genou , au pied, etc., que le malade tînt, pendant, les dix ou quinze premiers jours, la partie plongée dans l'eau , on aurait bien moins d'amputations à faire, et on sauverait la vic à un bien grand nombre de blessés... Il n'est personne qui n'ait éprouvé les bons effets de l'eau appliquée sur les ulcères... Dans les grandes contusions, sugillations et ecchymoses, l'eau en bain, en lotion, etc., est peut-être le meilleur de tous les résolutifs... Après des efforts trop violents qui ont fatigué les muscles, rien ne délasse et ne répare mieux que les lotions et des douches d'eau. Dans les allongements forcés des membres, dans les distensions et divulsions des articles, c'est aussi l'eau qui fait le plus de bien... Après la réduction des luxations , ce moyen est très-profitable. Quand on s'est fait une entorse , la première chose qu'on doit demander, c'est de l'eau fraîche... Les articulations relâchées et affaiblies se resserrent et se fortifient par les douches et les applications d'eau froide; des luxations spontanées ont été prévenues ou guéries par leur moyen. Dans ces cas et autres semblables, l'exposition de la partie à la chute d'un moulin, d'une cascade, etc., produit de bons effets. On a vu des enflures chroniques des jambes, des tumeurs avec induration du tissu cellulaire, des ankyloses incomplètes, des affections atoniques du système musculaire, céder à ces espèces de douches naturelles... Rien n'est plus convenable que l'eau simple pour laver en premier lieu les membres fracturés et humecter ensuite l'appareil... Quand on s'est mis à arroser une fracture avec de l'eau, il faut le faire souvent... Dans les fractures voisines des articles , il faut prodiguer l'eau sur ceux-ci... L'eau seule détermine plus efficacement l'exfoliation des os et la séparation de
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leurs séquestres que tous les remèdes et agents exfoliatifs. Elle est d'une efficacité dont on ne peut assez faire l'éloge dans l'écrasement des mains et dans leurs dilacérations... Les douleurs névralgiques s'apaisent avec une grande facilité par l'immersion dans l'eau froide ; il est des stranguries qu'elle dissipe comme par enchantement... Les fluxions vénériennes ou traumatiques des testicules seraient promptement résolues, si, dès leur invasion, on recourait encore aux bains locaux et aux applications d'eau froide... Les injections aqueuses et froides dans le vagin, l'utérus et le rectum, sont utiles dans plus d'un cas.
«Sydenham, s'écrie enfin Percy, disait qu'il renoncerait à la médecine, si on lui était l'opium ; pour moi, j'aurais abandonné la chirurgie des armées, si l'on m'eût interdit l'usage de l'eau»(1).
Nous avons donné une large place à ces citations, parce qu'elles contiennent l'indication de la presque totalité des cas chirurgicaux dans lesquels les applications extérieures d'eau froide peuvent présenter des avantages, et nous verrons, en effet, que les recherches plus récentes, n'ont que peu ajouté à cette énumération.
Percy ne se rend pas exactement compte des divers modes d'action de l'eau froide; il n'indique point les procédés trèsdifférents auxquels il faut avoir recours, suivant qu'on veut obtenir l'effet sédatif et antiphlogistique ou l'effet excitant et tonique, l'effet révulsif ou l'effet résolutif; mais on voit, cependant, que l'expérience et l'observation l'ont conduit à des résultats que peut envier l'hydrothérapie méthodique de nos jours.
En 1824, Tanchou a publié un opuscule (2) dans lequel on trouve une bonne appréciation des divers effets que peut produire le froid, et des observations intéressantes.
(1) Percy, ouvrage cité, p. 480-408.
(2) Tanchou, du Froid et de son application dans les maladies; Paris, 1824.
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Le premier effet du froid est presque entièrement physique: c'est le refoulement du sang et des liquides de la périphérie vers le centre; le second effet du froid, c'est la réaction : c'està-dire le retour du sang du centre à la périphérie. Alors le pouls devient large et plein, la peau se colore et s'échauffe, les capillaires s'injectent, la force musculaire se développe, etc. (p. 12-14). Dans les maladies, ces deux effets peuvent être utilement employés (p. 16). Tantôt le froid doit être appliqué d'une manière progressive, permanente et soutenue; tantôt d'une manière interrompue, saccadée et intermittente (p. 28). Le froid est essentiellement débilitant, il n'est tonique que par la réaction (p. 127). Le froid peut agir comme révulsif et comme résolutif (p. 130). Dans l'application de cet agent, on doit toujours avoir la réaction en vue, et si on veut s'y opposer, il faut la renouveler continuellement. Il ne faut jamais commencer par une température trop basse, il faut y arriver graduellement; en général, une température de 12, 15, 18°, convient mieux (p. 99).
Jusqu'alors le froid n'avait guère été mis en oeuvre qu'à titre d'agent sédatif; à Tanchou revient l'honneur d'avoir nettement établi la double action du modificateur, et d'avoir compris que la seconde pouvait rendre à la thérapeutique autant de services que la première.
Au point de vue chirurgical, Tanchou a rapporté (p. 97 et suivantes ) des observations de contusions, d'écrasement des doigts, d'érysipèle, de brûlure, dans lesquelles on voit qu'il a employé l'eau froide avec un remarquable succès. «Le froid, dit-il, est l'antidote spécifique de l'érysipèle , et quand on pense aux douleurs atroces qu'endurent les malheureux qui sont brûlés, aux accidents souvent mortels qui s'ensuivent, et au temps qu'il faut pour les guérir, on verra que le moyen que je propose est une véritable découverte et un vrai service rendu à l'humanité» (p. 106-111).
Nous dirons seulement que Tanchou s'est attribué à tort une priorité à laquelle il n'a aucun droit, en disant : «Le froid n'a-
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vait jamais été employé avant moi contre l'érysipèle» (p. 105). Le lecteur sait déjà combien cette assertion est erronée, puisque, sans parler de Perçy, il a vu cette médication nettement indiquée, dans les écrits hippocratiques.
Malgré les discussions retentissantes des XVe, XVIe et XVIIe siècles, propres, du moins, à provoquer l'attention et l'expérimentation des chirurgiens; malgré les travaux importants et les assertions précises de Theden, de Lombard, de Percy, de Tanchou , l'eau froide avait de nouveau presque complètement disparu de la scène chirurgicale, et ou ne la trouvait même point mentionnée dans l'ouvrage de Boyer. Guthrie, S. Cooper, Assalini, l'indiquaient, à la vérité, comme un bon moyen de prévenir ou de réprimer l'inflammation; mais ce bon moyen ne figurait que dans quelques livres, et aucune des célébrités chirurgicales de notre pays ne l'appliquait dans la pratique civile ni dans les hôpitaux, à l'exception toutefois de Sanson (1), de M. Jobert (2), de Marjolin et de Blandin (3), qui en faisaient un rare et exceptionnel usage. L'oubli, à cet égard, était si profond, qu'en 1834, M.. Rognetta ne craignit point de présenter comme une découverte l'application de l'eau froide, faite par Breschet, au traitement de deux fractures compliquées et d'un panaris (4).
L'année 1835 a vu paraître deux ouvrages importants, et comme la priorité de publication et d'application appartient à Josse , chirurgien en chef de l'hôtel-Dieu d'Amiens et à son fils, nous nous occuperons en premier lieu du livre publié par celui-ci (5).
L'auteur expose les doctrines de son père et les résultats
(1) Sanson, Dictionn. de méd. et de chir. prat., art. Eau; 1831.
(2) Jobert, Traité des plaies d'armes à feu, p. 36; Paris, 1833.
(3) Bulletin général de thérapeutique, t. II, p. 395 ; 1832.
(4) Bulletin général de thérapeutique, t. VI, p. 183-212 ; 1834.
(5) Josse, Mélanges de chirurgie pratique; Emploi de l'eau par la méthode des affusions, pansements rares, etc., par Josse fils; Paris, 1835.
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qu'il a obtenus par l'emploi méthodique de l'eau froide, pratiqué pendant sept années à l'hôtel-Dieu d'Amiens.
M. Josse reconnaît que, dès les temps hippocratiques, on a employé les arrosements, les fomentations d'eau froide, les compresses mouillées, les bains froids locaux ; mais il réclame pour son père la première idée d'un traitement méthodique , consistant en affusions incessamment continues depuis quelques heures jusqu'à trente et quarante jours (p. 15,16), ou en compresses mouillées négligemment appliquées, incessamment renouvelées , et laissant des espaces nombreux pour le libre passage de l'air qui se charge des vapeurs formées (p. 32). Si un appareil est nécessaire, il doit être le plus léger, le plus simple, et le moins serré possible. Les affusions doivent être faites en même temps sur toute l'étendue de la lésion; car, sans cela, la maladie, en cédant dans les points où la réfrigération s'opère , gagne et s'étend dans les endroits où les affusions n'arrivent pas (p. 36). L'eau n'agit qu'en s'emparant du calorique morbide , accumulé dans les tissus enflammés ( p. 39 ). Dans les inflammations superficielles, l'effet est prompt, presque instantané ; dans les inflammations profondes, il se fait attendre plus longtemps, mais il n'est pas moins sûr (p. 44).
Le courant des affusions doit toujours être abondant, afin que la plus grande quantité possible de calorique soit enlevée par l'eau aux tissus enflammés, sans que la température de celle-ci en soit sensiblement accrue, de telle sorte que l'action réfrigérante du topique soit continue et toujours égale. Les compresses se réchauffent et se sèchent d'autant plus vite que la vaporisation se fait plus promptement; lorsqu'on les renouvelle, la température se trouve subitement abaissée, pour s'élever encore graduellement jusqu'à ce qu'une nouvelle compresse vienne la remettre au même point. Il se produit ainsi, après chaque refroidissement, une réaction qui sera d'autant plus marquée qu'on aura mis d'intervalle dans le renouvellement des linges mouillés ; de là l'obligation de les changer à chaque instant. Il existe entre la phlogose, la température du liquide, et
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son abondance, des rapports qu'il faut saisir. Si la température de l'eau est trop peu élevée, si la quantité est trop considérable , l'effet devient nuisible : la réaction s'établit, la peau rougit, et il s'y développe une éruption vésiculeuse. Le même phénomène se produit, si l'on continue les affusions trop longtemps , et, comme d'un autre côté, il y a danger à les cesser brusquement, il faut, à la fin du traitement, élever la température de l'eau, diminuer sa quantité, et remplacer le courant par des compresses que, par degrés, on renouvelle moins souvent et qu'enfin on supprime entièrement. (P. 46-51.)
Nous avons reproduit ces détails, parce que sur eux repose l'efficacité de la médication; parce qu'ils ont été souvent méconnus par des expérimentateurs qui, n'ayant obtenu dès lors que des résultats peu favorables, se sont crus en droit de contester la bonté de la méthode ; enfin parce que nous aurons besoin d'y revenir, lorsque nous nous occuperons de l'hydrothérapie empirique, des services qu'elle a rendus, des excès et des exagérations dans lesquels elle est tombée, des fautes qu'elle a commises.
M. Josse fait ensuite connaître par des observations détaillées , authentiques, les remarquables succès obtenus par son père dans le traitement de l'érysipèle, du phlegmon, des brûlures , des plaies simples, confuses, par armes à feu et par écrasements; des fractures comminutives.
Pour remplir à la fois toutes les indications qui se présentent dans le traitement des brûlures, dit M. Josse, les affusions froides ne peuvent être remplacées par aucun autre topique (p. 122). Et l'auteur justifie cette assertion par des observations de brûlures étendues et profondes guéries rapidement, et presque sans douleurs, au moyen de l'eau froide. Le chapitre consacré aux plaies et fractures contient également des observations d'un intérêt et d'une importance qui doivent être appréciés par tous les praticiens.
En janvier 1835, A. Bérard fit paraître un travail dans lequel il démontra, par des observations, que, sous l'influence
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18 HISTORIQUE ET CRITIQUE.
des irrigations continues, les accidents inflammatoires sont constamment prévenus ; tandis que le travail de réparation est favorisé, qu'il s'opère soit par inflammation adhésive, soit par suppuration (1).
« L'irrigation continue d'eau froide, dit Bérard, est un moyen héroïque et infaillible pour prévenir et combattre l'inflammation dans les cas de lésions traumatiques les plus grives et qui provoquent ordinairement de très-violents accidents inflammatoires : ainsi dans les plaies par armes à feu, celles par écrasement, celles qui résultent de la dissection et dé l'ablation partielle des kystes placés au milieu des tendons du poignet, etc. Je n'ai pas eu occasion d'essayer l'irrigation après une amputation ; maïs je crois fermement que ce moyen préviendrat la plupart des accidents locaux et généraux que cette opération entraîne trop souvent, en même temps qu'il favoriserait la réunion par première intention. »
Postérieurement à la publication de son mémoire, Bérard eut ftecasioa d'appliquer avec succès les irrigations aux amputations, dans le but de maintenir l'inflammation suppurative nécessaire à la cicatrisation dans de justes limites, et il arriva à considérer ce moyen comme obligatoire pour les plaies, les arrachements et les amputations des doigts, en raison de la disposition des gaines des fléchisseurs, qui permet si facilement le transport de l'inflammation à la main et à l'avânt-bras (2).
Pendant plusieurs années, de 1835 à 1838, les irrigations frmdes furent employées par un grand nombre de chirurgiens, et principalement par MM. Jobert, Blandih, Mojôn, Alquié, Christophe (3), M. J. Cloquet, qui en obtint les plus heureux ré(1)
ré(1) Bérard, Mémoire sur l'emploi de l'eau froide comme antiphtogistique dans le traitement des maladies chirurgicales, in Arch. gén. de méd., t. VII, p. 5; 1835.
(2) Godin, Observ. d'irrigations continues d'eau froide, in Arch. gén. de méd., t. XIII, p. 343; 1837.
(3) Christophe, Sur l'eau comme moyen thérapeutique, in Journ. des conn. méd.-chir., 1834, p. 65.
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sultats dans les entorses, les fractures, et l'érysipèle phlegmoneux de cause traumatique (1).
En 1836, M. Roberty (2), en 1838, M. Nivet (3), firent connaître les résultats de la pratique de Breschet, et après avoir rapporté des observations de fractures compliquées, d'écrasements du pied et de la main, de plaies graves des articulations, de plaies d'armes à feu, d'amputations, M. Roberty résume ainsi les avantages de la méthode : apaisement et disparition de la douleur; non-développement ou disparition rapide du gonflement; inflammation constamment modérée; peu ou pas de réaction générale; suppuration retardée et diminuée; absence de toute décomposition du pus; jamais d'étranglement; consolidation plus rapide des os fracturés (4).
En résumé, les irrigations continues furent expérimentées pendant quatre années sur la plus vaste échelle par l'élite des chirurgiens; les résultats obtenus furent constamment aussi heureux qu'on pouvait le désirer, et cependant, chose étrange ! ce modificateur si puissant, si sûrement efficace, ne figure plus, encore une fois, que dans les traités de chirurgie (5), et l'on peut dire aujourd'hui avec M. Scoutetten :
« Malgré l'utilité de l'invention, malgré le concert presque unanime des écrivains et des praticiens, ce moyen n'a pas tardé à être négligé et presque totalement abandonné. L'oubli est arrivé à ce point, que je puis affirmer, après avoir visité les principaux hôpitaux de l'Europe, qu'il n'existe pas aujourd'hui un seul praticien qui en fasse la base de sa thérapeutique dans le
(1) Omouton, de l'Emploi des irrigations froides continues ; thèse inaugurale de Paris, 1835, n° 100. — Roger, de l'Irrigation continue d'eau froide dans quelques affections chirurgicales ; thèse inaugurale de Paris, 1835, n°190.
(2) Roberty, de l'Emploi de l'eau froide dans le pansement des plaies, thèse inaugurale de Paris, 1836, n° 323.
(3) Nivet, Gazette médicale de Paris, 1838, p. 36.
(4) Roberty, thèse citée, p. 16.
(5) Compendium de chirurgie pratique, t. I. p. 337-424; Paris, 1840.
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traitement des fractures compliquées et des accidents chirurgicaux inflammatoires» (1).
Dans un demi-siècle, surgira probablement un chirurgien qui, s'attribuant la découverte des irrigations continues, parviendra à les remettre en honneur pendant quelque temps, jusqu'à ce que l'inconstance et la versatilité des hommes les replongent de nouveau dans la vaste hécatombe des inventions humaines !
Disons cependant que MM. Baudens et Alquié, après avoir employé l'eau froide avec succès pendant nos guerres d'Afrique (2), continuent à s'en servir dans les hôpitaux militaires, et que ce modificateur rend encore tous les jours d'éminents services à M. Sédillot (3) et à plusieurs chirurgiens des départements (4).
Le discrédit dans lequel sont tombées les irrigations continnes est-il dû à ce que l'expérience n'a point confirmé les avantages qu'avait attribués à cette médication un premier moment d'enthousiasme... qui a duré quatre ans? C'est ce que nous allons discuter, en rendant compte d'un important travail publié par M. Malgaigne en 1842 (5).
M. Malgaigne, après avoir analysé les divers travaux que nous avons fait connaître ici, reproduit d'abord contre les irrigations continues d'eau froide (p. 34 et suiv.) des objections formulées par Sanson (6).
Dans la saison froide, les irrigations ajoutent au malaise
(1) Scoufetten, de l'Eau sous le rapport hygiénique et médical, p. 205; Paris, 1843.
(2) Baudens, Clinique des plaies d'armes à feu, p. 12; Paris, 1836.
(3) Muller, de l'Emploi de l'eau froide en chirurgie; thèse inaugurale de Paris, 1849, n° 162.
(4) Busquet, de l'Emploi de l'eau froide dans les maladies chirurgicales, à l'hospice Saint-André de Bordeaux ; thèse inaugurale de Paris, 1849, n° 77.
(5) Malgaigne, de l'Irrigation dans les maladies chirurgicales; thèse de concours.
(6) Sanson, Diclionn. de méd. et de chirurg. prat., art, Eau, t. VI, p. 430 et suiv.
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général dans lequel le corps se trouve jeté par une température rigoureuse.
Ceci peut avoir de la valeur, lorsque, en temps de guerre, les blessés sont pansés en plein air ou dans des ambulances qui ne les protègent point suffisamment contre les intempéries atmosphériques ; mais l'objection tombe complètement devant la pratique civile et militaire des temps de paix.
lorsque la suppuration est établie, la continuation des irrigations boursoufle les chairs, les rend blafardes et douloureuses.
Cela n'a jamais lieu lorsque les irrigations sont faites méthodiquement ; tous les observateurs sont unanimes sur ce point. M. Malgaigne reconnaît d'ailleurs lui-même que ce reproche n'est point fondé, et que, s'il repose sur des faits, ceux-ci sont exceptionnels.
Les irrigations donnent quelquefois lieu à du malaise, à des DOULEURS INTOLÉRABLES, et M. Malgaigue ajoute qu'il les a vues, bien supportées d'abord, devenir INCOMMODES ET
DOULOUREUSES:
Est-il sérieusement possible de contester aux applications d'eau froide la propriété de calmer, de faire disparaître les douleurs ? Non-seulement les faits observés par Sanson et par M. Malgaigne sont exceptionnels, mais encore je n'hésite pas à déclarer qu'en élevant un peu la température du liquide, en diminuant la force de l'irrigation, en la rendant intermittente, en lui substituant, au besoin, des compresses mouillées, etc., on se serait facilement rendu maître des accidents. Est-ce que jamais on a prétendu faire des irrigations continues un procédé opératoire immuable, auquel la sagacité du chirurgien ne dût apporter aucune modification suivant les indications particulières à chaque fait ? A moins de rétrécir le sujet aux proportions d'une question de grammaire, de dictionnaire, il est évident qu'il s'agit d'apprécier la valeur non du procédé irrigation, mais du modificateur eau froide, employé à titre d'agent sédatif.
Les irrigations empêchent quelquefois l'inflammation
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de se développer, et retardent ainsi indéfiniment la cicatrisation.
Mais qui peut le plus peut le moins, et ceci doit être attribué non au modificateur, mais à celui qui l'a mis. en oeuvre et qui a substitué une formule empirique à une médication rationnelle. La durée, la continuité des irrigations, doivent varier suivant les conditions dans lesquelles se trouve la plaie ; si l'inflammation, au lieu d'être simplement contenue dans les limites voulues, a été complétement abolie, c'est que votre application a été trop longue, trop continue.
Le pus s'altère sous l'influence des irrigations. Tous les observateurs ont constaté le contraire, et M. Roberty signale particulièrement l'heureuse influence des irrigations sur la marche de la suppuration et les qualités du pus.
Les irrigations produisent quelquefois le rhumatisme ou des inflammations thoraciques.
Ceci est une assertion gratuite ; pas un seul fait n'a été publié à l'appui de cette accusation, qu'il n'est plus possible de soutenir en présence de l'hydrothérapie empirique. M. Piorry nous disait, il y a peu de temps, qu'il avait fait et qu'il faisait encore un usage très-fréquent des applications d'eau froide sur le thorax pour combattre l'hémoptysie, et que. jamais il ne les avait vues produire une phlegmasie rhumatismale, une pleurésie on une pneumonie ; nous verrons bientôt M, Jobert appliquer l'eau froide au traitement des brûlures, et lui attribuer précisément l'avantage de prévenir les réactions viscérales.
On le voit ; pas une seule de ces objections ne supporte l'esairaen ; il y a lieu de s'étonner qu'un homme aussi judicieux que Sanson ait pu les produire, et qu'un esprit aussi sagape que celui de M. Malgaigne ait pu les accepter.
Remarquons toutefois que Sanson écrivait en 1831, c'est-àdire bien avant les recherches de Josse, de A. Bérard, et de tous cens qui les ont suivis; que ses objections ne s'adressent point, par conséquent, aux irrigations continues, c'est-à-dire à une médication méthodique et raisonnée, mais à un mode irrégu-
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lier d'application que Sanson ne nous fait même pas connaître. Remarquons encore que, malgré ses réserves, Sanson s'exprime de la manière suivante sur le compté de l'eau froide.
«C'est surtout lorsqu'il s'agit de prévenir la fluxion inflammatoire que l'eau fraîche ou froide jouit d'une grande efficacité, et je puis affirmer qu'il n'est pas de meilleur moyen de prévenir les inflammations traumatiques que les irrigations souvent renouvelées d'eau fraîche. Avec ce moyen, j'ai vu guérir par première intention des plaies contuses plus ou moins déchirées et étendues ; j'ai pu préserver la plupart des individus auxquels j'ai pratiqué des amputations, ou d'autres opérations graves, de la fièvre dite traumatique; enfin j'ai pu guérir sans amputation, et même sans inflammation vive et sans suppuration abondante, plusieurs individus affectés de fracture d'un membre, compliquée de plaie et de saillie des fragments au dehors.»
Est-il beaucoup de modificateurs en chirurgie dont on puisse faire un pareil éloge, et peut-on s'appuyer sur l'autorité de Sanson pour contester les bons effets de l'eau froide?
Assez sur ce point : suivons maintenant M. Malgaigne sur le terrain de l'observation.
M. Malgaigne a voulu battre les défenseurs des irrigations continues avec leurs propres armes, sur le.champ de bataille de l'observation clinique, et c'est dans les faits publiés par Josse , A. Bérard, Breschet, et M. J. Cloquet, qu'il a puisé les éléments de son appréciation. Examinons si celle-ci repose sur une base plus solide.
Nous trouvons dans une première série, comprenant les observations appartenant à M. Josse, à Bérard, et à M. J. CIoquet, les éléments suivants.
Un homme a la main prise sous un ëboulement de pierres. Des irrigations sont pratiquées pendant trois jours; mais l'inflammation ne s'arrête point, elle s'étend au coude; une suppuration abondante s'établit. On pratique l'amputation, et le malade meurt.
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Dans un cas d'érysipèle phlegmoneux, il se forme un abcès profond, malgré l'usage des irrigations.
Fracture de la partie inférieure de la jambe, large ouverture de l'articulation, issue des fragments au dehors. Malgré les irrigations, il se forme des abcès et des eschares; les os se dénudent. On pratique l'amputation, et le malade meurt.
Fracture comminutive de la jambe et plaie du genou ; infiltration purulente de la cuisse. Amputation.
Fracture de la rotule, plaie de deux pouces communiquant avec l'articulation; érysipèle phlegmoneux. Mort.
Dans une seconde série, se trouvent quinze observations appartenant à Breschet; elles ont fourni à M. Malgaigne deux morts, et quelques exemples d'abcès circonscrits profonds et d'esebares superficielles.
Tels sont les faits accusateurs que l'investigation attentive de M. Malgaigne a réunis contre les irrigations continues (1). Ainsi, sur plus de 50 malades affectés, pour la plupart, des maladies chirurgicales les plus graves, de fractures comminutives et compliquées d'écrasement, de plaies des articulations, d'érysipèles phlegmoneux étendus à tout un membre, nous comptons 5 morts, 1 cas d'amputation suivie de guérison, et 5 ou 6 exemples d'abcès circonscrits et d'eschares superficielles! Et c'est sur ce résultat, que nous considérons comme le plus bel éloge qu'on puisse faire des irrigations continues, que M. Malgaigne se fonde pour contester les bons effets de cette méthode? Mais montrez-nous donc une statistique aussi satisfaisante obtenue en dehors des irrigations! A-t-on prétendu d'ailleurs que les irrigations étaient un moyen infaillible et tout-puissant en vertu duquel la chirurgie ne compterait désormais que des succès? Ou a voulu établir leur supériorité sur les autres méthodes de traitement, et vous nous opposez un résultat absolu, tandis qu'il s'agit d'apprécier des résultats comparatifs. Remarquez encore que
(1) Malgaigne, thèse citée , p. 40-70.
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votre appréciation repose sur des observations brièvement rapportées : vous n'avez point vu les malades, vous n'avez pu juger de visu la gravité de leur état ; et lorsque des hommes tels que Breschet, Bérard, M. J. Cloquet, présentent, comme militant en faveur des irrigations continues, les faits que vous considérez comme s'élevant contre elles, il est bien permis, tout au moins, de mettre ces faits hors de cause.
Après s'être livré à cette investigation clinique, M. Malgaigne résume de la manière suivante ses griefs, à l'endroit des irrigations (1) :
Les irrigations continues tiennent la partie dans un état de réfrigération qui tend à appeler une réaction vive DÈS
QU'ON EN SOUSTRAIRA LES AGENTS.
Si l'on ne soustrait pas les agents de la réfrigération trop tôt et trop brusquement, la réaction n'aura pas lieu; et la réfrigération est précisément le bienfait de la méthode.
ON PARVIENT, A FORCE D'IRRIGATIONS , à étouffer toute puissance de réaction dans la partie; ON PARVIENT à y produire une sorte de scorbut local par cette humidité constante, qui est l'une des causes les plus actives du scorbut général; de là le mauvais aspect des cicatrices, leur facilité à se rompre, et peut-être aussi le retard dans la consolidation du cal.
Si le chirurgien se proposait d'obtenir les mauvais effets indiqués par M. Malgaigne, il est probable qu'à force d'irrigations il parviendrait à les développer; mais, s'il voulait les éviter, il n'aurait qu'à recourir à des irrigations modérées, raisonnables, et non à des irrigations forcées.
Et maintenant nous sommes complètement d'accord avec M. Malgaigne lorsqu'il dit que la continuité des courants n'est pas indispensable, que les irrigations intermittentes sont quelquefois préférables, et que l'essentiel est que la chaleur et l'afflux du sang soient suffisamment combattus.
(1) Malgaigne, thèse citée , p. 73.
26 HISTORIQUE ET CRITIQUÉ.
Ce n'est point sans des motifs sérieux que nous nous sommes décidé à entrer dans d'aussi longs développements à propos des irrigations continues.
Cette question a exercé une influence considérable sur les destinées de l'eau froide. Le plus ordinairement, l'Opinion publique ne s'établit point par l'étude attentive et comparative des faits; elle se forme d'après les jugements portés par les hommes dont elle reconnaît la compétence et l'autorité. Voyant les irrigations abandonnées par les chirurgiens qui les avaient préconisées avec le plus d'ardeur, les entendant condamner par des hommes tels que M. Velpeau, M. Malgaigne, elle les a non-seulement frappées de sa réprobation, mais elle a encore dépassé des limites que logiquement elle n'aurait point dû franchir : elle a généralisé des objections qui, même en admettant leur justesse, étaient toutes spéciales, et elle à fait peser sur l'eau froide, et toutes ses applications possibles, une condamnation qui ne devait atteindre, tout au plus, que la méthode des irrigations, appliquée au traitement des plaies et des désordres produits par les violences extérieures.
Je crois avoir péremptoirement démontré l'inanité , l'injustice des accusations dirigées contre les irrigations ; et si maintenant on cherche à se rendre compte de l'abandon dans lequel elles sont tombées, je crois qu'il faut faire intervenir les difficultés matérielles, les soins minutieux; la surveillance attentive et continuelle , qui sont inséparables de la méthode, qui sont la condition sine qua non de son efficacité; et qui rendent son application dans les grands hôpitaux peu aisée.
Cette explication, qu'on serait peut-être tenté de considérer comme futile et invraisemblable, deviendra plus sérieuse si l'on veut bien tenir compte de ces deux faits incontestables , à savoir : 1° que les chirurgiens qui, dans les hôpitaux de Paris, ne mettent plus en usage-la méthode des irrigations se hâtent d'y avoir recours dans la pratique civile, toutes l'es fois qu'ils se trouvent en présence d'une lésion traumatique grave, pouvant faire redouter le développement ultérieur de vives
DES APPLICATIONS CHIRURGICALES DE L'EAU FROIDE. 27
douleurs, de violents accidents inflammatoires locaux ou généraux; 2° que les. irrigations sont encore employées avec grand avantage dans la plupart des hôpitaux de province.
Ces remarques n'ont pas échappé à M. Amussat. «Dans les hôpitaux de Paris, dit-il, les irrigations ne sont mises en usage qu'exceptionnellement; mais, dans la pratique civile, elles sont proportionnellement plus souvent employées; mon père s'en est servi constamment dans les blessures et les fractures compliquées qu'il a eu à traiter ; depuis quelques années surfout, il a généralisé l'emploi de l'eau à la plupart des affections chirurgicales et après les opérations. D'après les renseignements que j'ai pu me procurer, l'usage de l'eâu en irrigation est aussi assez fréquent en province. MM, les Drs Clerc, à Saint-Germain, Guyot, à Rennes, Fontan, à Niort, Maher, à Lorient, Chaumette et Erigohen, à Bordeaux, Rigal, de Gaillac, de Wlepïn, à Compiègne, Patry, etc. etc., s'en servent avec avantage» (1).
Il faut ajouter que la méthode des irrigations est encore employée aveG succès dans les principaux hôpitaux de la GrandeBretagne, par Liston, Fergusson, Miller, Arnott, etc. (2).
En résumé., MM. Velpeau (3) et Nélaton (4) déclarent que les irrigations froides continues ne constituent qu'une méthode exceptionnelle, applicable seulement à un petit nombre de cas particuliers..
Nous pensons, au contraire, qu'elles doivent être envisagées comme une méthode générale, dont les précieux avantages seront facilement appréciés par tous les praticiens qui voudront l'appliquer avec mesure et discernement.
L'eau froide a rendu de grands services dans le traitement
(1) Amussat, de l'Emploi de l'eau en chirurgie; thèse de Paris, 1850, n°243.
(2) Voy. Richet, de l'Emploi du froid et de la chaleur, dans le traitement des affections chirurgicales; thèse d'agrégation en chirurgie , p. 22; Paris, 1857.
(3) Velpeau, Traité de médecine opératoire ; Paris, 1839.
(4) Nélaton, Éléments de pathologie chirurgicale, Paris, 1854.
28 HISTORIQUE ET CRITIQUE.
des ulcères ; depuis six ans, je l'ai constamment employée tantôt comme agent sédatif pour réprimer l'inflammation, tantôt comme agent excitant pour stimuler les surfaces blafardes des ulcères atoniques ; j'ai guéri par ce moyen, aidé de la compression, des ulcères simples, scrofuleux et variqueux, qui avaient résisté pendant plusieurs années aux traitements les plus variés. M. de Herdt a publié deux observations fort intéressantes qui montrent tout le parti que les chirurgiens peuvent tirer de cette méthode de traitement (1).
A la fin du XVIIe siècle, Smith a vanté les bons effets de l'eau froide contre la brûlure. «Si, lorsque la brûlure n'est que légère, dit-il, on plonge la partie sur l'instant dans de l'eau froide (plus elle est froide; elle n'en est que meilleure), la douleur cesse dans le moment même, et elle guérit entièrement si on continue autant de temps qu'il en faut pour faire la cure par le moyen de quelque autre remède que ce soit. Et si la brûlure est considérable, qu'il faille appliquer d'autres remèdes, on sait qu'il n'y en a aucun qui puisse ôter la douleur dans moins de deux ou trois heures ; cependant, si vous y appliquez à l'instant de l'eau froide, après qu'on aura appliqué les autres remèdes à la partie, la douleur cessera immédiatement».(2).
Nous avons vu Tanchou et Josse traiter avec succès les brûlures par les applications froides : en 1834, M. Magnin de Grammont a publié un travail qui renferme des observations très-intéressantes , et dans lequel il établit la proposition suivante : «L'immersion dans l'eau fraîche fait cesser les douleurs, qui disparaissent instantanément et reparaissent immédiatement-autant de fois qu'on se plonge dans l'eau et qu'on ressort, avant cinq heures d'immersion ; mais, après ce laps de temps, on peut impunément s'exposer au contact de l'air, si l'on a eu
(1) De Herdt, de l'Emploi de l'eau froide comme topique dans le traitement de quelques affections chirurgicales (l'Union médicale, 1848, p. 607).
(2) Smith, les Vertus médic. de l'eau comm., ou Recueil des meilleures pièces qui ont été écrites sur cette matière, t. I, p. 99 ; Paris, 1.730.
DES APPLICATIONS CHIRURGICALES DE L'EAU FROIDE. 29
soin de maintenir le bain à la température la plus convenable, qui est celle de + 13 à 15° R. (1).
Depuis plusieurs années, nous avons traité par l'eau froide toutes les brûlures qui se sont présentées à notre observation, et nous avons constamment réussi à faire disparaître instantanément la douleur, ainsi qu'à prévenir ou à réduire à leur minimum les phénomènes de réaction générale ; mais souvent, pour obtenir ce résultat, l'immersion ou l'application des compresses a dû être continuée pendant 12,24 ou même 36 heures.
Le Dr Kusten a publié plusieurs observations de brûlures graves et profondes traitées avec succès par les irrigations (2).
M. Jobert s'est livré, à l'hôpital Saint-Louis, à des recherches fort étendues sur le meilleur mode de traitement à opposer aux brûlures, et ses expériences comparatives l'ont conduit à adopter définitivement la médication par l'eau froide ; il fait usage de bains froids prolongés, de compresses froides renouvelées , d'enveloppement dans des draps mouillés, de l'application de vessies remplies de glace, et il résume de la manière suivante les avantages de cette méthode : «La douleur disparaît comme par enchantement ; les réactions viscérales sont prévenues ; la suppuration est peu abondante ; les eschares secondaires sont très-rares ; les cicatrices sont peu épaisses, sans brides difformes, et sans rétraction concentrique très-prononcée» (3).
En janvier 1847, M. Chassaignac a lu à l'Académie des sciences une note sur l'emploi des irrigations conjonctivales contre l'ophthalmie purulente: «L'action des irrigations longtemps continuée sur la surface des paupières et sur le globe de l'oeil est telle, dit-il, que dans un service où l'on avait à déplorer journellement la cécité d'un ou de plusieurs enfants, par suite du ramollissement de la cornée, ramollissement qui est quelquefois
(1) Magnin de Grammont, Journ. des conn. utiles, 1834, p. 228.
(2) Kusten, l'Union médicale, 1818, p. 226.
(3) Jobert, Gazette des hôpitaux, 1848, p. 64-201.
30 HISTORIQUE ET CRITIQUE.
complet au bout de quarante-huit heures, il n'y a pas eu, depuis l'établissement de l'irrigation, un seul exemple de cet accident funeste.
Depuis, cette méthode a été expérimentée sur une large échelle à l'hôpital des Enfants-Trouvés, où elle a produit des résultats fort remarquables; la cécité, les altérations graves de la cornée, la mortalité, ont disparu parmi les enfants affectés d'ophthalmie purulente; la guérison est devenue constante (1) , et la médication a présenté , dans le traitement des affections chroniques de la cornée, dès avantages qui ont été résumés ainsi par M. Rieux.
1° Le traitement par les douches oculo-palpébralés et les collyres à faible dose doit être employé, sinon pour guérir d'une manière absolue, du moins pour prévenir souvent et améliorer sensiblement les teintes opalines, les épanchements purulents et les staphylômes de la cornée.
2° L'efficacité thérapeutique des affusions froides est d'autant plus manifeste que les désordres anatomiques de la cornée sont d'une date récente.
3° Les heureuses modifications qui peuvent survenir sont la conséquence de deux modes d'action de l'eau, qui, par sa chute d'un lieu élevé, augmente la réaction vitale des tissus, et par sa réfrigération détruit la vascularisation pathologique qui nourrit et perpétue l'opacité (2).
L'impulsion donnée aux expérimentateurs par les publications de Josse et de A. Bérard provoqua quelques applications de l'eau froide en dehors des plaies, des ulcères, des brûlures, des. fractures, etc., c'est-à-dire des accidents franchement inflammatoires : ainsi les irrigations continues; ouïes bains froids locaux, furent dirigés avec succès contre les luxations, l'en(1)
l'en(1) , l'Union médicale, n° du 9 septembre 1847.
(2) Rieux, de l'Efficacité des douches oculaires dans le traitement des altérations de la cornée; Paris, 1847.
DES APPLICATIONS CHIRURGICALES DE L'EAU FROIDE. 31
torse (1), les tumeurs blanches; et ici nous devons entrer dans quelques, détails.
Jusqu'à présent nous avons vu l'eau froide employée presque exclusivement à titre d'agent sédatif et antiphlogistique, pour prévenir ou combattre les phénomènes de l'inflammation; nous, avons vu que, pour atteindre ce but, on recommandait , avec raison, d'éviter l'effet consécutif de l'application du froid, c'est-à-dire la réaction; nous avons vu encore que, pour empêcher cette réaction, il fallait que l'eau ne fût pas à une température trop basse, que son application fût prolongée, continue, et graduellement croissante et décroissante; que son contact avec la partie lésée s'opérât soit au moyen de compresses mouillées incessamment renouvelées, soit au moyen d'un courant continu, abondant, coulant doucement sur les parties malades, sans les soumettre à la percussion que produit de l'eau tombant d'une grande élévation ou s'écoulant d'un réservoir considérable, par une ouverture comparativement, étroite.
Theden, à la vérité, avait bien dit avoir guéri des ankyloses au moyen de douches froides, dont l'efficacité était toujours en raison de la hauteur de laquelle le liquide était versé, Percy avait bien annoncé que les articulations relâchées se fortifiaient sous l'influence de douches froides; qu'en exposant les parties malades à la chute d'un moulin ou d'une cascade, il avait vu des luxations spontanées, des ankyloges incomplètes, des affections atoniques du système musculaire, des tumeurs avec induration du système cellulaire, céder à ces espèces, de douches naturelles. Tanchou avait bien déclaré que les deux effets produits par le froid, c'est-à-dire la sédation et la réaction, pouvaient être utilement employés en thérapeutique. Mais ces faits, ces indications, avaient passé inaperçus, étaient restés stériles, et pas un
(1) Bonnet, Traité des maladies des articulations, t. 1, p, 223 ; Paris, 1845. — Compendium de chirurgie, t.11, p. 380 ; 1849.
32 HISTORIQUE ET CRITIQUE.
expérimentateur ne s'était demandé si, en mettant en oeuvre les effets astringents, toniques, révulsifs et résolutifs, de l'eau froide, on ne pourrait pas obtenir des résultats plus féconds et plus utiles encore que ceux dont on était redevable à l'action sédative du froid.
Dans sa thèse publiée en 1836 (1), et après avoir rapporté huit observations fort intéressantes de plaies des articulations traitées avec succès par les irrigations continues, M. Ichon nous montre une tumeur blanche du poignet, ayant sept mois de durée, ayant résisté à de nombreuses applications de sangsues, de vésicatoires, et à la compression ; ayant donné donné lieu à un abcès suivi d'une plaie fistuleuse, ayant amené un gonflement considérable de l'articulation et l'abolition complète des mouvements ; M. Ichon nous montre cette altération se résolvant sous l'influence d'irrigations intermittentes d'eau froide, et se terminant par une guérison complète (2). Mais ce fait, si remarquable, ne lui inspire aucunes réflexions sur le mode d'action qu'a dû avoir l'eau froide pour résoudre ainsi cette grave et ancienne tumeur blanche ; il sait que l'eau froide est un puissant antiphlogistique, produisant une réaction salutaire qui redonne aux parties la souplesse et le ton quelles ont perdus, et cette connaissance lui suffit pour concevoir qu'après plusieurs applications successives «le gonflement se soit dissipé, que la mobilité ait reparu, et enfin que tous les phénomènes qui caractérisent les tumeurs blanches aient été enlevés » (p. 19). En vérité c'est se contenter de peu !
M. Bonnet, en faisant usage d'une médication empruntée au système de Priessnitz (sudation provoquée par l'enveloppement dans des couvertures de laine et suivie d'une immersion de 1 à 4 dans un bain à 9°), a guéri des arthrites chroniques avec indurations, exsudations pseudomembraneuses, ankylose
(1) lcbon, de l'Irrigation continue d'eau froide dans le traitement des plaies des articulations et des tumeurs blanches; thèse inaugurale de Paris, 1836, n° 273.
(2) Idem, loc. cit., p. 29-30.
DES APPLICATIONS CHIRURGICALES DE L'EAU FROIDE. 33
incomplète et des hydarthroses (1), et à ce propos M. Bonnet déclare que les douches froides doivent compter parmi lés moyens les plus efficaces pour opérer la résorption des liquides épanchés, pour faire cesser les douleurs et la gène des mouvements (p. 445), pour guérir les rhumatismes articulaires chroniques les plus graves (p. 497, 532, 536 ; mais M. Bonnet lui-même a agi empiriquement et sans se rendre compte du mode d'action du traitement. «La combinaison des sudations abondantes et des bains froids, dit M: Bonnet (p. 175), agit par l'élimination de principes nuisibles, par le rétablissement de la sueur normale, par l'activité plus grande donnée à la calorification , enfin par la congestion plus active qu'elle détermine à la peau.» Mais le médecin physiologiste peut-il se contenter d'une pareille explication?
«Remarquons , dit plus loin M. Bonnet (p. 538), que n'ayant employé que les bains sans pouvoir faire usage de l'action si puissante des douches, ayant traité nos malades dans des hôpitaux, c'est-à-dire dans des conditions hygiéniques peu favorables, nous sommes loin d'avoir pu produire ce que l'on obtient dans des établissements hydriatriques, où l'air, l'exercice le régime, concourent aux résultats que tendent à produire les modes les plus variés de l'administration de l'eau.»
Les douches sont donc plus puissantes, de votre propre aveu, que la combinaison de la sudation et des bains froids, et cependant elles n'agissent pas de la manière que vous indiquez.
Nous dirons, dans la seconde partie de ce travail, de quelle manière les saines doctrines physiologiques rendent comple de l'action résolutive exercée par l'eau froide.
Tels sont, résumés aussi fidèlement que possible, les principaux travaux qui ont eu pour objet l'emploi chirurgical de l'eau froide.
Voyons maintenant quels sont ceux qui se présentent dans le champ de la pathologie interne.
(1) Bonnet, ouvrage cité, t.1, p. 418, 426, 442.
34 HISTORIQUE ET CRITIQUE.
B. DES APPLICATIONS MÉDICALES DE L'EAU FROIDE.
Hippocrate veut que les malades atteints de la fièvre boivent de l'eau; mais ses écrits ne renferment, en définitive, rien qui soit de nature à occuper une place ici. Celse est beaucoup plus explicite ; mais à côté de préceptes nettement formulés , on rencontre june foule d'indications vagues, de contradictions ; souvent aussi Celse veut qu'on fasse alterner l'eau chaude avec l'eau froide, sans qu'on puisse se rendre un compte satisfaisant de l'utilité qu'il rattache à cette pratique.
Rien ne faittant de bien à la tête que l'eau froide, dit Celse; il faut donc, lorsqu'on a cette partie faible, y recevoir chaque jour, en été, une forte douche (1); l'usage de l'eau froide est avantageux à ceux qui sont sujets aux maux d'yeux ou de gorge, aux rhumes, aux fluxions; ils doivent se laver tous les jours non - seulement la tête, mais encore la bouche, avec beaucoup d'eau froide (cap. 5); ceux qui digèrent lentement doivent, avant de se coucher, boire deux ou trois verres d'eau froide (cap. 8); il ne faut boire que de l'eau quand on se sent menacé d'une maladie (lib. III, cap. 2); dans la folie triste, il faut répandre de l'eau froide sur la tète (cap. 19); le meilleur remède pour faire revenir les malades en léthargie, c'est de leur répandre tout à coup de l'eau froide sur le corps (cap. 20) ; si la douleur de tête vient de la chaleur, il faut répandre sur la tète beaucoup d'eau froide (lib. iv, cap. 2). Dans d'autres parties de son ouvrage, Celse prescrit de se baigner tantôt dans l'eau chaude, tantôt dans l'eau froide (lib. I, cap. 1) ; dans la dysenterie, il faut d'abord boire de l'eau chaude, puis de l'eau froide, pour dessécher les ulcères, et enfin se remettre à l'usage de l'eau chaude, aussitôt que les évacuations ont cessé (lib. IV, cap. 15); si le manger s'aigrit, il faut boire de l'eau tiède avant de rien prendre;
(1) Celse, de Medicina, lib. I, cap. 4.
DES APPLICATIONS MÉDICALES DE L'EAU FROIDE. 35
si cela donne la diarrhée, il n'y a rien de mieux à faire que de boire après chaque selle un verre d'eau froide (cap. 8).
Ces citations suffisent pour montrer la manière dont Celse a envisagé et traité la question de l'eau froide.
Arétée prescrit les affusions froides dans la frénésie et dans la syncope. Galien, Coelius Aurelianus, Alexandre de Trâlles, Aetius, Paul d'Égine, n'ont rien ajouté d'important à ces indications. On voit que l'eau froide était employée comme séda tif, antiphlogistique, et appliquée surtout au traitement des maladies aiguës.
Les arabistes mentionnent à peine l'eau froide; Savanarola, Mengo Bianchelli, Barzizi, Cardan, l'indiquent contre la dysenterie, la métrorrhagie, les douleurs articulaires, la goutte et les maladies utérines ; mais Fernel la laisse dans un oubli complet, et il faut arriver jusqu'à la fin du XVIIe siècle pour la voir devenir l'objet d'une étude spéciale sous la plume de Floyer, qui préconise l'eau froide contre l'encéphalite, l'angine, les hémorrhoïdes, les affections des voies urinaires, et une foule d'autres maladies (.1).
L'ouvrage de Floyer eut beaucoup de retentissement en Angleterre, et y fit un grand nombre de prosélytes, parmi lesquels on doit citer Smith, qui, sous le titre de Traité des vertus médicinales de l'eau commune, publia une compilation fort étendue, dans laquelle figurent des citations destinées à prouver les bons effets de l'eau, et empruntées à divers auteurs (Manwaring, Keill, Prat, Duncan, Elliot, Blount, Allen, Sennert, Browne, Couch, Wainwrigt, Salmon, Cook, Harris, Van der Heyden, Blair, etc.).
L'eau est la boisson la plus convenable à l'homme, dit Smith ; mieux que toute autre, elle favorise la digestion des aliments et procure un bon appétit; si on en faisait un plus grand usage, on serait moins exposé aux tremblements, à la paralysie, à l'a(1)
l'a(1) Inquiry into the right use ofihe hot, cold and températe baths in England ; Londres, 1697.
36 HISTORIQUE ET CRITIQUE.
poplexie, à la goutte, à la pierre, à l'hydropisie, aux rhumatismes , aux hémorrhoïdes, à la mélancolie hypochondriaque, aux rhumes, etc. ; elle assure la santé et augmente la durée de la vie. L'eau froide, bue le matin, emporte par les urines toutes les parties bilieuses et salées; elle prévient la gravelle et peut même la faire disparaître. Si les femmes enceintes buvaient de l'eau en plus grande quantité, leurs enfants seraient moins sujets aux maladies, plus aisés à nourrir et à élever. Lorsque les nourrices manquent de lait, elles n'ont qu'à boire de l'eau, et leurs mamelles ne tarderont pas à se gonfler, en même temps que leur lait se rafraîchira. Les lotions froides ou les immersions faites matin et soir jusqu'à l'âge de neuf mois sont le meilleur moyen de fortifier les enfants d'une constitution faible. L'eau froide est un remède excellent dans le flux de sang, la consomption, les boutons et les rougeurs du visage, la colique, la variole, les fièvres ardentes, où, sous l'influence de l'injection d'une grande quantité d'eau froide, oh voit le pouls se relever, les urines devenir abondantes, et la sueur couvrir le corps ; la goutte, la sciatique, le scorbut, les vents de l'estomac, la toux. Les bains d'eau froide, les applications de même nature, sont très-utiles dans la faiblesse des jointures, les douleurs de tête, les insomnies qui accompagnent les fièvres, l'épistaxis, l'épilepsie, la folie, la mélancolie, les défaillances. Il n'y a pas de moyen plus prompt, plus sûr, ni plus agréable, pour guérir les écrouelles, que de baigner le malade dans de l'eau froide; les lotions, les affusions froides, sont encore trèsbonnes dans la jaunisse, les douleurs des jointures, les ophthalmies, le prurit. Veut-on ne pas être sujet à s'enrhumer à chaque instant, on n'a qu'à se laver la poitrine avec de l'eau froide tous les matins.
Smith n'indique que les propriétés délayantes et diurétiques de l'eau ; il ne cherche point à se rendre compte de la manière dont elle a pu agir pour opérer les bons effets qu'il lui attribue dans un si grand nombre de circonstances diverses ; il se contente d'enregistrer des assertions, et de rapporter quelques
DES APPLICATIONS MÉDICALES DE L'EAU FROIDE. 37
faits; mais il n'hésite pas à déclarer cependant que l'eau froide inlus et extra est l'un des plus puissants moyens de conserver la santé, de prévenir et de traiter la plupart des maladies, et il ajoute que les bons effets des eaux minérales dépendent probablement de l'eau simple. «Les meilleurs médecins, dit Smith, lorsqu'ils ne peuvent pas venir à bout de certaines maladies, conseillent à leurs malades l'usage de quelque eau minérale ; ils prétendent, à la vérité, attribuer ses effets à quelques minéraux dont les eaux sont imprégnées. Mais une personne qui avait accoutumée d'aller à Tumbridge, et dont elle se trouvait très-bien, n'ayant pas pu s'y transporter dans la saison comme à son ordinaire, elle but la même quantité d'eau de fontaine et elle s'en trouva tout aussi bien» (1).
Vers la même époque, parut le livre de Hancocke (2), dans lequel l'auteur, s'appuyant sur sa propre expérience, établit que l'eau froide est le meilleur des sudorifiques, et qu'il est peu de fièvres qui résistent à son administration.
«Cette manière de suer, dit-il, est la plus facile et la plus douce et celle qui fait le moins de violence à la nature ; elle est plus salutaire et fait plus d'effet que ces sueurs violentes qui viennent d'elles-mêmes au commencement des fièvres, ou qui sont excitées par les sudorifiques chauds.
«Pour ce qui est de la quantité d'eau froide, un demi-setier suffit pour faire suer un enfant d'un âge raisonnable; il en faut une chopine pour un homme ou une femme, une pinte même fera souvent mieux. Il n'est pas besoin, pour suer de cette manière, de se couvrir plus, qu'à l'ordinaire.
« Dans les fièvres ordinaires, l'eau ne cause quelquefois qu'une douce chaleur; on est guéri au bout de deux ou trois heures, et on peut conclure alors qu'il ne s'agissait que d'une fièvre éphémère. Lorsque le malade sue beaucoup, on peut
(1) Smith, Traité des vertus médicinales de l'eau commune, trad franc.; Paris, 1730.
(2) Hancocke, Febrifugum magnum or common water the best cure offevers; Londres, 1722. Trad. franc.; Paris, 1730.
38 HISTORIQUE ET CRITIQUE.
conclure que la maladie aurait été une fièvre putride. Quand le malade sue très-abondamment, on a raison de croire que la maladie aurait été une fièvre maligne. »
Dans les fièvres éruptives (pourpre, rougeole, variole), l'eau ne fait pas suer ; mais elle abat la fièvre, et rend l'éruption plus facile.
Les fièvres intermittentes sont guéries de la même manière.
L'eau froide convient encore dans les rhumes, l'esquinancie, l'asthme, l'indigestion, les vomissements, la colique, la gravelle, le rhumatisme, la goutte, dans laquelle il est bon de plonger les mains et les pieds dans l'eau froide, sans craindre de faire rentrer les humeurs. Les lotions d'eau froide guérissent la paralysie, le mal de tête, les douleurs des épaules, du dos et des reins, etc.
Enfin Hancocke s'efforce de prouver que l'eau froide est l'un des meilleurs remèdes de la peste.
L'ouvrage de Hancocke renferme plusieurs observations intéressantes ; mais les lougues discussions théoriques et dogmatiques auxquelles se livre l'auteur sur la nature des fièvres, l'altération des humeurs et du sang, ne sont qu'un tissu d'hypothèses erronées ou absurdes. C'est d'ailleurs à titre de sudorifique que l'eau froide est surtout préconisée par Hancocke.
Au commencement du XVIIIe siècle, parut la dissertation de Fr. Hoffmann, tant invoquée depuis par les apologistes de Peau froide (1). L'illustre médecin de Halle établit que l'eau convient parfaitement à toutes les constitutions, à tous les âges, dans tous les temps, et que son usage satisfait à toutes les indications, tant pour la conservation de la santé que pour la guérisoiffi des maladies. Il est clair, dit Hoffmann, qu'une fluidité exacte du sang et des humeurs est absolument nécessaire pour leur donner un cours libre et égal ; c'est par là que sont empêchées les stagnations et les interruptions du cours des humeurs, de même que leurs impuretés et corruptions, qui sont
(1) Hoffmann, de Aqua medicina universali; Halae, 1712.
DES APPLICATIONS MÉDICALES DE L'EAU FROIDE. 39
les causes de toutes les maladies. Or y a-t-il dans la nature quelque remède plus excellent et plus propre que la bonne eau pure pour donner au sang cette fluidité si nécessaire.
L'eau favorise la digestion, l'appétit et l'embonpoint; affermit les dents et les rend blanches ; elle est l'unique soulagement des fébricitants et le meilleur remède qu'on puisse leur donner. « Il faut avoir attention que la boisson ne soit point trop froide, surtout vers le temps des crises et lorsqu'on craint de l'inflammation dans les premières voies, non plus que durant le frisson, quand les parties externes sont resserrées; il faut attendre le temps qu'on s'aperçoive d'une disposition à la diaphorèse, et c'est alors qu'il faut toujours donner beaucoup à boire au malade. »
Les maladies chroniques viennent le plus souvent de l'obstruction des glandes et des viscères, de l'abondance et de l'impureté des humeurs, et de leur stagnation. Or, pour ôter tous ces obstacles, il n'est point de remède plus sûr que l'eau commune, et ici Hoffmann se met en devoir de prouver que les bons effets des eaux minérales les plus célèbres sont dus à la quantité de l'eau simple.
Après ces considérations générales, Hoffmann cherche à établir l'efficacité de l'eau pluviale à l'intérieur et à l'extérieur, dans la mélancolie, la cachexie, l'étisie, les rhumes, les maladies de la peau, la goutte, les hémorrhoïdes et la pléthore.
C'est principalement à titre de dissolvant que Fr. Hoffmann envisage et préconise l'eau, et l'on comprend facilement toute l'importance qu'il lui accorde, en tenant compte des doctrines humorales et pathogéniques de l'époque.
Pendant la première partie du XVIIIe siècle, l'eau trouve de nombreux partisans dans les principales contrées de l'Europe. En Angleterre, Floyer, Smith et tous les observateurs cités par ce dernier ; en Allemagne, Fr. Hoffmann, J.-S. Hahn (1),
(1) Hahn, Unterrichle von Krafft und Wirkung des frischen Wassers, etc.; Breslau, 1738.
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qui recommande l'eau froide contre les maladies chroniques, l'érysipèle, les fièvres ardentes, les ulcères , la petite vérole et les pétéchies; J.-G. Hahn (1), qui, pendant une épidémie très-meurtrière de typhus, fut le seul médecin heureux, grâce à des lotions d'eau froide pratiquées sur tout le corps avec des éponges; Schwertner, Sommer, Béer, Kruger, etc..
En Italie, l'ignorance et le charlatanisme s'emparèrent de l'eau froide, et s'abandonnèrent à des excès et à des exagérations de toutes sortes. Todano prétendait guérir toutes les maladies avec de l'eau froide, et souvent il y ajoutait de la neige et de la glace. Les malades devaient avaler, toutes les trois heures, jusqu'à 5 livres d'eau ; ils ne devaient pas se couvrir quand ils avaient froid, et quand ils se plaignaient trop vivement , on leur mettait sur la région du foie et sur les reins des linges trempés dans l'eau froide. Les syncopes, l'assoupissement, et autres symptômes alarmants, ne suffisaient point pour l'arrêter ; seulement alors il suspendait la boisson froide, il jetait de l'eau fraîche à la figure, faisait mettre de la neige dans les mains du malade, et de la glace sur les pieds; on appliquait des fomentations froides sur la tête et sur toutes les parties douloureuses. Ce traitement était employé chez les femmes en couches et chez les enfants. Sangez fut un fidèle imitateur de ces extravagances. Dans les fièvres ardentes, il faisait coucher le malade complètement nu dans un drap double suspendu par les quatre coins, il l'entourait de neige jusqu'à la bouche, lui donnait fréquemment à boire de l'eau à la glace, et le faisait balancer jusqu'à ce que la neige fût fondue» (2). On lit l'exposition systématisée et doctrinale de cette singulière médication dans un opuscule du Père Bernard , intitulé Méthode pour traiter toutes les maladies avec l'eau à la glace (3).
(1) Hahn, Epidemia verna quoe Wratislaviam, anno 1737, afflixit, in Acta germanica , t. X.
(2) Scoutetten, ouvr. cité., p. 117-118.
(3) V y. les Vertus médic. de l'eau commune, t. Il, p. 759 ; Paris, 1730.
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Quelques médecins éclairés et honnêtes cherchèrent cependant à démêler ce qu'il pouvait y avoir de bon au milieu de toutes ces extravagances, et parmi eux on doit citer Crescenzo et Cyrillo.
Le premier distingue l'eau en très-froide, froide et fraîche, suivant qu'on l'a fait glacer avec beaucoup de neige, qu'on l'a refroidie avec une quantité médiocre de neige, ou qu'on l'a seulement rafraîchie. Les maladies dans lesquelles est indiquée l'eau froide, prise le matin à jeun et en petite quantité (7 à 8 onces), sont l'indigestion, les chaleurs d'entrailles, les aigreurs, l'hypochondrie, la gravelle et le catarrhe. L'eau froide, prise en quantité médiocre (2 ou 3 bouteilles le matin à jeun, 1 bou; teille trois heures avant le coucher du soleil, 2 bouteilles le soir), convient dans la fièvre étique, les fièvres intermittentes, les maladies de la peau, le mal de Naples, la goutte et l'hydropisie; enfin l'eau froide, prise en grande quantité pendant sept à huit jours, à la dose d'une bouteille chaque heure, convient dans toutes les maladies aïguës, les fièvres continues, les abcès intérieurs, le diabète, le choléra-morbus, le flux hépatique, la douleur néphrétique, la pleurésie, l'érysipèle et l'apoplexie. Suivent quelques préceptes touchant le mode d'administration de l'eau et certaines contre-indications (1).
Cyrillo reconnaît que l'usage de l'eau froide, dans le cas de fièvre, n'est pas récent ; mais, dit-il, guérir les fièvres avec la seule eau de neige, donnée pendant plusieurs jours, sans l'emploi d'aucun autre médicament ou même sans user d'aliments, est une pratique nouvelle. C'est par cette méthode que nous avons vu des malades arrachés à la mort contre toute attente. Les médecins précédents restèrent d'abord en suspens;mais enfin, encouragés par des succès fréquents, ils tâchèrent de rendre sûre et mieux entendue une pratique qu'on employait d'abord aveuglément. Il n'y a plus de médecin qui balance maintenant à l'égard de cette méthode de traitement.
(1) Crescenzo, Règles pour bien pratiquer le remède de l'eau, in les Vertus médic. de l'eau commune, t.11, p. 767.
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Voici, suivant Cyrillo, les préceptes du régime aqueux. Après quelques heures d'une abstinence complète, on commence à boire de l'eau refroidie par l'addition de neige à la dose de 1 à 2 livres, suivant l'état des forces et la soif du malade. La même dose doit être administrée toutes les heures ou tontes les deux heures, jour et nuit, sans interruption, à moins que le sommeil ne survienne. La diète doit être complète pendant toute la durée du traitement, qui est de sept à douze jours. Cette méthode peut être appliquée avec des avantages incontestables aux fièvres aiguës, malignes et mortelles, de tout genre; à la diarrhée, à la dysenterie, aux coliques, à la lieuterie, à la dysurie, au cholëra-morbus, à l'hystérie, à l'hypochondrie (1).
En France, l'eau froide eut pour principaux apologistes Hecquet, Geoffroy, Noguez, et Pomme.
Geoffroy, pour résoudre une question posée dans l'École de médecine de Paris, recherche si l'eau est un excellent préservatif en temps de peste. Après d'assez longues dissertations sur les causes et la nature de la maladie, il établit que l'eau est la meilleure des boissons pour apaiser la soif, pour faciliter la digestion, tempérer le chyle, fluidifier le sang et les humeurs et en corriger l'àcreté, donner de la flexibilité aux solides; il faut donc s'en servir comme d'un bon préservatif.
L'eau, ajoute Geoffroy, n'est pas seulement un préservatif; on peut la regarder comme un remède universel, propre pour toutes les maladies, et spécifique pour plusieurs d'entre elles. Il n'est point de meilleur remède dans les affections chroniques qui viennent toutes des obstructions des viscères, dans les maladies aiguës, et les fièvres ardentes qui dépendent d'une bile âcre et ardente. Ici se placent les fièvres éruptives, les fièvres malignes, la peste, etc. (2).
Hecquet répète, an milieu d'un fatras inintelligible, tout ce
(1) Cyrillo, de Frigidoe in febribus usu, in Philosophical transact., t. XXXVI, p. 142; 1729-1730. (2) Geoffroy, in les Vertus médic. de l'eau, t.1, p. 379.
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qui a été dit sur la nécessité d'entretenir la souplesse et l'élasticité des solides, de fluidifier le sang et les humeurs, de corriger l'àcreté de la bile, etc., et il conclut que pour satisfaire à toutes ces indications, il n'est point de meilleur moyen que l'eau (1).
Noguez se livre à des dissertations, à des explications chimiques et mécaniques fort singulières ; mais il est cependant conduit par elles à entrevoir certains effets de l'eau froide mécounus jusqu'à lui.
L'eau froide, prise à l'intérieur, est, suivant la manière dont on l'administre, un excellent purgatif; elle est le meilleur diurétique que nous possédions ; elle est un fort bon sudorifique; elle est un cordial, un rafraîchissant, un adoucissant ; elle est le plus puissant des délayants; elle est stomachique.
L'usage de l'eau froide, appliquée extérieurement, produit encore des effets merveilleux ; et ici Noguez établit que, sous la double influence du froid et de la pesanteur, les vaisseaux de la peau se contractent et refoulent violemment et précipitamment le sang qui se portait vers l'habitude, en même temps que les pores se rétrécissent et empêchent la transpiration de sortir: d'où il faut conclure qu'il n'y a rien qui fortifie tant contre le froid que les bains d'eau froide, et qu'il n'est rien de meilleur pour enlever les liqueurs visqueuses et gluantes qui séjournent dans les vaisseaux capillaires, et causent les obstructions, la goutte , les écrouelles, le rhumatisme, etc.
Noguez montre encore que les applications extérieures d'eau froide sont aussi un puissant antiphlogistique, fort utile dans les cas où la chaleur est excessive (2).
Pomme considère le spasme, l'éréthisme et le racornissement des nerfs, la sécheresse des parties membraneuses, comme la
(1) Hecquet, Explication physique et méchanique des effets de la boisson dans la cure des maladies, in les Vertus médic. de l'eau, t. 1, p. 341.
(2) Noguez, Explication physique des effets, de l'eau , in les Vertus médic. de l'eau commune, t. II, p, 403.
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cause prochaine et immédiate de toutes les affections vaporeuses, c'est-à-dire de toutes les maladies nerveuses, et spécialement de l'hystérie et de l'hypochondrie ; l'indication est, par conséquent, de relâcher, d'humecter les solides; et pour arriver à ce résultat, il faut avoir recours aux applications froides, aux bains prolongés (de 2 à 24 heures), tièdes ou froids, mais le plus ordinairement froids ; aux lavements d'eau froide ou même à la glace; à l'eau froide, prise à l'intérieur à haute dose; au petit-lait, au bouillon de poulet, de grenouille, etc.
Comme complications des affections vaporeuses, Pomme indique la fièvre putride, les maladies vénériennes, les écrouelles, l'affection scorbutique, la leucophlegmatie, la tympanite, les pâles couleurs, les flueurs blanches, les pertes de sang, la constipation, la dysménorrhée, les éruptions cutanées, les hémorrhoîdes, la goutte, maladies dans lesquelles le vice d'une humeur étrangère vient s'ajouter à la roideur de la fibre. Contre ces complications, Pomme dirige des moyens spéciaux; mais les humectants doivent encore former la base du traitement(1).
Telles furent les doctrines et la pratique de Pomme ; elles eurent un grand retentissement et un succès que nous comprenons difficilement aujourd'hui, en présence d'une pathogénie aussi bizarre, mais qui furent en partie légitimés par des guérisons vraiment remarquables.
Mentionnons enfin Tissot et Grimaud. Le premier recommande les bains froids, l'eau à la glace, pour toute boisson, et même la méthode de Pomme contre les maladies nerveuses produites par le trop de roideur des fibres, la viscosité des humeurs, et la diminution de la transpiration (2). Plus loin, Tissot revient sur l'utilité du bain frais (12 à 25°) ou froid (0 à -t12°); le proclame le premier des toniques, par sa puissance et par les avantages qu'il a sur tous les autres (p. 248),
(1) Pomme, Traité des affections vaporeuses, 6e édit ; Paris, an VII. (2) OEuvres de Tissot, édit. de l'Encyclopédie des sciences médic., p. 215; Paris, 1840.
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et l'indique comme un des meilleurs remèdes contre l'épilepsie ( p. 353 ) ; enfin il vante les bons effets de l'eau froide à l'intérieur et des fomentations froides sur le ventre, pour combattre certains accidents de la fièvre bilieuse (p. 461). Tissot conseille aussi de laver les enfants à l'eau froide pour les fortifier et les rendre moins impressionnables à l'effet des vicissitudes atmosphériques (1).
Grimaud reproduit les opinions de Tissot touchant l'action tonique de l'eau froide ; mais il signale aussi son action antispasmodique, et il la démontre par l'exemple suivant : « Si on applique de l'eau très-froide sur un muscle battu de convulsions, on arrête soudainement les mouvements excessifs qui l'agitent» (2).
L'analyse rapide que nous venons de faire montre que jusque vers la fin du XVIIIe siècle, l'eau froide n'a guère été employée, en médecine, que d'une manière empirique, ou bien conformément à des hypothèses pathogéniques, à des doctrines humorales, d'après lesquelles c'est à titre de dissolvant, de délayant, d'humectant, qu'on a administré l'eau froide à l'intérieur ou sous forme de bain. Les applications extérieures sont à peu près complètement négligées ; les effets physiologiques du modificateur ne sont point étudiés, et il n'y a guère que Floyer et Noguez qui en entrevoient la puissance et les divers modes d'action. Cependant, au-dessus des théories et des hypothèses, se plaçaient des faits dignes de fixer l'attention des observateurs; mais ils ne sont point séparés des doctrines auxquelles ils se rattachent; ils tombent avec elles dans l'oubli et la réprobation, et c'est à peine si en 1798 Pinel fait mention de l'eau froide dans sa Nosographie philosophiqne.
La fin du XVIIIe siècle vit néanmoins paraître en Angleterre des travaux d'une valeur beaucoup plus sérieuse, qu'il est nécessaire d'étudier avec soin ; qui ont été le point de départ
(1) Tissot, Avis au peuple, t.11, p. 64; Nancy, 1780.
(2) Grimaud, Cours complet des fièvres, t.11, p. 407 ; Montpellier, 1791
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des recherches faites en Italie et en Allemagne au commencement du XIXe siècle, et dans lesquels nous allons voir l'eau froide envisagée principalement dans ses applications extérieures, c'est-à-dire d'un point de vue presque entièrement nouveau.
En 1786, William Wright insère dans le London médical journal deux observations de fièvre continue (fièvre typhoïde?) traitée avec succès par les affusions froides (pendant trois jours de suite et deux fois par jour, trois seaux d'eau de mer jetés sur le corps en uneseule fois).
En 1791, Jackson fait connaître les bons effets des affusions froides dans le traitement de la fièvre jaune à la Jamaïque (1), et Brandreth préconise les lotions d'eau vinaigrée à toutes les périodes du typhus (2); en 1797, Wright (3), Gregory (4), produisent de nouveaux faits favorables à cette méthode de traitement, et Mac Lean fait connaître les résultats obtenus à SaintDomingue dans le traitement de la fièvre jaune (5) ; enfin l'eau froide est encore expérimentée par un grand nombre de médecins, parmi lesquels il faut citer Dalrymple, Dimsdale, Chisholm, etc.
Tous ces travaux ayant été enregistrés par Currie dans son ouvrage, (6) nous aurons occasion d'y revenir en faisant l'analyse détaillée de celui-ci, auquel nous nous hâtons d'arriver.
Les premières expérimentations de Currie eurent lieu en 1786. Pendant une épidémie de typhus, à l'hôpital de Liverpool, des affusions froides sont pratiquées d'après là méthode de Wright, et les résultats en sont tellement favorables que Currie n'emploie plus aucune autre médication d'abord, en 1787,
(1) Jackson, A trcatise on the fevers of Jamaïca, etc. ; London, 1791.
(2) Brandreth, Médical commentaries for the ycar 1791.
(3) Wright, Médical facts and observations ; London , 1797. (3) Gréfjory, ibidem,t. VII; 1797.
(5) Mac Lean, An inquiry inlo the nature and causes of the great mortality among the troops in S.-Domingo; London, 1797.
(6) Currie, Médical reports on the effects of water cold and warm, etc.; London, 1798 ; 2e édit. en 1805.
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sur 163 malades, et plus tard sur tous ceux qui se présentent à son observation. La relation d'une épidémie ayant s.évi sur le 30e régiment nous montre 58 soldats gravement atteints ( toux, expectoration muqueuse ou sanglante, épistaxis, pétéchies (exanthème typhoïde?), faiblesse extrême, pouls battant de 100 à 130 fois, température animale de 30 à 31° R.); 56 reçoivent des affusions d'eau froide et salée (1 partie de sel marin sur 32 ou 33 parties d'eau à 11 ou 12° R.), et tous guérissent; 2 malades sont jugés trop faibles pour être soumis à ce traitement, et tous deux succombent (1).
Bien que la maladie.dont il s'agit soit considérée comme une fièvre continue, Currie, d'accord sur ce point avec Cullen, Vogel, de Haen, et plusieurs autres observateurs, déclare qu'elle présente dans les vingt-quatre heures une exacerbation, laquelle a lieu ordinairement le soir, et une rémission qui se montre vers le matin; or le moment le plus favorable pour pratiquer l'affusion est celui où l'exacerbation a atteint son summum d'intensité ou bien celui où elle commence à décroître. Il en résulte que les affusions étaient habituellement pratiquées entre six et neuf heures du soir. Cependant on peut les faire à toute heure de la journée, pourvu que le malade n'accuse point de frisson, que la température du corps soit notablement augmentée., et que la.peau ne soit point couverte d'une sueur générale et abondante.
Ces trois conditions, ajoute Currie, sont de la plus grande importance ; car des. accidents graves peuvent être le résultat d'une affusion pratiquée pendant le stade de froid des fièvres, alors même que le thermomètre indique une élévation de. la température du corps ; le pouls devient faible, trerablottant, et d'une fréquence incalculable; la respiration se suspend presque complétement; la peau et les extrémités surtout deviennent froides et contractées, et il n'est point douteux que la mort ne pût survenir dans ces circonstances.
(1) Currie, ouvrage cité, 2e édit., t. 1, p. 14.
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Quant à la transpiration, voilà comment s'exprime Currie :
Au début de la sudation, surtout lorsque celle-ci a été provoquée par un exercice violent, les affusions ou les immersions peuvent être pratiquées sans grand risque, et quelquefois avec beaucoup d'avantage. Lorsque la transpiration est abondante et qu'elle a déjà une certaine durée, les affusions et les immersions sont dangereuses, alors même que la température du corps dépasse son degré normal. Lorsque l'élévation de la température et la transpiration ont été produites par des moyens artificiels, les affusions et les immersions amènent un refroidissement non accompagné de réaction, lequel n'est point sans danger (1).
A l'appui de ces propositions, Currie rapporte alors des observations de fièvre continue traitée par les affusions (p. 2152), et dans un chapitre suivant, il discute s'il faut faire intervenir l'administration de l'eau froide à l'intérieur. Après avoir rappelé la pratique de Hoffmann, de Smith, de Hancocke, de Cyrillo, il établit, d'après son expérience personnelle, les propositions suivantes.
L'eau froide ne doit pas être administrée pendant le stade de froid, car alors elle produit des effets analogues à ceux qui ont été indiqués à propos des affusions.
L'eau froide est utile pendant la période de chaleur, lorsque la peau est sèche et brûlante ; elle peut aussi être donnée avec avantage au début de la sueur, mais elle doit être sévèrement proscrite dès que la transpiration est devenue générale et abondante; car je l'ai vue, dans ces circonstances, amener le frisson, la prostration, l'irrégularité et la difficulté de la respiration. (P. 88-96.)
Dans le second volume de son ouvrage appartenant à l'édition de 1805, Currie (2) nous apprend que pendant le temps qui s'est écoulé depuis ses premières recherches, il a constamment
(1) Currie, loc. cit., p. 15-20.
(2) Currie, ouvrage cité, t. 11, p. 1-3.
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fait usage des affusions froides, et que le succès a dépassé ses espérances. Employées dans les trois premiers jours , les affusions ont en général arrêté la maladie; du quatrième au cinquième jour, cet heureux effet a encore été obtenu; mais plus rarement. Plus tard, elles ont toujours eu pour résultat de modifier les principaux symptômes, et particulièrement l'agitation et le délire, de conduire la maladie à une terminaison plus prompte et plus sûrement heureuse.
Currie produit alors de nouvelles observations d'un grand intérêt (p. 5-14), et il termine en montrant, par des faits empruntés à divers auteurs, que sa méthode a pris une grande extension, qu'elle a été appliquée en différents lieux, et que partout son efficacité a été constatée.
Il cite ainsi Dimsdale, à Londres ; Gregory et James Home, à Edimbourg ; Bree, à Birmingham ; Marshall, à Gosport ; divers chirurgiens de marine, tels que Wilson, Harris, Trotter, Farquhar, Magrath, Cochrane, Carson, Nagle; Baeta, de Lisbonne; Gomez, Jackson, à la Jamaïque; Ord, Chisholm, aux Indes Orientales; Macneil, à Surinam; Robertson, à Saint-Vincent ; Selden et Whitehead, à Norfolk ; Miller, à New-York ; Barry, à Cork ; Jeffcott, à Clifton; M'Gregor, à Canterbury ; Knight et Roberts (1).
Currie conclut que les affusions froides l'emportent sur toutes les autres médications dans le traitement du typhus, de la fièvre jaune, et des autres fièvres continues.
N'est-il pas extraordinaire qu'au milieu des innombrables travaux dont la fièvre typhoïde a été l'objet dans ces dernières années, personne n'ait songé, en France, à expérimenter avec suite et méthode une médication réunissant en sa faveur le témoignage et l'observation d'un aussi grand nombre de médecins non moins honorables que distingués?
Currie a eu souvent recours aux affusions froides pendant le stade de chaleur des fièvres intermittentes, et sous leur in(1)
in(1) ouvrage cité, t. 11, p. 82-284.
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fluence, il a toujours vu l'accès se terminer immédiatement; mais, si aucun remède n'était prescrit pendant l'apyrexie, la fièvre reparaissait, en général, à son temps ordinaire. Cependant, ajoute Currie , les accès suivants ont été quelquefois prévenus par des affusions pratiquées environ une heure avant l'époque présumée de leur retour, et la maladie a été complétement guérie après quatre ou cinq affusions de ce genre (1).
Nous verrons plus loin que cette indication a été le point de départ de mes recherches sur l'effet des douches froides dans le traitement de la fièvre intermittente.
Currie a aussi employé les affusions froides au début de la petite vérole, et il assure en avoir obtenu des effets non moins heureux que dans le typhus ; l'éruption a lieu plus promptement et plus facilement, la fièvre secondaire est nulle ou peu intense. Dans la variole confluente , lorsque l'éruption est complète, l'eau froide ne doit plus être employée (2).
Les affusions ont encore été mises en usage dans la scarlatine, d'abord par Gérard et Currie, plus tard, par Haygarth, Clark, Blackburn, Rutter Dale, Eaton , Gregory (3), et les effets en ont été constamment heureux ; l'eau froide a favorisé l'éruption, calmé la fièvre, l'agitation, le délire, et prévenu les complications; dans plusieurs cas de scarlatine maligne, les malades lui ont été manifestement redevables de la vie.
Enfin Currie a encore employé avec succès les affusions et les immersions froides dans plusieurs affections convulsives, telles que le tétanos idiopathique, le rire sardonique, le trismus, les convulsions des enfants, les attaques hystériques (t. I, p. 135-180), et ses expériences l'autorisent à dire que l'eau froide, mise en usage pendant le paroxysme des maladies convolsives, fait cesser les accidents et en retarde beaucoup le
(1) Corne, ouvrage cité, t.1, p. 39.
(2) Curie, ouvrage cité, t.1, p. 52 et suiv.
(3) Currie, ouvrage cité, t.1, p. 63 et suiv. — T. II, p. 53-76.
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retour lorsqu'elle ne les prévient point complétement (p. 160).
Tel est le remarquable ouvrage de Currie, qui, s'il est resté pendant bien des années à peu près inconnu en France, eut un grand retentissement en Angleterre, en Italie et en Allemagne.
L'emploi des affusions froides dans le traitement de la scarlatine fut adopté en Angleterre par la plupart des médecins, et Bateman s'exprime ainsi à leur égard.
«L'efficacité constante et l'innocuité de l'eau froide dans la scarlatine ont été constatées pendant vingt années d'une manière très-manifeste. Il est très-malheureux que quelques praticiens veuillent encore s'obstiner à regarder cette pratique comme un essai, et qu'ils répètent toujours ces ridicules hypothèses sur la répercussion de la matière morbifique... Quant à moi, j'ai employé constamment cette pratique dans la scarlatine ; j'ai suivi les principes thérapeutiques établis par le Dr Currie; je n'ai été témoin d'aucun inconvénient, et bien loin de retirer de cette pratique de mauvais effets, je lui ai toujours vu produire une efficacité si grande, qu'aucun autre remède ne pouvait lui être comparé» (1).
En Italie, les recherches de Currie firent naître celles de Giannini, et c'est en 1805 que l'illustre praticien de Milan publia sur les fièvres un ouvrage important, dont nous devons donner au lecteur une analyse détaillée et complète (2).
Dans son 1er chapitre, Giannini fait connaître la pratique de Currie, de Gregory, de Brandreth, de Jackson, de Mac Lean, de Cyrillo, etc.; il énumère les préjugés médicaux et populaires que soulève l'usage externe de l'eau froide, et qui ont retardé l'expansion de la nouvelle méthode.
Dans le 2e chapitre, Giannini établit que dans toute oeuvre d'expérimentation il faut procéder du connu à l'inconnu, du
(1) Bateman, Abrégé pratique des maladies de la peau, traduction de Bertrand, p. 118, 119; Paris, 1820.
(2) Giannini, Délia natura delle febbri, et del miglior methodo di mrarle; Milano, 1805.
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simple au composé, et il en conclut que pour étudier l'action de l'eau froide dans le traitement des fièvres, il faut commencer par la fièvre intermittente. S'occupant ensuite du procédé opératoire, il trouve que la méthode de Wright et de Currie, c'est-à-dire celle des affusions, présente dans un hôpital de nombreuses difficultés d'exécution, et il lui substitue celle des immersions, laquelle consiste à plonger le malade dans un bain d'eau, à la température extérieure, pendant un espace de temps qui varie entre cinq et quinze minutes.
Viennent alors quinze observations de fièvres intermittentes de différents types, simples, graves ou pernicieuses, traitées par les immersions froides, et, de ces faits, l'auteur tire les conclusions suivantes :
1° L'immersion froide pratiquée pendant le stade de chaleur met immédiatement fin à l'accès.
2° La rémission a lieu non-seulement dans les accès de fièvre intermittente simple, mais encore dans ceux de fièvre pernicieuse, accompagnée d'accidents graves, tels que délire furieux, vomissements violents, convulsions, etc.
3° L'immersion froide établit la périodicité dans les fièvres intermittentes irrégulières, pseudo-continues, larvées, et permet ainsi d'administrer le quinquina.
4° L'immersion froide favorise, augmente l'action curative du quinquina ; des fièvres qui avaient résisté à ce médicament ont guéri dès que le bain froid lui eut été associé.
5° Lorsque l'état des voies digestives ne permet point d'administrer des doses suffisantes de quinquina, lorsque le médicament est obstinément rejeté par le vomissement, l'immersion froide apaise l'irritation gastro-intestinale et amène la tolérance.
6° L'immersion froide est le remède de l'accès, mais le quinquina reste celui de l'intermittence ; l'usage exclusif de l'immersion ne guérit point la fièvre intermittente.
A l'appui de cette dernière proposition, Giannini rapporte trois observations dans lesquelles on voit que 4, 8 et 7 immer-
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sions n'ont point fait cesser des fièvres tierce, quotidienne et quarte, lesquelles ont cédé à 1 ou 2 prises de quinquina.
Giannini se livre ensuite à de longues dissertations (p. 70-80) pour prouver que les immersions froides agissent à titre d'agent débilitant, sédatif, opinion qui ne rencontrera point de contradicteurs aujourd'hui, si l'on considère que ces immersions avaient souvent une durée de 15 minutes, et que par conséquent elles étaient transformées en un véritable bain froid.
Dans le 3e chapitre, Giannini établit l'existence d'un état morbide, qu'il appelle névrosthénie, consistant dans la rupture de l'équilibre qui doit exister entre les systèmes nerveux , artériel et musculaire, et contre lequel les immersions froides sont, selon lui, le seul remède (p. 136-157) ; puis il se pose cette question : Les immersions froides sont-elles applicables au traitement des maladies inflammatoires ? Giannini avoue qu'il n'a point consulté l'expérience, et qu'il - ne peut répondre qu'en s'appuyant sur le raisonnement. On, dit-il, les immersions n'ont pas la puissance de diminuer la masse effective des humeurs, d'en modifier la densité, les qualités excitantes ; elles ne peuvent remplacer les émissions de sang pour enlever à l'économie l'excès de calorique qui trouble les fonctions; d'un autre côté, les maladies inflammatoires sont accompagnées d'une exagération de la sensibilité qui rend intolérable la sensation du froid ; enfin les immersions provoquent une réaction plus propre à exaspérer la diathèse inflammatoire qu'à l'éteindre. Par toutes ces raisons, Giannini conclut que les immersions froides sont le remède des maladies névrosthéniques ; que dans celles-ci elles exercent une action stimulante favorable, et facilitent l'action des remèdes corroborants, mais qu'elles ne conviennent point aux maladies inflammatoires (p. 157-160).
Le 4e chapitre est consacré à la fièvre nerveuse, qui n'est point une simple débilité, mais bien une névrosthénie, c'està-dire une maladie dans laquelle l'altération en moins subie
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par le système nerveux est accompagnée d'une altération en plus des systèmes artériel et musculaire. «La fièvre continue, dit Giannini ( p. 177 ), n'est pas autre chose qu'un paroxysme prolongé de fièvre intermittente.» Et dès lors, les immersions froides sont le moyen le plus efficace qu'on puisse lui opposer. A l'appui de ces propositions, viennent des observations sur la valeur desquelles il est assez difficile de se prononcer. Les unes se rapportent évidemment à la fièvre typhoïde; d'autres, à des fièvres intermittentes anciennes avec cachexie ; d'autres encore, à des affections nerveuses dont la nature n'est point établie.
Giannini étudie ensuite certains phénomènes symptomatïques, tels que la soif, la douleur (de dents, de tète), la chaleur, la sueur, l'accélération de la respiration et du pouls , le délire, la toux, etc. ; il établit qu'ils sont presque constamment névrosthéniques, produits par la distension du système nerveux, et il déclare que les immersions froides en sont presque toujours le meilleur remède (chapitre 5).
Dans le 6e chapitre, Giannini s'occupe des fièvres contagieuses, c'est-à-dire de la fièvre pétéchiale et de la fièvre miliaire, et il établit doctrinalement et expérimentalement que les immersions froides remplissent mieux que toute autre médication les indications du traitement dans ces maladies.
Dans le chapitre 8, Giannini nous apprend qu'il a employé les immersions et les lotions froides dans le rhumatisme aigu et chronique , en les associant soit au quinquina, soit à l'émétique, et il résume de la manière suivante les avantages de cette méthode.
Les immersions froides favorisent l'action du quinquina pour dissiper l'orgasme fébrile et pour amener là rémittence; quelquefois elles produisent une intermittence parfaite, dont le quinquina a facilement raison ; dans tous les cas, elles calment la douleur avec une promptitude que ne possède nulle autre médication ; elles guérissent la fièvre rhumatismale avec rapidité et sûreté , préviennent les récidives, abrègent la conva-
DES APPLICATIONS MÉDICALES DE L'EAU FROIDE. 55
lescence, et empêchent le développement des maladies ultérieures dont le rhumatisme laisse après lui la prédisposition (t. II, p. 49-54).
Dans le chapitre 10, Giannini rappelle les bons effets obtenus des affusions froides, dans le traitement du tétanos, par Wright, Currie, et Dalrymple; il émet l'opinion que les immersions doivent être utiles pour combattre les paroxysmes de l'épilepsie , de l'asthme, et certaines palpitations.
L'étude de la goutte commence le 11e chapitre. Giannini considère cette maladie comme étant primitivement une atonie des articulations, produite par l'action continue et prolongée du froid. Les artères, dit-il, ne portent plus aux nerfs la quantité de sang nécessaire ; la nutrition languit, les muscles s'affaiblissent; les mouvements articulaires deviennent moins faciles, moins énergiques ; or, comme toute atonie du système nerveux peut produire une réaction artérielle générale, et que les effets de cette dernière se font principalement sentir dans les parties déjà affectées d'atonie, il en résulte que, sous l'influence de cette réaction, les articulations se tuméfient, deviennent chaudes, rouges, douloureuses, et perdent complètement la faculté de se mouvoir ; et c'est ainsi que la goutte est une maladie qui est en même temps locale et générale, et dans laquelle les deux ordres de phénomènes réagissent l'un sur l'autre (t. II, p. 284-288).
Il résulte de cette doctrine, que tout accès de goutte, comme tout accès de fièvre intermittente, présente deux indications thérapeutiques : combattre, d'une part, l'atonie des nerfs, et d'autre part, la réaction des artères. Or l'immersion froide ne remplit-elle point, mieux que tout autre modificateur, cette double indication (p. 293)? Et, à l'appui de cette proposition, Giannini rapporte plusieurs observations dans lesquelles il met en évidence la prodigieuse efficacité des immersions froides pour calmer les douleurs goutteuses et pour arrêter les accès, ainsi que celle du quinquina à hautes doses, pour guérir radicalement la maladie.
56 HISTORIQUE ET CRITIQUE.
L'auteur montre ensuite les bons effets des immersions et des applications froides dans l'anasarque aiguë, fébrile; dans les hémorrhagies, et spécialement dans l'hémoptysie, l'épistaxis et la métrorrhagïe; dans l'érysipèle.
Dansle 12e et dernier chapitre, Giannini produit de nouvelles et très-intéressantes observations de fièvre, pétéchiale, de scarlatine et de fièvre intermittente, traitées et guéries par, les immersions froides, et il termine eu formulant de la manière suivante les règles générales qui doivent présider à l'application de la méthode.
1° Dans les cas d'asthénie très-considérable, les immersions froides doivent être instantanées.
Chez les sujets exténués par une maladie grave, chez ceux qui sont en danger imminent de mort, il faut faire usage d'eau tiède, et quelquefois se borner à de simples lotions.
2° Dans aucun cas, il ne faut prolonger l'immersion ou la lotion jusqu'au refroidissement ; aussitôt que le frisson se manifeste, le malade doit être retiré du bain.
3° Dans aucun cas, il ne faut abaisser la température de l'eau avec de la glace ou de la neige.
4° Les immersions ne doivent pas être pratiquées pendant l'orgasme artériel universel, c'est-à-dire pendant la fièvre.
5° Dans aucun cas, il ne faut permettre au malade d'être seul pendant la durée de l'immersion; dans les cas graves, la présence du médecin est indispensable.
6° Chez les sujets très-sensibles à l'action du froid il faut pratiquer, pendant l'immersion froide, une application chaude sur la région du coeur.
Tel est l'ouvrage de Giannini, qui est resté fort peu connu en France, et que mentionnent à peine les auteurs qui, dans ces derniers temps, se sont occupés de la médication hydriatrique. L'analyse rapide que nous en avons faite suffit pour montrer quelles sont les doctrines pathogéniques du médecin milanais, ses idées sur l'inflammation, sur la névrosthénie, etc.; on voit qu'ici encore se placent, au-dessus des théories,
DES APPLICATIONS MÉDICALES DE L'EAU FROIDE. 57
des faits qui auraient dû fixer l'attention des praticiens. C'est avec un incontestable succès que Giannini a appliqué les immersions froides au traitement de la fièvre intermittente, de la fièvre nerveuse, des fièvres continues et éruptives , du rhumatisme articulaire aigu et chronique, de l'asthme, de l'épilepsie, de la goutte, de l'anasarque aiguë, des hémorrhagies ; qu'il a combattu, dans certaines circonstances, la soif, la douleur, le délire, la toux, la dyspnée, les palpitations, et ces résultats de l'observation sont assez remarquables pour que l'on eut dû les prendre en considération, et les faire servir de base à une étude approfondie et physiologique des effets de l'eau froide.
En Allemagne, la pratique hydriatrique de Currie et de Giannini trouva un grand nombre d'imitateurs. Dès 1800, les affusions froides furent employées dans le traitement de la scarlatine, de la rougeole, de la variole, du typhus (fièvre typhoïde), par Reuss, et après lui par Hübertus (1804), Bödeckser, Höger, Kolbany(1810), Nasse (1811), Horn (1814), Pfeufer (1818), et enfin par Hirsch, Widekind, Gôden, Greiner, Lehmann, Albers, Speier, Luter, qui les appliqua au rhumatisme aigu et aux fièvres catarrhales.
En 1821, Hufeland institua un prix de 50 ducats pour l'auteur qui traiterait le mieux ce sujet; et, en 1822, il publia dans son journal trois mémoires que lui avaient adressés MM. Fröhlich, Reuss et Pitschaft (1).
Frôhlich rapporte une trentaine d'observations (scarlatine, rougeole, fièvre typhoïde, érysipèle, mélancolie, manie), tirées de sa pratique, dans lesquelles il montre les bons effets qu'il a obtenus de l'eau froide employée sous forme de lotions, diffusions ou d'immersions. Six, huit, dix applications, sont faites en quarante-huit heures ; la durée de chacune d'elles est de une à
(1) Hufeland's Journal der practischen Heilkunde supplementstück des Jahrgangs 1822, t. LV.
58. HISTORIQUE ET CRITIQUE.
quatre minutes, et ne doit jamais se prolonger au delà de l'apparition du frisson. Sous l'influence de cette médication, la fréquence du pouls diminue de 10 à 20 pulsations par minute; quelquefois, dès la première application, la température du corps s'abaisse de 4 à 5° Fahrenheit, et l'on voit disparaître la sécheresse de la peau et de la langue, la soif:, le délire , etc.
Fröhlich veut que la température de l'eau varie suivant celle du corps, et il établit à cet égard les rapports suivants :
La température du corps La température de l'eau
prise dans l'aisselle étant de doit être de
98° Fah, . 90° Fah.
99 85
100 75
101 65 à 70
102 à 103 60 à 65 104 60
105 55
106 40
107 a 108 35 à 40 110 à 112 35
En ramenant ce tableau au thermomètre centigrade, on trouve approximativement :
36°,6 32°,2
37.2 29,4
37.7 . 23,3
38.3 18,3 à 21,1
38.8 à 39,4 15,5 à 18,3 40 15,5
40.5 12,8 41,1 4,4
41,6 à 42,2 1,6 à 4,4
43,3 à 44,4 1,6
DES APPLICATIONS MÉDICALES DE L'EAU FROIDE. 59
Frôhlich déclare que par cette médication on guérit plus vite et plus sûrement que par toute autre (1).
Reuss considère l'eau froide comme un antiphlogistique ou un sédatif qui agit mécaniquement en soustrayant du calorique à l'économie, chimiquement en enrayant le travail phlegmasique, et dynamiquement en diminuant l'irritabilité et la sensibilité; les maladies dans lesquelles il en conseille l'usage sont la méningite, l'encéphalite, les plaies de tête, les luxations, les fractures, l'ophthalmie, l'entérite, l'iléus, les hernies étranglées, le panaris, la brûlure, la pourriture d'hôpital, l'érysipèle, l'angine, le rhumatisme, la dysenterie, les fièvres catarrhales, les fièvres éruptives, le typhus et la manie. A cette énumération, Pitschaft ajoute le delirium tremens, les fièvres gastrique, bilieuse, pituiteuse; l'apoplexie, la migraine, l'amaurose, la mélancolie, la nymphomanie, les pertes séminales , l'épilepsie, l'obésité, les hémorrhagies et les contractures.
La France ne suivit point, au commencement du XIXe siècle, le mouvement hydriatrique de l'Angleterre, de l'Italie, et de l'Allemagne ; Currie, Giannini, Hufeland , n'y trouvèrent point d'imitateurs, et l'eau froide, à peu d'exceptions près, resta complètement exclue de la médecine française.
M. Récamier fit un fréquent usage des immersions et des affusions froides dans le traitement des fièvres continues graves, des fièvres éruptives anormales et compliquées, de certaines névralgies et névroses; mais, malgré de nombreux succès, obtenus dans des cas réputés désespérés, les errements de l'illustre praticien furent en général accusés d'excentricité, de témérité, et aucun médecin ne voulut lui en disputer le monopole.
M. Foville préconisa les affusions froides contre la méningite et l'encéphalite ; mais celte médication, blâmée par M. Cal(1)
Cal(1) Abhandlung iiber die aüsserliche Anwendung des kalten Wassers zur Mässigung des Fiebers.
60 HISTORIQUE ET CRITIQUE.
meil, n'a point prévalu, et n'a été appliquée que dans quelques cas particuliers et isolés. Les immersions froides ont été administrées clans la chorée; les applications froides ont été fréquemment employées pour combattre l'hémoptysie et la métrorrhagie. On trouve dans les recueils périodiques des observations dans lesquelles l'eau froide a été dirigée avec plus ou moins de succès contre diverses maladies; mais on ne rencontre nulle part une exposition méthodique et complète, une appréciation raisonnée, de la médication hydriatrique.
En 1824, Tanchou, dans l'opuscule que nous avons déjà cité, essaya de régulariser l'emploi de l'eau froide , et produisit des observations intéressantes. En 1839, M. La Corbière publia un volumineux ouvrage (1), où, après avoir étudié l'action physiologique du froid, il réunit, à l'aide de recherches historiques et bibliographiques très-étendues, une quantité considérable de faits militant en faveur de cet agent thérapeutique. Mais les efforts de ces médecins vinrent se briser contre la routine, les préjugés, et les citations suivantes montreront de quelle manière les diverses applications de l'eau froide étaient appréciées, il y a peu d'années encore, dans les ouvrages réputés classiques.
«On doit considérer les douches froides, disait M. Rochoux, comme susceptibles de stimuler énergiquement ; c'est aussi leur effet le plus ordinaire. On croit cependant (sic) qu'il est possible d'empêcher la réaction, en prolongeant la douche froide pendant quinze ou vingt minutes, et par conséquent de la rendre sédative.
« Le médecin peut rarement compter sur une action telle qu'il la désire, et il a souvent à craindre d'agir trop ou trop peu. Des observations ultérieures apprendront sans doute par la suite à employer sans inconvénients un genre de modification susceptible d'une action fort énergique.
(1) La Corbière, Traité du froid, de son action, et de son emploi intus et extra en hygiène, en médecine et en chirurgie; Paris, 1839.
DES APPLICATIONS MÉDICALES DE L'EAU FROIDE. 61
«Il est peu de praticiens qui ne peuvent citer un certain nombre de maladies dont la guérison paraîtrait avoir été due aux douches, et peut-être autant qui n'auraient éprouvé aucune amélioration, ou même peut-être se seraient empirées sous leur administration» (1).
Tandis que M. Rochoux ne voyait dans les douches qu'un agent excitant et mettait en doute la possibilité de leur action sédative, M. Jolly ne voulait, au contraire, employer les affusions qu'à titre de sédatif, et proscrivait leur effet excitant.
« Est-il rationnel de prescrire les affusions froides dans le dessein de provoquer une réaction, c'est-à-dire de produire une excitation générale ou locale, de tenter une perturbation du système nerveux ? A cet égard, nous ne craignons pas de nous inscrire contre une semblable médication, et de dire qu'il est peu de médecins sages qui osassent employer un moyen aussi hasardeux. Il nous semble, au contraire, que, dans l'emploi des affusions, l'on doit toujours chercher à éviter cette réaction consécutive ; et pour cela, il suffit de prolonger plus qu'on ne le fait communément la durée de l'opération.
«Nous ne considérons les affusions froides que comme un moyen de sédation, et dans toute pratique rationnelle, on ne doit y avoir recours que dans ce seul but» (2).
Enfin Guersant considérait les affusions froides comme un modificateur à la fois tonique et sédatif, agissant par le double effet du froid et de la percussion, et il les proclamait un moyen héroïque dans les fièvres typhoïdes graves, les fièvres éruptives anomales et compliquées, l'érysipèle , les contractures spasmodiques, les débilités musculaires, l'étisie, etc., pourvu qu'elles fussent convenablement administrées par une main habile et exercée, et qu'on sût provoquer une prompte réaction (3).
(1) Rochoux, Dictionn. de méd., t. X, art. Douche; 1835.
(2) Jolly, Dictionn. de méd. et de chir. prat., art. Affusions; 1829.
(3) Guersant, Dictionn. de méd., t. 1, art. Affusions; 1832.
62 HISTORIQUE ET CRITIQUE.
Dans les traités de pathologie, l'eau est à peine mentionnée.
Dans ces dernières années, l'hydrothérapie empirique de Priessnitz a fait naître quelques applications de l'eau froide, dont les résultats ont été consignés dans divers recueils périodiques.
MM. Beau (1), Andrieux, de Brioude (2), Tessier (3), Staçkler, de Mulhouse (4), ont eu recours aux enveloppements froids et aux affusions dans la période extrême de la fièvre typhoïde, dans la forme adynamique de cette maladie, et ils en ont obtenu des succès remarquables.
«Dans ces derniers temps, dit M. Stackler, une vingtaine de militaires de la garnison, affectés simultanément de la fièvre typhoïde, offrant, dès les premiers jours, et surtout dans le deuxième septénaire, les symptômes les plus graves, depuis le délire jusqu'au coma , ont été guéris, sans exception et d'une manière manifeste, par l'emploi des enveloppes froides.»
M. Jacquez (5) a expérimenté la méthode réfrigérante sur une échelle beaucoup plus vaste, et a obtenu des résultats que nous ferons connaître plus loin.
M. le Dr Burguières a employé les enveloppements dans la période algide du choléra, et voici comment il s'exprime à cet,égard:
« J'insisterai particulièrement sur le traitement hydrothérapique, qui m'a donné des résultats très-reinarquables, surtout au point de vue de la physiologie pathologique. Dépouillés de tout vêtement, les malades étaient enveloppés dans un drap trempé dans de l'eau de puits, et recouverts ensuite de couvertures de laine; ils étaient ainsi laissés deux heures,
(1) Gazette des hôpitaux, n° du 16 octobre 1847.
(2) L'Union médicale, n° du 28 mars 1848.
(3) Même journal, n° du 30 septembre 1848.
(4) Revue médic.-chirurg. de Paris, février 1850.
(5) Jacquez, Rech. statistiques sur le traitement de la fièvre typhoïde par les réfrigérants, in Arch. gén. de méd., t. XIV, p. 91 ; 1847.
DES APPLICATIONS MÉDICALES DE L'EAU FROIDE. 63
pendant lesquelles on leur donnait à boire, tous les quarts d'heure, une tasse d'eau fraîche. Dans tous les cas, quel que fût le degré de l'état algide, à peine une demi-heure s'étaitelle écoulée, que la chaleur s'établissait; on réappliquait alors le drap mpuillé, dont on répétait l'emploi deux ou trois fois. Sur 6 malades arrivés à la période de cyanose, 4 ont guéri, 2 ont succombé. Je dois dire que ces deux derniers étaient déjà presque des cadavres, et cependant, chez eux comme chez les autres, la réaction s'est franchement opérée » (1).
M. le Dr Stackler a encore retiré de très-bons effets de l'enveloppement et des compresses froides souvent renouvelées dans deux cas de rhumatisme articulaire aigu, et dans un cas de névralgie sciatique récente (2).
Je crois avoir mentionné, dans cette analyse, tous les travaux véritablement importants qui ont eu pour objet les applications thérapeutiques de l'eau froide, et j'ai exposé en détails les doctrines de Hancocke, de Fr. Hoffmann, de Pomme, de Currie, de Giannini, de Fröhlich, etc., c'est-à-dire des hommes auxquels appartiennent les premières places dans l'histoire de l'hydriatrie. Il existe encore un nombre immense d'écrits plus ou moins utiles à consulter, et l'on trouve dans les divers journaux de médecine français et étrangers, et principalement dans le Journal de Hufeland, un grand nombre d'observations, de mémoires sur les effets thérapeutiques de l'eau froide dans diverses maladies; mais une énumération serait aussi fastidieuse que stérile, et une analyse n'ajouterait rien aux notions générales que npus ver noas d'établir. Le lecteur qui désirera des indications plus étendues les trouvera daps la bibliographie si complète qui termine l'ouvrage de M. Scoutetten.
(1) Burguières, Études sur le choléra-morbus observé à Smyrne, p. 82, 83; Paris, 1849.
(2) Stackler, l'Union médicale, n° du 23 mars 1848.
,64 HISTORIQUE ET CRITIQUE.
§ II. — Du calorique employé comme agent sudorifique.
Je n'ai point l'intention, comme on le pense bien, de faire ici l'histoire complète de la médication sudorifique ; je me bornerai à établir quelques principes, et à rappeler succinctement les applications qui en ont été faites en thérapeutique.
Lorsque l'on cherche à se rendre un compte exact de l'action des divers agents dits sudorifiques, on ne tarde pas à reconnaître qu'à l'exception du calorique, il n'en est pas un seul qui produise la sueur en raison d'une action spéciale et locale s'exerçant exclusivement sur la peau.
Les uns n'amènent la sueur qu'autant qu'ils sont administres sous forme de boissons chaudes, et que leur action est favorisée par le séjour au lit et l'élévation de; la température de l'atmosphère dans laquelle est plongé le corps; les autres n'agissent qu'à titre d'excitants généraux, de modificateurs pyrétogénétiques.
Le calorique intuset extra est donc le modificateur sudorifique par excellence ; mais son action varie singulièrement suivant le degré auquel s'élève la température de l'agent mis en usage, suivant le mode d'application, suivant plusieurs autres circonstances, et il est nécessaire d'établir des distinctions.
A 70 degrés et au-dessus, le calorique est un caustique, un escharotique ; il produit une mortification des tissus plus ou moins profonde suivant la température du corps mis en contact avec eux, suivant la durée de ce contact, etc. Nous n'avons pas à nous occuper ici du moxa|, du marteau de Mayor, du cautère actuel, et des divers agents à l'aide desquels on obtient une eschare, qui varie depuis celle de la cautérisation transcurrente jusqu'à celle du moxa.
Entre 55 et 60 degrés, le calorique produit la vésication sans mortification, et nous laisserons encore de côté cette seconde application du modificateur que nous étudions.
DU CALORIQUE EMPLOYÉ COMME AGENT SUDORIFIQUE. 65
Entre 40 et 55°, le calorique produit la rubéfaction, c'està-dire une excitation qu'on peut rendre partielle ou générale, et plus ou moins énergique, suivant le procédé opératoire auquel on a recours. Dans ce but, on a mis en usage le bain chaud, les bains et douches de vapeur, les fumigations, que l'on rend ordinairement médicamenteuses par l'addition de plantes aromatiques, de soufre, de cinnabre, etc. Cette médication est assez connue pour que nous puissions nous contenter de l'indiquer ici ; ses applications et ses effets ont été bien exposés et appréciés par MM. Rapou (1), Bouchacourt (2), et Lambert (3), qui ont montré les avantages que l'on peut retirer des bains et des douches de vapeur dans le traitement des fièvres intermittentes , de certaines phlegmasies aiguës ou chroniques, du rhumatisme, de la goutte, des arthropathies, de certaines paralysies, des dermatoses, de la scrofule, des hydropisies, des névralgies et des névroses, de la syphilis, etc.
Les effets physiologiques immédiatement et directement produits par le calorique ont été bien décrits par les auteurs que nous venons de citer : ils ont exposé avec fidélité les modifications que subissent la respiration, la circulation générale et capillaire (4) ; mais ils n'ont pas recherché si un effet secondaire, indirect, n'était pas exercé sur les autres fonctions de l'économie, en particulier sur l'absorption interstitielle, et ils n'ont pu dès lors se rendre un compte satisfaisant et complet des divers modes d'action suivant lesquels la médication opérait la guérison de maladies si différentes les unes des autres.
M. Rapou, qui croit que la doctrine de l'irritation s'applique
(1) Rapou, Traité de la méthode fumigatoire ou de l'emploi médical des bains et douches de vapeur; Paris, 1823.
(2) Bouchacourt, Observations pratiques sur l'emploi des bains et douches de vapeur dans plusieurs maladies, in Journ. des conn. médic.-chir., n° de novembre 1840.
(3) Lambert, Traité sur l'hygiène et la médecine des bains russes et orientaux; Paris, 1842.
(4) Rapou, ouvrage cité, t. 1, p. 65-80.
5
66 HISTORIQUE ET CRITIQUE.
à toutes les maladies, que par elle seule on peut se rendre raison des phénomènes morbides et concevoir la formation des altérations organiques (1), M. Rapou trouve dans la méthode fumigatoire un effet adoucissant, relâchant, émollient ; un effet excitant, révulsif; un effet dépuratif et un effet sédatif ou antispasmodique. C'est par là dérivation qu'il explique l'efficacité de la méthode dans les maladies lymphatiques, la scrofule, dues, selon lui, à une irritation des vaisseaux blancs ( p. 191).
M. Bouchacourt a tenu spécialement compte de l'effet excitant. «L'action de fa vapeur d'eau, dit-il, doit être étudiée a divers degrés de température; car ces variations, la durée du contact, etc., donnent tantôt lieu à un effet émollient, sédatif, relâchant, tantôt déterminent une vive excitation. Nous pouvons cependant établir d'une manière générale que les bains et les douches de vapeur constituent un médicament essentiellement tonique et excitant. » MM. Trousseau et Pidoux se sont également placés à ce point de vue (2).
Les bains de vapeur, suivis d'une affusîon froide, constituent ce qu'on appelle les bains russes ou orientaux ; ils ont été employés dans les mêmes circonstances que les précédents, et voici comment s'exprime à leur égard le Dr Lambert.
«Les arrosêments froids, c'est-à-dire avec de l'eau à 8 ou 10° R., se pratiquent sur tout le corps, immédiatement avant de quitter l'étuve. Cette pratique, la plus importante des bains russes, a pour but de rafraîchir le corps du baigneur, de diminuer la sensation incommode de la chaleur, de modérer la transpiration, en resserrant momentanément les pores de la peau, à laquelle ils donnent plus de tonicité ; de réveiller l'énergie des systèmes musculaire et nerveux, et sympathiquement de tous les organes; de prévenir' enfin la débilité, l'affaiblisse(1)
l'affaiblisse(1) , ouvrage cité, t. I, p. 175.
(2) Trousseau et Pidoux, Traité de thérapeutique, 3e édition, t. Il, p, 486 et suiv.; Paris, 1847.
DU CALORIQUE EMPLOYÉ COMME AGENT SUDORIFIQUE. 67
ment, suite mévitable de tous les autres bains de vapeur, et de provoquer une réaction salutaire.. Lorsque le baigneur a élevé la température de son étuve de 40 à 45° R. par exemple, et qu'il y est resté quelque temps, cette transition subite du * chaud au froid, loin d'être pénible, fait éprouver une sensation agréable, que recherchent toujours avec, empressement ceux qui ont déjà pris quelques bains. Immédiatement après cet arrosëment, il semblé qu'on reprend une nouvelle existence. ; à la chaleur brûlante de la peau, qui commençait à fatiguer, succède une agréable sensation de fraîcheur ; les, battements du coeur, les pulsations du pouls, deviennent plus calmes, plus réguliers; la tête est libre, la respiration facile, les pieds sont plus agiles ; les muscles, relâchés par la vapeur, ont recouvré et augmenté leur vigueur primitive ; en uu mot, on ressent dans tout son être un surcroît de vitalité et de force jusqu'alors inconnu» (1).
Les bains de vapeur sont, administrés soit par encaissement, soit dans une étuve, et les auteurs ne sont point,d'accord sur le procédé auquel on doit donner la préférence. MM. Trousseau et Pidoux recommandent le premier. « Quand on emploie les bains de vapeur dans un but thérapeutique, disent-ils (2), il est bon de n'y exposer que le torse et les membres; on évite ainsi les inconvénients que les fonctions respiratoires ressentent presque toujours du contact de la vapeur; on permet une. transpiration pulmonaire abondante et avantageusement supplémentaire, qui permet de continuer plus longtemps et avec plus d'énergie l'application de ce moyen. » M. Lambert préconise le second. « Lorsque tout le corps est plongé dans la même température, la vapeur chaude introduite dans les poumons donne lieu à des effets importants : la transpiration pulmonaire est plus abondante ; les battements du coeur, et par conséquent les pulsations du pouls, sont plus fréquents ; ce
(1) Lambert, ouvrage cité, p. 68, 69.
(2) Trousseau et Pidoux, loc. cit., p. 492.
68 HISTORIQUE ET CRITIQUE.
foyer interne de calorique facilite l'exhalation cutanée... Dans une boîte, au contraire, la tête se trouvant dans une autre atmosphère, l'air que l'on respire est plus froid. Qu'arrive-t-il alors? La transpiration pulmonaire provoquée par l'action du calorique se trouve tout à coup supprimée, et les organes de la respiration, saisis, irrités par l'air froid qui y est introduit, sont affectés de toux, de rhumes, etc. » (1).
Nous ne pouvons adopter l'opinion de M. Lambert; l'accélération des battements du coeur et des pulsations du pouls n'est rien moins qu'un avantage, et l'expérience a démontré d'une manière péremptoire que l'air frais qui pénètre dans les poumons , loin de présenter du danger, exerce une action trèssalutaire.
L'application de l'air sec échauffé, soit en boîte, soit en étuve, n'a été que peu employée en thérapeutique, et nous ne possédons sur cette matière que le remarquable ouvrage de M. J. Guyot (2). Mais la doctrine de l'incubation se place à un point de vue particulier, entièrement étranger au sujet que nous étudions, et nous n'avons point par conséquent à nous en occuper ici.
Entre 30 et 40 degrés, le calorique agit moins comme excitant général que comme sudorifique, et c'est au moyen d'une semblable température, à laquelle l'économie peut rester soumise pendant plusieurs heures, que l'on obtient la plus grande somme possible de sueur. Pour arriver à ce résultat, on a recours ordinairement au séjour dans un lit recouvert de plusieurs couvertures, d'édredon ; à l'enveloppement dans une couverture de laine, à l'ingestion de boissons chaudes -, d'excitants spéciaux fournis soit par le règne végétal (ombellifères et labiées, bourrache, Sureau, salsepareille, etc.), soit parle règne minéral (antimoine et ses composés, soufre), soit par le règne
(1) Lambert, loc. cit., p. 41, 36.
(2) J. Guyot, Traité de l'incub ation et de son influence en thérapeutique; Paris, 1840.
DU CALORIQUE EMPLOYÉ COMME AGENT SUDORIFIQUE. 69
animal (ammoniaque, musc), et c'est la réunion de ces moyens qui constitue, à proprement parler, la médication sudoriplque.
Ce résumé, quoique bien rapide, présente fidèlement l'état où en était la thérapeutique quant aux applications du calorique, et à la manière de provoquer la sueur, lorsque, frappé des résultats obtenus par Priessnitz, à l'aide d'un procédé que nous ferons bientôt connaître, j'entrepris des recherches et des expériences qui m'ont conduit à une méthode réunissant tous les avantages désirables, sans présenter aucun inconvénient, d'une application facile, et pouvant être graduée de façon à répondre à toutes les indications. Elle sera exposée dans la seconde partie de cet ouvrage.
J'ai terminé l'exposé sommaire des principaux travaux qui , en dehors de l'hydrothérapie systématisée de Priessnitz, ont eu pour objet l'application du calorique, de la sudation, et de l'eau froide intus et extra, au traitement des maladies. On voit que ces travaux sont nombreux, qu'ils appartiennent à toutes les époques et à tous les pays; que l'eau froide a subi de nombreuses vicissitudes : que tantôt elle a été prônée outre mesure , et présentée comme une panacée universelle, en se fondant surtout sur des théories et sur des doctrines humorales hypothétiques; et que tantôt elle est tombée dans un oubli immérité, entraînée par la chute de ces mêmes doctrines, dont l'inanité faisait perdre de vue les enseignements fournis à la science par des faits nombreux et significatifs.
La médecine contemporaine s'est montrée plus éclairée, moins exclusive, moins systématique; ramenée par Bacon aux véritables principes des sciences d'observation, elle n'a point méconnu la valeur des faits, et depuis le commencement du XIXe siècle, l'eau froide a souvent figuré parmi les agents employés par la thérapeutique; mais les applications qui en ont été faites sont restées à l'état de faits isolés, empiriques, ne se rattachant les uns aux autres par aucun lien, n'appartenant à aucune méthode nettement formulée, ne reposant point sur une appréciation raisonnée des effets physiologiques et cura-
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tifs, du modificateur, n'étant subordonnés à aucune règle, à aucun principe, et ne pouvant dès lors s'appuyer que sur des convictions individuelles.
C'est dans cet état de choses que Priessnitz, conduit par le hasard d'abord, et plus tard par des doctrines non moins erronées que celles de ses devanciers, est venu, cent ans aprè Hancocke, proclamer à son tour que l'eau froide était le re mède à tous les maux ; il est aisé de deviner l'accueil que le monde médical fit à.sa déclaration. Mais Priessnitz, doué d'une grande pénétration, d'un esprit d'observation remarquable , s'aperçut bientôt que les faits ne s'encadrent pas facilement dans les systèmes, et alors, moins entêté que beaucoup d'autres, par cela même qu'il était plus étranger à toutes notions scientifiques, il résolut de prendre l'expérience seule pour guide. En suivant cette voie, Priessnitz obtint, malgré une application souvent irrationnelle, toujours empirique, des succès tellement nombreux, tellement remarquables, que les fautes et les revers restèrent dans l'ombre, et que l'hydrothérapie, conspuée par les académies et par le public scientifique, s'établit définitivement sur la scène médicale, imposée non par les médecins aux malades, mais par les malades aux médecins.
Il me reste à exposer brièvement la méthode déjà connue de Priessnitz, et à rechercher ensuite s'il n'est point possible aujourd'hui d'asseoir l'hydriatrie sur une base assez solide pour la mettre désormais à l'abri des caprices des hommes et des démentis de la science.
DESCRIPTION DE L'HYDROTHÉRAPIE EMPIRIQUE. 71
CHAPITRE DEUXIÈME.
DU SYSTÈME DE PRIESSNITZ, OU DE L'HYDROTHÉRAPIE EMPIRIQUE.
§ Ier. — Wescription de l'hydrothérapie empirique.
«Vincent Priessnitz naquit, le 4 juillet 1799, dans une des maisonnettes du sommet du Groefenbèrg, sur les montagnes de la Silésie autrichienne, à 1800 pieds au-dessus du niveau de la mer, entre Glatz et Neiss, et près de Freiwaldau. Grâce à là position aisée de ses parents, il reçut une assez bonne éducation, qui développa chez lui un esprit d'observation, un tact et une pénétration peu ordinaires. A peine dans l'adolescence, il remarqua, en aidant son père dans ses travaux ruraux, que, dans les cas d'eritorse, de contusion et dé tumeur aux pieds des chevaux, on travaillait rapidement à leur guerison en les bouchonnant avec de l'eau froide; il vérifia plusieurs fois le fait, s'assura de l'efficacité de ce moyen, et l'employa sur plusieurs animaux: le succès couronna tous ces essais, qui lui inspirèrent dès lors déjà une grande confiance dans les vertus de l'eau froide.
«En 1816, le jeune Priessnitz fut renversé par un cheval fougueux qui lui imprima ses fers sur la face, lui fit des contusions graves au bras gauche , et lui fractura deux côtes. Un chirurgien fut appelé ; il fit des efforts prolongés pour remédier au déplacement qui avait lieu entre les fragments, et n'ayant pu y réussir, déclara que si le malade échappait au danger qui le menaçait, il resterait longtemps souffrant et contrefait. Le jeune homme, mécontent de cet arrêt, tenta de se traiter lui-même : dans ce but, il appuya sa poitrine contre l'angle
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d'une chaise, et retenant sa respiration, fit reprendre aux deux côtes leur première direction ; il se fit ensuite un bandage avec un essuie-mains mouillé, but de l'eau en abondance, et fut guéri en peu de temps.
« Cette cure, bien simple pour un médecin, frappa vivement l'imagination de Priessnitz ; il attribua aux moyens qu'il avait employés ce qui est tous les jours le résultat des seuls efforts de la nature, et il se livra avec une nouvelle ardeur à des recherches sur les effets généraux produits par le froid, et sur les lois qui régissent son application dans le traitement des maladies chez l'homme. Je ne rapporterai de toutes ces expériences que l'une d'entre elles : Deux porcs ayant été nourris, l'un avec des aliments froids, l'autre avec des aliments chauds, chez le premier, les intestins furent trouvés fermes, blancs, résistants, tandis que chez le second ils étaient rouges, ramollis, et se déchiraient si facilement, qu'ils ne purent servir à la charcuterie.
« Priessnitz, ayant été amené à reconnaître les bons effets de l'eau froide dans le traitement d'un grand nombre de maladies, crut bientôt remarquer qu'une condition indispensable, pour rendre son application la plus efficace possible, était de soumettre la peau à de fortes et fréquentes transpirations, et ces deux moyens combinés devinrent la base de sa médication; il les appliqua à quelques cas de goutte, de rhumatisme, et guérit ses malades. Ses cures firent du bruit dans les environs, et sa maison devint trop petite pour contenir les nombreux visiteurs qui venaient y chercher des conseils. Sa réputation grandit rapidement, et les montagnards ne tardèrent pas à le regarder comme un protégé du ciel. Selon eux, l'eau n'avait aucune vertn par elle-même, et ne devait son action qu'à une puissance secrète dévolue à Priessnitz ; c'est ainsi que partout, aux yeux du vulgaire, les choses les plus simples prennent une apparence de merveilleux, sans laquelle elles seraient souvent rejetées avec dédain. Mais ces mêmes succès firent à Priessnitz de nombreux ennemis; les curés lancèrent des anathèmes con-
DESCRIPTION DE L'HYDROTHÉRAPIE EMPIRIQUE. 73
tre son art diabolique, les médecins et les vétérinaires le dénoncèrent comme exerçant illégalement la médecine, et l'autorité fut obligée d'intervenir. En 1830, le gouvernement autrichien accorda à Priessnitz l'autorisation de recevoir des malades et de les traiter d'après sa méthode : depuis cette époque , son établissement prit un développement rapide ; car, n'ayant réuni que cinquante-quatre pensionnaires en 1830, il en compta soixante-quatre en 1831, cent dix-huit en 1832, deux cent six en 1833, deux cent cinquante-six en 1834, trois cent quarante-deux en 1835, quatre cent soixante-neuf en 1836, onze cent seize en 1842, » etc. (1).
Le reste est trop connu pour que nous le répétions ici. Graefenberg a fait concurrence aux plus célèbres eaux thermales ; les malades y ont afflué de toutes les parties de l'Europe, et plus tard de toutes les parties du monde. Des établissements hydrothérapiques nombreux ont été fondés en Allemagne, en Angleterre, en Suisse, en Russie, en Belgique, en France; des guérisons remarquables, imprévues, se sont produites, et l'hydrothérapie a conquis sur le terrain de la médecine pratique une place dont il est nécessaire de lui tracer exactement les limites, mais dont il est impossible désormais de l'expulser.
La méthode hydrothérapique imaginée et appliquée par Priessnitz comprend : A le régime, B l'exercice, C l'administration de l'eau froide à l'intérieur, D la sudation, E l'application de l'eau froide à l'extérieur.
A. Régime.
a. Aliments.— 1° Qualité. Priessnitz proscrit sévèrement les acides, la moutarde, le poivre, et tous les condiments, à l'exception du sel (2).
(1) L. Fleury, de l'Hydrosudopathie, in Arch. gên. de méd., t. XV, p. 208; 1837. (2) Schedel, Examen clinique de l'hydrothérapie, p. 72; Paris, 1845.
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Les malades de Graefenberg mangent des viandes rôties, du poisson, des légumes, du laitage, des fruits , et ici nulle proscription ne vient contrarier leurs goûts ; si les aliments ne sont pas suffisamment variés, si trop souvent ils sont mal préparés (1), cela tient à la parcimonie du dispensateur et à certaines circonstances de localité.
2° Quantité. Il existe à Groefenberg une table dite de diète; les aliments y sont plus légers, mais non moins copieux (2).
Jamais Priessnitz ne prescrit la diète absolue ; il conseille parfois de manger moins, ce qui veut dire, pour lui, de manger à son appétit, en commençant par boire, en peu de temps, quatre ou cinq grands verres d'eau. En général, Priessnitz veut qu'on mange beaucoup, pour remédier à la perle de forces, que produit le travail hydrothérapique, et pour faciliter les efforts de la nature, qui cherche à repousser au dehors les humeurs peccantes; aussi les malades dévorent plutôt qu'ils ne mangent, et acquièrent par là une habitude difficile à déraciner, lorsqu'ils reviennent à un genre de vie où les pertes de l'économie sont moindres (3).
3° Température. Selon Priessnitz , disais-je en 1837, l'alimentation chaude produit de fâcheux effets chez tous les animaux, et c'est à cette cause qu'il attribue la plupart des dérangements qui surviennent, chez l'homme , du côté des voies digestives ; aussi prescrit-il le régime froid. Quelques mets chauds sont permis aux personnes qui n'ont que des maladies légères; mais, dans les cas graves, tous les aliments sont froids (4).
Les auteurs les plus récents, MM. Scoutetten, Schedel, Baldou, Lubansky, etc., ne font aucune mention de la température des aliments. Priessnitz a-t-il renoncé au système froid ?
(1) Baldou, Instruct. prat. sur l'hydrothérapie, p. 57; Paris, 1846.
(2) Baldou, loc. cit., 57.
(3) Schedel, loc. cit., p. 71, 72.
(4) L. Fleury, de l'Hydrosudopathie, loc. cit., p. 211, 212.
DESCRIPTION DE L'HYDROTHÉRAPIE EMPIRIQUE. 75
Il y a lieu de le croire, et dans tous les cas, il est constant que celui-ci n'est point observé dans les établissements hydrothérapiques fondés depuis lui.
b. Boissons. — L'eau est la seule boisson tolérée à Graefenberg ; le vin, la bière , le thé , le café, les liqueurs alcooliques ou fermentées, sont sévèrement proscrits. Souvent les malades boivent quatre ou cinq verres d'eau avant le repas, et un plus grand nombre pendant et après celui-ci.
B. Exercice.
L'exercice musculaire est une des parties les plus importantes de la médication hydrothérapique. Une distance, assez longue sépare l'établissement du lieu où l'on reçoit les douches (une demi-heure de marche), et elle est franchie deux ou trois fois par jour; mais les malades sont encore tenus, de faire de longues promenades, et d'exercer les membres, supérieurs par des mouvements énergiques et fatigants. «Tous les malades, dit M. Schedel, sont pourvus d'une scie, d'un chevalet, et d'une hache ; les clames , les jeunes personnes, comme les hommes, sont obligées de fendre et de scier du bois. Le but qu'on se propose pourrait être atteint plus agréablement peut-être par les procédés gymnastiques ; mais Priessnitz les repousse, comme trop violents et capables d'occasionner des accidents» (1). La danse est permise ; mais on proscrit sévèrement toute lecture prolongée, toute étude de cabinet.
C. Administration de l'eau froide à l'intérieur.
Les malades de Priessnitz boivent dans les vingt-quatre heures en minimum 10, en maximum 40, et en moyenne 25 verres d'eau, dont la température varie entre + 8 et +12° centigr. «La règle générale, quand on n'a pas transpiré le matin, est
(1) Schedel, loc. cit., p. 72.
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de boire un verre d'eau après s'être nettoyé la bouche et les dents, puis plusieurs verres en sortant et pendant la promenade; de quatre à six verres avant le déjeuner, deux avant le dîner, deux après ce repas, et autant dans l'après-midi ou dans la soirée (1).
D. Sudation.
Les nombreux documents allemands que j'ai eus entre les mains en 1837 prouvent que, pendant les premières années de sa pratique, Priessnitz soumettait la presque totalité de ses malades à de fortes et fréquentes transpirations ; il n'en est plus de même aujourd'hui, au dire de M. Schedel. « Ce procédé tant prôné, et encore tant employé dans les établissements hydriatriques, paraît comparativement abandonné par son auteur , auquel on reproche même cet abandon : actuellement tel malade, qu'il faisait autrefois transpirer deux fois par jour, est tout surpris de se voir défendre ce moyen, et dans les cas où Priessnitz y a recours, c'est évidemment avec beaucoup moins d'exagération... Il est probable que certaines conséquences fâcheuses, bien avérées, l'auront rendu plus circonspect» (2).
Si Priessnitz a modifié ses premiers errements, ceux-ci sont restés en honneur auprès de ses adeptes, et dans la plupart des établissements hydrothérapiques on fait encore un Fâcheux abus de la sudation, sous l'empire de cette idée qu'elle rejette au dehors le principe morbifique, et qu'elle provoque des éruptions cutanées critiques.
Pour provoquer la transpiration, Priessnitz n'a recours ni aux médicaments dits sudorifiques, qu'il accuse de produire une excitation générale nuisible , ni aux bains de vapeur, qui, selon lui, exercent une action fâcheuse sur les poumons et le cerveau , et ne produisent qu'une transpiration passive.
(1) Schedel, loc. cit., p. 34.
(2) Schedel, loc. cit., p. 44.
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Pour que la sudation soit salutaire, dit Priessnitz, il faut qu'elle soit active, qu'elle résulte d'une suractivité des fonctions vitales, et il n'y a que le calorique qui puisse faire obtenir ce résultat.
Voici les deux procédés qu'il emploie :
Dans quelques cas assez mal déterminés, les malades sont enveloppés dans un drap mouillé, recouverts de couvertures de laine, et restent pendant quatre, cinq, six ou huit heures, dans cet appareil, qui finit par provoquer une transpiration plus ou moins abondante (sudation forcée).
Cette méthode paraît être à peu près abandonnée par Priessnitz.
Le second procédé mis en usage par lés hydropathes, celui qu'ils emploient presque exclusivement aujourd'hui, consiste à envelopper le malade dans une couverture de laine, et à le recouvrir ensuite d'un lit de plume, de couvertures ouatées, d'un édredon, etc. La tête demeure à l'air libre, et aussitôt que la sueur commence, on ouvre les fenêtres et l'on fait boire au patient un peu d'eau froide tous les quarts d'heure.
Le temps nécessaire pour amener la transpiration est trèsvariable, très-irrégulier, et quelquefois démesurément long. «L'intervalle qui s'écoule entre l'enveloppement et l'apparition de la sueur varie beaucoup non-seulement selon les individus, maisencore chez la même personne, et surtout selon la saison. Celui qui, en été, transpire en un quart d'heure, mettra de trois à cinq heures en hiver; d'autres fois, un état d'atonie de la peau semble y mettre obstacle, et j'ai vu des malades ne pas transpirer après cinq heures d'enveloppement » (1).
On observe quelquefois que la transpiration n'est que partielle, et que divers points du corps ne transpirent pas. Dans ce cas, on applique sur ces parties, avant d'envelopper le malade, une compresse mouillée bien égouttée.
La durée de la séance , qui ne compte que du moment où la
(1) Schedel, loc. cit., p. 46.
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sueur s'est manifestée, varie suivant la constitution des sujets, leurs forces, et la nature de la maladie.
Dans les affections chroniques, elle est d'une demi-heure à trois heures ; mais, dans les maladies aiguës, elle se prolonge parfois pendant douze, quinze ou Vingt heures (1).
Dans les premiers jours de la cure, la sueur ne s'établit que difficilement, mais bientôt elle devient tellement abondante, qu'on l'a vue traverser l'appareil, les matelas, et ruisseler à terre sous le lit des malades.
La sudation se termine constamment par une application extérieure d'eau froide.
Lorsqu'on juge convenable de mettre fin à la séance, on enlève les lits de plumés, les couvertures, etc. ; le malade se lève sans se débarrasser de sa couverture, se lave, la figure et la poitrine avec de l'eau froide, et va se plonger dans un grand bassin plein d'eau. Cette eau, prise à différentes sources, est amenée dans l'établissement des parties supérieures de la montagne, par des conduits qui ont environ 2,600 mètres de longueur ; sa température, dans les plus grandes chaleurs, n'excédé jamais 7° Réaumur; en hiver elle descend quelquefois à 2° et même à 0°. On se plonge dans ce bassin en toute saison, et on n'y reste d'abord que le temps de l'immersion; plus tard, on vous y laisse deux ou trois minutes et quelquefois davantage. Ceux qui arrivent à Groefenberg n'ont souvent pas le courage d'affronter une sensation qui est en effet très-pénible au début'; ils mettent alors fin à leur transpiration dans une baignoire, qui contient 5 à 8 centimètres d'eau à 12 ou 16 degrés. Pendant ce noviciat, qui se prolonge environ une semaine, on abaisse successivement la température du bain, et l'on amène ainsi le malade à se plonger dans le bassin. Aussitôt après l'immersion, on s'habille, on va faire une promenade à pied, et on s'en revient ensuite déjeuner.
(1) Schedel, loc. cit., p. 48.
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E. Applications extérieures d'eau froide.
Les procédés suivant lesquels, à Graîfenberg, l'eau froide est appliquée à l'extérieur sont assez nombreux; nous allons les exposer brièvement.
Grand bain, bain d'immersion. L'eau est contenue dans un bassin, un réservoir ayant de 4 à 5 pieds de profondeur, et assez grand pour que le malade puisse s'y mouvoir à l'aise et même y nager ; à Graefenberg, ce bain se prend dans des cuves en bois, placées au niveau du sol, et ayant de 3 à 4 pieds de profondeur et 6 pieds de diamètre.
Le grand bain n'est guère employé que pour mettre fin à la sudation, et de la manière que nous avons indiquée plus haut. Lorsque le malade est hors d'état de se jeter lui-même dans la cuve, on le place dans un drap tenu par plusieurs personnes, et on le plonge de 1 à 5 fois dans l'eau.
Bain partiel. Une baignoire en bois contient de 6 à 15 pouces d'eau, dont la température varie entre 18 et 4° R. Le malade s'assied dans la baignoire, et un ou plusieurs aides le frictionnent vivement sur toutes les parties du corps avec les mains, qu'ils trempent dans l'eau du bain, pendant un espace de temps qui varie entre 3 et 10 minutes.
Le bain partiel remplace parfois le grand bain après la sudation ; il est d'un fréquent usage après l'enveloppement dans le drap mouillé ; souvent il est employé comme dérivatif contre les diverses congestions, tant cérébrales que thoraciques, et alors on y joint des affusions d'une eau plus froide sur la partie congestionnée. La durée du bain est dans ces cas de 4, 6, et même 9 heures; l'eau est renouvelée à mesure qu'elle se réchauffe.
«Parfois aussi il arrive à Priessnitz d'avoir recours au bain partiel pour produire une réaction violente sur toute l'économie, et alors il le fait prendre à 4 ou 6° R., et sa durée est de 1 à 3 heures; temps pendant lequel on ne cesse de frotter le
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malade : mais généralement, pour obtenir une vive réaction, il le donne alternativement avec le grand bain froid. Ainsi, après quelques minutes de frictions dans le bain partiel, le malade est plongé dans le bain de cuve, d'où on le retire aussitôt pour le mettre de nouveau dans le bain partiel ; dix minutes après, une nouvelle immersion est faite dans le grand bain, puis on donne encore un bain partiel, et ainsi de suite, quelquefois jusqu'à ce que le malade n'en puisse plus supporter davantage» (1).
Bain de siège. Trois à quatre pouces d'eau sont versés dans un baquet en bois ayant 2 pieds de diamètre supérieur, 1 pied 10 pouces de diamètre inférieur, et 9 à 10 pouces de profondeur. Avant de se mettre dans ce bain, le malade doit s'être échauffé par de l'exercice, et souvent on pratique des frictions avec le drap mouillé. Pendant la durée du bain, on couvre avec une couverture les parties du corps exposées à l'air; souvent on couvre la tête de compresses froides.
Ce bain est souvent prescrit dans les maladies des organes abdominaux, la constipation, les hémorrhoïdes, etc., comme moyen résolutif; sa durée est de trois quarts d'heure, une heure ou même davantage ; la température de l'eau est de 14 à 10° R.
Souvent Priessnitz se sert de ce bain comme dérivatif dans les affections du coeur, du poumon, du cerveau, etc. ; sa durée est alors de 8 à 30 minutes, et la température de l'eau varie entre 12 et 8° R.
Un bain de siège de 8 à 10 minutes et à 4 ou 5° R. agit comme tonique.
Enfin Priessnitz attribue aux bains de siège prolongés pendant plusieurs heures une action sédative puissante.
Bain de pieds. Si l'on veut produire l'effet excitant, les pieds, préalablement échauffés par l'exercice ou par des frictions, sont plongés dans un vase en bois contenant un pouce
(1) Schedel, loc. cit., p. 53.
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d'eau à 4 ou 5° R.; la durée du bain est d'environ 5 minutes, pendant lesquelles les pieds sont vivement frottés l'un contre l'autre. Si le bain de pieds doit produire un effet dérivatif sur la tète ou la poitrine, l'eau doit avoir 2 à 3 pouces de hauteur, et être à 10 ou 12° R.; les pieds sont frottés l'un contre l'autre pendant une demi-heure ou même une heure, et les parties congestionnées sont couvertes de compresses froides.
Bains locaux. Suivant les indications, Priessnitz prescrit des bains de tête, de menton, d'yeux, de mains, de coude, etc. Tous ces bains partiels reposent sur les mêmes principes. Si l'on veut obtenir l'effet excitant, révulsif, l'eau doit être trèsfroide (2 à 4° R.), le bain très-court (5 à 10 minutes), et les frictions sont très-énergiques; si l'on recherche l'effet sédatif ou résolutif, l'eau doit avoir 12 à 14° R., et la durée du bain être de 15, 20, 30 minutes, ou même une heure.
Affusions, lotions, et ablutions. Les affusions sont rarement employées seules; le malade, assis ou debout dans une cuve, reçoit sur le corps de l'eau froide que l'on fait tomber d'une certaine hauteur.
C'est surtout pendant le bain partiel que Priessnitz pratique l'affusion soit avec l'eau du bain lui-même, soit avec une carafe ou un seau, qu'on verse sur la tête, la poitrine, l'épigastre, la colonne vertébrale, ou toute autre partie affectée.
Les lotions, les ablutions, se pratiquent soit avec un linge, soit avec une éponge, soit avec les mains; elles sont toujours accompagnées de frictions : leur effet est surtout dérivatif.
Douches. Les douches ne doivent être prises que lorsque le corps a été préalablement échauffé par l'exercice, et elles sont placées à 20 minutes de chemin de l'établissement; elles ont une chute de 18 pieds, et une dimension qui varie depuis un demi-pouce jusqu'à 4 pouces de diamètre ; leur durée est de 1 à 5 minutes; dans quelques cas fort rares, elle atteint 10 minutes.
Les douches, suivant Priessnitz, divisent et rejettent au
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dehors les principes morbifiques renfermés dans l'économie.
Drap mouillé. Si l'on veut obtenir l'effet sédatif, antiphlogistique , le malade reste enveloppé pendant plusieurs heures dans un drap de toile fortement mouillé, qu'on renouvelle toutes les cinq minutes ; si l'on veut produire l'effet excitant, révulsif, on jette sur le malade, qui est debout, un drap mouillé, plus ou moins fortement tordu, et l'on pratique pendant 2 à 5 minutes, et avec les mains, d'énergiques frictions sur tout le corps.
Compresses. C'est d'après les mêmes principes que Priessnitz applique souvent des compresses mouillées sur telle ou telle partie du corps ; les compresses sédatives sont fortement mouillées, et renouvelées toutes les 5 minutes pendant plusieurs heures; les compresses excitantes sont plus ou moins tordues, recouvertes d'une compresse sèche, et restent en place depuis 2 jusqu'à 12 heures, sans être renouvelées.
Ceinture. Presque tous les malades, à Graefenberg, portent la ceinture humide. C'est un bandage de corps en grosse toile, assez long pour faire le tour du tronc, et qui, après avoir été trempé dans de l'eau froide que l'on exprime soigneusement , est appliqué très-étroitement autour du ventre ; sur cette ceinture, on en applique une autre sèche, faisant à peu près deux fois le tour du corps.
La ceinture humide doit être renouvelée aussitôt qu'elle est sèche ; le plus grand nombre des malades la porte jour et nuit (1).
Dans les établissements qui ont été fondés dans ces dernières années, et clans celui de Bellevue en particulier, on a établi des appareils qui sont inconnus à Groefenberg, et qui présentent des avantages très-précieux; ils permettent de mieux graduer l'emploi extérieur de l'eau froide, ils répondent à des indications
(1) Schedel, ouvrage cité, p. 51-71.
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spéciales qu'il serait fort difficile de remplir sans eux, et ils rendent la réaction plus facile, plus prompte, et plus sûre.
Indépendamment du bassin pour le grand bain ou pour les immersions, on trouve, à Bellevue, des douches générales verticales en pluie ou en nappe; une douche générale horizontale en poussière; une douche verticale en colonne, dont le diamètre peut être changé à volonté; une douche mobile, partielle, locale, qu'on peut diriger horizontalement ou verticalement sur chacune des parties du corps, et qui est à volonté en pluie ou en colonne, le diamètre de cette dernière pouvant prendre toutes les dimensions ; une douche ascendante pour le rectum ou le vagin , nedouche vaginale horizontale; un bain de siège à eau courante, dans lequel, au moyen d'une double enveloppe, l'eau arrive très-divisée et avec une grande force par une foule de petits orifices répandus sur la surface de l'appareil, et s'écoule complétement au fur et mesure de son arrivée. Ces bains de siège sont construits de telle façon, qu'on peut y prendre isolément un bain de siège à eau courante ou dormante et une injection vaginale, ou combiner celle-ci avec l'un ou l'autre des bains de siège précédents.
Les différents procédés d'application que nous venons d'énumérer ne sont pas indistinctement employés, et l'on comprend qu'il est impossible d'indiquer toutes les modifications qu'on apporte dans leur succession, leur combinaison, leur nature, selon l'âge, le sexe, la force, le tempérament du malade, le genre de son affection, les complications dont elle s'accompagne, etc.; la sagacité du médecin peut seule les approprier à la circonstance, et nous ne pouvons exposer ici que les généralités. Maison est forcé de reconnaître cependant que les modifications ne portent guère que sur les compresses et les bains locaux, qu'elles ne se montrent que dans les affections aiguës , et que tous les malades atteints d'affections chroniques sont soumis à Grsefenberg, et clans tous les autres établissements hydrothérapiques, celui de Bellevue excepté, à une formule qui est la même toujours et pour tous ; de telle façon qu'en
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décrivant, comme l'a fait M. Scoutetten, la journée d'un malade soumis au régime hydrothérapique, à Graefenberg, on fait connaître le traitement tout entier, dans ce qu'il a de plus essentiel et de plus général.
A quatre heures du matin en été, à cinq heures en hiver, le malade est éveillé par le garçon de bain, qui, après l'avoir fait sortir du lit, l'y replace, pour l'envelopper dans deux ou trois couvertures de laine, par-dessus lesquelles on place un lit de plume, un édredon, etc.; le malade ainsi enveloppé reste immobile sur son lit. Après un espace de temps qui varie depuis un quart d'heure jusqu'à cinq heures, la sueur commence à paraître ; elle se manifeste d'abord sur la poitrine et sur l'abdomen , puis elle s'empare successivement de tout le corps. Le domestique ouvre alors les fenêtres de la chambre, et présente au patient, de quart d'heure en quart d'heure, un demi-verre d'eau fraîche. Le temps fixé pour la sueur étant écoulé (une demi-heure à trois heures), le malade se plonge dans la cuve pendant une à cinq minutes, s'essuie fortement, s'habille aussitôt, et va se promener à grands pas. La promenade dure environ une heure, et pendant ce temps, on boit six ou huit verres d'eau.
A huit heures, on déjeune avec du lait froid et du pain bis, et on se promène de nouveau pendant une heure.
A onze heures, frictions avec le drap mouillé, bain partiel, douche ou bain de siège ; après quoi le malade provoque la réaction en fendant ou en sciant du bois.
A une heure, le dîner est servi; il se compose d'un potage, d'un plat de viande, d'un plat de légumes, et des fruits de la saison. L'eau est la seule boisson autorisée.
Après le dîner, le malade doit se promener de nouveau, sans jamais être arrêté par le mauvais temps.
Entre trois et quatre heures, le malade subit une seconde séance de sudation, ou bien il se rend à la douche,
« Au milieu d'un bois de sapins, planté sur la montagne, au dessus et à un quart de lieue de Graefenberg, sont des bara-
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ques en planches, formant des espèces de chambres, dans lesquelles on se déshabille ; dans une pièce attenante, tombe la douche, amenée par des conduits en bois. L'une de ces baraques, celle qui est exclusivement destinée aux femmes, est ouverte par le haut; c'est là, quelque temps qu'il fasse, en été comme en hiver, que les femmes les plus délicates s'exposent, le corps complétement nu, à l'action de la douche » (1).
Après la séance du soir, nouvelle promenade.
A huit heures, on soupe avec du lait froid et du pain bis.
A neuf heures, bain de siège ou de pieds ; quelquefois un lavement froid.
A dix heures, on se couche.
Telle est, dans les maladies chroniques, la base immuable de l'hydrothérapie empirique, ainsi qu'il est facile de s'en convaincre en parcourant les ouvrages de MM. Baldou (2), Lubansky (3), Vidart (4), les relations qui ont été récemment publiées sur Marienberg, etc.; les accessoires seuls varient suivant la nature de la maladie, ou les indications qui se présentent accidentellement.
Dans les maladies aiguës, dans les phlegmasies, Priessnitz emploie quelquefois le grand bain longtemps prolongé, et il assure s'être guéri lui-même d'une fièvre chaude en restant pendant dix heures de suite dans la cuve ; mais le plus ordinairement il a recours à l'enveloppement dans le drap mouillé souvent renouvelé, aux compresses sédatives appliquées loco dolenti, tandis que la dérivation est provoquée sur des points éloignés du mal par des frictions, des compresses excitantes , etc.
Priessnitz ne veut appliquer son traitement ni aux enfants très-jeunes ni aux vieillards d'un âge très-avancé ; il le fait
(1) Scoutetten, ouvrage cité, p. 40.
(2) Baldou, Instruction pratique sur l'hydrothérapie ; Paris, 1846.
(3) Lubansky, Éludes pratiques sur l'hydrothérapie; Paris, 1847.
(4) Vidart, Études pratiques sur l'hydrothérapie ; Paris, 1851.
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suivre pendant toute l'année, et l'hiver est la saison qu'il considère comme la plus favorable.
«Priessnitz continue d'appliquer le traitement, dans toute sa rigueur, aux personnes du sexe, pendant l'époque même de l'écoulement menstruel..., et il fait de cette pratique une mesure presque générale ; mais il doit être lui-même souvent induit en erreur, car la plus grande partie des dames en traitement suivent les conseils des baigneuses, et laissent croire à Priessnitz qu'elles continuent les procédés hydriatriques comme à l'ordinaire, tandis qu'il n'en est rien : il en résulte pour lui l'impossibilité de se rendre compte de l'état des choses, et il doit considérer cette manière d'agir comme bien moins capable de nuire qu'elle ne l'est réellement »(1).
La durée du traitement varie, comme on le pense bien, suivant la maladie et les individus; mais elle est, au minimum, de plusieurs mois et souvent de plusieurs années. La nécessité de cette longue durée est malheureusement trop méconnue par les malades, qui atteints depuis longtemps, souvent depuis six, huit, dix, quinze ans, d'une affection chronique qui a résisté à toutes les ressources de la thérapeutique, s'imaginent que l'hydrothérapie doit les guérir en quelques jours ou tout au plus en quelques semaines; sans vouloir comprendre qu'on n'a point affaire ici à un embarras gastrique, que fait disparaître l'administration d'un vomitif, mais, d'une part, à une maladie ordinairement fort ancienne, chronique ou bien générale; constitutionnelle, ayant profondément altéré toutes les fonctions de l'économie; et, d'autre part, à un modificateur qui, par sa nature même, ne peut devenir efficace qu'à la condition d'une action longtemps continuée.
Si maintenant on recherche suivant quels principes, quelles doctrines, cette médication est appliquée par Priessnitz, on se retrouve en présence d'un humorisme suranné, qui témoigne d'une ignorance complète des premiers éléments de la science.
(1) Schedel, loc. cit., p. 94-100.
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« Priessnitz suppose que, chez tout malade, le sang est plus ou moins chargé de matières peccantes, que la nature parviendrait à chasser facilement si on lui venait en aide ; expulsion qui constituerait alors une crise salutaire plus ou moins violente; mais il rejette, comme plutôt nuisible qu'utile , l'emploi de tout médicament, et il en considère les effets comme plutôt propres à faire naître des obstacles qu'à favoriser les efforts de la nature. Au contraire, selon lui, les sueurs forcées, les diverses applications de l'eau à l'extérieur, et son usage abondant à l'intérieur, conjointement avec l'exercice au grand air, sont des agents qui facilitent la production de ces crises salutaires au moyen desquelles les humeurs peccantes sont expulsées, et l'économie soulagée. Toute réaction prononcée un peu prolongée, et qui survient pendant le cours du traitement , est donc pour lui une crises (1).
Les principaux phénomènes envisagés par Priessnitz comme critiques sont les éruptions cutanées, les furoncles, les abcès, la diarrhée et le vomissement, le flux hémorrhoïdal, des sueurs fétides, des mouvements fébriles, irréguliers et intermittents, la salivation. Nous nous expliquerons bientôt sur la nature et la valeur de ces manifestations morbides, que l'on voit souvent, en effet, survenir pendant l'application de l'hydrothérapie empirique et systématisée.
Les idées que nous venons d'indiquer ont été plus ou moins franchement adoptées par tous les hydropathes ; on les retrouve au fond de toutes leurs dissertations sur la nature des maladies et le mode d'agir de la médication.
« L'apparition plus ou moins prompte de l'état morbide, sa gravité, dit M. Wertheim, seront relatives à la quantité ou à la qualité de la matière morbigène qui, accumulée clans l'organisme, est l'agent matériel des troubles de la santé... L'ensemble des parties restées intègres dans l'organisme lutte contre un mal qui s'agrandit toujours, en provoquant des crises...
(1) Schedel, loc. cit., p. 73.
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C'est de la libre activité des forces restauratrices innées à l'organisme que dépend le retour de la santé; le premier devoir du médecin est donc d'éloigner tous les obstacles qui pourraient les entraver, et de les aider à propos à mettre un terme à la maladie, etc. etc. »
Pour couronner ce pathos inintelligible, M. Wertheim donne pour exemple de crise : le sphacèle de certaines parties dans les fièvres nerveuses ( sic ! ), et il déclare qu'il faut rejeter de la thérapeutique les purgatifs, qui ne font que diminuer la quantité du sang sans corriger sa qualité vicieuse, et que les seuls cas qui ne contre-indiquent pas les émissions anguines sont les cas d'apoplexie (1).
« La détérioration de nos organes par une matière morbifique, dit à son tour M. Engel, ne permet pas aux fonctions de s'accomplir avec l'accord et l'énergie que leur avait donnés primitivement la nature, leur réaction se montre insuffisante contre les aggressions sérieuses, et voilà d'où vient la foule des maladies qui nous assiègent, et pour la guérison desquelles il faut rendre à l'organisme impuissant les forces qui lui manquent pour se débarrasser du principe morbifique au moyen d'une crise ; or l'hydrothérapie est un traitement qui a précisément pour but d'exciter et de régler, sans le secours des médicaments, la force médicatrice innée à l'organisme pour guérir les maladies » (2).
Les doctrines des médecins que nous venons de nommer sont, à peu de choses près, celles de tous les hydropathes allemands et étrangers.
Si, de MM. Wertheim et Engel, on passe à M. Baldou, on se trouve eu présence d'idées médicales et pathogéniques beaucoup plus saines, et plus en rapport avec les véritables principes de la science ; mais la doctrine des crises trouve encore
(1) Wertheim, de l'Eau froide appliquée au traitement des maladies, etc., p. 9-18 ; Paris, 1840. (2) Engel, de l'Hydrothérapie, p. 1-18; Paris, 1840.
DESCRIPTION DE L'HYDROTHÉRAPIE EMPIRIQUE. 89
en cet auteur un ardent défenseur (1), et nous avons vu M. Scoutetten lui-même se placer également à ce point de vue (2).
Nous étudierons tout à l'heure la doctrine des crises avec tous les développements que comporte cette importante question.
Quelles sont les maladies qui ont été soumises avec avantage à l'action de l'hydrothérapie empirique ?
Priessnitz, qui en fait d'exploration organique se contente d'examiner la peau; Priessnitz, qui, ne possédant aucune connaissance médicale, ne peut établir un diagnostic et est obligé de s'eu tenir aux symptômes les plus apparents, sans pouvoir remonter aux causes; Priessnitz, qui attribue toutes les maladies à un principe morbifique résidant dans l'économie, a dû nécessairement considérer son système comme une panacée universelle, et pendant les premières années de sa carrière il a, en effet, admis à Groefenberg tous les malades qui s'y sont présentés ; mais, ayant éprouvé des revers sur des phthisiques et sur des malades portant des épanchements considérables, liés à des altérations organiques graves, Priessnitz a fini par repousser tous les sujets qui toussent, et ceux qui ont un épanchement quelconque, ascite ou anasarque.
M. Baldou ne considère, comme contre-indications absolues à l'emploi de l'hydrothérapie, que la phthisie pulmonaire et le cancer; cependant, ajoute-t-il, l'anévrysme, avec amincissement et dilatation des parois du coeur, impose au médecin la plus grande réserve sur l'emploi de l'eau, qui doit être à une température de 20 à 24° (3).
Si l'on compulse les ouvrages qui ont été publiés sur l'hydrothérapie, on voit que les succès les plus nombreux, les plus incontestables, ont été obtenus contre la goutte, le rhu(1)
rhu(1) loc. cit., p. 637 et suiv.
(2) Scoutetten, loc. cit.,p. 498 et suiv.
(3) Baldou, loc. cit., p. 621,622.
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matisme musculaire chronique, la vérole constitutionnelle {accidents tertiaires), la scrofule (fistules, carie, etc.), les affections hémorrhoïdales, les phlegmasies chroniques de l'appareil digestif, les maladies du foie; viennent ensuite l'asthme, la paralysie, les névroses, les maladies cutanées ; en troisième ordre, se présentent beaucoup d'autres maladies qu'il serait trop long d'énumérer, et quelques faits de maladies aiguës ( fièvres typhoïdes, fièvres éruptives, pneumonies, pleurésies, péritonites) : mais ici il est presque toujours impossible de se prononcer avec une certitude suffisante. Un des plus graves reproches que l'on puisse adresser aux hydropathes, une des causes les plus puissantes de l'accueil hostile et dédaigneux qu'ont fait à l'hydrothérapie les sociétés savantes, et beaucoup d'hommes sérieux et honorables, c'est la manière dont les faits ont été recueillis et présentés ; presque tous sont tronqués, incomplets, dépourvus des données qui seules pourraient leur attribuer une valeur réelle; sans diagnostic établi ou possible; et, en présence d'un pareil état de choses, on ne saurait trop admirer le magnifique aplomb avec lequel M. Wertheim accuse la médecine pratique « d'accorder trop peu d'importance à la symptomatologie, de s'appuyer sur des observations de maladies qui ne présentent souvent qu'un agrégat de symptômes sans cohérence, où sont empreintes les idées théoriques de leurs auteurs, et où l'on ne rencontre que rarement une narration ingénue, simple, du cas actuel, un développement exact des symptômes dans leur ordre naturel. »
En faisant une large part à l'ingénuité qui caractérise cet auteur, et à l'étrangcté de son langage tudesque, on peut affirmer néanmoins que jamais la parabole de la poutre et de la paille n'a reçu une plus éclatante confirmation.
L'exposé qu'on vient de lire est sans doute fort incomplet, mais il donne une idée exacte et une connaissance suffisante des doctrines de l'hydrothérapie empirique; ceux qui voudront de plus amples détails les trouveront dans les ouvrages de MM. Scoutetten et Schedel. Nous n'avons eu d'autre but
APPRÉCIATION DE L'HYDROTHÉRAPIE EMPIRIQUE. 91
ici que dé rendre intelligible l'appréciation que nous allons soumettre au lecteur.
§ II. — Appréciation de l'hydrothérapie empirique.
En 1843, M. Scoutetten, après avoir visité les principaux établissements hydrothérapiques de l'Allemagne, fit paraître un ouvrage dans lequel on trouve un aperçu historique fort bien fait de l'emploi médical et chirurgical de l'eau froide ; une exposition complète de la méthode de Priessnitz, et vingt-neuf observations de diverses maladies (fièvre typhoïde, rhumatisme , fièvres éruptives, gastro-entérite chronique , scrofules, diarrhée chronique , engorgements du foie ou de l'a rate, goutte, etc. ) traitées avec plus ou moins de succès par la médication nouvelle (1).
L'auteur termine son oeuvre en formulant un système de pathogénie que nous n'avons pas à examiner ici, et il conclut que la médecine possède deux grands moyens pour combattre les causes et les effets des maladies : ce sont l'hydrothérapie et les médicaments.
«L'hydrothérapie, dit-il, agit en favorisant le retour des organes à l'état normal ; elle n'a aucune action sur les causes morbides, mais elle en prépare l'expulsion en donnant à l'organisme une force de réaction suffisante; elle a ouvert une voie nouvelle à la thérapeutique médicale, en lui indiquant les découvertes qu'il lui reste à faire pour neutraliser l'action et peutêtre le principe des causes miasmatiques (2).
Ceci suffit pour montrer à quel point de vue s'est placé
(1) Scoutetten , de l'Eau sous le rapport hygiénique et médical, ou de l'hydrothérapie ; Paris, 1843.
(2) Scoutetten, ouvrage cité ; p. 528.
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M. Scoutetten : c'est celui d'un principe morbifique, virus ou miasme, qui s'est introduit dans l'économie, et dont l'expulsion a lieu au moyen d'une réaction organique, vitale : au moyen de crises provoquées, favorisées par l'hydrothérapie, M. Scoutetten ne se préoccupe point des effets physiologiques; il n'étudie point l'action exercée par la médication sur la circulation, la calorification, l'absorption; il ne voit pas que là est la véritable puissance de l'hydrothérapie; que c'est en modifiant ces grandes fonctions qu'elle exerce une action si remarquable sur un grand nombre de causes morbides, et il n'envisage de la question que le côté le plus restreint et le plus obscur.
En 1843, parut l'ouvrage de M. Schedel (1), où l'on trouve enfin, et pour la première fois, un examen véritablement scientifique , une saine appréciation des modificateurs mis en usage par l'hydrothérapie, une étude raisonnée de leurs effets physiologiques et curatifs.
M. Schedel établit que cinq indications peuvent être remplies par l'hydrothérapie, et il distingue :
Une méthode hygiénique ou prophylactique, qui consiste dans l'usage de l'eau froide pour boisson, dans son application fréquente à la surface du corps sous forme de bains, de douches ; dans l'emploi de sueurs forcées. Ce traitement prophylactique est fort utile aux sujets prédisposés à la goutte, aux scrofules, à la phthisie, etc.
Une méthode antiphlogistique, qui est celle dont Currie a posé les bases scientifiques. En soustrayant du calorique, en agissant sur le système nerveux, l'eau froide amène une scdation que l'on oppose avec succès à toute affection fébrile et inflammatoire, aux congestions, aux hémorrhagies, aux fièvres essentielles et éruptives, aux affections rhumatismales aiguës, à toutes les phlegmasies, tant externes qu'internes.
(1) Schedel, Examen critique de l'hydrothérapie ; Paris, 1843.
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Une méthode antispasmodique, dans laquelle il faut éviter les procédés d'application trop stimulants, et qui s'adresse aux maladies nerveuses, depuis les simples malaises nerveux jusqu'à l'hypochondrie et les accidents hystériques les plus prononcés ; à la manie, à l'épilepsie, à la chorée, aux affections convulsives et spasmodiques, aux crampes, à beaucoup de lésions nerveuses de l'axe cérébro-spinal et de la moelle épinière, à quelques états nerveux singuliers de l'utérus, des mamelles, des testicules , etc.
Une méthode altérante ou résolutive, qui est plus particulièrement celle dont on est redevable à Priessnitz, et dans laquelle on emploie une foule de procédés présentant des degrés d'activité très-divers. Ici viennent se placer la plupart des maladies chroniques ; quelques-unes de l'encéphale, beaucoup du thorax, toutes celles de l'abdomen ; la goutte et le rhumatisme chronique, les affections hémorrhoïdales, les dermatoses chroniques, la syphilis constitutionnelle, les ulcères chroniques, les fistules, les affections scrofuleuses, les tumeurs blanches, etc.
Une méthode auxiliaire ou adjuvante, qui, dans certaines maladies incurables, telles que les affections organiques du coeur, la phthisie pulmonaire, certaines paralysies, etc., peut rendre des services importants pour combattre certains phénomènes particuliers, et pour soutenir ou améliorer l'état général (1).
M. Schedel conclut :
Que l'hydrothérapie agit sur l'économie au moyen des effets physiques, du mouvement centrifuge, et de la réaction organique, développés par l'eau froide appliquée sur la peau ou administrée à l'intérieur ;
Que la sueur provoquée ne constitue qu'un procédé secondaire, et dont l'emploi est subordonné aux circonstances.
(1) Schedel, ouvrage cité, p. 22-28.
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En envisageant l'hydrothérapie de cette manière, M. Schedel ramenait la question à ses véritables termes scientifiques, N'ayant point expérimenté par lui-même, n'ayant point, par une observation suivie et directe, décomposé tous les éléments de cette médication si complexe, étudié l'action physiologique, de chacun d'eux, M. Schedel ne pouvait apprécier la méthode dans tous ses détails, et arriver à une exposition méthodique, complète, et définitive; mais il ouvrait la voie nouvelle qui devait conduire à d'utiles résultats : malheureusement aucun observateur ne s'y est engagé sérieusement après lui.
Un grand nombre des établissements hydrothérapiques qui se sont élevés dans les différentes parties du monde sont dirigés par des industriels entièrement étrangers aux sciences médicales; beaucoup d'autres sont entre les mains de médecins qui ne possèdent point des connaissances suffisantes pour éclairer ce difficile sujet d'étude du flambeau de la physiologie et de la pathologie; enfin, si quelques hommes instruits ont appliqué l'hydrothérapie, ils ont suivi les errements de Priessnitz, n'ayant en vue que la guérison de leur malade, faisant bon marché delà théorie, et s'inquiétant peu de savoir si le succès serait attribué à une médication empirique ou à un traitement rationnel et scientifique.
Cet état de choses a produit le résultat que nous avons indiqué dans les premières pages de ce livre ; l'hydrothérapie est restée en dehors de la science, et s'il n'est plus permis de dire aujourd'hui qu'elle ne repose sur aucun fait, on peut encore répéter ce que disait M. Roche, en 1840, dans un rapport lu à l'Académie royale de médecine , à propos d'un travail présenté par MM. Engel et Wertheim: «L'hydrothérapie repose sur une théorie chimérique, en désaccord avec toutes nos connaissances physiologiques et pathologiques» (1).
Toutefois, en adoptant le rapport de M. Roche, dans les
(1) Bull. de l'Acad., 1840, t. V, p. 496.
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termes où il était conçu», l'Académie commit une de ces fautes qui compromettent gravement l'autorité et la compétence des sociétés savantes officielles. Certes, il ne s'agissait point, pour elle, de sanctionner le système empirique et irrationnel de Priessnitz, d'approuver le travail ridicule présenté par MM. Engel et Wertheim ; mais, en présence des faits nombreux, authentiques, remarquables, qui déjà s'étaient produits , il était de son honneur et de son devoir d'aller au delà des doctrines chimériques de ces hydropathes, et de provoquer une étude sérieuse et approfondie.
N'était-ce point témoigner d'un oubli complet des faits qui déjà excitaient l'attention du monde médical, d'un mépris bien extraordinaire de l'observation clinique , enfin d'une opinion préconçue bien aveugle, que de comparer l'hydrothérapie au magnétisme et à l'homoeopathie ? Que de s'écrier : « L'hydrothérapie ajoute-t-elle quelques connaissances nouvelles à celles que nous possédons déjà sur l'emploi médical de l'eau froide? Nous apporte-t-elle quelques faits nouveaux? A-t-elle trouvé des applications qui nous fussent inconnues? A-t-elle obtenu des succès réels, incontestables, qui la recommandent à l'attention des médecins ; en un mot, a-t-elle fait faire un pas à la science, et en particulier à la thérapeutique? Rien de tout cela, Messieurs ! »
Soyons plus justes que l'Académie. Reconnaissons qu'il faut répondre par l'affirmative à toutes les questions de M. Roche, et après avoir ainsi payé à Priessnitz un tribut d'éloges et de reconnaissance que ratifiera certainement la postérité, mettons en lumière les vices qui entachent son système, vices qu'il n'était pas en sa puissance d'éviter, parce que le génie le plus incontesté ne peut suppléer aux connaissances positives que l'étude seule peut faire acquérir.
Le premier reproche qu'on en est en droit d'adresser à l'hydrothérapie empirique, c'est d'être une formule systématique à peu près invariablement appliquée à tous et à tout, et ce défaut permet à lui seul de comprendre l'hésitation, la répul-
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sion, qu'ont montrées les médecins et les sociétés savantes à l'égard d'une méthode thérapeutique qui oppose la même médication à la goutte et aux cachexies, à la pléthore et à l'anémie, à une lésion locale et à une maladie générale, etc.
Mais, a-t-on dit, ce reproche est une calomnie; Priessnitz approprie le traitement aux indications que présente chaque malade.
Cette assertion manque de sincérité; certes, s'il survient une phlegmasie intercurrente, un accident, une complication imprévue, Priessnitz est appelé, et dans ce cas, il a recours à des moyens spéciaux et variés; mais il n'en est pas moins vrai que tous ses malades sont soumis à un traitement identique, qui ne diffère de l'un à l'autre que par quelques compresses de plus ou de moins. Les sudations forcées quotidiennes, l'eau à l'intérieur à hautes doses, la base du traitement, en un mot, ne subit jamais aucunes modifications, et celles-ci ne portent que sur les accessoires. M. Baldou reconnaît l'existence de cette pratique irrationnelle, il en proclame les dangers, et cependant, en lisant les observations qu'il a publiées, on voit que les sudations dans le drap mouillé ou dans la couverture de laine, que l'eau à l'intérieur, que les frictions , ont été presque constamment mises en usage par lui. On peut en dire autant de tous les médecins qui se sont occupés de l'hydrothérapie.
Cette application systématique d'une médication complexe a rejeté celle-ci dans un empirisme très-fàcheux. Quel est l'agent de la guérison? quelle est l'action de chacun des modificateurs employés?
«S'il nous était permis, dit M. Valleix, d'expérimenter le traitement hydrothérapique, nous chercherions à savoir quelle est la part de chacun de ses éléments. Que peut d'abord le régime seul? Quelle influence faut-il attribuer à la sudation? Que doit-il revenir à l'administration des bains, des affusions, des douches, de l'ingestion de l'eau froide ? Telles sont les questions que, selon nous, devraient d'abord se poser les observateurs ; et ce n'est pas tout, il faudrait encore essayer ces
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moyens deux à deux avant d'arriver à les employer tous ensemble. N'est-il pas, en effet, permis de penser qu'en appliquant tous ces moyens à tous les malades, comme on le fait, on les entoure d'un luxe inutile ; luxe qui est toujours fort gênant quand il s'agit de médication. En veut-on une preuve? Qu'on suppose que les malades traités pour des fièvres intermittentes rebelles par M. Fleury, dont je citerai plus loin l'intéressant travail, aient eu la mauvaise chance d'aller à Groefenberg, on n'aurait pas manqué de les soumettre à la sudation, aux bains d'immersion, à l'enveloppement, à la douche, au régime ; et cependant M. Fleury a obtenu une guérison aussi rapide que complète par la douche seule! Tout le reste était donc inutile.»
Ce que dit M. Valleix s'applique également aux affections utérines, aux ankyloses incomplètes, et à beaucoup d'autres maladies, dans lesquelles je n'ai eu recours qu'aux douches froides, et c'est à la suite d'une expérimentation instituée dans les conditions posées par M. Valleix, que j'ai pu dire :
1° La médication hydrothérapique ne doit pas être considérée comme une méthode, une formule thérapeutique.
2° Elle est composée de plusieurs modificateurs distincts, dont la réunion peut être inutile ou nuisible.
3° Chacun de ces modificateurs répond à des indications spéciales.
4° Si, dans quelques cas, on doit maintenir la réunion de ces modificateurs, le plus ordinairement il faut les disjoindre, et les associer entre eux de diverses manières en rapport avec les indications que présente chaque cas pathologique.
5° Le régime, l'eau froide à l'intérieur, et la sudation surtout, sont des agents dont la puissance ne saurait être méconnue, et auxquels revient une large part dans les succès obtenus par l'hydrothérapie ; mais ils ne sont cependant que des moyens accessoires.
6° L'eau froide appliquée à l'extérieur est, à proprement parler, la base de la médication dite hydrothérapique. Cet
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agent, le plus actif de tous, est le seul dont l'emploi puisse être généralisé; seul, il peut être rationnellement appliqué à tous les cas embrassés par l'empirisme de Priessnitz (1).
Le traitement étant ramené à une formule, l'intervention de Priessnitz est inutile, et comme d'ailleurs il lui serait impossible de suivre tous les malades qui chaque année affluent à Graefenberg, il en résulte que ceux-ci sont complètement abandonnés à eux-mêmes ; qu'ils dirigent leur traitement à leur guise, au gré de leurs caprices, de leurs préjugés, de leurs idées médicales, ou bien suivant les indications des baigneurs , des gens de service, etc. « L'inexpérience du malade le met complètement à la discrétion des domestiques qui le soignent; il sent alors la nécessité de s'instruire auprès des malades qui sont plus anciens que lui en traitement, et il s'adresse à celui ou à ceux que le hasard a logés près de lui, qui sont ses voisins de table, avec lesquels il est entré en rapport d'une manière quelconque. On sait que tout malade a une tendance à conseiller ce qui lui a fait du bien, sans même s'informer si celui à qui il donne ce conseil a la même maladie que lui. C'est précisément ce qui arrive à Groefenberg, et le nouveau venu, ne sachant se diriger lui-même, suit souvent le même traitement que le voisin» (2),
Il est aise de comprendre les conséquences d'un pareil état de choses ; mais quoique les insuccès et les revers soient plus fréquents à Grasfenberg qu'on ne l'a dit et qu'on ne le pense, il y a lieu de s'étonner qu'ils ne soient point beaucoup plus nombreux encore, surtout quand on sait de quelle importance est, en hydrothérapie, le modus foeciendi; quand on sait ce qu'il fout au médecin d'intelligence, de tact, d'habitude, pour manier convenablement l'eau froide; quand on sait combien les effets du modificateur varient suivant de légères différences
(1) L. Fleury, Rech. et obs. sur les effets et l'opportunité des divers modificateurs dits hydrothérapiqués.
(2) Baldou, loc. cit., p.606.
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dans la forme de la douche, la durée de l'application, et une foule d'autres circonstances dont il serait difficile de deviner l'influence a priori, mais dont l'expérience ne tarde pas à instruire le médecin observateur et éclairé.
L'abstention de Priessnitz a un autre inconvénient: celui de lui donner des idées fausses sur l'action, l'efficacité, et l'innocuité des divers modes d'application qu'il met en usage ; car, tandis qu'il croit les malades soumis au traitement qu'il leur a indiqué, ceux-ci suivent ordinairement des errements très-différents, et parfois entièrement opposés aux instructions qu'ils ont reçues. A cet égard, Priessnitz est presque toujours trompé, et la manière dont les choses se passent quant à l'application du traitement pendant l'époque menstruelle en est un exemple fort remarquable : ab uno disce omnes!
On peut ajouter que Priessnitz ne prenant ni observations ni notes, il lui est impossible de se rappeler les prescriptions qu'il a faites à chacun de ses nombreux malades, et que, par conséquent, il est constamment obligé de s'en rapporter à ce qu'on veut bien lui dire.
L'exagération est le second défaut de l'hydrothérapie empirique , et celui-ci se retrouve partout.
Les malades mangent en général beaucoup trop, et comme le sieur Benech , Priessnitz tombe ici dans un excès qui réussit quelquefois, mais qui souvent a de graves inconvénients.
Nous avons vu plusieurs personnes qui s'étaient fort mal trouvées du passage brusque d'une diététique raisonnable au régime de Grafenberg,et M. Baldou se plaint avec raison de ce que, dans la plupart des établissements hydrothérapiques, les malades s'imaginent que plus ils mangeront, plus vite ils guériront. «De là, dit-il, est née cette manie de manger énormément, manie qui est généralement répandue parmi les baigneurs, et qui n'est certainement pas, pour beaucoup d'entre eux, sans de grands inconvénients. »
M. Lubansky reproche également à Priessnitz de mécon-
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naître les modifications que doit subir toute espèce de traitement sous l'influence de l'âge, du sexe, des habitudes, de l'affection du malade, et de prescrire un régime qui est en opposition directe avec les principes d'une bonne hygiène, autant sous le rapport de la quantité que sous celui du choix des substances alimentaires.
L'exercice est beaucoup trop violent ; indépendamment des promenades qui sont incessantes, obligatoires , et qui souvent ne sont pas en rapport avec les forces des sujets, Priessnitz impose encore des travaux manuels très - fatigants. J'ai vu des pauvres femmes que l'obligation de fendre et de scier du bois avait réduites aux abois, et mises dans la nécessité de quitter Graefenberg, plus malades et plus faibles qu'à leur arrivée.
La quantité de l'eau froide ingérée est souvent trop considérable , et les indigestions d'eau sont assez fréquentes à Grafenberg. « L'exagération que les malades apportent en général dans l'ingestion de ce fluide, dit M. Schedel (1), occasionne quelquefois beaucoup de malaises et de dérangements des fonctions gastro-intestinales, telles que des nausées, des vomissements, l'inappétence, et la diarrhée; accidents qui diminuent lorsque ceux-ci, avertis par l'expérience, boivent avec plus de modération. Souvent, chez les malades robustes, ces symptômes cessent spontanément, dès que le canal digestif s'est accoutumé à ce régime ; d'autres fois, au contraire, des accidents graves en sont les suites immédiates : ainsi un malade peu robuste , affaibli par un traitement mercuriel prolongé, et qui était depuis huit ou dix jours soumis à l'hydrothérapie pour des douleurs vagues, s'étant avisé de boire huit grands verres d'eau dans un court espace de temps, et sans faire l'exercice prescrit après chaque verre, éprouva bientôt du malaise et un grand refroidissement des extrémités. Voulant alors se promener, il fut pris de difficulté de parler et de syni(1)
syni(1) loc cit., p. 34.
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ptômes de congestion cérébrale, tels que céphalalgie violente, aphonie complète, perte de connaissance ; les accidents ne disparurent qu'au bout de plusieurs heures, et après un vomissement copieux. »
Les sudations sont trop fréquentes et trop prolongées; elles amènent des pertes trop considérables, et jettent souvent les malades dans la faiblesse et l'amaigrissement. Cette remarque n'a point échappé à M. Baldou. «L'expérience m'a démontré, dit-il, qu'une sudation d'une heure, et même moins, continuée pendant quelque temps, occasionne une plus grande déperdition de forces que le bain froid qui la suit ne peut en donner, quels que soient son degré de froid et sa durée; d'où il suit que, si ces applications sont longtemps continuées, chaque jour apporte tin déficit dans les forces du malade, qui arrive ainsi à un résultat opposé à celui qu'il espérait, et même qu'il se croyait légitimement endroit d'espérer, d'après ce qu'il avait éprouvé dans le commencement de son traitement » (1). Enfin les applications extérieures d'eau froide sont également trop fréquentes et trop énergiques; les grands bains, les bains partiels, les frictions en drap mouillé, les douches, les bains de siège , les compresses, se succèdent presque sans interruption pendant toute la journée , et le moindre inconvénient de ces applications si nombreuses est d'être inutiles, ennuyeuses , et fatigantes pour le malade ; dans quelques cas, elles sont manifestement nuisibles. Souvent ce sont les malades eux-mêmes qui tombent ainsi dans l'exagération, et le médecin a beaucoup de peine à les ramener à une pratique raisonnable. «A Grafenberg , dit M. Schedel, le traitement est livré au hasard, et c'est à peine si Priessnitz lui-même commence à reconnaître ses fautes passées; mais la méthode se trouvant d'ailleurs , pour ainsi dire, entré les mains des malades eux-mêmes, ils sont d'autant plus tentés d'en abuser qu'ils entendent toujours répéter que la condition sine qua non de tout bon trai(1)
trai(1) loc. cit., p. 608.
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tement hydriatrique est l'expulsion des humeurs peccantes; dès lors ils ne rêvent que procédés violents, et les exagèrent à plaisir.»
A Bellevue, où ces doctrines n'ont point cours ; où les malades ne sont soumis, en général, qu'à deux ou trois applications d'eau froide dans les vingt-quatre heures ; où la surveillance est de tous les instants; où la direction médicale se fait constamment sentir, j'ai vu des malades, déjà soumis au traitement depuis longtemps, abuser de la confiance qu'on leur accordait, ou profiter d'un moment de liberté, pour résister aux injonctions des gens de service, et prendre des douches beaucoup trop énergiques ou trop prolongées. On comprendra les dangers de pareils abus, si l'on veut bien se rappeler ce que nous avons dit : à savoir que de légères différences dans la forme et l'intensité de l'application froide, que quelques secondes de plus ou de moins dans sa durée, en changent complètement les effets.
C'est à l'exagération apportée dans l'emploi de l'enveloppement humide, des compresses, des frictions, que j'attribue les éruptions cutanées, les furoncles, les abcès, qui se montrent si souvent chez les malades soumis à l'hydrothérapie empirique, et qui, pour moi, sont 999 fois sur 1,000 non des phénomènes critiques, mais des accidents, des complications résultant d'une irritation mécanique de la peau; et ici je suis obligé d'accorder quelques développements à une question qui forme l'un des principaux points d'appui du système de Priessnitz et de ses adeptes.
La doctrine des crises n'est point nouvelle, et je n'ai pas l'intention de reproduire toutes les discussions qu'elle a soulevées, tous les arguments qui ont été produits de part et d'autre. Certes des pathologistes de la force de MM. Engel, Wertheim, etc., donneraient matière à une discussion assez curieuse ; certes il serait fort plaisant d'examiner si, comme le veut M. Baldou, l'affection herpétique n'est autre chose que le résultat de l'exphorèse des détritus organiques, des
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aliments mal élaborés Ou de mauvaise qualité (sic) (1) ; si ces détritus peuvent attaquer indistinctement toutes les parties du corps, et produire tantôt un herpe cutané, tantôt un herpe gastrique, ici un herpe oculaire, là un herpe articulaire (2). Maïs je veux laisser de côté les théories, et j'éviterai surtout, d'avoir maille à partir avec celle des détritus organiques, de peur que M. Baldou ne fasse peser plus particulièrement sur moi la réprobation dont il flétrit l'école médicale à laquelle je me fais honneur d'appartenir, en s'écriant : « Toujours st-eil qu'il n'y eut jamais peut-être de plus pitoyable médecine que la médecine enseignée et pratiquée, dans ces derniers temps, d'après les doctrines physiologiques!»
C'est en me plaçant exclusivement sur le terrain des faits que j'espère porter la conviction dans les esprits les plus prévenus, et que je tâcherai, non de ramener M. Baldou aux principes de cette médecine physiologique qu'il trouve si pitoyable , mais du moins de lui faire passer condamnation sur sa doctrine des herpès par exphorèse des détritus organiques et des aliments mal élaborés !
Des recherches continuées pendant six ans sur une vaste échelle, et dégagées de toute idée préconçue, me permettent d'établir les propositions suivantes, et d'affirmer que leur exactitude sera constatée par tous ceux qui voudront bien lés soumettre à l'épreuve d'une expérimentation bien dirigée.
1° Il est toujours possible de faire naître sur un individu quelconque, sain ou malade, et sur une partie déterminée de son corps, une éruption cutanée, des furoncles, un abcès, etc.; il suffit pour cela de soumettre la partie désignée à l'action continue de l'enveloppement humide, de compresses excitantes;, de frictions humides énergiques, etc. L'effet sera constant, et ne variera que par l'époque de son apparition et
(1) Baldou, loc. cit., p. 143.
(2) Baldou, loc. cit., p. 145.
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ses caractères symptomatiques, lesquels sont en rapport avec l'âge du sujet, son sexe, sa constitution, son idiosyncrasie, les qualités de sa peau, etc.
2° L'état morbide en général, et aucune forme pathologique en particulier, n'exercent une influence appréciable sur le développement du phénomène, sur ses caractères, sur l'époque de son apparition, etc. On observe des plaques érythémateuses, des papules, des vésicules, des bulles , des pustules, sans qu'il soit possible d'établir aucun rapport entre la forme de l'éruption et la nature de la maladie.
3° Lorsqu'une éruption se développe sans avoir été spécialement provoquée, il arrive de deux choses l'une : ou bien, les applications d'eau froide ayant été générales et uniformes, l'éruption se montre sur une partie quelconque, variable, nullement en rapport avec le siège de la maladie ; ou bien, les applications froides ayant porté plus particulièrement sur une partie du corps, c'est toujours sur cette dernière que l'éruption se développe.
4° Les éruptions, furoncles, abcès, ne sont nullement nécessaires à la guérison, et ils peuvent exister sans que celle-ci ait lieu.
5° Les malades chez lesquels se montrent ces phénomènes ne guérissent, à peu d'exceptions près, ni plus sûrement, ni plus vite , ni plus complétement; souvent les phénomènes réputés critiques sont au contraire de fâcheuses complications, et M. Schedel a rapporté plusieurs exemples d'accidents trèsgraves occasionnés par eux.
6° Lorsque ces phénomènes exercent une influence manifestement heureuse sur la marche et la terminaison de la maladie, c'est moins à titre de crises, rejetant au dehors une matière morbifique, qu'à titre de révulsifs. Il ne m'a pas été donné d'observer un seul cas bien démontré de crise proprement dite, mais j'ai vu souvent des éruptions exercer une révulsion trèsutile dans le traitement de certaines phlegmasies chroniques, et spécialement dans celles du tube digestif.
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7° Il faut, à moins d'indications spéciales et nettement établies , éviter le développement des phénomènes réputés critiques; dans tous les cas, il faut attentivement en surveiller la marche, et ne jamais leur permettre d'acquérir une vaste étendue et une grande intensité.
Qu'opposent les partisans de la doctrine des crises aux propositions que je viens de formuler ? M. Baldou va nous le dire.
Les éruptions paraissent beaucoup plus fréquentes et plus nombreuses sur la partie des téguments recouvrant les organes souffrants, et cependant sans qu'aucune application irritante ait agi sur elle, et bien plus, alors même qu'on lui a épargné tout ce qui pouvait l'irriter (1).
Je conteste complétement l'exactitude de cette assertion, et l'on appréciera la valeur qu'elle possède sous la plume de M. Baldou, lorsqu'on saura que l'observation présentée par lui comme la plus probante (p. 641) est celle d'une femme (p. 66) atteinte d'un rhumatisme du bras droit, chez laquelle une éruption s'est développée exclusivement sur le membre malade, bien que celui-ci n'ait été soumis qu'à des bains locaux et à des compresses dont la température était plus élevée (16°) que celle des bains généraux (10°) (p. 73) ; mais M. Baldou oublie que les bains généraux n'ont été comparativement que rares et très-courts (4), tandis que le membre malade a reçu des bains locaux de trois quarts d'heure (p. 67), ET QU'IL A ÉTÉ ENTOURÉ JOUR ET NUIT DE COMPRESSES EXCITANTES!! (p. 68).
Si les éruptions étaient le produit seulement de l'irritation, elles devraient augmentera proportion de la prolongation du traitement ; c'est ce qui n'arrive pas (p. 641 ).
C'est ce qui arrive constamment sous l'influence de la prolongation non du traitement général, mais des applications froides faites sur la partie qui est le siège de l'éruption ; et si, au moment où celle-ci commence à paraître , on suspend ces
(1) Baldou, toc. cit., p. 641.
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applications, on voit presque constamment l'éruption avorter, La diarrhée et le vomissement présentent-ils plus fréquemment que les éruptions les caractères qui appartiennent aux crises? Je ne le pense pas, et les observations rapportées par M. Baldou (p. 108 et 241 ) n'ont pas changé mes) convictions, Dans certains cas de maladies du foie, de calculs biliaires, d'affections des voies digestives, il peut survenir des vomissements ou des évacuations alvines, qui exercent une influence favorable sur la marche et la terminaison de la maladie, et il est parfois utile de provoquer ces phénomènes; mais le plus souvent, ils sont de véritables complications dues à la quantité trop considérable d'eau ingérée, et je ne saurais trop engager les médecins à repousser les doctrines émises à cet égard par les hydropathes. M. Schedel a vu un malade, affecté d'une névralgie, succomber à une diarrhée qu'on regardait comme critique. «Dans cette circonstance malheureuse, dit-il, il est évident que Priessnitz s'est trompé en persistant à considérer comme critique et salutaire un dévoiement qui a conduit lentement le malade au tombeau» (1).
La sudation est un dépuratif très-puissant, ainsi que nous l'avons dit plus haut, et l'on comprend facilement que les sueurs puissent, dans les cachexies plombiques et mercurielles, entraîner avec elles quelques molécules métalliques ; dans la goutte, les sueurs sont quelquefois chargées de sels calcaires, et il est d'autres maladies dans lesquelles nous sommes portés à admettre l'effet dépuratif, sans pouvoir malheureusement fournir de données certaines quant à la présence et à la nature de la matière morbifique rejetée au dehors. Les auteurs hydropathes parlent souvent de sueurs partielles, colorées ou odorantes, provoquées par l'application du drap mouillé ou des compresses; mais ils confondent le plus ordinairement la sueur avec les produits de sécrétion des follicules sébacés ; parfois on a pris pour des matières morbifiques des débris d'épiderme
(1) Schedel, loc. cit., p. 79, 80.
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et les sels ordinaires de la sueur (1). M. Lubansky raconte qu'après avoir constaté avec surprise l'odeur sulfureuse répandue par la sueur de quelques malades, il reconnut, par suite d'un examen plus attentif, que cette odeur provenait des couvertures, lesquelles avaient été blanchies au soufre. «Depuis que mon marchand, dit-il, ne me fournit plus que des couvertures qui n'ont pas subi cette opération, l'odeur sulfureuse de la sueur a disparu, et me voici privé d'un fait hydrothérapique assez curieux, et que je me faisais une fête d'annoncer au public» (2).
Que d'erreurs de ce genre ont dû être commises par des expérimentateurs moins avisés que M. Lubansky.
MM. Scoutetten et Lubansky ont compris que l'analyse chimique pouvait seule conduire à des résultats de quelque valeur, et ils ont soumis à cet examen la sueur de plusieurs malades affectés de rhumatisme, de goutte, de myélite, d'hystérie, d'eczéma, de pertes séminales, etc.; mais aucune conclusion ne peut être légitimement tirée de leurs recherches (3).
Ce que nous venons de dire de la sueur s'applique en grande partie à l'urine; ici encore les données positives font défaut. En sollicitant, en activant continuellement l'action des reins, organes essentiellement éliminateurs, on provoque souvent l'expulsion de sels calcaires, d'acide urique, de graviers ; on obtient souvent des résultats thérapeutiques très-favorables. Mais ces phénomènes sont dus aux effets physiologiques de la médication employée, et ils ne peuvent être considérés comme des crises proprement dites.
Le traitement hydrothérapique stimule tous les organes sécréteurs, et il survient parfois de la salivation ou une expectoration plus ou moins abondante de mucosités (4); mais ici encore il ne s'agit point de crises, et il faut toujours surveiller
(1) Scoutetten, toc. cit., p. 503, 504.
(2) Lubansky, loc. cit., p. 95.
(3) Scoutetten, loc. cit. p. 508 et suiv. — Lubansky, loc. cit., p. 98 et suiv.
(4) Schedel, loc. cit., p. 83.
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et réprimer ces phénomènes. Chez un moribond, réduit au dernier degré du marasme par une diarrhée colliquative que le traitement augmentait plutôt qu'il ne la diminuait, M. Schedel a vu survenir, six jours avant la mort, une forte salivation, précédée d'un mouvement fébrile prononcé, et une éruption de purpura simple. «Il était de la dernière évidence, dit M. Schedel, que cette réaction n'offrait aucun caractère critique ou utile, mais qu'elle était la dernière expression de l'effet produit sur la vitalité par des frictions générales d'eau froide souvent répétées, et cependant Priessnitz persévéra dans leur application jusqu'au dernier jour de la vie du malade.»
Le flux hémorrhoïdal s'établit très-souvent dans le cours du traitement hydriatrique, même chez des personnes qui n'en ont jamais été affectées ; il est le résultat des bains de siège et des applications froides faites sur le bassin. On comprend qu'il est souvent utile de le provoquer chez des sujets pléthoriques, sanguins, affectés de congestion cérébrale ou pulmonaire, d'une maladie du foie, d'un embarras dans la circulation de la veine porte; mais que dans d'autres conditions il est au contraire une complication fâcheuse.
En résumé, tous les phénomènes considérés par les hydropathes comme des crises toujours désirables et utiles sont des effets physiologiques de la médication employée; ces effets sont tantôt favorables, tantôt inutiles ou nuisibles , et suivant les indications que présente chaque cas pathologique, le médecin doit les provoquer, ou bien, au contraire, s'efforcer d'en empêcher le développement; dans tous les cas, il doit les surveiller avec soin, et ne pas leur permettre de dépasser certaines limites, qu'il appartient à sa sagacité de déterminer.
Tels sont les principes qui ont servi de base à notre pratique , et qui nous ont permis d'obtenir des guérisons non moins nombreuses, non moins rapides, et non moins sûres, en épargnant constamment aux malades des manifestations symptomatiques, des complications souvent pénibles et parfois dangereuses.
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Les procédés opératoires employés par Priessnitz sont insuffisants et défectueux ; il est une foule d'indications spéciales qu'il est impossible de remplir à Graefenberg, où l'on ne peut varier à son gré la forme et la force des applications d'eau froide: ainsi on n'y trouve ni douche en pluie, ni bain de poussière , ni bain de siège à eau courante, ni douche mobile, ni douche en colonne de dimensions et d'énergie variables à volonté , ni douche ascendante, etc.
Les procédés employés par tous les hydropathes, sans exception , pour provoquer la sueur, sont essentiellement mauvais. L'enveloppement dans le drap mouillé a de nombreux inconvénients; l'eau qui imbibe le drap se vaporise sous l'influence du calorique qui s'accumule dans l'atmosphère circonscrite par les couvertures, et il en résulte un véritable bain de vapeur ; la peau reste exposée pendant fort longtemps à l'action de l'humidité; elle s'amollit, se ride, pâlit, et prend l'aspect d'un tissu macéré ; elle perd en même temps son élasticité, sa vitalité, et une partie de ses'facultés perspiratoires. Une peau qui a été soumise pendant quelque temps à ce procédé ne transpire plus que difficilement sous l'influence de l'exercice musculaire, de la marche, etc.
L'enveloppement dans la couverture présente des désavantages d'un autre genre. Le contact immédiat de la couverture de laine provoque sur toute la surface cutanée une sensation très-désagréable, et quelquefois une excitation, une irritation, que certains malades ne peuvent supporter. Il est impossible de graduer à volonté l'intensité de la chaleur ; il faut ou bien la laisser indéfiniment s'accroître, ou bien mettre terme à l'opération; enfin le temps nécessaire pour amener la transpiration est toujours très-long, et il s'écoule peu agréablement pour le malade, qui est emprisonné dans une espèce de maillot et condamné à une immobilité complète.
L'hydrothérapie empirique repousse systématiquement toute intervention de la matière médicale ; il suffit d'énoncer un pareil fait pour en faire comprendre l'absurdité. Certes, il faut autant
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que possible éviter de rendre la médication trop Complexe; il faut rejeter les médicaments dont l'action n'est point nettement déterminée, ceux qui agissent dans un sens opposé à celui de l'eau froide; mais, dans un grand nombre de cas,la matière médicale fournit, pour répondre à certaines indications, des moyens beaucoup plus sûrs, plus prompts, et plus efficaces que l'hydrothérapie. J'ai maintes fois associé avec avantage, aux procédés hydriatriques, les émissions de sang, les purgatifs , les vomitifs, les spécifiques, tels que les préparations hydrargyriques et l'iodure de potassium ; les amers, les toniques, les ferrugineux, etc. etc.
Enfin, et ce dernier reproche ne sera pas le moins grave, l'hydrothérapie empirique a complétement négligé le côté physiologique de la question; elle n'a point cherché à se rendre compte du mode d'action des modificateurs employés par elle; elle s'est placée et elle est restée sur le terrain de l'empirisme pur, de telle sorte qu'en l'absence de toute étude méthodique, de tous principes, de toute exposition raisonnée, le médecin n'a d'autre guide que le hasard , et que pour arriver à une application efficace de la méthode hydrothérapique, il est obligé de procéder par tâtonnements, par essais., jusqu'à ce qu'il ait acquis une expérience personnelle dont les malades ont fait tous les frais, et que parfois ils ont payée fort cher.
C'est pour faire cesser un aussi déplorable état de choses que nous allons essayer de ramener l'hydrothérapie aux condilions de toute médication réellement scientifique.
SECONDE PARTIE.
PRATIQUE ET DOGMATIQUE.
DE L'HYDROTHERAPIE RATIONNELLE ET SCIENTIFIQUE.
L'histoire des sciences médicales nous apprend qu'il existe un rapport constant, et pour ainsi dire nécessaire, entre les théories, les doctrines médicales, et la thérapeutique; de telle sorte que celle-ci est le résumé, l'image fidèle de celles-là, et que l'étude des diverses transformations qu'à subies le traitement des maladies nous indique parfaitement l'état de la science aux différentes époques correspondantes. Tant que la médecine n'a eu pour base que des spéculations de l'esprit, des hypothèses métaphysiques, des systèmes conçus a priori, au lieu d'être déduits de l'observation des faits, là thérapeutique n'a été qu'un recueil de formules empiriques, complexes, absurdes ; de pratiques superstitieuses et cabalistiques. L'ère anatomique ouverte par Morgagni, et si glorieusement contiuuée jusqu'à nos jours par tant d'hommes éminents dont chacun sait les noms; les immortels travaux de Haller, l'impulsion donnée à la philosophie des sciences par l'illustre Bacon, ont inauguré des méthodes de curation plus simples, plus efficaces, et une thérapeutique rationnelle dont la médecine française peut se proclamer, avec un légitime orgueil, le représentant le plus intelligent et le plus éclairé.
Aujourd'hui une voie nouvelle et plus féconde encore s'ouvre à l'art de guérir, et, si je ne m'abuse, c'est par elle que celui-ci arrivera au terme le plus avancé qu'il lui sera permis d'atteindre, en tant que science. Déjà la médecine n'est plus réduite à prendre pour base unique de ses recherches et de ses efforts
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des altérations cadavériques, résultats ultimes d'une perturbation organique primitive; et si le principe de la vie doit rester à jamais au-dessus de ses investigations, elle peut à moins en approfondir le mécanisme, et saisir le phénomène morbide à son origine. La médecine anatomique fait place à la médecine physiologique, — non à cette prétendue médecine physiologique qui n'était qu'un système fondé sur une hypothèse, et à laquelle a survécu l'homme illustre qui l'avait enfantée, — mais à cette médecine physiologique qui s'appuie sur l'observation, sur l'expérimentation; et sur l'étude attentive des phénomènes physiques, chimiques, mécaniques, et dynamiques, qui s'accomplissent au sein de l'organisation vivante.
Les beaux travaux qui, dans ces dernières années, ont jeté une si vive lumière sur la physiologie hygique, ont fait naître une science corrélative, la physiologie pathologique, et celle-ci, à son tour, doit conduire nécessairement à la physiologie curative, c'est-à-dire à des méthodes thérapeutiques qui, pour maintenir ou rétablir l'état organique et fonctionnel qui constitue la santé, s'adresseront à des agents dont l'action est plus puissante, plus certaine, et mieux déterminée que celle de la plupart des agents médicamenteux : c'est-à-dire aux fonctions elles-mêmes de l'organisme.
Déjà des recherches importantes ont été faites dans cette direction, et, en première ligne, se placent celles de M. Récamier sur la compression et le massage; de MM. Bourdon, Piorry, et Gerdy, sur les effets de la pesanteur; de M. Pravaz, sur l'air comprimé ; de M. Fourcault, sur les fonctions de la peau ; de MM. Mialhe, Bouchardat, et Bernard, sur la digestion et l'assimilation ; de MM. Ling et Georgii, sur la gymastique médicale ou kinésithérapie, méthode dont l'hygiène et la thérapeutique obtiendront les plus heureux effets, lorsqu'on aura pris la peine d'en faire l'objet du sérieux examen auquel elle a droit.
Par la puissance et par la multiplicité de ses influences,
DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE. 113
l'hydrothérapie rationnelle se place à la tète de la thérapeutique physiologique dont nous venons de parler ; on le comprendra aisément, si l'on songe qu'elle exerce sur les deux grands systèmes qui président à toutes les fonctions de l'économie , sur la circulation capillaire et l'innervation générales, une action directe et énergique, qui n'appartient à aucun autre agent, et au moyen de laquelle elle modifie profondément la calorification, l'absorption, les sécrétions, et la nutrition.
En envisageant ainsi la question à son véritable point de vue, il devient facile, je le répète, de comprendre l'efficacité de l'hydrothérapie rationnelle, et de constater que, bien loin d'être, comme M. Roche le disait de l'hydrothérapie empirique, une méthode dangereuse, chimérique, en désaccord avec toutes nos connaissances physiologiques et pathologiques, cette médication est, au contraire, une méthode précieuse, exempte de danger, et en rapport avec les données les plus positives de la physiologie et de la pathologie.
Mais, pour atteindre le but, de longs efforts seront encore nécessaires, et il est urgent, en premier lieu, de suivre une voie toute différente de celle qui a été parcourue jusqu'à présent, d'abandonner des errements entachés d'un empirisme aveugle et d'une systématisation antiscientifique.
« La médication hydrothérapique telle qu'elle a été instituée et appliquée par Priessnitz, ainsi que par ses adeptes, ài-je dit ailleurs, constitue un traitement fort complexe, dans lequel interviennent des modificateurs nombreux, ayant des effets très-divers et souvent opposés. Entre les mains de l'empirique de Graefenberg, cet assemblage d'éléments hétérogènes est devenu une formule qu'il oppose systématiquement à presque toutes les maladies, en ne lui faisant subir que de très-légères modifications. Que de pareils errements soient suivis par un homme doué certainement d'un instinct médical très-remarquable, mais dépourvu, en définitive, de toute instruction, de toutes notions physiologiques et pathologiques, cela peut se concevoir; mais que des médecins acceptent aveuglément, ser-
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vilement, une pratique aussi irrationnelle, cela est plus difficile à comprendre ; et cela explique le discrédit ique quelques honorables confrères font encore peser sur l'hydrothérapie, qui, telle qu'elle est, a déjà rendu à la thérapeutique des services qu'on ne saurait plus contester, mais qui en rendra de plus nombreux et de plus importants encore, lorsque, cessant d'être la formule systématisée d'un aveugle empirisme, elle sera devenu l'instrument docile d'une médication éclectique et rationnelle.
«L'hydrothérapie ne possède point suffisamment la notion sur laquelle repose toute méthode rationnelle : celle de l'action physiologique exercée par les agents employés comme moyens curatifs ; en outre, elle a constamment eu recours dans ses applications empiriques à une médication complexe, de telle sorte qu'il n'est jamais possible de reconnaître le véritable instrument de la guérison lorsque celle-ci a lieu, et que dans d'autres cas, on se trouve en présence d'une pratique manifestement irrationnelle. Ne voyons-nous point, par exemple, l'hydrothérapie opposer les boissons à haute dose aussi bien à la chlorose qu'à la pléthore, aussi bien aux névroses qu'aux phlegmasies ? Les médecins sont-ils suffisamment édifiés sur le mode d'action des divers modificateurs qu'elle met en usage? Les indications et les contre-indications sont-elles nettement déterminées ? Le procédé opératoire doit-il être systématisé? La méthode exige-t-elle, dans tous les cas, l'emploi simultané de l'eau froide à l'extérieur et à l'intérieur, des sudations, du régime? Peut-on, doit-on quelquefois disjoindre ces agents, si différents les uns des autres par l'influence qu'ils exercent sur l'économie ?
«Est-il nécessaire de soumettre les malades, ou du moins tous les malades, à des emmaillottements longs et fatigants, à des épreuves très-rapprochées les unes des autres ; faut-il, en un mot, suivre tous les errements de l'empirique de Groefenberg? L'action de l'eau froide appliquée à l'extérieur varie singulièrement suivant la température du liquidé, sui-
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vant le volume, l'état de division, la force de projection avec lesquels il frappe les organes ; suivant la durée du contact. Tous ces points ont-ils été sérieusement étudiés ? Divers moyens peuvent être mis en usage dans le but de provoquer la diaphorèse ; a-t-on exactement déterminé les effets et l'opportunité de chacun d'eux? A toutes ces questions, comme à la plupart de celles qui se présentent encore, il n'est point de réponse. »
Pour satisfaire à ces exigences légitimes de la science; pour réhabiliter l'hydrothérapie, ou plutôt pour créer une hydrothérapie nouvelle, en rapport avec les doctrines scientifiques que j'ai puisées au sein de l'École de Paris, que j'y ai professées, que j'ai exposées dans le Compendium de médecine pratique et dans beaucoup d'autres écrits, j'ai entrepris des recherches dont il me reste à faire connaître les résultats, en commençant, conformément à ce que nous avons établi tout à l'heure, par un travail préliminaire indispensable, comprenant l'étude particulière, isolée, de chacun des modificateurs mis en usage par l'hydrothérapie : c'est-à-dire du régime alimentaire, de l'exercice, de l'eau froide à l'intérieur, de la sudation, et enfin de l'eau froide à l'extérieur.
1° Du régime alimentaire.
Le traitement hydrothérapique, lorsqu'il réussit, fait éprouver aux malades le désir et le besoin d'une alimentation substantielle, abondante, et il permet ordinairement aux organes digestifs de s'accommoder de ce régime, qui devient souvent l'un des agents de la guérison. L'appétit est stimulé par les applications froides et l'exercice, les pertes sont augmentées par la sudation, et l'on comprend aisément que cette double circonstance doive exercer une influence marquée sur le régime; mais le médecin n'en doit pas moins tenir compte de toutes les indications qui se rattachent soit à l'individu, soit à la maladie, et, dans tous les cas, il doit procéder graduellement et avec prudence.
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Ici donc, rien de spécial; rien qui s'éloigne des lois ordinaires de l'hygiène et de la diététique, des errements que suivent tous les médecins sur lesquels ne pèse plus le joug des doctrines de Broussais.
La température des aliments n'est pas indifférente , et c'est à tort que Priessnitz et ses imitateurs ont mis de côté une question qui présente de l'intérêt. Le régime froid ne doit être ni érigé en règle générale ni complétement abandonné ; plusieurs fois il nous a paru avoir des avantages réels.
Nyck a établi qu'après un dîner froid l'accélération du pouls est plus tardive, moins considérable, et d'une durée plus courte (1 ) ; nous avons prescrit avec succès le régime froid à des malades chez lesquels les repas étaient suivis d'un accès de fièvre ou d'un redoublement fébrile, à des malades dont les digestions étaient pénibles, laborieuses, douloureuses.
Le régime aqueux exige également une appréciation éclairée des différentes circonstances individuelles et pathologiques que présente chaque malade. L'eau froide, pour unique boisson, peut être prescrite avec avantage aux individus pléthoriques, aux malades qui ont commis de grands excès de table, qui sont atteints d'une gastrite chronique, d'une affection du foie; aux goutteux, aux graveleux, etc.; mais elle est souvent nuisible lorsqu'on l'applique aux sujets chlorotiques, anémiques, scrofuleux, névropathiques, etc. Priessnitz oublie ou ignore les préceptes les plus vulgaires de l'hygiène. «Prise à dose iramodérée dans le cours de la digestion, dit M. Londe, l'eau rend celle-ci lente et pénible, en diminuant l'excitation dont l'estomac doit être le siège pour l'accomplissement régulier de la fonction. Cet effet est d'autant plus marqué que l'individu a l'estomac moins vigoureux et moins capable de réaction. C'est surtout chez les personnes habituées aux toniques que l'eau prise immodérément produit ces effets ; elle détermine
(1 ) Nyck, des Conditions qui font changer la fréquence du pouls dans l'état de santé, in Arch. gén, de méd., t. XXVI, p. 112; 1831.
DE L'EXERCICE. 117
même quelquefois le vomissement et la diarrhée ; si l'estomac est vide, elle a l'inconvénient d'affaiblir les forces digestives, soit qu'elle délaye outre mesure le suc gastrique, soit qu'elle maintienne l'estomac au-dessous de l'excitation qui lui est nécessaire » (1).
Nous avons vu des personnes atteintes de gastralgie, d'entéralgie, dont les souffrances avaient été notablement exaspérées par le régime aqueux, et dont nous n'avons obtenu la guérison qu'en substituant à celui-ci l'usage modéré des toniques, du vin, et même de certaines liqueurs alcooliques, telles que l'anisette, le curaçao; usage qui peut parfaitement s'allier avec la médication hydrothérapique.
2° De l'exercice.
L'exercice est un adjuvant puissant des applications extérieures d'eau froide, pour activer la circulation capillaire générale, l'absorption, les sécrétions; pour développer le système musculaire, rétablir les fonctions de la peau, stimuler l'appétit et les fonctions digestives. Lorsqu'il est gradué, non exagéré, opportun, il est l'un des agents les plus énergiques et les plus utiles de la médication hydrothérapique, et son action doit être favorisée par des conditions topographiques dont l'importance est trop souvent méconnue.
C'est à la campagne, sur un site élevé, au milieu de l'air pur et vif des bois et des montagnes, que l'hydrothérapie acquiert toute son efficacité. «Il est très-regrettable, dit M. Scoutetten, que les établissements fondés en France ne soient pas dans des conditions propres à favoriser l'action du traitement ; situés dans la plaine, ils sont privés d'eau de source ; il leur manque aussi cet air pur et léger qui active les fonctions respiratoires et assimilatrices. N'oublions pas, en outre, qu'il faut
(1) Londe, Nouveaux éléments d'hygiène, t. II, p. 230, 231 ; Paris,
1847.
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un terrain accidenté pour les promenades, et qu'il convient de rechercher, autant que possible, les sites agréables et imposants. »
La marche est l'exercice le plus généralement adopté ; mais encore faut-il ne point l'imposer intempestivement, ainsi que le fait journellement Priessnitz, à des sujets affectés de certaines maladies articulaires, de goutte, de déplacements utérins , d'emphysème pulmonaire, de maladie du coeur, etc. etc. Ici, comme toujours, il faut tenir compte dé toutes les circonstances individuelles et pathologiques, et modifier d'après elles l'application des règles générales du traitement. L'exercice doit être gradué, progressif, proportionné aux forces des sujets, sous peine de fatiguer et d'épuiser de plus en plus les malades, au lieu de les fortifier. Ce précepte si élémentaire est trop souvent méconnu par l'hydrothérapie systématique de Priessnitz et de ses imitateurs.
La gymnastique méthodiquement appliquée, la gymnastique passive, la kinésithérapie, en un mot, pourrait être associée avec grand avantage à la médication hydrothérapique : en combinant l'action des deux modificateurs, on arriverait certainement à des résultats remarquables; mais, à cet égard, tout est encore à faire, et nous ne pouvons qu'indiquer cette voie à la sagacité des expérimentateurs.
Dans certaines circonstances, l'exercice est obligatoire; il en est ainsi après l'ingestion d'une quantité considérable d'eau. La plupart des accidents observés et signalés par M. Schedel sont arrivés à des malades qui avaient négligé de marcher, après avoir bu plusieurs verres d'eau à des intervalles rapprochés.
Avant et après les douches ou les diverses applications extérieures générales, l'exercice est à peu près indispensable ; nous verrons plus loin que rien ne peut le remplacer pour préparer le corps à recevoir le contact de l'eau froide, et surtout pour favoriser la réaction.
DE L'EAU FROIDE A L'INTÉRIEUR. 119
3° De l'eau froide à l'intérieur.
On ne saurait nier l'importance du rôle que joue l'eau dans l'organisme vivant, et si elle a été exagérée par Fr. Hoffmann, Geoffroy, Hecquet, Pomme, etc., il ne faut point tomber dans l'excès opposé, et méconnaître des faits qui sont au-dessus de toute contestation;
«Un être vivant, dit M. Bérard, ne peut vivre que par la réunion, le concours, des solides et des liquides. Plusieurs parties du corps ne doivent leurs propriétés physiques, et par conséquent leur aptitude à fonctionner, qu'à l'eau qui les pénètre. M. Chevreul, dans un mémoire ayant pour objet l'influence de l'eau sur les matières azotées, montre que les tendons, le tissu jaune élastique, la fibrine, les cartilages, les ligaments, la cornée transparente et la cornée opaque, doivent leurs propriétés les plus distinctes à l'eau qu'ils contiennent.
«Rien ne peut entrer dans l'économie ou en sortir, sans avoir l'eau pour véhicule ; aussi nos aliments sont-ils dissous avant d'entrer dans les voies circulatoires.
« La présence de l'eau dans les corps vivants leur donne une souplesse favorable aux mouvements organiques, au cours des humeurs, aux transformations qui constituent la nutrition. Supposez tout rigide, les mouvements dont je parle n'auront pas lieu ; l'eau seule donne la souplesse, et non les corps gras.
«Tiedemann fait remarquer que les parties les plus importantes, celles qui jouent le rôle principal, sont celles qui offrent le moins de Consistance, comme le cerveau, les feuilles, les fleurs.
«Tout animal naît d'un liquide et au sein d'un liquide, et ses parties constituantes sont d'autant plus molles et plus humides qu'il est plus jeune; avec la vieillesse, la solidité, la rigidité, augmentent, et c'est là un acheminement vers la mort.
«L'eau qui imbibe les tissus favorise l'absorption, en empor-
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tant les corps dissous, mis au contact des parties vivantes, ou en les dissolvant; elle concourt aussi à l'absorption des gaz»(1).
Les bons effets de l'eau, en thérapeutique, ne sont pas moins généralement admis.
Les qualités délayantes et sédatives de l'eau sont proclamées par tous les médecins, et aucun n'hésite à prescrire l'eau à dose modérée et à température ordinaire. «Si l'on obéissait plus fréquemment aux indications naturelles, dit, M. Guérard, l'eau pure et simple, prise à la température ordinaire, serait de toutes les tisanes la plus usitée» (2). M. Ratier accorde une efficacité incontestable à l'eau, considérée comme moyen thérapeutique. «C'est souvent à elle seule, dit-il, que sont dues certaines guérisons dont on fait honneur à toute autre chose: elle diminue la chaleur fébrile, elle active les sécrétions et les exhalations, et en modifie évidemment les produits... On peut dire sans exagération qu'il est peu de maladies dont l'eau, convenablement employée, ne puisse être le remède, ou dans lesquelles elle ne puisse concourir puissamment à la guérison» (3).
Mais, si l'on ne compte que des apologistes dans les limites de température et de quantité que nous avons indiquées, il n'en est plus de même en dehors de ces limites; tous les auteurs s'accordent à reconnaître que de graves accidents peuvent résulter de l'ingestion d'eau à une basse température, et tous proclament que l'abus de l'eau exerce une influence très-fâcheuse sur l'économie.
«L'excès habituel des boissons aqueuses, dit M. Léyy, détruit l'appétit, produit l'atonie du tube digestif, des coliques, des diarrhées, la pléthore aqueuse, l'affaiblissement des centres nerveux, la mollesse et l'inertie des organes de la loco(1)
loco(1) Cours de physiologie, t.1, p. 78; Paris, 1848.
(2) Guérard, Dictionn. deméd., t. XI, p. 23; 1835.
(3) Ratier, Dictionn. de méd. et de chirurg. prat., t. VI, p. 425-429.
DE L'EAU FROIDE A L'INTÉRIEUR. 121
motion, la décoloration des téguments externe et interne» (1).
Nous nous expliquerons tout à l'heure sur l'action de l'eau froide ingérée pendant que le corps est en sueur ; ici nous ne voulons examiner que la question des hautes doses.
Or il est certain d'abord que la température du liquide ingéré modifie singulièrement les effets qui se rattachent à la quantité de ce liquide ; si les malades de Priessnitz peuvent boire souvent impunément, quelquefois avec avantage, une quantité aussi considérable d'eau, c'est que celle-ci est froide, et qu'elle exerce une action tonique, au lieu de l'action débilitante que produirait une dose égale d'eau à la températare ordinaire. L'exercice auquel se livrent les malades est une seconde condition fort importante ; car, en activant les excrétions, et spécialement l'exhalation pulmonaire et la perspiration cutanée, il permet à l'économie de se débarrasser rapidement d'une partie du liquide dont elle a été abreuvée. Priessnitz veut qu'on ne boive, en règle générale, qu'un seul verre d'eau à chaque ingestion, et que les ingestions soient séparées les unes des autres par un intervalle d'un quart d'heure, au minimum. «On a toujours tort, dit M. Scoutetten, de boire plusieurs verres coup sur coup, car on soutire alors, avec trop de rapidité, une grande quantité de calorique aux organes intérieurs, et leurs fonctions peuvent en être troublées» (2).
La basse température du liquide, les doses fractionnées, et l'exercice, sont donc les trois conditions imposées par l'hydrothérapie ; mais est-il vrai que dans ces limites l'administration de l'eau froide à l'intérieur, et à hautes doses, soit toujours utile ou au moins inoffensive? On peut hardiment répondre par la négative, et nous avons pu constater que la pratique de Priessnitz réussit toujours fort mal chez les sujets chlorotiques, débilités, lymphatiques, scrofuleux; chez ceux qui sont
(1) Lévy, Traité d'hygiène, t. 11, p. 156; Paris, 1845.
(2) Scoutetten, loc. cit., p. 214.
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en proie à la cachexie syphilitique, mercurielle, paludéenne, plombique, etc.
En résumé, ce sont encore les principes de la médecine rationnelle qui, dans la médication hydrothérapique, doivent présider à l'administration de l'eau froide à l'intérieur, et voici à cet égard les règles générales que l'on peut établir.
L'eau administrée à l'intérieur, à basse température et à dose modérée, exerce une action tonique, locale et générale, très" puissante. Ce modificateur est appelé à rendre de grands services aux malades irritables, névropathiques ; à tous ceux chez lesquels l'état des voies digestives, ou une affection quelconque, rend impossible ou difficile l'administration des médicaments dits toniques, stimulants, corroborants. L'hydrothérapie a mis en relief cette propriété, déjà connue d'ailleurs, de l'eau froide, et, sous ce point de vue, elle a droit à la reconnaissance des praticiens. Pour remplir cette indication, la température de l'eau doit être de + 4° à + 8° centigrades ; la dose ne doit pas dépasser 8 à 10 verres d'eau dans les vingt-quatre heures ; le malade doit faire de l'exercice, et ne boire chaque fois qu'un demi-verre d'eau.
L'eau froide administrée à l'intérieur, à haute dose ; exerce une action altérante et sudorifique très-précieuse ; car, étant en même temps tonique, elle permet de modifier la composition du sang sans débiliter le malade. On y aura recours avec grand avantage pour les sujets pléthoriques ou atteints de goutte, de gravelle, de maladies du foie, d'affections hémorrhoïdales, d'embarras dans la circulation de la veine porte. La température du liquide sera de + 6° à -f 10» centigrades; la dose, de 20 à 30 verres dans les vingt-quatre heures.
Chez les sujets chlorotiques, anémiques, lymphatiques, scrofuleux, cachectiques, etc., l'eau froide doit être administrée à l'intérieur avec modération et prudence; souvent elle est mal supportée par les voies digestives, et souvent son action altérante l'emporte sur son action tonique. Dans les cas de ce genre, elle ne doit être donnée qu'en petite quantité (2 à 4 verres), et
DE LA SUDATION. 123
Priessnitz a commis une faute grave en méconnaissant cette contre-indication des hautes doses.
Enfin il est des cas où l'hydrothérapie doit renoncer à peu près complètement à l'administration de l'eau froide à l'intérieur; il en est ainsi pour la plupart des hydropisies, dans le traitement desquelles M. Piorry recommande, avec tant d'insistance et de raison, de réduire à son minimum possible la quantité des liquides ingérés.
L'administration interne de l'eau froide à hautes doses n'est donc point, comme on le pense généralement, partie intégrante et nécessaire de la médication hydrothérapique rationnellement appliquée; elle n'en est que l'un des agents, et c'est au médecin qu'il appartient de décider dans quelles limites cet agent doit intervenir dans le traitement de chaque malade.
4° De la sudation.
Provoquer la transpiration au moyen d'un excitant spécial, qui ne soit point pyrétogénétique, qui n'accélère notablement ni la circulation ni la respiration: tel est le but que doit se proposer la médication sudorifique , et nous avons établi précédemment que le calorique est le seul-modificateur à l'aide duquel il soit possible de l'atteindre.
^enveloppement, mis en usage par Priessnitz, qu'il soit sec ou humide, ne produit la sueur qu'en élevant la température de l'atmosphère, circonscrite par les couvertures, au moyen du calorique rayonnant fourni par le corps du malade; la présence de la tête en dehors de l'atmosphère échauffée, l'introduction dans les poumons de l'air frais extérieur, l'ingestion fréquente d'une petite quantité d'eau froide, maintiennent la respiration et la circulation dans leur état physiologique, et y sous tous ces rapports, le procédé employé par Priessnitz présente des avantages réels. Il a néanmoins de graves inconvénients, que nous avons fait connaître (voyez p. 109).
Modifier ce procédé de manière à conserver les avantages et
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à faire disparaître les inconvénients, tel est le problème que j'ai cherché à résoudre.
Je crois y être parvenu, au moyen de l'étuve sèche et du procédé suivant.
Le malade, entièrement nu, est placé sur un siège élevé, les pieds reposant sur un escabeau; il est entouré jusqu'au cou par deux couvertures de laine, qui laissent la tête entièrement libre, qu'un cerceau ou un dossier demi-circulaire éloignent du corps, et qui l'enferment dans une atmosphère exactement circonscrite. Une lampe à alcool à quatre becs est placée sous le siège. Aussitôt que la sueur commence à couler, on ouvre une fenêtre, pour permettre à l'air extérieur de pénétrer librement dans l'appartement, et le malade boit toutes les dix minutes un quart de verre d'eau froide (8 à 10°). Pour mettre fin à la séance, le malade se plonge dans un bassin d'eau froide ou reçoit une douche générale, soit en pluie, soit en nappe; la durée de l'application froide ne doit guère dépasser deux minutes.
Le malade qui sort de l'étuve doit se plonger dans le bassin, ou se placer sous la douche, résolument, sans hésitation ; il doit supporter le contact de l'eau froide pendant le temps voulu, sans chercher à s'y soustraire ; il est donc prudent, en général , de n'avoir recours à ce procédé que lorsque, par des douches ou des immersions antérieures, les malades sont déjà suffisamment familiarisés avec l'eau froide.
Tel est le procédé général ; voici quelles en sont les modifications.
Lorsque l'on se propose d'employer le calorique à titre d'acitant, d'irritant cutané, d'agent de la médication transpositive , lorsque l'on veut obtenir l'effet révulsif, on allume les quatre becs;de la lampe à alcool, l'on porte rapidement la température à + 60 ou 65°, et l'on voit alors survenir des phénomènes qui ont été bien décrits par M. Rapou.« Chaleur brûlante delà peau, vitesse et développement du pouls, battement des artères temporales, quelquefois léger gonflement des veines
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du front. Une sueur abondante se manifeste sur toutes les parties du corps, et principalement à la tête; la bouche est quelquefois sèche, et la soif vive ; on éprouve le plus souvent une légère pesanteur de tête.» Il faut ajouter : si la température de l'étuve dépasse les limities que nous avons indiquées, si la température animale s'élève de 2 à 3° (température prise sous la langue), si l'opération se prolonge au delà d'un espace de temps qui varie, suivant les individus, entre trente et quarante-cinq minutes, le pouls s'accélère notablement, et bat de 100 à 130 fois par minute: les mouvements du coeur deviennent énergiques, tumultueux ; la respiration est précipitée, suspiricuse; la face est rouge, congestionnée; les artères battent avec force ; le malade éprouve des bourdonnements d'oreille, de l'anxiété, quelquefois des nausées, et si alors on ne se hâte point d'abaisser la température de l'étuve soit en enlevant la lampe, soit en éteignant un, deux, ou trois becs, il survient une perte de connaissance, dont les effets se font sentir pendant plusieurs heures.
M. Rapou, bien qu'il ne les mentionne point, a probablement observé ces phénomènes, car il a soin de dire que la durée du bain ne doit point dépasser 25 à 30 minutes ; il a aussi parfaitement jugé les effets physiologiques et révulsifs de ce procédé, car il ajoute : «Cette température (60 à 65°) est plus favorable à l'exhalation qu'à l'absorption; je ne crois même pas que cette dernière puisse avoir lieu, et si, dans ce cas, on ajoute quelque vapeur sèche au calorique, ce ne peut être que pour augmenter son action excitante. De tels bains ne peuvent convenir que lorsqu'on veut déterminer une puissante dérivation au dehors, lorsqu'on veut fortement stimuler le système musculaire, » etc.
Du reste, Berger et Delaroche ont fait de nombreuses expériences sur les bains d'étuve sèche, et ils ont très-bien décrit les effets exercés par les hautes températures sur la circulation, la respiration, la transpiration pulmonaire et cutanée, la température animale, etc. L'on consultera également
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avec fruit, sur ce sujet, les leçons professées au Collège de France par M. Magendie (1); enfin l'on trouvera un résumé fidèle de toutes ces recherches, dans le cours d'hygiène que j'ai fait à la Faculté de médecine (2).
En 1846, dans une note lue à l'Académie des sciences, M. Robert La tour s'exprimait de la manière suivante : «Soit qu'on élève la température par l'exercice ou eii entourant le corps de tissus mauvais conducteurs, de couvertures de laine, par exemple, on ne produit jamais qu'une élévation de température de 2°. »
Cette assertion peut être exacte, dans les conditions posées par M. Robert Latour ; mais il ne faudrait pas en conclure que la température animale ne peut pas être élevée de plus de 2 degrés. Dans mes nombreuses expériences sur l'étuve sèche, j'ai souvent obtenu une élévation de 3 degrés, et une élévation de 3°,12 a été notée par Berger et Delaroche ; mais on doit reconnaître néanmoins que 2 degrés représentent la limite qu'il n'est pas prudent de dépasser. Limite qui paraît avoir été posée par la nature elle-même, car 1°,9 représente là différence qui existe entre là température des hommes qui, habitant le Sénégal, y sont soumis à une chaleur de 50°, et celle des habitants de la Sibérie, qui sont exposés à un froid de 48° (3). N'oublions pas aussi que ce n'est que dans les maladies les plus gravés que l'accroissement de la température animale dépasse ces limites, et que 42° est le chiffre le plus élevé qui ait été constaté jusqu'à présent dans l'état morbide (4).
L'orsqu'on veut obtenir l'effet sudorifique, simple, spoliatif Ou dépuratif, il ne faut point que la température de l'étuve dépasse 40 à 60° ; en la maintenant dans ces conditions, l'opération peut avoir une durée de plusieurs heures, sans que
(1) Magendie, Leçons faites au Collège de France sur la température animale, in l'Union médicale, t. IV, p. 183; 1850.
(2) L. Fleury, Cours d'hygiène, etc., p. 54 et suiv ; Paris, 1851. (3J L. Fleury, Cours d'hygiène, p. 56.
(4) Compend. de méd. prat., t. VIII, p. 110 et suiv. ; Paris, 1846.
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le malade en éprouve la plus légère incommodité. La sueur s'établit, par évaporation d'abord, par transsudation ensuite, et elle ne tarde point à devenir tellement abondante, qu'elle ruisselle sur tout le corps, et qu'il est facile d'en recueillir une grande quantité dans des assiettes placées au-dessous du siège. La tête, qui reste exposée à l'air libre, ne transpire pas moins que les parties entourées par les couvertures ; l'air frais introduit dans les poumons, et l'eau froide ingérée dans l'estomac, maintiennent la respiration et la circulation dans un calme parfait. Le sujet, au lieu d'éprouver l'excitation générale qui accompagne l'administration des médicaments sudorifiques, accuse une sensation de bien-être; en un mot, le calorique est ici un véritable excitant spécial, et il serait impossible d'obtenir, par un moyen différent, une sueur aussi abondante sous des conditions générales aussi favorables. La durée de l'opération varie d'ailleurs suivant les indications et les conditions individuelles.
Enfin la sudation est un dépuratif très-énergique ; c'est à ce titre surtout qu'elle a été employée par l'hydrothérapie, et il faut avouer qu'à ce point de vue, Priessnitz a rendu un éminent service à la thérapeutique.
L'emploi longtemps continué de la sudation m'a fait obtenir des succès inespérés dans un grand nombre de maladies diverses, et spécialement dans les affections chroniques de l'abdomen (engorgements anciens du foie et de la rate, gastroentérites et entérites chroniques, gastralgies et entéralgies, constipation, affections hémorrhoïdales, etc.), dans la chlorose rebelle aux préparations martiales, dans la scrofule, la vérole constitutionnelle (accidents tertiaires), les cachexies paludéennes, mercurielles et plombiques; la goutte, la plupart des névroses (migraine, chorée, hystérie, épilepsie).
Des névralgies, des rhumatismes musculaires chroniques, fixes ou ambulants, ayant plusieurs années d'existence, ayant résisté à toutes les ressources de la thérapeutique, ont cédé à cette médication.
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L'application du calorique soulève plusieurs questions fort importantes, qu'il est nécessaire de discuter.
Et d'abord, l'observation démontre péremptoirement, contre l'assertion de M. Lambert, que l'introduction dans les poumons, pendant, que le corps est plongé dans une étuve par encaissement, d'un air dont la température est moins élevée que celle de l'étuve, ou même d'un, air. froid, ne présente aucun danger, aucun inconvénient; elle procure, au contraire, au malade une sensation de bien-être très-remarquable; elle prévient la congestion, encéphalique et les troubles que les hautes températures amènent dans la respiration, la circulation, et l'hématose. Sous ce rapport, le procédé de rencaissement l'emporte de beaucoup sur l'étuve sèche proprement dite, suris bain de vapeur, sur tous les procédés dans lesquels le corps tout entier est soumis à un air très-chaud, sec ou. humide.
Un second point remarquable ressort de l'innocuité, sinon des bons effets, de l'ingestion d'eau froide, le corps étant en sueur. L'opinion qui attribue de graves, dangers à cette pratique est fort ancienne ; J.-J. Rousseau l'a combattue sans pouvoir la détruire.
«Pour empêcher les enfants de boire quand ils ont Ghaud, dit-il, on prescrit de les accoutumer à manger préalablement un morceau de. pain, avant que de boire. Cela est bien étrange que, quand l'enfant a soif, il faille, lui donner à manger ; j'aimerais autant, quand il a faim, lui donner à boire. Jamais on ne me persuadera que nos premiers appétits soient si déréglés qu'on ne puisse les satisfaire sans nous exposer à périr; si cela était, le genre humain se fût cent fois détruit avant qu'on eut appris; ce qu'il faut faire pour le conserver. Toutes les fois qu'Emile aura soif, je veux qu'on lui donne à boire; je veux qu'on lui donne de l'eau pure et sans aucune préparation, pas même de la faire dégourdir, fùt-il tout en nage, et fût-on dans le coeur de l'hiver. »
On trouve dans les anciens auteurs des observations nombreuses de maladies graves, de morts subites, produites par
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l'ingestion de l'eau froide, le corps étant en sueur ; elles ont été, pour la plupart, réunies par Currie (1) et par M. Guérard (2), qui a cherché à en tirer des conclusions générales. Suivant ce médecin, le système nerveux, les appareils digestif et respiratoire, seraient principalement affectés dans les accidents qui succèdent souvent à l'usage des boissons froides, lorsque le corps est échauffée par un exercice violent ou par toute autre cause: ainsi on aurait observé la mort subite , le trismus, divers phénomènes spasmodiques, des défaillances , des vertiges, l'apoplexie, la stupeur, des douleurs céphaliques, articulaires ou gastriques, la gastralgie, la gastrite aiguë , la gastro-entérite, la péritonite, la dysenterie, le choléra sporadique, des vomissements spasmodiques, l'hémoptysie, la pleurésie, la pneumonie , etc.
Comme l'avait déjà fait Rush (3), M. Guérard établit que la gravité des accidents est liée aux quatre conditions suivantes : 1° échauffement. préalable du corps, 2° vacuité actuelle de l'estomac, 3° grande quantité de la boisson ingérée dans un temps donné, 4° basse température de la boisson; les accidents se manifestent plus tôt, néanmoins, lorsque la température du liquide est à + 11° ou + 12° centigrades, que lorsqu'elle est à 0°.
Or, chez les sujets soumis à la médication dont nous nous occupons, le corps est préalablement échauffé, l'estomac est vide, la température de l'eau se rapproche de + 11° ou 12° c, et cependant aucun accideut ne survient. Faut-il en chercher la raison dans le mode d'administration de l'eau, qui n'est ingérée que par petites quantités successives? Faut-il dire que l'ingestion de l'eau froide n'est dangereuse que si le corps a été mis en sueur par un exercice violent, capable d'accélérer
(1) Currie , ouvrage cité, t. 1, p. 97.
(2) Guérard, Mémoire sur les accidents qui peuvent succéder à l'ingestion des boissons froides lorsque le corps est échauffé, in Ann. d'hygiène, t. XXVII, p. 43; 1842.
(3) Rush, Médical inquiries and observations, t. I, p. 151.
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notablement la circulation et la respiration ? Mais l'usage de l'eau froide n'inspire point les mêmes craintes dans nos campagnes , parmi nos populations ouvrières, et quiconque connaît les habitudes du peuple sait que journellement une grande quantité d'hommes, mis en sueur par une marche précipitée, par un exercice manuel violent, par les travaux des champs, ayant l'estomac vide, se désaltèrent amplement aux sources les plus fraîches. Et ce pendant nos recueils périodiques n'enregistrent aucun accident survenu à la suite de cette ingestion d'eau froide, faite dans les circonstances indiquées comme les plus défavorables. Les progrès de l'observation, du diagnostic , de l'anatomie pathologique, ne sont-ils point la véritable raison de ce fait? Lorsque l'on interroge sérieusement les observations réunies par M. Guérard, on ne tarde pas à s'apercevoir qu'aucune d'elles n'établit d'une manière positive la relation de cause à effet; que la plupart ne présentent point les données les plus nécessaires à la solution du problème; qu'elles ne mentionnent ni les circonstances qui ont accompagné l'ingestion de l'eau froide, ni l'état antérieur de la santé, ni les altérations constatées par l'autopsie, etc.
Quoiqu'il en soit, la médication hydrothérapique a réuni aujourd'hui des faits tellement nombreux, qu'il n'est plus possible de mettre en doute l'innocuité et les bons effets de l'ingestion de l'eau froide, faite dans les conditions que nom avons indiquées et dans un but de curation.
Ce que nous venons de dire à propos de l'ingestion de l'eau froide, pendant que le corps est en sueur, s'applique en grande partie à l'emploi extérieur de l'eau froide. On doit admettre qu'un bain froid prolongé, pris après un exercice violent, peut donner lieu à des accidents plus ou moins graves; mais il est certain qu'une affusion, une immersion, ou une douche de 2 à 5 minutes après un bain russe, après une sudation provoquée par les procédés de Priessnitz ou par celui que j'ai indiqué, est exempte de tous dangers, et qu'elle présente, au contraire, des avantages précieux. «L'eau froide, ai-je dit
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ailleurs, termine brusquement la transpiration, délivre les malades de la Chaleur incommode qu'ils ressentent, en leur faisant éprouver une sensation agréable; elle les met à l'abri des accidents qui pourraient résulter du contact de l'air froid ; enfin elle exerce une action tonique, locale et générale, extrêmement favorable. C'est grâce au bain froid qu'il est permis de soumettre les malades à des transpirations aussi fréquentes et aussi abondantes, sans les épuiser, sans débiliter le système musculaire ; c'est grâce, à lui que la peau supporte impunément une semblable suractivité de ses fonctions perspiratoires. C'est en associant le bain froid à la sudation que Priessnitz a véritablement transformé la médication sudorifique, et qu'il a rendu à la thérapeutique un service dont l'importance sera appréciée par tous les praticiens qui voudront bien expérimenter cette méthode» (1).
Maintenant, que nous avons fait connaître le procédé que nous mettons en usage pour provoquer la sudation , voyons quelles sont les médications auxquelles celle-ci répond.
L'abus des transpirations peut avoir de sérieux inconvénients, et il est aisé de le comprendre : tantôt la peau, soumise à une excitation trop énergique ou trop prolongée, s'irrite, s'enflamme, et l'on voit se développer une affection cutanée, qui, loin d'être une crise heureuse, est une complication, un accident plus ou moins grave ; tantôt une action débilitante locale est exercée sur l'enveloppe cutanée : celle-ci perd son ressort,' sa. vitalité ; elle est comme macérée, et de même que la corde perd, son élasticité pour avoir été trop tendue, la faculté perspiratoire de la peau s'affaiblit ou se perd pouf avoir été trop exaltée; d'autres fois enfin, et plus fréquemment, c'est par son action spoliatrice, c'est par les pertes trop abondantes qu'elle provoque, que la sudation devient nuisible ; elle amène l'amai(1)
l'amai(1) Fleury, Recherches et observations sur les effets et l'opportunité des divers modificateurs dits hydrothèràpiques, in Arch. gén, de méd., t. XVIII, p. 280; 1848.
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grissement et un affaiblissement général qui fait de rapides progrès, si l'on n'en fait pojnt disparaître la cause. Nous avons vu plusieurs malades qui s'étaient fort mal trouvés des transpirations excessives auxquelles ils avaient été soumis dans certains établissements hydrothérapiques.
Ce n'est que pour répondre à des indications très-précises qu'il faut avoir recours à la sudation, et ce n'est qu'en l'appliquant avec intelligence et réserve qu'on peut en retirer des avantages; mais, dans certaines limites, elle constitue un modificateur très-énergique et extrêmement précieux, modificateur que les médecins négligent beaucoup trop, probablement parce, qu'ils n'ont pas suffisamment étudié les divers moyens à l'aide desquels on peut le mettre en action.
Indépendamment de l'action révulsive exercée, par le calorique, la sudation peut être employée comme simple sudorifique, comme spoliatif, et enfin comme dépuratif. A ces trois titres différents, elle rendra d'importants services au praticien, et Priessnitz aura bien mérité de la thérapeutique en mettant en lumière la puissance et l'efficacité, non suffisamment appréciées, de ce modificateur; en agrandissant de beaucoup le cercle de ses applications; en substituant le calorique aux, médicaments dits sudorifiques ; en faisant des applications froides consécutives une règle générale; en un mot, en méthodisant l'emploi d'un agent qui jusqu'alors n'avait été qu'irrégulièrement appliqué.
C'est surtout l'effet dépuratif qui a été mis en jeu par l'hydrothérapie, et c'est à lui que cette médication doit un grand nombre de ses guérisons les plus remarquables ; elle l'obtient principalement par les sudations forcées, mais aussi par l'exercice et par l'administration, à l'intérieur, de l'eau à Hautes doses, laquelle produit la sudation non-seulement par ellemême, mais encore par l'exercice obligatoire dont elle est suivie. C'est bien certainement de cette manière qu'il faut expliquer, dans la plupart des cas, les bons effets que Priessnitz a retirés de l'administration interne de l'eau froide.
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Mais, si la sudation est appelée à jouer, en médecine pratique, un rôle beaucoup plus important que celui qui lui a été attribué jusqu'à présent, il ne s'ensuit pas qu'il faille, à l'exemple de l'hydrothérapie empirique, généraliser son emploi; elle est parfois nuisible, plus souvent inutile, et nous n'y avons pas eu recours dans lé traitement hydriatrique de la fièvre intermittente , de l'ankylose, de la chlorose, et de plusieurs autres maladies que nous avons pu guérir par l'usage exclusif des douches froides. Elle rendra, au contraire, d'importants services toutes les fois qu'il s'agira de rétablir les fonctions abolies ou perverties de la peau, toutes les fois que celle-ci est sèche, aride, rugueuse, ainsi que cela a lieu dans l'anémie, le diabète, la plupart des congestions sanguines chroniques, les maladies ayant eu une longue durée ; elle sera non moins utile dans tous les cas ou la médecine indique l'usage des sudorifiqùes et des dépuratifs.
5° De l'eau froide à l'extérieur.
J'ai dit ailleurs :« L'eau froide appliquée à l'extérieur est, à proprement parler, la base de la médication hydrothérapique. Cet agent, le plus actif de tous, est le seul dont l'emploi puisse être généralisé ; seul, il peut être rationnellement appliqué à tous les cas embrassés par l'empirisme de Priessnitz. »
Lès détails dans lesquels nous venons d'entrer, à propos des divers modificateurs mis en usage par l'hydrothérapie, justifient pleinement cette proposition, et montrent toute l'importance de la tâche qu'il me reste à remplir.
L'eau froide appliquée à l'extérieur n'a que deux modes d'action possibles; tous deux puissants, mais très-différents l'un de l'autre, où pour mieux dire entièrement opposés l'un à l'autre: l'un simple, l'autre complexe; l'un n'agissant que dans un seul sens nettement déterminé, quoique donnant naissance à trois médications; l'autre ayant des influences multi-
134 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
ples, s'exerçant sur là plupart des fonctions de l'économie, et se décomposant par conséquent en un plus grand nombre encore de médications différentes ; l'un représentant l'effet réfrigérant, sédatif, antiphlogistique, astringent, de l'eau froide ; l'autre représentant son effet excitant.
Nous étudierons, dans deux paragraphes distincts, ces deux modes d'action de l'eau froide, et nous exposerons successivement lé procédé d'application et les effets physiologiques,
A. De l'action réfrigérante, sédative, antiphlogistique, des applications extérieures d'eau froide.
C'est uniquement par sa basse température, à titré de corps réfrigérant, de corps froid, que l'eau doit agir ici. Pour obtenir l'effet désiré, il est indispensable que le modificateur soit très-méthodiquement appliqué, et c'est pour avoir méconnu ou négligé certaines conditions, futiles en apparence, mais eu réalité d'une importance décisive; c'est pour avoir reculé devant les difficultés, les soins, l'attention, le temps que réclame l'emploi du froid, que beaucoup d'expérimentateurs en ont nié la puissance et l'efficacité ; que beaucoup d'autres l'ont accusé d'être un moyen dangereux, et qu'enfin la médecine pratique a presque complétement abandonné l'un des agents les plus énergiques et les plus utiles que la nature ait mis à sa disposition.
Procédé opératoire, modus faciendi. — La température du modificateur doit, en premier lieu, fixer l'attention du praticien ; si elle est trop basse, elle peut produire des accidente graves, et l'on a vu l'emploi continu de la glace amener la congélation, la gangrène des parties avec lesquelles on l'avait mise en contact. Au-dessous de 10° c, l'eau produit, dans l'état physiologique, des douleurs vives, qui obligent à en suspendre l'application fréquemment, à de courts intervalles, pendant lesquels s'établit une réaction plus ou moins forte, qu'il est indispensable d'éviter.
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Toutes choses égales d'ailleurs, la réaction est d'aulant plus prompte et plus énergique, que l'eau est descendue plus bas au-dessous d'un certain degré, que la température atmosphérique est plus élevée, et que le système musculaire est plus en mouvement. J'ai fait sur moi-même de nombreuses expériences que je rapporterai plus loin, et qui justifieront ces propositions , lesquelles ne sont point d'ailleurs spéciales aux applications froides locales et à la température partielle appartenant à telle ou telle partie du corps ; elles s'appliquent également aux bains généraux et à la température générale du corps, ainsi que le prouveront encore des expériences répétées un grand nombre de fois sur moi-même, et sur plusieurs malades qui ont bien voulu s'y prêter, et parmi lesquels je citerai M. de S..., ingénieur en chef des mines, mon excellent ami M, le Dr Chapel, de Saint-Malo, Mme M..., dont je rapporterai bientôt in extenso la curieuse observation.
En général, la température de l'eau, dans l'état morbide, doit varier entre + 5° et + 15° e; mais on conçoit qu'il est à cet égard une foule de circonstances dont le médecin doit tenir compte. Ainsi la température est différente suivant que l'application est générale ou partielle, suivant la partie du corps sur laquelle on agit, suivant la maladie que l'on veut combattre, suivant que la lésion est superficielle ou profonde, suivant la constitution,Tidiosyncrasie, la sensibilité du sujet. Nous ayons vu Fröhlich établir un rapport rigoureux entre la température de l'eau et celle du corps, et faire osciller la première entre 32° et 2° c., suivant que la seconde est comprise entre 37° ou 44° c. L'étude de ce rapport serait fort importante à poursuivre le thermomètre à la main; malheureusement il m'a été impossible de le faire, parce que les malades soumis à mon observation étaient atteints non d'affections aiguës, élevant à divers degrés la température du corps, mais d'affections chroniques, qui ne font subir aucune modification à la température animale. Tout ce qu'il m'est permis d'établir en règle, c'est que la température de l'eau doit être d'autant plus basse que le sujet est plus
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robuste, que la phlogose, la phlegmasie, est plus profondes plus intense, que les douleurs sont plus vives; c'est que l'application froide doit procurer au malade une sensation de bien-être, de soulagement, de réfrigération, et pouvoir être supportée pendant un certain temps sans provoquer de la douleur ou exaspérer celle qui existe.
En commençant l'application, on peut faire usage d'une eau dont la température est relativement trop élevée ; on abaisse alors celle-ci graduellement jusqu'à ce que l'on soit arrivé au degré voulu, et alors il faut, autant que possible, que la température reste constamment la même jusque vers la fin de l'opération , où l'on peut de nouveau ramener graduellement la température au degré initial, afin d'éviter la réaction consécutive.
La forme de l'application a une importance capitale , et à cet égard l'on, a souvent transgressé les conditions les plus indispensables au succès; comme il s'agit ici d'obtenir de l'eau froide un effets sédatif, antiphlogistique, il est évident qu'il faut éloigner toutes les causes d'excitation, de stimulation, de réaction, qui peuvent résulter du mode d'application du modificateur, et spécialement de la percussion, du frottement, etc. L'immersion, le bain, est en général la forme la plus favorable, et l'on doit y recourir toutes les fois qu'elle est possible, et qu'elle n'entraîne pas des inconvénients fâcheux. L'affusion se présente ensuite; mais , pour qu'elle remplisse les conditions voulues,; il faut que l'eau ne soit point très-divisée, qu'elle s'échappe en nappe du vase qui la contient, et qu'elle baigne doucement la partie malade sans la frapper. A ce point de vue, le système des irrigations nous parait défectueux; l'eau y est trop divisée, et l'élévation à laquelle on place, en général, le réservoir lui donne une force d'impulsion, de projection, trop considérable; c'est par la réunion de ces deux circonstances, jointes quelquefois à une température trop basse du liquidé et à une application trop prolongée, qu'il faut expliquer les doueurs, l'excitation, que quelques observateurs ont vues se pro-
DE L'EAU FROIDE A L'EXTÉRIEUR. 137
duire sous l'influence des irrigations, auxquelles nous pensons qu'il faudrait substituer, suivant les cas, les affusions ou les immersions.
L'enveloppement, les compresses, peuvent aussi être mis en usage ; mais il faut que le linge mouillé n'exerce sur la partie malade aucune constriction, aucun frottement ; qu'il ne l'entoure pas hermétiquement, pour que l'air puisse circuler entre eux, et enfin qu'il soit fréquemment renouvelé ; l'extrême rapidité avec laquelle il se réchauffe fait que son emploi exige beaucoup d'attention et de soins; il suffit en effet de quelques minutes de retard dans le renouvellement de l'application pour que le linge mouillé, devenu chaud, provoque la réaction, et par conséquent produise un effet diamétralement opposé à celui que l'on veut obtenir.
Les appareils imaginés par M. le Dr Fourcault, et construits avec les tissus préparés par M. Gariel, pourront rendre d'utiles services ; ils permettent soit de maintenir constamment l'application à la même température, soit de modifier graduellement celle-ci avec une rigoureuse précision; ils évitent l'humidité générale qu'amène toujours l'usage des linges mouillés, et nous pensons qu'ils pourront être substitués avec grand avantage aux compresses et aux vessies remplies de glace pilée, dans la plupart des applications partielles de la méthode réfrigérante (applications céphaliques, thoraciques, abdominales , articulaires, vaginales, etc. ).
La continuité et la durée de l'application froide demandent une attention toute particulière, et beaucoup de discernement. Si l'application est trop longue, trop continue, elle peut macérer les tissus, y éteindre toute vitalité, toute puissance de réaction, produire une espèce de scorbut local, empêcher le développement d'une suppuration nécessaire, et M. Malgaigne a raison de préférer les irrigations intermittentes aux irrigations absolument continues ; mais, si l'application est trop courte, trop souvent interrompue, elle peut ne pas modérer suffisamment la phlogose, l'inflammation, ou même les exas-
138 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
pérer, en raison de la réaction ou des alternatives de sédation et de réaction qu'elle provoque.
Il faut établir, en règle générale, que l'application doit être continuée sans interruption jusqu'à ce qu'elle ait produit une sédation suffisante, se traduisant par l'abaissement de la température de la partie malade, par la disparition de la douleur, de la fièvre générale ou locale, des principaux symptômes morbides, en un mot; lorsque cet effet a été obtenu, l'application peut être suspendue, mais à la condition d'être immédiatement reprise à la première réapparition des phénomènes pathologiques, au premier signe de réaction, ou mieux encore avant cette époqne. Dans ces limites, il est aisé de comprendre que la continuité et la durée des applications froides varient dans chaque cas pathologique suivant la nature, le siège, l'intensité de la lésion ; et que c'est au médecin qu'il appartient d'en fixer les conditions, en se conformant scrupuleusement aux principes que nous venons d'établir: ainsi, lorsqu'il s'agit de calmer l'état fébrile, l'éréthisme général qui accompagne la fièvre typhoïde, la scarlatine, le rhumatisme aigu , etc., la durée de l'immersion ne dépasse guère quinze minutes, tandis que dans un cas de brûlure, par exemple, elle peut être de six, douze, et même dix-huit heures. Entre ces deux points extrêmes, on conçoit qu'il existe une foule de degrés intermédiaires.
Quant à la durée totale du traitement, elle est également très-variable, et peut osciller entre quelques heures et plusieurs semaines; mais ici encore, il faut se rappeler que l'emploi du réfrigérant ne doit jamais être définitivement abandonné avant que le malade ne soit complètement mis à l'abri des accidents qu'on a voulu éviter où combattre.
On voit qu'il est impossible de ramener à une formule, à un procédé opératoire invariable, l'usage de l'eau froide, employée comme agent de la médication réfrigérante ; que les conditions d'application sont entièrement abandonnées à l'appréciation et à la sagacité du médecin, que les effets sont modifiés dans des li-
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mites très-étendues, et même du tout au tout, par une multitude de circonstances très-futiles en apparence; qu'il est peu de méthode thérapeutique qui exige autant d'instruction, d'habileté, de tact, et de soins. On comprend dès lors qu'une foule d'erreurs, de fautes, ont dû être commises par des hommes inexpérimentés ou inintelligents, et que c'est à elles, beaucoup plus qu'au modificateur lui-même, qu'il faut rattacher le petit nombre d'insuccès, d'accidents, qui ont été signalés. On comprend aussi que c'est aux difficultés et aux labeurs qui entourent la médication réfrigérante, qu'il faut attribuer le dédain, l'abandon , auxquels l'ont condamnée, sans l'avoir jamais expérimentée , tant de médecins d'ailleurs honorables et instruits.
Effets physiologiques.— Il résulte des expériences de M. Poiseuille que, sous l'influence du froid de la glace, le mouvement des globules diminue et s'arrête dans les vaisseaux de la partie soumise à l'action du réfrigérant, le volume de ces vaisseaux n'éprouvant d'ailleurs aucune diminution ; que l'influence du froid appliqué à une partie du corps se fait sentir sur tout le système circulatoire, mais à un degré beaucoup plus faible.
« Chez les mammifères, dit M. Poiseuille, quand le contact de la glace a été prolongé pendant 6 à 8', quelquefois moins, le nombre des capillaires où la circulation s'arrête est si considérable, qu'il faut attendre un très-long temps avant qu'elle ne se rétablisse en l'absence de la glace, et souvent le repos persiste dans les capillaires jusqu'à la mort de l'animal. La vitesse du sang, dans les capillaires d'une partie du corps, est éminemment influencée par la température de cette partie ; elle tend à diminuer et finit par s'arrêter dans les points soumis incessamment à une température de 0,1, 2, 6° c.; par le séjour prolongé d'une portion du corps dans un milieu froid, toute la masse du sang éprouve un abaissement de température. La circulation des capillaires des autres points, du corps devient aussi plus difficile et s'effectue avec plus de lenteur.
« Comme , dans toutes ces expériences, les vaisseaux capillaires n'ont pas changé sensiblement de volume, comme leur
140 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
diamètre est resté constant, quelque soit le degré indiqué par le thermomètre, nous pensons qu'on doit attribuer le repos des globules à l'augmentation, par le froid, de l'épaisseur de la couche immobile de sérum qui tapisse intérieurement ces vaisseaux» (1).
M. le Dr Herpin a étudié les effets physiologiques produits par les bains froids pris dans la rivière d'Arve, et voici les résultats généraux auxquels il est arrivé.
Refroidissement à l'extérieur qui peut descendre à 21°, 2 c.; retour lent de la chaleur ; plus lent que la sensation propre ne le fait présumer. Ainsi le thermomètre tenu dans la mail gauche marquant 34°,4 c., la main droite est plongée pendant 1' dans la rivière, dont la température est de 14° c., et alors le thermomètre, transporté dans celle-ci ; descend à 21°,9 c, Dans une autre expérience, la main ayant été plongée dans l'eau pendant 1', et le thermomètre y ayant été placé ensuite, on le voit d'abord descendre à 21°,2, puis, au bout de six minutes employées à une marche rapide, il monte à 22°,5, après 9' à 23°, 7, et enfin après 15 il ne s'élève qu'à 28°, 7.
Dans l'éau, décoloration de la peau, promptement suivie a la sortie, chez le plus gfand nombre, d'une rougeur qui coïncide avec une diminution notable de la circulation dans les veines superficielles et la couleur bleuâtre des muqueuses.
Contraction organique du derme et des muscles.
Étât plus ou moins convulsif de la respiration, qui cesse
assez vite hors de l'eau.
Dans le bain, affaiblissement tres-marqué de la circulation
artérielle à la périphérie, sans accélération du pouls, véritable obstacle à la circulation contre lequelle coeur lutte de plus en plus; à la sortie, accélération du pouls, en général peu marquée, qui cesse au bout de quelques minutes et longtemps avait,, le rétablissement de la chaleur normale. Aussi, après l'immer(
l'immer( ) Poiseuille, Recherches sur les causes du mouvement du sang dans les vaisseaux capillaires , p. 64.
DE L'EAU FROIDE A L'EXTÉRIEUR. 141
sion dans l'Arve, dont la température est de 11°,4, le pouls radial disparaît, et les battements du coeur deviennent de plus en plus intenses, mais sans être accélérés (1). , Ces données ne manquent pas d'intérêt ; mais il faut, remarquer que M. Herpin était placé dans de fort mauvaises conditions d'expérimentation, la température de l'Arve étant trèsvariable, et le courant très-rapide compliquant le problème et ne permettant pas de séjourner dans l'eau plus de quelques minutes. Dans de telles circonstances, il était impossible d'instituer des expériences satisfaisantes et concluantes. II est évitent d'ailleurs qu'en raison de la courte durée du bain, l'action de l'eau a dû être plutôt excitatrice que sédative, bien que M. Herpin prenne soin d'établir le contraire. «Je me suis souvent servi, dit-il, du mot réaction; or le court résumé que je viens de faire des effets immédiats du bain froid me semble prouver que cette expression est ici mal appliquée. En effet, la réaction suppose qu'à une rupture d'équilibre et à un mouvement dans un sens donné, il succède un mouvement qui, dépasse, en sens opposé, l'état primitif ; or le bain d'Arve, pris dans les conditions que j'ai indiquées, est suivi presque toujours du retour immédiate l'équilibre des fonctions, et non pas d'une exagération plus ou moins égale, en sens inverse, à la dépression occasionnée par le froid.» Mais le retour immédiat à l'équilibre des fonctions est déjà une réaction, et si l'exagération en sens inverse n'a pas eu lieu, c'est tout simplement parce que l'application, du froid n'a pas euune action assez énergique ; il est facile d'ailleurs de voir que les effets thérapeutiques assignés, par M. Herpin, aux bains d'Arve, se rapportent tous à l'action excitatrice et non à l'action sédative.
M. Robert Latour, dans une note présentée à l'Institut en 1846, s'exprime de la manière, suivante:
(1) Herpin, Rech. sur les bains de rivière à basse température, etc., in Gaz. rnéd. de Paris, 1844, p. 253-255.
142 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
«Tous les phénomènes produits par l'application du froid sur le corps vivant peuvent s'expliquer, d'une manière tond physique, par la condensation qu'il produit dans les tissus et par le retard qu'il apporte à la progression du sang dans lis petits vaisseaux.
« L'augmentation de la chaleur, qu'on éprouve dans une partie soumise à l'action du froid et qui rougit, n'est pu réelle.
«L'action du froid est d'autant plus facilement et d'alitant plus longtemps supportée, qu'au moment de son application la température du corps est plus élevée.
«Il faut cesser l'application de l'eau froide aussitôt que la température du corps, préalablement élevée, est revenue à son chiffre primitif» (1).
Nous ne pouvons accepter cette dernière proposition, formulée d'une manière aussi générale. Lorsqu'on ne veut obtenir que l'effet sudorifique, spoliatif, dépuratif, et que l'eau froide n'est employée que pour mettre fin à la sudation, il n'est point nécessaire de prolonger son application au point d'abaisser la température du corps au-dessous de son chiffre primitif ; mais, lorsqu'on recherche l'effet excitant, révulsif, tonique, il est au contraire fort utile de le faire, afin dé provoquer le mouvement vital auquel est due la réaction.
M. le Dr La Corbière a consacré de nombreuses pages de son livre à l'étude des effets physiologiques du froid; mais on n'y trouve que des considérations sans intérêt, dans lesquelles les points véritablement importants de la question ne sont pas même indiqués.
Quant aux hydropathes proprement dits, qui ont donné si large carrière à leur imagination, pour attribuer à l'eau froide des influences hypothétiques ou absurdes, ils ne paraissent pas
(1) Robert Latour, du Mode d'action de la médication réfrigéranu appliquée sur toute la surface du corps, et des conditions qui en rendent l'emploi inoffensif, in Comptes rendus des séances de l'Acad. des sciences, t. XXIIl, p. 99; 1846.
DE L'EAU FROIDE A L'EXTÉRIEUR. 143
même avoir songé à en étudier les effets physiques et physiolosiques.
Dans sa thèse, publiée en 1847, M. Richet s'exprimait ainsi : «Quelle est la température de la partie soumise à l'action du froid? Chose singulière ! Jusqu'à présent personne n'a songé à la rechercher. A. Bérard pensait que la peau était en équilibre avec le moyen réfrigérant ; il avoue toutefois n'avoir fait aucune expérience, en sorte que son opinion doit être regardée comme non avenue. Quant à moi, il m'a semblé que la température de la partie soumise au froid était au-dessus de celle des moyens réfrigérants. Je regrette vivement de n'avoir pas vérité le fait à l'aide du thermomètre, mais la physique et la physiologie démontrent qu'il n'est point possible qu'il y ait équilibre de température entre les parties vivantes et les corps inertes. Qu'on se plonge dans l'eau de Seine, alors qu'elle marque +16°, notre température étant évaluée à 30 ou 32° à l'extérieur, croyez-vous que nous allons nous mettre en équilibre et baisser de 15° ? En aucune façon ; il est démontré que c'est à peine si nous perdons 2 ou 3 degrés. Mais il serait bien à désirer toutefois que quelques expériences fussent entreprises sur ce sujet intéressant, car jusqu'à présent chacun agit à sa guise et dans une ignorance parfaite du degré thermométrique le plus convenable à la réussite» (1).
Depuis que ces lignes ont été écrites, des expériences, faites par M. Magendie sur des animaux, ont jeté une vive lumière sur les questions soulevées par M. Richet.
En plongeant des lapins et des chiens dans des mélanges réfrigérants à la température de 0° à +2°, M. Magendie a vu la température animale baisser de 3 et 4° au bout de 10 minutes, de 69 après 15, de 7° après 20', et enfin la mort arriver au bout de 40, la température du corps ayant perdu 20°, c'està-dire la moitié de son chiffre primitif et physiologique. «M. Magendie a établi, en outre, que la température d'un ani(1)
ani(1) thèse citée.
144 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
mal plongé dans un milieu réfrigérant baisse encore pendant quelque temps après qu'il a été soustrait au milieu froid dans lequel il avait commencé à se refroidir. Ainsi un chien, ayant 40°,6 de température normale, est placé dans un mélange réfrigérant à 0° et retiré au bout de 10' : sa température est descendue à 37°,5; 20' après sa sortie, ayant été laissé dans le laboratoire, à une température de 12° environ, il était descendu à 29°; remis pendant 20' dans le mélange réfrigérant, il descend à 25°. Il est alors placé sur le marbre d'un poèle chauffé à 30° environ, et baisse encore, en un quart d'heure, de 2°; mais, une demi-heure après, il était remonté à 28°, et, mis dans une étuve de 55 à 60°, il était remonté, au bout d'une autre demi-heure, à 32°.
«Un tel abaissement de température, ajoute M. Magendie, peut, du reste, être atteint et même dépassé sans que la mort en résulte, pourvu toutefois que l'on prenne le soin de réchauffer l'animal et de le faire à temps ; car, abandonné à lui-même, le refroidissement augmente graduellement, et la mort est inévitable. »
Un cochon d'Inde à 39°,5 est plongé pendant 5' dans de l'eau à 6°,5; il n'offrait plus, au bout de ce temps, que 31°; abandonné alors sur la table du laboratoire, sans avoir été essuyé, à une température de 13°, il fut trouvé, au bout d'une demiheure, à 25°; au bout d'une heure, à 19° ; enfin, après 2 h. 20', à 20°,5, et il mourut peu d'instants après (1). Je n'ai pas besoin de faire ressortir l'intérêt que présentent ces belles recherches, et je montrerai plus loin qu'elles concordent parfaitement avec celles que j'ai faites sur l'homme.
M. Demarquay a étudié expérimentalement les modifications imprimées à la température des animaux par la douleur, les hémorrhagies, les ligatures des vaisseaux, les inflammations traumatiques, les étranglements internes et externes, les agents
(1) Magendie, leçons faites au Collège de France sur la chaleur animale, in l'Union médicale, t. IV, p. 187,188; 1850.
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toxiques, les lésions du système nerveux(1). Mais, si les expériences sur les animaux autorisent certaines inductions, appliquées à l'homme par analogie, elles ne sauraient néanmoins remplacer les expériences directes, qui seules peuvent conduire à des conclusions certaines. Or des observations précises, rigoureuses , sur les modifications en moins que peut subir la température animale, n'existent point dans la science.
M. Roger a montré, dans ses curieuses recherches, que dans certaines maladies, la température animale peut descendre jusqu'à + 22°, de telle sorte qu'un enfant atteint de sclérème, par exemple, devient à peu près un animal à sang froid (2).
MM. Demarquay, A. Duméril et Lecointe, ont étudié les influences exercées sur la température animale par les divers agents médicamenteux.
Mais quelles sont les influences exercées sur la température animale par les agents extérieurs doués d'une température plus ou moins basse ? Il n'est point possible de répondre à cette question d'une manière satisfaisante. A l'exception des recherches bien connues de Davy (3), des expériences de MM. Herpin et Robert Latour, que nous avons fait connaître plus haut, et qui sont loin d'être suffisantes, nous ne possédons aucun document de quelque valeur sur celte importante question.
C'est pour combler en partie cette regrettable lacune, c'est pour donner à l'hydrothérapie la base physiologique qui lui fait défaut, et sans laquelle il devient impossible de l'élever au rang des médications scientifiques et rationnelles, que j'ai entrepris et poursuivi, pendant six ans, des recherches dont je vais faire connaître les résultats généraux, en les appuyant de
(1) Demarquay, Rech. expérimentales sur la température animale ; thèse inaugurale de Paris , 1817.
(2) Roger, De la température chez les enfants à l'état physiologique et pathologique ; Paris, 1844-1845.
(3) Davy, Rech. sur la température du corps humain dans divers climats, in Annales de chim. et de physiq., t. XXII, p. 433; 1823.
10
146 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
quelques expériences propres à mettre en évidence la manière dont ils ont été obtenus.
Première expérience.
La température de l'air atmosphérique étant de +16°
La température de mon corps, prise sous la langue, étant de ■*. 38°
La température de ma main étant de + 35°,4
je plonge celle-ci pendant 30 minutes dans de l'eau dont la température est maintenue à + 15°.
Au bout de ce temps, la température générale de mon corps n'a point changé, mais celle de ma main est descendue de -f 35°,4à + 16°,5.
Laissant alors ma main exposée à l'air et dans le repos, voici les modifications successives que subit sa température.
Au bout de 10' 18°
— 30 19
— 40 20
— 55 21
— 1h10' 22
— 2 5 33
— 3 35°,4
Ce n'est donc qu'au bout de trois heures que la température de ma main, abaissée de 19° par une immersion d'une demiheure, revient à son degré primitif.
Deuxième expérience.
Température atmosphérique. 17°,6
— de mon corps sous la langue. 38
— de ma main. 35°,8
La main est plongée pendant 30' dans de l'eau dont la température est maintenue à + 15°, et au bout de ce temps sa
DE L'EAU FROIDE A L'EXTÉRIEUR. 147
température est descendue à +16°,6, la température générale étant restée à 38°.
En la laissant exposée à l'air et dans le repos, je note les modifications suivantes.
Au bout de 5' 17°,2
— 10 18
— 20 20
— 30 22°,6
— 40 24
— 55 26
— 1h10' 29°,2
— 1 40 32°,7
— 1 12 35°,8.
Ainsi une différence en plus de 1°,5 dans la température atmosphérique abrège de 48' le temps nécessaire pour ramener à son degré primitif la température de la main abaissée de 19°,2.
Troisième expérience.
Température atmosphérique. 17°
— sous la langue. 38
— de la main. 35°,7
Une immersion d'une demi-heure dans de l'eau à 15° fait descendre la température de la main à 16°,4, la température générale n'ayant pas changé.
Laissant alors la main exposée à l'air, mais faisant mouvoir énergiquement les doigts, je note les modifications suivantes :
Au bout de 5' 17°,5
— 10 19°,3
— 20 24
— 30 27°,7 — 40 29°,4
— 55 32
— 1h6' 35°,7
148 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
Ainsi, toutes choses sensiblement égales d'ailleurs, le mouvement substitué au repos abrège d'une heure six minutes, c'est-à-dire juste de moitié, le temps nécessaire pour ramener à son degré primitif la température de la main, abaissée de 19°,25.
Quatrième expérience.
Température atmosphérique. 16°,5
-— sous la langue. 38
— de la main. 35°,5
Je plonge la main dans de l'eau dont la température est maintenue à 9°; au bout de quelques minutes, la main devient trèsrouge, et une douleur fort incommode s'y fait sentir; après un quart d'heure d'immersion, la douleur devient très-pénible à supporter, et je termine l'opération. La température de la main est descendue à 12°,6.
En la laissant exposée à l'air et dans le repos, je note les modifications suivantes :
Au bout de 5' 14°,8
— 10 19,6
— 15 24,6
— 20 29,4
— 30 32,6
— 40 34
— 53 35°,5
— 1h 36
— 1 15' 36°,9
L'engourdissement et la douleur ont disparu lorsque la température de la main a eu atteint 21°; une sensation de chaleur les a remplacés, et s'est prolongée pendant deux heures environ.
On voit ici qu'avec de l'eau à 9°, un quart d'heure d'immersion suffit pour abaisser la température de la main de 35°,6 à 12°6; que la douleur provoquée par le froid oblige à suspendre
DE L'EAU FROIDE A L'EXTÉRIEUR. 149
l'opération, et que 53' suffisent alors pour ramener la main à sa température primitive ; mais le mouvement de réaction ne s'arrête pas là, et bientôt la température de la main s'élève de 1°,4 au-dessus de son chiffre primitif et physiologique.
Cinquième expérience.
Température atmosphérique. 17°
— du corps sous la langue. 38
La température de l'eau étant de 14°, je reçois une douche générale en pluie, la tête étant protégée et la bouche bien fermée, de manière que l'eau ne pénètre point dans cette cavité. La durée de la douche est de cinq minutes. La sensation de froid est très-vive, et la température du corps, prise sous la langue, est abaissée de 2°; elle est à 36°; je marche rapidement à l'air libre, et au bout de quarante minutes, la température de mon corps est revenue à son chiffre primitif.
Sixième expérience.
Température atmosphérique. 16°,5
— du corps sous la langue. 38
La température de l'eau étant de 10°, je prends une douche générale en pluie, dont la durée est de cinq minutes. La sensation de froid, très-vive au début, disparaît vers la fin de la douche ; la température du corps est à 35°,9 ; je marche à l'air libre, et au bout de dix-huit minutes, elle est revenue à son chiffre primitif.
Septième expérience.
Température atmosphérique. 17°,4
— du corps sous la langue. 38
— de l'eau. 14
Je prends une douche générale de cinq minutes, qui abaisse la température de mon corps de 2°, et je reste dans un repos
150 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
absolu; voici quelles sont, dans ces conditions, les modifications subies par la température animale :
Au bout de 16' 36°,6
— 35 36,8
— 1h20' ' 36,8
La sensation de froid devient tellement incommode, surtout en raison du frisson qui l'accompagne, que je substitue au repos une marche rapide au soleil.
Au bout de 1h 40' 37°,2
— 1 50 37,6
— 2 12 38
Les résultats sont absolument les mêmes lorsque la température du corps a été préalablement élevée par un séjour plus ou moins prolongé dans l'étuve sèche ; les chiffres suivants vont le prouver.
Huitième expérience.
Température atmosphérique. 15°.
— du corps. 37,8
— de l'eau. 14
Quarante minutes de séjour dans l'étuve sèche portent la température du corps à 39°,7 ; une douche générale de quatre minutes la fait descendre à 36°; une demi-heure d'exercice, de marche, la ramène à son chiffre primitif (37°,8).
Neuvième expérience.
Température atmosphérique. 15°,6
— du corps. 38
— de l'eau. 14
Trente-cinq minutes de séjour dans l'étuve portent la température animale à 40°, unie douche de quatre minutes la fait
DE L'EAU FROIDE A L'EXTÉRIEUR. 151
descendre à 36°,1 ; je reste après la douche dans un repos absolu, et voici ce que j'observe :
Au bout de 15' 36°,3
— 30 36,3
— 45 36,5
— 1h 36,8
— 1 30' 36,8
Je substitue la marche au repos, et alors la température s'élève plus rapidement.
1h 40' 37°, 1
1 50 37°,3
2 37,6 2 15 38
Dixième expérience.
Température atmosphérique. 15°
— animale. 37°,5
Pouls. 80 puis, par m.
Respiration. 19
Je me place dans une étuve sèche, fortement chauffée; au bout de 25 minutes:
Température animale. 39°
Pouls. 124
Respiration. 24
Je prends une douche générale de 2 minutes, la température de l'eau étant de 14°, et son effet immédiat se traduit par les chiffres suivants :
Température animale. 35°, 1
Pouls. 85
Respiration. 20
Un autre exemple confirmera ces résultats.
152 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
Onzième expérience.
Température atmosphérique. 15°,4
— animale. 36°,2 Pouls. 78 Respiration. 16
M. le Dr C..., sujet de cette expérience, est placé dans une étuve sèche fortement chauffée ; au bout d'une demi-heure : Température animale. 37° ,8
Pouls. 120
Respiration. 23
Douche générale de 2 minutes, la température de l'eau étant de 14°, et alors :
Température animale. 34°
Pouls. 80
Respiration. 18
Douzième expérience.
Température atmosphérique. 12°
— animale. 37°,2 Pouls. 72
Respiration. 16
Immersion générale dans de l'eau à 14°. Sensation de froid très-vive ; au bout de quelques minutes, elle disparait et est remplacée par une sensation de chaleur et de cuisson générales. Au bout de 10 minutes, le froid se fait de nouveau sentir, et il est accompagné d'une espèce d'engourdissement, d'insensibilité de la peau, qui fait croire que l'immersion pourrait être maintenant prolongée indéfiniment. Au bout d'une demi-heure, sensation de froid interne très-pénible. La durée totale de l'immersion est de 1 heure.
Température animale. 33°
Pouls. 64
Respiration. 16
DE L'EAU FROIDE A L'EXTÉRIEUR. 153
Un repos complet étant gardé, on constate les modifications suivantes :
Au bout de 15', frisson, claquement des dents, tempér. 32°,1
- 35, 33°,5
Pouls. 62
- 1h, température. 34°,2
Pouls. 66
- 2, température. 37° Pouls. 72
Treizième expérience.
Température atmosphérique 14°
— animale. 36°,8
Pouls. 70
Respiration. 16
Immersion générale dans de l'eau à 10°. Mêmes phénomènes que dans l'expérience précédente, mais se succédant plus rapidement. Durée totale de l'immersion, 25'.
Température animale. 33°,5
Pouls. 61
Respiration. 16
Séjour dans une chambre chauffée à 17°.
Au bout de 10', température animale. 32°,9 Pouls. 60
— 20, température. 33°,1
Pouls. 62
— 40, température. 35° Pouls. 67
— 58, température. 36",8
Pouls. 70
J'ai répété et varié ces expériences un grand nombre de fois ; les résultats ont toujours été analogues à ceux que je
154 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
viens de faire connaître, et m'autorisent à établir les propositions suivantes :
1° Une immersion partielle, suffisamment prolongée (une demi-heure) dans de l'eau modérément froide (15 à 9°)peut abaisser la température de la partie immergée, de la main par exemple, de 19 et même de 23°; de telle façon qu'il n'existe plus entre la température de la partie vivante et celle du milieu réfrigérant qu'une différence de 1°,5, au profit de la première.
2° Cet énorme abaissement de la température partielle n'exerce aucune influence appréciable sur la température générale du corps, prise sous la langue.
3° Une immersion ou une douche générales, suffisamment prolongées (25' à 1 heure), dans de l'eau modérément froide (14 à 10°), peuvent abaisser la température animale, prise sons la langue, de 4 degrés. Ce résultat est accompagné d'une sensation si pénible pour le sujet de l'expérience, qu'il ne m'a pas été possible de pousser celle-ci plus loin.
4° L'abaissement de la température générale est accompagné d'une diminution dans la fréquence du pouls ( 6 à 9 pulsations par minute), sans modification appréciable de la respiration.
5° Pendant les quelques minutes (10 à 15) qui suivent l'immersion générale, la température du. corps, quelle que soit celle de l'atmosphère ambiante, baisse encore de quelques dixièmes de degré (4 à 9 dixièmes), et ce nouvel abaissement est également accompagné d'une nouvelle diminution clans la fréquence du pouls (1 à 2 pulsations).
6° Lorsque la température animale a été préalablement élevée de 3 à 4 degrés par le séjour dans une étuve sèche, les applications extérieures d'eau froide, sous forme de douche ou d'immersion, ramènent d'abord rapidement la température et le pouls à leurs chiffres primitifs et physiologiques, et produisent ensuite des effets analogues à ceux que nous venons d'indiquer.
DE L'EAU FROIDE A L'EXTÉRIEUR. 155
7° Ces phénomènes sont suivis d'un mouvement vital, d'une réaction qui ramène plus ou moins rapidement la température animale et le pouls à leurs chiffres primitifs et physiologiques.
8° Toutes choses égales d'ailleurs, la réaction est d'autant plus prompte et plus énergique, que l'atmosphère est plus chaude, que le sujet se livre à un exercice musculaire plus violent, et que l'eau frappe les tissus avec plus de force. Une douche est suivie d'une réaction plus prompte qu'une immersion.
9° Toutes choses égales d'ailleurs, la réaction est plus prompte, après une application relativement courte, avec de l'eau plus froide, qu'après une application relativement longue avec de l'eau moins froide.
10° La puissance de réaction varie d'individu à individu, suivant un grand nombre de circonstances physiologiques et pathologiques qui se rattachent principalement à l'état de la circulation et de l'innervation générales.
Les conséquences pratiques qui découlent de ces recherches seront facilement comprises, lorsque nous aborderons l'étude thérapeutique des modificateurs hydriatriques.
B. De l'action excitante des applications extérieures d'eau froide.
Nous venons de voir l'eau agir par elle-même, en tant que corps froid, et nous avons établi que, pour obtenir l'effet désiré, il fallait que la température du liquide ne fût point trop basse, que l'eau baignât doucement la partie vivante sans la frapper, que l'application fût longtemps prolongée et à peu près continue, afin d'éviter la réaction.
Ici le problème est complétement renverse, et les conditions sont de tous points le contraire de celles qu'on vient de lire.
L'eau n'agit plus par elle-même, mais par le mouvement Vital qu'elle provoque, par la réaction dont son application
156 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
est suivie, et qu'au lieu d'éviter, il faut, au contraire, rechercher comme le but à atteindre, comme le seul agent capable de produire l'effet désiré.
Ici la réaction ne doit plus s'opérer lentement, graduellement, dans un espace de temps qui varie entre une demi-heure et plusieurs heures ; il faut qu'elle soit brusque, prompte, instantanée.
Ici il ne suffit plus qu'elle ramène la température animale abaissée par l'eau froide à son chiffre primitif ; il faut qu'elle l'élève au-dessus de ce chiffre.
Ici enfin, plus l'eau est froide, plus la force avec laquelle elle frappe les tissus est considérable, et, je dirais presque, plus la durée de l'application est courte, plus les effets que l'on recherche seront facilement et convenablement obtenus.
Température de Veau. — Au-dessus de 14°, la réaction est difficile à produire et elle n'est jamais énergique ; au-dessous de cette température, il n'est point de limites nécessaires, et j'ai souvent fait usage d'eau à 2° ou même à 0°; il faut seulement proportionner la durée de l'application à la température à liquide. Cependant on peut établir qu'une eau à 8 ou 10° présente la température la plus convenable.
On comprend qu'à moins de circonstances toutes particulières et fort rares, il est impossible d'avoir de l'eau dont la température soit constante et indépendante de la température atmosphérique. Pour donner aux douches la force de projection nécessaire, pour suffire à l'énorme consommation opérée dans un temps donné et fort court, on est obligé, dans les établissements hydrothérapiques, de construire de vastes réservoirs placés à une grande élévation au - dessus du sol; or, malgré toutes les mesures prises ad hoc, la température de l'eau, ainsi accumulée, est toujours plus ou moins modifiée par la température atmosphérique. Cette circonstance n'a aucun inconvénient au point de vue de l'efficacité du traitement ; elle oblige seulement le médecin à tenir un compte exact de la température du liquide, et à mettre en rapport avec elle
DE L'EAU FROIDE A L'EXTÉRIEUR. 157
la nature et la durée des applications hydriatriques ; elle est aussi une des raisons pour lesquelles la médication hydrothérapique est beaucoup plus efficace pendant l'hiver que pendant l'été. Quant à la sensation éprouvée par les malades, elle est à peu près la môme, que l'eau soit à 0° ou à + 8°, et le public s'exagère singulièrement les rigueurs de l'hydrothérapie. J'ai constaté maintes fois, avec le thermomètre, que des différences de plusieurs degrés ne sont point appréciées par les malades, et la plupart d'ailleurs préfèrent l'eau la plus froide, parce qu'alors la sensation première de froid est fort courte, ne dépasse point deux secondes, et est remplacée, sous la douche même, par la sensation de bien-être que fait naître une réaction énergique. Depuis six ans, un nombre considérable de malades ont traversé Bellevne ; parmi eux se sont trouvées des femmes réduites au dernier degré de l'amaigrissement et de la faiblesse, des femmes craignant l'eau froide jusqu'au ridicule; eh bien! je déclare qu'il ne s'est pas rencontré une seule personne qui, au bout de huit jours, n'ait été amenée graduellement à prendre ses douches non-seulement sans répugnance., mais encore avec plaisir. Les exagérations absurdes de Groefenberg, les procédés brutaux et non gradués de Priessnitz, les descriptions romantiques tracées par quelques écrivains, ont inspiré, à l'endroit de l'hydrothérapie, des craintes, des répugnances, des préjugés qu'il serait d'autant plus important de détruire, qu'ils ont une influence funeste en éloignant les malades d'une médication qu'ils considèrent comme si pénible, si redoutable. On épuise toutes les ressources de la thérapeutique, et souvent toutes celles du charlatanisme, avant de se confier à cette terrible hydrothérapie, et on ne lui offre ainsi que des maladies devenues incurables ou tellement graves, tellement anciennes, que de longs efforts sont nécessaires pour arriver à un résultat qu'un traitement moins tardif eût obtenu en quelques semaines.
Entre les mains d'un médecin éclairé et attentif, les applications d'eau froide ne doivent jamais devenir une cause de
158 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
douleur, de sensations très-pénibles, et il faut reconnaître qu'à Graefenberg même c'est moins l'eau froide que l'air froid qui devient, pendant l'hiver, une source de vives souffrances. C'est en ne permettant point l'usage du feu dans les chambres habitées par les malades, c'est en les obligeant à se couvrir très-légèrement pendant la nuit comme pendant le jour, à dormir les fenêtres étant ouvertes; c'est en ne leur donnant pour recevoir les douches, pour se déshabiller et se rhabiller, que des espaces à peine abrités contre les intempéries des saisons par des planches mal jointes, que Priessnitz a rendu le traitement hydrothérapique si pénible et si effrayant.
Ces errements ne sont point suivis à Bellevue, dont la devise est : EAU FROIDE, AIR CHAUD. La salle de douches, les cabinets, les appartements, sont convenablement chauffés pendant l'hiver, et il en résulte que le traitement n'est point plus pénible pendant la saison la plus rigoureuse que pendant les mois les plus chauds de l'été, et qu'il est beaucoup plus efficace. Jamais à Bellevue, M. Valleix n'entendra un malade déclarer «que pendant deux mois il n'a pu parvenir à se réchauffer un seul instant. »
Il est encore un préjugé profondément enraciné dans l'esprit du public : c'est que les applications froides les plus pénibles sont celles qui suivent la sudation. Un peu de réflexion, les notions les plus élémentaires de la physique, et par-dessus tout l'expérience, démontrent qu'il n'en est rien. En dehors du frisson fébrile et de quelques circonstances pathologiques spéciales , la sensation de froid n'est éprouvée par l'homme que lorsque la température de son corps est plus ou moins abaissée, soit partiellement, soit généralement. Or tous les procédés mis en usage pour provoquer la sudation ont pour effet d'élever plus ou moins la température animale ; la douche ramène d'abord celle-ci à son degré primitif, et si l'on s'arrête à ce moment, les sujets n'éprouvent pas la moindre sensation de froid ; si l'on continue, on abaisse la température du corps audessous de son chiffre primitif et physiologique, et alors!»
DE L'EAU FROIDE A L'EXTÉRIEUR. 159
sensation de froid se manifeste, mais elle n'est point plus pénible que d'habitude. Il est juste de dire cependant qu'elle se fait sentir pendant plus longtemps, car la réaction est moins prompte que lorsque la douche n'a pas été précédée d'une sudation.
La force de projection avec laquelle l'eau frappe les tissus est une des circonstances les plus importantes du procédé opératoire; avec des douches faibles, sans puissance, il est impossible d'obtenir une réaction satisfaisante; la percussion est un élément non moins nécessaire que le froid à la bonne action du traitement, et je ne saurais trop recommander aux praticiens de donner toute leur attention à cette condition mécanique de rhydriatrie. Les appareils dans lesquels l'eau est très-divisée, les bains de pluie, de poussière, ont, toutes choses égales d'ailleurs , une force de percussion plus considérable que les douches en nappe ou en jets volumineux, et souvent c'est à eux qu'il faut recourir pour obtenir une réaction que celles-ci ne provoquent pas d'une manière satisfaisante, surtout dans les premiers temps du traitement, et chez les sujets lymphatiques, débilités, cacochymes, etc.
La durée de l'application froide est la clef de voûte de l'édifice; sur elle, repose toute entière l'action physiologique et curalive du modificateur ; par elle celui-ci devient un agent excitant, ou bien*, au contraire, un agent hyposthénisant ; par elle l'effet produit imprime une activité salutaire à la circulation capillaire générale , ou bien, au contraire , donne naissance à une concentration du sang et à un ralentissement de la circulation. Quelques développements sont donc nécessaires icij
Nous avons dit que, dans son second mode d'application, l'eau n'agit plus directement, par elle-même, en tant que corps froid, qu'agent de réfrigération ; mais indirectement et par le mouvement vital, par la réaction que son contact provoque de la part de l'organisme. Or voici ce qui se passe à cet égard.
Lorsque, la température du corps n'ayant pas été préalablement élevée, on se place sous une douche froide, on éprouve
160 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
au contact de l'eau une sensation de froid plus ou moins vive, accompagnée d'horripilation, de chair de poule, de pâleur du tégument externe, et d'une sensation de suffocation. Au bout d'un temps qui, suivant les conditions d'âge, de tempérament, de constitution, d'idiosyncrasie, de maladie, dans lesquelles est placé le sujet, Oscille entre 5 et 40 secondes environ, tous ces phénomènes disparaissent et sont remplacés par une sensation de chaleur ; la peau rougit, la respiration devient large, facile, et si alors on arrête la douche, au bout d'une dnrée totale qui, suivant les circonstances énumérées plus haut, oscille entre 30 secondes et 3 ou 4 minutes, ce mouvement de réaction se continue, la température animale s'élève au-dessus de son chiffre primitif, la circulation capillaire périphérique devient très-active, toutes les fonctions s'accomplissent avec plus de facilité, d'énergie; et l'on ressent un bien-être, une force, une liberté de mouvement, une agilité, une souplesse extrêmement remarquables.
Si, au lieu d'interrompre la douche au moment que nous avons indiqué, on la continue , le mouvement de réaction qui avait commencé à se manifester avorte et disparaît ; une seconde sensation de froid se produit, et celle-ci ne cesse plus; elle augmente au contraire graduellement, en raison directe de la durée de l'application froide; lorsqu'elle est devenue trop forte pour pouvoir être supportée plus longtemps, on constate que la peau est blafarde, la respiration gênée ; les lèvres sont violacées; au lieu de se porter vers la périphérie, le sang congestionne les organes profonds, et principalement le coeur, les poumons, le foie et la rate ; le sujet éprouve de l'oppression, un froid interne très-violent, très-pénible, un frisson intense accompagné d'horripilation, de claquement des dents, un malaise insupportable; et ces phénomènes se prolongent pendant deux, quatre, six, huit ou dix heures.
Pour faire comprendre maintenant toute l'importance qui se rattache à la durée de la douche, il me suffira de dire que quelques secondes de plus ou de moins ont pour résultat le
DE L'EAU FROIDE A L'EXTÉRIEUR. 161
premier ou le second des deux effets que je viens de décrire. Or la seule règle générale qu'on puisse établir est celle-ci : il faut que la durée de la douche soit proportionnelle à la puissance de réaction de chaque sujet. Mais cette puissance varie d'individu à individu , suivant une foule de circonstances physiologiques et pathologiques que nous avons déjà énumérées; elle se modifie chez le même individu aux différentes époques du traitement, et, comme M. Requin, qui, dans une spirituelle argumentation, se plaignait de ne point avoir un spécificomètre à sa disposition, nous dirons qu'il n'existe malheureusement pas de réactionomètre. Nous avons indiqué les limites extrêmes entre lesquelles peut osciller la durée de l'application froide, mais le médecin peut seul déterminer quel est celui des nombreux intermédiaires qui convient à chaque sujet. Un très-petit nombre de malades, parmi les plus intelligents, se rend un compte exact des phénomènes produits, et sait faire arrêter la douche au moment opportun ; l'immense majorité, au contraire, est convaincue que la douche est d'autant plus efficace qu'elle est plus prolongée, et ce n'est que par de longs et persévérants efforts que le médecin parvient à détruire cette opinion préconçue. « A Graefenberg, dit M. Schedel, le traitement se trouvant pour ainsi dire entre les mains des malades eux-mêmes, ils sont d'autant plus tentés d'en abuser, qu'ils entendent toujours répéter que la condition sine qua non de tout bon traitement hydriatrique est l'expulsion des humeurs peccantes. Dès lors ils ne rêvent que procédés violents et les exagèrent à plaisir. » A Bellevue, où ces doctrines n'ont point cours, les mêmes errements seraient suivis, si l'application des procédés hydriatriques était abandonnée aux caprices des malades et à l'insuffisance des gens de service. Un homme d'instruction et de sens me disait, il y a peu de jours, en me recommandant sa femme : « J'espère, mon cher docteur, que vous allez la traiter consciencieusement, et lui donner des douches bien longues!» Telle est l'histoire de tous les malades. Déterminer la durée de chaque douche, est, pour le médecin
II
162 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
lui-même, une oeuvre très-difficile, qui exige beaucoup d'habitude , de tact, d'attention, car il n'a pour se guider a priori que les données que lui fournissent son coup d'oeil et les légères modifications subies, à la naissance de la réaction, par la peau, l'attitude et la respiration du sujet placé sous la douche, Malgré une longue expérience, malgré le soin extrême que j'y apporte, il m'arrive encore de dépasser les limites voulues et de n'en être averti que par des phénomènes consécutifs attribués souvent par les malades au traitement lui-même, tandis qu'ils ne sont dus qu'à une durée trop prolongée de l'application froide. On comprend d'ailleurs que pour le malade, et même pour le médecin, il soit difficile de se persuader qu'une douche de cinq ou six secondes- constitue un traitement énergique, efficace, dont la puissance est due précisément à cette durée si courte. !
Cinq ou six secondes! voilà, en effet, dans beaucoup de cas, la durée que doit avoir la douche au début, et parfois pendant plusieurs semaines; et ce n'est encore que très-graduellement, et pour ainsi dire seconde par seconde, qu'on atteint le maximum de 3 à 4 minutes, qu'il est rarement utile de dépasser.
Les premières douches causent ordinairement une impression très-vive; souvent elles déterminent une suffocation véritablement effrayante, des palpitations très-énergiques, et une douleur intense dans les parties postérieures de la tête et du cou ; il faut toute l'autorité du médecin pour obtenir des malades qu'ils reçoivent la douche pendant quelques secondes sans fuir, sans se soustraire à l'action de l'eau. On aurait tort toutefois de s'effrayer de ce début malheureux ; lorsque le traitement est dirigé avec intelligence, qu'il est convenablement gradué, on voit au bout de quelques jours les malades non-seulement supporter les douches sans accidents et sans répugnance, mais encore les réclamer avec instance et les recevoir avec plaisir. J'ai vu la première douche produire chez certains sujets des effets tels, qu'il semblait impossible que le traitement pût être continué; le troisième jour, la douche était reçue avec plaisir et
DE L'EAU FROIDE A L'EXTÉRIEUR. 103
suivie d'une sensation de bien-être très-prononcée. Ces phénomènes se rattachent quelquefois à une lésion organique, à une maladie du coeur ou du poumon; mais ordinairement ils en sont indépendants, et se rencontrent chez les sujets doués d'une grande susceptibilité nerveuse, ayant une vive appréhension de la douche ; et la preuve qu'ils ne se lient, dans ce cas, ni à une lésion organique, ni à l'action physique du modificateur, c'est qu'ils disparaissent dès le troisième ou le quatrième jour.
Sans parler dès applications locales d'eau froide, qui répondent à des indications spéciales et qui se pratiquent sous forme de feins de siège, de pieds, de mains, à eau courante ou dormante; de douches ascendantes,, d'injections rectales ou vaginales; de douches mobiles, en jet, en pluie ou en poussière, etc. etc., il est plusieurs modes d'application générale, et le choix n'est pas indifférent.
Souvent la douche n'est point tolérée d'emblée ; il faut y préparer le malade par des affusions, des lotions, des frictions en drap mouillé, des immersions. Chez les femmes très-nerveuses, les douches dans lesquelles l'eau est très-divisée (douche en pluie, en poussière, etc.) sont ordinairement trop excitantes au début du traitement; elles augmentent l'agitation, l'irritabilité nerveuse, et je les ai vues provoquer des attaques hystériformes ; il faut donc en commençant avoir recours aux immersions dans le bassin ou aux douches en nappe, en ayant soin de diriger celles-ci d'abord sur la poitrine, afin de prévenir ou de diminuer la suffocation. Ce n'est souvent qu'au bout de deux ou trois mois qu'on peut employer avec avantage lés douches dans lesquelles l'eau subit une grande division et présente une grande force de percussion. La forme de l'application doit d'ailleurs être modifiée suivant une foule d'indications quotidiennes qu'il est impossible d'énumérer, et dont l'appréciation est subordonnée à la sagacité et à l'expérience du médecin.
Des détails dans lesquels nous venons d'entrer, le lecteur aura déjà tiré une conclusion : c'est que l'application des pro-
164 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
cédés hydrothérapiques exige non-seulement une direction médicale de tous les instants, mais encore l'intervention d'un médecin instruit, intelligent, attentif, consciencieux. Et en effet, il n'est pas de médicament plus difficile à manier, il n'est pas d'opération qui exige plus d'attention, plus de tact médical. «Mais peut-être , dit M. Schedel, objectera-t-on que Priessnitz reconnaît parfaitement bien, sans autres lumières que son habitude de voir, quand il convient d'appliquer le remède avec énergie, et quand il convient de s'en abstenir. Je répondrai que, tout en admettant sa grande expérience, comme j'ai vu mourir des malades entre ses mains, par suite du traitement qu'il avait lui-même prescrit, je me crois fondé à soutenir que l'expérience empirique ne suffît pas, et que l'inspiration ne peut remplacer les connaissances anatomiques, physiologiques et médicales, quand il s'agit d'appliquer l'hydrothérapie d'après des règles qui laisseront peu au hasard » (1).
Faire de l'hydrothérapie une formule à peu près invariable, en abandonner l'application aux caprices , aux. préjugés, aux systèmes préconçus des malades, à l'inintelligence et à la vénalité des baigneurs et des baigneuses, dont l'autorité est d'ailleurs constamment méconnue, serait a fortiori transformer une médication scientifique et rationnelle en un traitement aveugle et empirique; exposer les malades à des accidents plus ou moins graves ; se préparer des déceptions, des insuccès, des désagréments de toute nature ; substituer, surtout dans un établissement qui réunit un grand nombre de personnes, le désordre et l'anarchie à la méthode, à la régularité, à la docilité qu'exige tout traitement médical sérieux.
Beaucoup de malades, lorsqu'ils ne sont pas, au début, encouragés, soutenus, contraints moralement par la présence, les conseils, l'autorité du médecin, renoncent, dès les premières applications, à un traitement qui les eut guéris s'il eût été suivi
(1) Schedel, ouvr. cité, p, 538.
DE L'EAU FROIDE A L'EXTÉRIEUR. 165
avec méthode et persévérance ; beaucoup d'autres se plaignent souvent que le traitement leur fait éprouver tels ou tels effets fâcheux. Comment le médecin pourra-t-il prévenir ou combattre ces accidents s'il n'en a pas lui-même découvert et apprécié la cause, s'il ne doit pas appliquer lui-même le remède ?
Depuis six ans, je me suis imposé le devoir pénible, fatigant, tyrannique, de doucher moi-même tous les malades traités à Bellevue, et je lui ai fait de nombreux sacrifices de patience, de temps, de relations sociales; on doit comprendre par conséquent que j'ai dû le considérer comme impérieusement dicté par l'intérêt des malades et par les exigences de la médication.
C'est, en effet, à l'accomplissement de cette obligation volontaire que je dois d'avoir pu élever l'hydrothérapie à la hauteur d'une médication scientifique et raisonnée, de n'avoir eu aucun accident à déplorer, d'avoir compté presque autant de succès que de malades.
Ici toutefois se place une question que je veux aborder nettement ; car elle a été l'objet d'appréciations très-diverses inspirées, les unes , par des scrupules fort respectables, les autres, par l'envie, la médisance, la calomnie, et beaucoup d'autres sentiments non moins honteux, qui, je le dis à regret, ont trouvé de l'écho auprès de certains hommes que leur haute position scientifique aurait dû rendre plus réservés , plus circonspects et moins téméraires dans leurs jugements.
«L'application des procédés hydrothérapiques, dit M. Schedel, doit se faire avec une extrême précision et une grande exactitude; or à quelles mains en confier l'exécution? Le médecin ne doit pas se contenter de prescrire, il doit agir ; mais la difficulté devient grande lorsqu'il s'agit d'une personne du sexe.»
Cette difficulté m'a sérieusement préoccupé, et j'ai fait maintes tentatives pour arriver à la meilleure des solutions. Beaucoup plus que les hommes, les femmes sont portées à
166 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
abuser des procédés hydrothérapiques ; à tomber dans les exagérations , les excentricités; plus que ceux-là encore, elles sont imbues de préjugés, d'opinions préconçues, de systèmes médicaux très-arrêtés dans leur esprit. Abandonner le traitement à leur libre arbitre est donc chose complètement impossible ; mais, beaucoup plus encore que les hommes, elles sont impérieuses et indociles ; elles ne tiennent ordinairement aucun compte des conseils, des avertissements des baigneuses, elles se révoltent contre leur autorité, et combien de fois cellesci ne sont-elles pas venues réclamer mon intervention pour avoir raison de malades qui, transgressant les recommandations que je leur avais faites moi-même, ouvraient de vive force les divers appareils et prétendaient se doucher à leur guise. A vrai dire, quelques hommes tombent dans les mêmes fautes, et je me souviens de l'insistance avec laquelle, au nom de sa dignité blessée, un Anglais, qui, pendant mon absence, avait voulu s'administrer une puissante et longue douche sur la colonne vertébrale, réclamait, du directeur de l'établissement de Bellevue, le renvoi d'un baigneur, lequel, voyant qu'une lutte corps à corps pourrait seule faire prévaloir son autorité, avait eu l'idée d'aller fermer, en dehors de la salle de douches, le conduit général des eaux ; ingénieuse espièglerie qui avait laissé mon Anglais à sec, au milieu de sa débauche hydropathique.
Parlerai-je des difficultés qui se présentent, dans l'application des procédés hydrothérapiques pendant l'époque menstruelle? des préjugés qu'il faut vaincre clans cette circonstance ? de l'importance qu'il y a à ce que les choses se passent méthodiquement, régulièrement, rationnellement, pendant la durée de ce traitement, souvent impérieusement exigé par la nature de la maladie? Ici la présence, l'autorité du médecin, sont à peine suffisantes ! Des considérations non moins graves, non moins concluantes, ne se présentent-elles pas dans une foule d'autres cas?
N'ai-jé pas été dans l'obligation de refuser mes soins à une
DE L'EAU FROIDE A L'EXTÉRIEUR. 167
dame appartenant aux classes les plus élevées de la société, parce que , sous prétexte de faiblesse de poitrine , elle ne voulait combattre une affection utérine que par des douches locales dirigées exclusivement sur le bassin, c'est-à-dire par les procédés les plus propres à congestionner les poumons et à exercer une influence fâcheuse sur les organes thoraciques. Aucun raisonnement ne put vaincre une obstination appuyée sur des idées médicales aussi absurdes que profondément enracinées, et cette dame , ayant consulté ultérieurement M. Velpeau, ne craignit pas de transformer mon refus en une résistance de sa pudeur offensée!
Pour obvier à tous ces inconvénients, à tous ces dangers; pour répondre à toutes ces indications, à toutes ces exigences impérieuses, suffira-t-il que le médecin se place, comme l'a vu faire M. Schedel, derrière une porte ou un paravent, et que de cette cachette il préside au traitement et en dirige les applications? L'expédient est aussi insuffisant qu'il est peu convenable; il ne sera accepté par aucun médecin consciencieux ayant quelque respect pour lui-même. Il est des femmes dont l'état général est tellement grave au début du traitement, que la nécessité d'une intervention médicale directe ne saurait faire l'objet d'un doute ; il en est d'autres pour lesquelles cette nécessité n'est pas moins évidente, bien qu'il ne s'agisse que d'indications locales. Est-ce une baigneuse qu'on chargera de doucher le foie, la rate, un muscle, une articulation profondément altérée par une tumeur blanche, rendue immobile par une ankylose ? Est-ce une baigneuse qui pourra administrer, pendant l'époque menstruelle, les douches destinées à prévenir ou à combattre une métrorrhagie? Or croit-on qu'il soit possible au médecin, dans un grand établissement, de doucher lui-même certaines malades, et de s'abstenir quant à certaines autres? Croit-on qu'il pourrait faire comprendre et admettre les motifs qui le dirigeraient dans son choix ? Il est des nécessités qu'on ne subit qu'autant qu'elles Pcsent également sur tout le monde ; pas une malade; quelque
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gravement atteinte qu'elle fût, ne consentirait à se laisser doucher, si d'autres étaient autorisées à se soustraire à cette obligation. Une règle uniforme et strictement appliquée est le seul moyen de faire régner l'ordre; dans cette république démocratique et sociale qu'on appelle une maison de santé.
Il est moins pénible pour une femme de recevoir la douche des mains du médecin que de se soumettre à un examen au spéculum, Ai-jè besoin de dire que la présence d'une baigneuse ou d'une parente, que mille détails impossibles à décrire, et que par-dessus tout l'attitude d'un médecin qui a la conscience de sa dignité et de la gravité de sa mission, donnent à la pudeur toutes les satisfactions conciliables avec les exigences dé la maladie et de la curation.
C'est en maintenant avec fermeté ces préceptes que j'ai pu vaincre les scrupules de la dévotion la plus exagérée, les appréhensions de la pruderie anglaise, les naturelles répugnances de la pudeur et de la sollicitude maternelle on conjugale, les insinuations de la malveillance. Si quelques résistances invincibles se sont présentées, elles ont toutes été imposées à des femmes, peu autorisées à se retrancher dans l'austérité de leurs; principes, par une domination d'autant plus tyrannique qu'elle était plus illicite et moins excusable.
En résume, dans les établissements publies, la question se formule de la manière suivante : intervention absolue ou abstention complète du médecin. La poser en ces termes, c'est la résoudre.
Effets physiologiques. — On se tromperait étrangement si l'on croyait que le thermomètre, que l'observation des phénomènes physiques, peuvent ici rendre un compte satisfaisant des modifications si importantes, si remarquables, qui surviennent dans les principales fonctions de l'économie.
La température animale, abaissée d'environ 2° par la douche, revient rapidement à son chiffre physiologique, et le dépasse de quelques dixièmes de degré, au maximum d'un degré tout entier ; le pouls s'accélère, de 2 ou 3 pulsations.
DE L'EAU FROIDE A L'EXTÉRIEUR. 169
La peau se colore plus ou moins, et présente, dans toute son étendue, quand la réaction est énergique, un rouge vif; elle est le siège d'une sensation de chaleur très-prononcée, de telle sorte que, si la douche est bien administrée, en rapport avec la puissance de réaction du sujet, jamais l'application froide n'est suivie de chair de poule , de frissons, d'une sensation de froid. Les sujets n'ont pour s'essuyer que du linge froid; ils sont exposés à une atmosphère peu élevée, à l'air extérieur, à des courants d'air, et ils n'éprouvent aucune des sensations pénibles que, malgré la réunion des circonstances opposées et toutes les précautions imaginables, on ressent constamment au sortir d'un bain chaud.
La respiration est large, facile; l'individu se sent fort, dispos, agile, et la sensation de la faim ne tarde pas à se faire sentir.
Voilà tout; et cependant, sous l'influence souvent renouvelée et longtemps continuée de ces phénomènes si insignifiants en apparence, on voit se produire les changements, les transformations les plus extraordinaires, dans le tempérament, la composition du sang, les fonctions de circulation, de respiration, de digestion et de nutrition, d'absorption, d'innervation ! ! Nous rechercherons plus loin si les données fournies par la physiologie hygique et pathologique sont suffisantes pour expliquer ces beaux résultats de la physiologie curative.
DES MÉDICATIONS HYDROTHÉRAPIQUES.
Nous avons terminé l'étude préliminaire que doit embrasser l'histoire de tout agent thérapeutique; nous avons exposé les actions physiologiques exercées par les divers modificateurs hydrothérapiques ; nous avons indiqué les différentes manières de les appliquer et de les doser. Il faut maintenant nous occuper des influences curatives qu'ils exercent, lorsqu'on les combine, entre eux de façon à constituer une médication; et ici deux voies nous sont ouvertes.
Nous pourrions prendre pour base les divisions nosologiques, et établir le traitement hydrothérapique qui convient à chaque classe de maladies ; mais, en suivant cette marche, nous serions sans cesse placé entre deux dangers : celui d'être fort incomplet, et celui d'accumuler des répétitions et des détails nécessaires, mais fastidieux.
En prenant pour base, au contraire, l'action thérapeutique des modificateurs, nous éviterons ces inconvénients, et nous donnerons aux praticiens des notions générales complètes qu'il leur sera facile d'appliquer à chaque cas particulier, nous réservant d'ailleurs le droit de faire quelques excursions dans le domaine de la pathologie , lorsque nous croirons avoir des considérations utiles ou nouvelles à présenter au lecteur.
Les médications, constituées par les diverses manières suivant lesquelles on peut combiner entre eux les modificateurs hydrothérapiques, se divisent en deux classes.
Celles de la première classe se rattachent à l'action réfrigérante de l'eau froide, et sont au nombre de trois :
La médication antiphlogistique,
La médication hémostatique,
La médication sédative et hyposthénisante.
DES MÉDICATIONS HYDROTHÉRAPIQUES. 171
Celles de la seconde classe se rattachent à l'action excitante de l'eau froide, et sont au nombre de sept :
La médication reconstitutive et tonique,
La médication excitatrice,
La médication révulsive,
La médication résolutive ;
La médication sudorifique, altérante, dépurative ;
La médication antipériodique,
La médication prophylactique ou hygiénique.
Après avoir présenté l'histoire de chacune de ces médications, nous montrerons que plusieurs d'entre elles peuvent être Ou sont nécessairement associées l'une à l'autre, et nous trouverons dans cette association la cause la plus puissante de l'efficacité si remarquable de l'hydrothérapie, dans un grand nombre de cas pathologiques rebelles à tous les agents de la matière médicale et de l'hygiène.
172 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
De la médication antiphlogistique.
Je me souviens avoir entendu M. Jules Cloquet développer, dans ses leçons cliniques, une ingénieuse comparaison entre l'inflammation et la graine, dont la germination et le dévelopment ultérieur sont étroitement liés aux conditions thermologiques du milieu ambiant : « Si l'on pouvait à son gré modifier la température, disait le savant professeur, on pourrait empêcher l'inflammation de naître et de se développer ; on pourrait à volonté lui donner tous les degrés possibles d'intensité, la faire passer successivement par toutes les phases de son évolution; en un mot, elle deviendrait entre les mains du médecin une pâte malléable à laquelle il pourrait faire subir toutes les transformations imaginables.»
La discussion dans laquelle nous sommes entré à propos des irrigations continues (voyez pages 16-27 ), les faits que nous avons relatés, et jusqu'aux reproches qui ont été adressés a cette méthode, justifient une proposition trop absolue peutêtre , mais reposant sur une donnée générale parfaitement exacte. Les détails que nous avons reproduits ont mis en évidence l'énergique influence exercée par le froid sur le développement et la marche de l'inflammation : aussi n'est-ce point sans étonnement que nous avons vu MM. Trousseau et Pidoux ne pas même mentionner ce modificateur dans le chapitre consacré par eux à la médication antiphlogistique (1).
Nous pensons ne plus avoir besoin d'établir que le froid est le plus puissant, le plus sûr des agents antiphlogistiques ; l'action héroïque qu'il exerce est aujourd'hui admise par tout le monde, et ce n'est plus que de ses applications thérapeutiques spéciales que nousavons à nous occuper ici.
Nous ne craignons pas de poser en règle générale, ne souf(1)
souf(1) et Pidoux, Traité de thérapeutique, 3e édit., t. 1, p. 496 et suiv.; Paris, 1847.
DE LA MÉDICATION ANTIPHLOGISTIQUE. 173
front point d'exceptions, que le froid peut être employé avec d'immenses avantages dans le traitement de toutes les phlegmasies aiguës, simples (nous nous expliquerons plus loin sur la valeur de ce dernier mot), externes, superficielles, dans lesquelles l'action du corps réfrigérant s'exerce directement, immédiatement, sur les parties enflammées.
Dans tous les cas de ce genre, l'effet du froid appliqué loco Menti est de diminuer la fluxion locale, de calmer ou même de faire disparaître la douleur, de prévenir ou de modérer la réaction générale.
Dans la première période de la brûlure, le froid aidé, lorsque faire se peut, de la position, n'a point d'équivalent en thérapeutique , et tous ceux qui expérimenteront cette méthode de traitement l'emploieront, à l'exclusion de toute autre (voyez 'pages 28, 29 ).
Il en est de même pour l'érysipèle de cause externe ou traumatique , et les applications froides nous fournissent le plus sur moyen de prévenir le développement des érysipèles qui succèdent à.certaines opérations, et principalement à celles qui se pratiquent sur les membres, la face, le cuir chevelu ; aux opérations autoplastiques, telles que la rhinoplastie, la blépharoplaslie, etc.
La méthode réfrigérante est la meilleure qu'on puisse opposer aux contusions, aux entorses, aux luxations avec inflammation , à l'arthrite traumatique, aux plaies des articulations, aux fractures compliquées, aux écrasements, aux blessures des mains et des pieds, à toutes celles qui, en raison de certaines dispositions anatomiques, peuvent faire craindre le développement ultérieur d'une violente inflammation avec étranglement et gangrène; aux blessures par armes de guerre.
L'eau froide, appliquée suivant les préceptes que nous avons indiqués, est le meilleur topique qu'on puisse employer pour le premier pansement des plaies accidentelles ou artificiellement produites par la main du chirurgien; elle maintient l'inflammation locale dans de justes limites, donne au pus les
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qualités louables qu'il doit avoir, prévient souvent la pourriture d'hôpital, les érysipèles, le phlegmon; elle rend la fièvre traumatique nulle ou peu intense et les complications viscérales beaucoup moins fréquentes (voy. p. 7-27).
Les bienfaits de l'eau froide ne sont pas moins marqués dam le traitement des ophthalmies de cause externe et traumatique, de l'ophthalmie purulente (voy. p. 29). Larrey, Sanson, MM. Amussat, Carron du Villards, Rognetta, Sichel, Strambio, sont unanimes à cet égard. « L'application externe de l'eau froide, dit M. Sichel, est, pour ainsi dire, indispensable dans un grand nombre de maux d'yeux.» Broussais assure que l'on ne manque pas de faire avorter la maladie quand on emploie convenablement les collyres froids et la glace.
Nous avons dit que la méthode réfrigérante pouvait être appliquée à toutes les phlegmasies superficielles simples; il faut que nous nous expliquions sur ce mot, sans entrer toutefois dans des considérations pathologiques et doctrinales qui nous entraîneraient beaucoup trop loin. Nous dirons seulement qu'il existe, au.point de vue du traitement, comme à celui de la pathogénie , des différences capitales entre les phlegmasies de cause externe ou traumatique et les phlegmasies de cause interne; et que ces dernières se divisent encore en deux classes, suivant qu'elles ne reconnaissent pour cause qu'une prédisposition inconnue de l'économie, ou bien, au contraire, la présence dans l'organisme d'un virus, d'un agent morbifique spécial et déterminé. Sans soulever ici toutes les difficultés, toutes les subtilités qu'a fait naître la question de la spécificité (1), nous rappellerons que pour tout praticien éclairé des dissemblances nombreuses séparent l'arthrite traumatique, l'arthrite rhumatismale, l'arthrite goutteuse, l'arthrite blennorrhagique , l'arthrite puerpérale, l'arthrite morveuse; l'ophthalmie de cause externe, l'ophthalmie scrofuleuse, l'ophthalmie syphilitique ; l'érysipèle
(1) Voy. Requin, De la spécificité dans les maladies, thèse de concours pour une chaire de pathologie interne; Paris, 1851.
DE LA MÉDICATION ANTIPHLOGISTIQUE. 175
de cause externe, l'érysipèle bilieux, l'érysipèle morveux; l'angine simple , l'angine diphthéritique , l'angine scarlatineuse; le furoncle et le charbon, l'adénite et le bubon vénérien , etc. etc.
Eh bien, ces dissemblances exercent une influence considérable sur l'action de l'eau froide, laquelle, si puissante contre les phlegmasies simples, reste le plus souvent inefficace contre les phlegmasies spécifiques, virulentes; ici son emploi exige beaucoup de prudence et de modération, sous peine d'être plus nuisible qu'utile.
Il n'en est pas entièrement de même dans les phlegmasies de cause interne non virulentes, et si, employé dès le début, le froid ne réussit pas aussi sûrement que dans le traitement des phlegmasies de cause externe à enrayer le travail inflammatoire, il en est dans lesquelles le froid rend néanmoins de grands services en diminuant l'intensité des accidents locaux, en calmant la douleur, en modifiant la marche de la maladie, en abrégeant sa durée, en prévenant ou en modérant les phénomènes de réaction générale.
Dans la première période du rhumatisme articulaire et de la goutte aigus, surtout lorsque la maladie est mono-articulaire ou ne s'est emparée que d'un petit nombre d'articulations, les applications froides locales , aidées, si faire se peut, de la position, sont un moyen héroïque dont les heureux effets sont encore peu connus ou mal appréciés. Sous leur influence, la rougeur, le gonflement et la douleur, disparaissent en grande partie ; la fièvre s'apaise ; les malades goûtent un repos d'autant plus précieux, qu'il les délivre des atroces et continuelles douleurs qui caractérisent les maladies dont je parle; la raideur de l'articulation et l'impossibilité de la mouvoir sont, pour ainsi dire, les seuls phénomènes morbides qui persistent, et encore disparaissent-ils beaucoup plus tôt, car la médication réfrigérante abrège la durée de l'accès de moitié ou des deux tiers.
Ces bienfaits du froid ne sont plus niés aujourd'hui, parce
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que les plus incrédules ont été contraints de se rendre à l'évidence ; mais ce sont ces bienfaits eux-mêmes que redoutent beaucoup de médecins, et des plus éclairés. La disparition dit gonflement, de la rougeur, de la douleur, leur fait craindre le développement d'accidents graves du côté du coeur et des autres viscères; ils se préoccupent du danger d'une répercussion, d'une métastase, d'une goutte remontée, rétrocédée, etc.
Je n'hésite pas à affirmer, de la manière la plus absolue, que ces craintes, ces préoccupations, sont dénuées de tout fondement, et que l'emploi méthodique, graduel, prudent, de la méthode réfrigérante, est exempt de toute espèce de danger.
La question de la métastase goutteuse, de la goutte rétrocédée, est encore si pleine d'obscurité et d'incertitude (1), qu'avant de chercher à rassurer les esprits contre le danger de cette complication , je pourrais exiger qu'on commençat par m'administrer la preuve de son existence ; mais j'accepte toutes les opinions hasardées, tous les faits douteux, peu authentiques, mal observés, qui ont été produits en faveur de la doctrine, et je prie seulement les praticiens éclairés et impartiaux de vouloir bien considérer que ces faits appartiennent, presque tous, à des époques où les hypothèses pathogéniques occupaient encore une large place en médecine, et où les applications froides n'étaient pas employées. Quel est, au contraire, le nombre des faits de ce genre que l'on peut invoquer depuis que la saine et rigoureuse observation a remplacé l'induction théorique, et que les applications froides sont employées sur une vaste échelle ?
Certes, quelques accidents analogues à ceux qui ont été cités ont pu se produire, et se produiront encore, chez des rhumatisants et des goutteux soumis à la méthode réfrigérante ; mais
(1) Voy. Monneret, la Goutte et le rhumatisme, thèse de concours pour une chaire de pathologie médicale, p. 27 et suiv. ; Paris, 1851.
DE LA MÉDICATION ANTIPHLOGISTIQUE. 177
sur quoi se fonde-t-on pour affirmer que ceux-là sont les effets de celle-ci?
Que les praticiens ne s'en réfèrent point à cet adage, qui a tant nui aux progrès de la médecine ; qui est si habilement exploité par les ignorants, par les envieux, par les hommes que leur caractère entraîne à repousser toute innovation qui contrarie leurs habitudes routinières, leurs préjugés; par tous ceux qui trouvent plus commode d'affirmer ou de nier sans preuve, que de s'éclairer par de laborieuses recherches ; à cet adage, que j'ai déjà si souvent combattu :
Post hoc, ergo propter hoc.
Que les praticiens expérimentent, et ils ne tarderont pas à se convaincre de l'innocuité et de la merveilleuse efficacité d'une médication que nous préconisons avec tant d'insistance, parce que nous en avons cent fois constaté les bienfaits ; parce que cent fois nous avons pu, par son moyen, apporter un soulagement immédiat à des douleurs atroces auxquelles nous compatissions d'autant plus que nous les avions éprouvées.
Du reste, la cause que nous défendons a déjà trouvé des adhérents nombreux, et parmi eux se place un médecin dont le but est de faire prévaloir, dans le traitement de la goutte, un remède qu'il considère comme un spécifique et qu'il a le tort de laisser au rang des remèdes secrets.
«De tous les moyens que j'ai employés pour assoupir la douleur, en attendant que l'effet des pilules l'enlève complètement, dit M. Lartigue, celui qui m'a le mieux réussi est le bain local d'eau froide. Il y a bien longtemps déjà que son efficacité a été reconnue, car on le trouve préconisé dans Hippocrate; depuis il a été fortement conseillé par les uns, non moins fortement désapprouvé par les autres. On n'a point contesté son efficacité, mais on a redouté ses dangers; on a dit qu'il pouvait amener un déplacement fâcheux de la goutte. Je crois, en effet, que si, dans le traitement d'une attaque, on se bornait à l'emploi de ce moyen, on exposerait le malade à
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178 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
de fâcheuses métastases : l'humeur goutteuse, fixée sur la partie immergée, pourrait être répercutée par l'action de l'eau froide, et, se portant sur les organes essentiels à la vie, déterminer des accidents ; mais, dans, la manière dont j'emploie ces bains d'eau froide, c'est-à-dire combinés avec l'administration des pilules, de pareils déplacements ne sont pas à craindre. L'humeur goutteuse (si tant est que la goutte soit en effet le produit d'une humeur particulière qui s'accumule peu à peu dans l'économie, et finit par se fixer en un point pour y produire, une attaque), l'humeur goutteuse est éliminée par l'action des pilules; ces selles abondantes qui se déclarent, cette augmentation des sueurs et des urines qui les accompagnent, chassent évidemment de l'économie ce levain de mauvaise nature, et lorsqu'au bout de quelques heures, en admettant que l'eau froide tende en effet à le déplacer, lorsque la métastase pourrait avoir lieu, il est déjà en voie d'élimination, et ne risque plus d'aller déterminer, sur un organe important, les accidents qu'il produisait sur une articulation» (1).
Le lecteur appréciera la valeur de ces doctrines humorales, et sa sagacité lui fera découvrir le véritable rôle que jouent ici les pilules auxquelles on attribue une si merveilleuse influence, M. Lartigue déclare « qu'il tient peu à son explication. » Nous le pensons bien, et l'on devine aisément quelle est la seule chose à laquelle il tienne probablement beaucoup. Il ajoute; «Quoi qu'il en soit, j'ai déjà employé et vu employer très-souvent les pédiluves froids, et jamais, par leur association avec les pilules de Lartigue, je n'ai observé ces déplacements que quelques personnes redoutent. »
Nous pouvons fournir à M. Lartigue un motif nouveau de sécurité ; nous pouvons lui dire que l'emploi de la méthode réfrigérante n'a jamais eu le moindre inconvénient entre nos mains, bien que nous l'ayions appliquée un grand nombre de fois à des malades réfraçtaires à l'action des pilules de Larti(1)
Larti(1) du Traitement de la goutte, etc., p. 64; Paris, 1847.
DE LA MÉDICATION ANTIPHLOGISTIQUE. 179
gue, et chez lesquels les doses les plus élevées de ce remède secret non-seulement n'apportaient aucun soulagement à la douleur, mais ne provoquaient même ni sellés abondantes, ni Sueurs copieuses, ni hypersécrétion urinaire, c'est-à-dire aucun de ces phénomènes qui chassent de l'économie le levain de mauvaise nature.
Nous pouvons ajouter encore que l'eau froide n'a point davantage produit de métastases chez un grand nombre de malades qui, malgré l'usage longtemps prolongé des pilules de lartigue, étaient encore sujets à de violentes et fréquentes attaques de goutte, et chez lesquels le médicament n'avait eu d'autre résultat que de déterminer une intense phlegmasie du tube digestif, une diarrhée incoercible, un amaigrissement considérable , et tous les accidents qui accompagnent l'entérite chronique. De telle sorte que l'eau froide, loin de se mettre ici sous la protection des pilules de Lartigue, a dû être employée à combattre non-seulement la maladie que les pilules n'avaient point guérie, mais encore la maladie qu'elles avaient fait naitre ! !
Ceci soit dit, sans hier d'une manière absolue les bons effets justement attribués, dans quelques cas, aux pilules de Lartigue.
Nous avons établi l'utilité de la médication réfrigérante dans le traitement des phlegmasies superficielles, externes; en estil de même dans celui tes phlegmasies profondes et internes?
«Dans les inflammations superficielles, dit M. Josse (voyez p. 16), l'effet est prompt, presque instantané ; dans les inflammations profondes, il se fait attendre plus longtemps, mais il n'est pas moins sûr. »
Nous avouons ne pas oser être aussi affirmatif. Dans les inflammations très-profondes, dans les phlegmons sous-aponévrotiques de la cuisse, de la fosse iliaque, dans les abcès du bassin, les applications froides locales restent souvent inefficaces, et présentent parfois du danger.
Ici se place une importante question, que nous ne pourrons
180 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
malheureusement pas résoudre, mais que nous voulons, du moins, traiter avec les développements qu'elle comporte.
La méthode réfrigérante peut-elle être appliquée sans dangers et avec avantages au traitement, des phlegmasies internes ?
Parmi les phlegmasies internes, il en est qui occupent des organes tels, que l'eau froide peut encore agir directement, immédiatement, sur les tissus enflammés, et dans les cas de ce genre les bienfaits de la médication réfrigérante ne sauraient être mis en doute; tout le monde connaît d'ailleurs son utilité dans le traitement de l'amygdalite, du coryza, de l'uréthrite simple, de la vaginite, de la cystite, de la gastrite, de la colite. «Sola aqua, inter initia egelida, tune frigida, nonnuni« quam dysenteriae curationem consummavi, » dit Huxam; Strambip, Reuss, Hufeland, rapportent un grand nombre d'observations de,dysentériques guéris par l'eau froide.
Mais, quelle conduite doit tenir le praticien lorsque la phlegmasie occupe un organe profond, avec lequel le. corps réfrigérant ne peut plus être mis en contact immédiat ; lorsqu'elle a pour siège le péritoine, la plèvre, les méninges, les bronches. le poumon, etc.?
Bien avant le système de Priessnitz, le froid a été appliqué au traitement de quelques-unes de ces phlegmasies, et l'on trouve dans les recueils périodiques des observations de péritonite, de méningite, qui ne permettent pas de révoquer en doute les bons effets de la médication réfrigérante,; nous avons d'ailleurs cité, à ce propos, la pratique de M. Récamier et de M. Foville (voyez p. 59). Mais ici le froid n'a été employé qu'à titre d'adjuvant, et concurremment avec les émissions de sang et les autres modificateurs usités en pareille circonstance : or la question est de savoir si la médication réfrigérante peut remplacer les émissions de sang et les autres agents antiphlogistiques ; si elle peut leur être substituée, et être employée à l'exclusion de tout autre moyen de curation.
M. Scoutetten rapporte, sans commentaires, sous le titre de
DE LA MÉDICATION ANTIPHLOGISTIQUE. 181
Pneumonie aiguë, crachement de sang, guérison en trois jours, une observation dans laquelle manquent les éléments les plus indispensables à l'établissement du diagnostic, mais que, d'après les renseignements fournis, tous les médecins éclairés rattacheront plutôt à une congestion pulmonaire avec hémoptysie qu'à une pneumonie (1).
M. Schedel n'a pas eu l'occasion de voir traiter la pneumonie à Grafenberg : «Je ne puis consigner ici, dit-il, que des observations tirées de publications sur l'hydrothérapie, et quelques détails sur la manière dont Priessnitz s'y prend pour combattre ce qu'il appelle la pneumonie. »
L'une des observations rapportées par M. Schedel (2) est appréciée par lui-même de la manière suivante (p. 269). «J'ai peine à comprendre comment on a pu qualifier de pneumonie ce cas, véritable expérience in anima vili. Il s'agissait évidemment d'une congestion pulmonaire , survenue à l'époque menstruelle et compliquée plus tard de rhumatisme. Quelle foi d'ailleurs ajouter à celui qui dit : on a fait telle ou telle chose, lorsque lui-même ne l'a pas vu faire? J'ai acquis la certitude que les ordonnances de Priessnitz lui-même ne sont pas toujours exécutées, et celui qui dirige le traitement commet une grave erreur en consignant comme fait ce qui n'est que prescrit.»
Une autre observation, empruntée au Dr Weisskopf, est également loin d'être concluante. «La percussion et l'auscultation, dit M. Schedel (p. 266), ne s'y trouvent mentionnées que le premier jour, et encore très-superficiellement. Dans quel point était située l'inflammation, quelle en était l'étendue, quelle espèce de râle accompagnait la respiration ? Que doit-on penser de crachats pneumoniques qui ne s'épaississent qu'au cinquième jour de la maladie, et qui seraient restés séreux jusque là?
(1) Scoutetten, ouvr. cité, p. 409 et suiv. (2) Schedel, ouvr. cité, p. 267 et suiv.
182 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
Enfin M. Schedel rapporte sur la manière dont la questions été traitée dans des congrès d'hydropathes, des détails que nous voulons reproduire.
«En 1843, lors de la réunion des médecins hydropathes à Marienberg, près Boppart, sous la présidence de M. le Dr Schmitz, on agita la question de savoir si l'hydrothérapie pouvait s'appliquer aux inflammations pulmonaires et pleurales. Il y fut décidé, après que l'on eut rapporté beaucoup de faits à l'appui, que ces inflammations; lors même qu'elles étaient parvenues à un haut degré d'intensité, pouvaient être guéries par cette méthode, et à l'exclusion de toute autre. Les opinions offrirent seulement de la divergence sur le point de savoir si les. évacuations sanguines devaient ou non être employées concurremment, et sur celui de déterminer quels étaient les procédés hydrothérapiques les plus convenables et les plus efficaces en pareil cas.
« Plusieurs hydropathes assurèrent que sans saignées, et par la soustraction pure et simple de la chaleur animale au moyen de l'eau, ils avaient guéri, complétement et avec promptitude, ces graves phlegmasies. D'autres, au contraire, ont mis en doute le principe de l'inutilité. des saignées dans les cas de pneumonie grave, où le danger de mort est imminent et où le traitement hydrothérapique n'offre pas des probabilités suffisantes pour prévenir une catastrophe imminente. Cependant il fut décidé à l'unanimité que, quand même la prudence exigerait d'avoir recours simultanément, dans de certains cas, ans émissions sanguines, cela ne préjugeait rien contre les avantages et la sûreté de l'hydrothérapie.
« Tous les hydropathes furent également d'accord sur l'action favorable des enveloppements dans le drap mouillé, tant comme moyen de sédation du système circulatoire raorbidement excité, que comme moyen d'amener les sueurs et de provoquer des crises salutaires.
«Mais les avis étaient partagés quant au mode d'application de ce moyen si énergique. Ainsi, tandis que les uns, ne voyant
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d'autre indication que celle de la soustraction du calorique et l'extinction, pour ainsi dire, de l'incendie allumé dans le sang, insistaient sur l'enveloppement général et souvent répété dans le drap mouillé, afin de soutirer le plus possible de calorique dans un temps donné, les autres soutenaient que cet effet sédatif des enveloppements devait être secondé par des bains de siège dérivatifs, de 10 à 12° R., et qu'il fallait prolonger pendant des heures entières, jusqu'à ce que le frisson fût passé. L'on objecta à ces derniers : 1° que puisque la question même de savoir si les bains locaux agissaient comme moyen dérivatif sur la masse du sang restait encore indécise, à plus forte raison, pouvait-on mettre en doute l'effet dérivatif d'un bain de siège plus ou moins froid dans le cours d'une pneumonie; 2° que, comme selon toutes les apparences, l'emploi du bain de siège occasionnait une congestion (courte, il est vrai) vers la poitrine , il serait plus rationnel de chercher à obtenir cette action dérivative en agissant sur toute la surface du corps au moyen d'enveloppements dans le drap mouillé , suivis d'ablutions et de frictions faites sur toute la surface cutanée avec de l'eau dégourdie.
«Dans le congrès des médecins hydropathes de 1844 (nov.), la question si importante de l'emploi de cette méthode dans les affections aiguës des poumons et des plèvres ne me paraît pas avoir fait de notables progrès. Un seul des membres de cette réunion, M. le Dr Von Mayer, a rapporté onze cas d'inflammation des poumons à diverses périodes, traités, dans le cours de l'année précédente, par lui-même et avec succès, bien que les malades se trouvassent dans la force de l'âge. Depuis neuf ans, ce médecin assure n'avoir pas fait tirer une goutte de sang dans le traitement des affections aiguës. Un autre membre, le Dr Parou, a également cité un cas de guérison de pneumonie par les compresses rafraîchissantes et l'eau froide en boisson. Mais il y a loin de ces quelques faits, cités de mémoire , à un travail régulier, complet, et accompagné de preuves capables d'entraîner une conviction réfléchie.
184 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
« II résulte donc, de tous ces détails, que la sédation et les transpirations assurent le succès du traitement hydrothérapique dans la pneumonie, comme dans beaucoup d'autres maladies aiguës où ce moyen réussit. Le mode d'application que Priessnitz emploie me paraît devoir mériter la préférence, parce que ce procédé, celui de l'enveloppement dans le drap mouillé, soutient la tendance à la sueur, en même temps qu'il produit la sédation désirée. Aussi la conduite à tenir lors de l'apparition des sueurs est un point important du traitement, et cependant nous avons vu qu'on s'en occupe à peine dans les observations précédentes. Les règles de conduite tracées par l'hydropathe Weiss me paraissent mériter le plus de confiance, d'un côté, parce que c'est un homme qui a beaucoup vu, et de l'autre, parce que l'on, en saisit facilement l'intention médicale. Celui-ci considère donc les premières sueurs dans la pneumonie comme très-importantes , et il veut qu'on les respecte, si le malade éprouve un soulagement marqué après leur apparition. C'est ainsi qu'il a laissé transpirer pendant trente heures, sans changer les couvertures, une jeune fille de dix-neuf ans, forteetrobusie, qu'il traitait d'une pneumonie, et chez qui l'apparition des sueurs était suivie d'une amélioration de plus en plus prononcée, à mesure qu'elles duraient davantage. Ce ne fut qu'après ce laps de temps, qu'il procéda aux ablutions avec de l'eau à 18° R. Si, au contraire, la chaleur est extrême, ainsi que la fièvre, on procède aux ablutions, malgré les sueurs; mais toujours,on cherche à les favoriser, dès que l'état fébrile diminue, Weiss conseille de pousser à la transpiration pendant trois jours consécutifs, s'il le faut; enfin jusqu'à ce que le malade éprouve un mieux prononcé. On lui donnera pour toute nourriture une décoction légère de gruau, et pour boisson de l'eau qui a séjourné quelque temps dans la chambre. Weiss veut aussi que toute l'eau des compresses soit fortement exprimée, et qu'après les avoir appliquées très-exactement, on ne les change que lorsqu'elles sont tout à fait sèches. II persiste, jusqu'à parfaite guérison, dans l'enveloppement avec le drap mouillé, où le malade
DE LA MÉDICATION ANTIPHLOGISTIQUE. 185
doit rester, selon son état, une, deux ou trois heures, et dans lequel il faut le laisser transpirer pendant ce temps , sans oublier de procéder aux ablutions subséquentes.
«Ainsi donc, suivant Weiss, pendant les trois premiers jours de la maladie, après avoir fait des ablutions qui succèdent toujours aux sueurs, le malade sera bien couvert dans son lit, de manière à maintenir la moiteur de la peau , et si l'amélioration n'est pas prononcée, on l'enveloppera de nouveau dans le drap mouillé, où on le laissera encore transpirer.
«Cette manière d'agir diffère notablement de celle du Dr Weisskopf, qui ne cherche qu'à calmer la fièvre, en opérant une forte soustraction de calorique, au moyen des compresses et des ablutions prolongées; et comme, généralement parlant, les sueurs lie s'établissent que lorsque la sédation a été effectuée, l'entretien de la transpiration paraît être réellement la meilleure méthode; c'est d'ailleurs celle de Priessnitz, qui l'emploie tout à fait empiriquement.
«Le traitement hydrothérapique de la pneumonie, dans la première période de cette affection, consiste à opérer une sédation énergique, au moyen des draps mouillés et souvent renouvelés, puis à favoriser les sueurs, et à exercer sur toute la peau des frictions dérivatives avec de l'eau dégourdie. Il est possible, comme on le voit, de réduire à des principes scientifiques ce traitement en apparence si choquant; mais que doit-on en conclure? Je ne crois pas me laisser entraîner par des idées préconçues en faveur de la médecine ordinaire, en avançant que rien ne me paraît moins satisfaisant. J'admets volontiers la possibilité de traiter ainsi avec succès une pneumonie franche, légère, et à sa première période ; mais il y a bien loin de là à la prétention des hydropathes, qui veulent en faire la seule bonne méthode de traitement. Et c'est pour adopter cette méthode, qu'on viendrait sérieusement proposer aux médecins de renoncer à la longue expérience de l'art, laborieusement acquise pendant des siècles ? Mais, en admettant même, ce qui n'est aucunement prouvé, qu'il existe des faits bien authentiques, bien avérés, de
186 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
guérison de la pneumonie par l'hydrothérapie, il est évident}! 1° que ce traitement ne peut pas être appliqué à tout le monde 2° qu'il ne convient qu'au début, qu'à la première période de la maladie» (1).
Nous reviendrons tout à l'heure sur la question pathologique ; mais nous ajouterons ici, au point de vue du procédé opératoire, que le Dr Van Housebrouck a proposé récemment une manière d'opérer qui nous semble présenter quelques avantages réels (2).
«La réfrigération s'opère par les draps ou par les demi-bains Le procédé le plus méthodique de la réfrigération par les draps se fait de la manière suivante :
«Je fais placer, dans un appartement bien aéré, deux lits, à deux pas l'un de l'autre; j'étends sur un de ces lits une ou deux couvertures de laine, suivant la température atmosphérique et la constitution du malade ; je prends un drap de lit, que je fais tremper dans l'eau froide telle qu'elle est fournie par la source, et je le fais tordre convenablement par une ou deux personnes, pour en exprimer la plus grande quantité de l'eau; ce qui étant fait, je l'ouvre, et le place par-dessus les couvertures de laine.
«Alors je fais mettre le malade, entièrement déshabillé, sur ce drap et sur le dos; je l'y enveloppe rapidement et le recouvre ensuite avec les couvertures de laine, en ayant soin de les serrer l'une après l'autre autour du corps, pour ne laisser que la tête dehors et libre. Cette opération étant finie, je préparé aussitôt l'autre lit de la même manière que le premier ; je dégage mon malade pour le placer de nouveau sur celui-ci, et l'envelopper entièrement, comme la première fois, dans le drap de lit et les couvertures de laine. Je renouvelle ce procédé aussi souvent que le besoin s'en fait sentir, c'est-à-dire jusqu'à ce que
(1) Schedel, ouvr. cité, p. 271 et suiv.
(2) Van Housebrouck, De la réfrigération graduelle dans le traitement des maladies aiguës, in Revue méd.-chirurg., t. IX, p. 290; 1851.
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la fièvre cesse. La fièvre tombe ordinairement après dix, vingt, trente ou quarante opérations , suivant le degré de son intensité et la gravité de la cause qui l'entretient; mais, quelle que soit sa nature , elle tombe infailliblement, cela ne manque jamais. L'intervalle entre chaque opération est calculé sur la chaleur de la peau et la facilité de la réaction, et de manière qu'elle soit renouvelée avant son rétablissement intégral ; car il est à noter qu'au fur et à mesure que la chaleur est soutirée , et que l'intensité de la fièvre diminue, l'absorption du froid se fait plus lentement.
«Les malades subissent en général ce traitement avec plaisir, parce que rien n'est plus propre à calmer l'ardeur fébrile qui les dévore que la fraîcheur des draps. Les enfants sont moins traitables ordinairement ; mais, quand une fois ils ont éprouvé les bienfaits de deux ou trois draps, ils ne pleurent plus, et ils finissent par demander eux-mêmes qu'on les place dans un nouveau drap.
«Comme, dans beaucoup de fièvres graves, la chaleur se concentre surtout vers la poitrine, et lorsque la respirationest trèsfatigante, indépendamment du drap qui enveloppe tout le corps, j'entoure préalablement le thorax d'un autre drap replié plusieurs fois sur lui-même, et humide comme le premier. Cette précaution fait éprouver au malade un soulagement immédiat, en faisant cesser son oppression.
«Ce mode de dégager graduellement la chaleur, dans le but de combattre les inflammations fébriles, doit être préféré à tout autre, à cause de la facilité de son emploi et parce qu'il est applicable dans toutes les circonstances. Cependant il est des cas où son emploi est impossible ou d'une action trop lente, comme dans quelques délires, et lorsque le malade est atteint d'une de ces inflammations violentes, qui peuvent l'emporter en peu d'heures. Dans ces circonstances exceptionnelles, il est indispensable d'avoir recours à un procédé plus expéditif. On le trouvera dans la réfrigération graduelle par le demi-bain, que levais décrire maintenant.
188 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
« Le demi-bain ou bain d'affusion se prend dans une baignoirs ordinaire, mais suffisamment spacieuse pour permettre au malade de s'y mouvoir et aux serviteurs de le frictionner. La quantité d'eau qu'on y met est de quatre à huit seaux , suivant sa capacité, de manière à recouvrir les membres inférieurs du malade, quand il est assis. La température de ce bain doit être portée au commencement à 20° ou 25° R. — 25° ou 30° cent.- et abaissée insensiblement jusqu'à 14° R. —17° cent. Cette dernière température doit être maintenue. Placé dans ce bain, le malade est alternativement affusionné et frictionné par tout le corps, jusqu'à ce que la fièvre ait été domptée totalement.»
Il est utile aussi de faire boire aux malades de l'eau froide en petite quantité et très-fréquemment, tant pour calmer la soif que pour abaisser la température animale, qui descend rapidement sous l'influence de l'ingestion de l'eau froide. «Une jument bien portante, dit M. Magendie, fut privée de boisson, mais non de nourriture, pendant trois jours ; puis on lui laissa boire à, discrétion de l'eau à 6°; elle en avala 34 litres en 4'; la température initiale était de 33°: elle descendit graduellement en 40' jusqu'à 29°, mais 10' après elle était remontée à 33°» (1).
Revenons à la pneumonie.
M. le Dr Baldou a rapporté dans son ouvrage deux observas; tions de pneumonie que nous allons résumer.
La première porte le titre suivant : Fluxion de poitrine. Broncho-pleuro-pneumonie, déclarée à la suite d'un catarrhe, guérie en trois jours (2).
La malade toussait depuis quatre jours, lorsqu'elle est prise de frisson et de fièvre, avec douleur sous le sein droit et dans le dos, respiration précipitée et difficile , toux fréquente et SÈCHE. La percussion et la pression augmentent la douleur, on constate de la matité (dès le début !) à la partie infé(1)
infé(1) loc. cit., p. 192.
(2) Baldou, ouvr. cité, p. 449.
DE LA MÉDICATION ANTIPHLOGISTIQUE. 189
rieure du poumon, et l'auscultation fait reconnaître que la respiration ne se fait qu'imparfaitement dans cette partie du poumon droit. Au troisième jour d'un traitement hydrothérapique dont je passe les détails , la malade est guérie de ses accidents thoraciques , mais elle éprouve à la région lomtaire une douleur rhumatismale à laquelle elle a été souvent sujette.
Les commentaires sont inutiles ; le lecteur appréciera la valeur
valeur observation de pleuro-pneumonie dans laquelle on
ne trouve mentionnés ni le râle crépitant, ni les crachats
pneumoniques, ni l'égophonie.
La seconde observation (p. 458) est encore plus extraordinaire.
extraordinaire. homme de vingt-neuf ans, robuste, sanguin, ayant
l'habitude de se faire saigner tous les ans pour prévenir des
congestions cérébrales auxquelles il est sujet, éprouve, à l'époque
l'époque la saignée est habituellement pratiquée, de la céphalgie
céphalgie quelques douleurs dans le bras gauche ; puis , quelques
jours après, à quatre heures de l'après-midi, ses jambes se
dérobent tout à coup sous lui, il tombe et ne se relève qu'après
un temps dont il ne peut apprécier la durée, mais qui n'a pu
dépasser dix minutes.
A cinq heures, M. Baldou voit le malade; il constate l'existence d'une douleur à la tête et au côté droit de la poitrine, celle du bras ayant disparu ; le pouls est fréquent et développé, la respiration accélérée, il y a eu du frisson, et la toux est actuellement fréquente (elle n'a pas été mentionnée jusque-là) ; il n'existe pas de contractions musculaires dans les membres.
M. Baldou, étant pressé, ne pousse pas son examen plus
loin, et n'ayant pas le temps de saigner le malade, il espère
que 15 sangsues appliquées sur le point douloureux du thorax
suffiront pour dégager la tête et pour diminuer les symptômes
thoraciques, qu'il attribuait à une métastase rhumatismale.
Les piqûres de sangsues saignent pendant toute la nuit, et
190 DE L'HYDROTHÉRAPÎE RATIONNELLE.
une épistaxis a lieu. Le lendemain matin, les crachats contiennent quelques stries de sang (chez un malade ayant en une épistaxis!); M. Baldou trouve de la matité au niveau et audessus des piqûres de sangsues, et un râle crépitant occupant la plus grande partie du côté droit.
Le malade est enveloppé dans le drap mouillé, les couvertures de laine, et quelques heures après, les crachats sont spumeux, et tous les accidents ont diminué. Enfin, après plusieurs alternatives de recrudescence et d'amélioration, la matité est définitivement détruite, et l'air pénètre en liberit dans les poumons.
Est-il possible, de tenir compte d'un fait ainsi présenté? Je ne le pense pas, et mon opinion sera celle de tous les médecins éclairés.
M. Lubansky (1) ne mentionne ni la pneumonie ni la pleurésie, et M. Vidart garde sur ce point le même silence (2). '
Quant aux hydropathes pur sang, aux Munde, aux Wertheim, aux Engel, aux Oertel, etc., Voici un spécimen de la manière d'observer et d'établir un diagnostic, mise en usage par ces messieurs.
«Une jeune fille, d'un tempérament sanguin, à la suite d'exercices violents pendant la journée, s'était exposée le soir à un' courant d'air ; pendant la nuit, elle fut prise de frissons auxquels succéda une chaleur générale , et il se manifesta une forte oppression à la poitrine. Appelé près d'elle, à dix heures du matin, j'observai les symptômes suivants : Respiration courte, haletante, pénible ; douleurs pongitives dans le côté gauche du thorax ; augmentation des douleurs à chaque inspiration plus profonde ; pâleur de la face, alternant avec une vive coloration ; peau sèche et chaude ; pouls fort et fréquent Immédiatement je fis envelopper la malade dans des draps de lit' trempés dans l'eau froide.»
(1) Lubansky, ouvr. cité.
(2) Vidart, Études pratiques sur l'hydrothérapie ; Paris, 1851.
DE LA MÉDICATION ANTIPHLOGISTIQUE. 191
Voilà ce qui, dans le langage médical des hydropathes, s'appelle une observation de pneumonie (1). Il existe peut-être dans quelqu'un des ouvrages, des journaux, qui ont été publiés sur l'hydrothérapie, des observations plus concluantes que celles que je viens de rapporter ; mais elles se sont dérobées à mes recherches, et je déclare que pour moi la question n'est point jugée par la clinique. Pour mon compte, je n'ai point osé prendre l'initiative, et traiter une pneumonie ou une pleurésie par la médication réfrigérante. Des considérations importantes se présentent néanmoins ici, et nous devons les exposer avec toutes les réserves qu'elles comportent d'ailleurs.
Les caractères fondamentaux de toute phlegmasie aiguë sont : l'élévation de la température animale, l'augmentation de la fibrine du sang, et l'accélération du pouls.
Dans quel, ordre se succèdent ces phénomènes? quels sont les liens qui les unissent? quels sont les rapports de cause à effet qui existent entre eux?
Sans accepter les assertions de Mulder suivant lesquelles l'albumine et la fibrine ne seraient, celle-là qu'un protoxyde et celle-ci qu'un deutoxyde de protéine, ne peut-on point se demander si le premier phénomène produit par l'inflammation n'est pas l'élévation de la température animale ? si la suractivité de la combustion n'a aucune influence sur l'accroissement de la fibrine et l'accélération du pouls ?
D'un autre côté, les recherches de MM. Andral et Gavarret ont établi que les saignées coup sur coup n'ont pas la puissance d'abaisser la température animale pathologiquement élevée, d'empêcher l'augmentation de la fibrine, qui va croissant tant que la maladie fait des progrès , et enfin de diminuer la fréquence du pouls.
Dans cet état de choses, ne serait-il pas important de rechercher à l'aide du thermomètre, de l'analyse chimique et de l'ai(1)
l'ai(1) ouvr. cité, p. 52.
192 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
guille à secondes, les influences exercées par la médication réfrigérante appliquée au traitement d'une grande phlegmasie superficielle, de l'érysipèle, du rhumatisme articulaire aigu, par exemple , sur la température animale , la fibrine du sang et la fréquence du pouls, et cette étude ne pourrait-elle pas démontrer que c'est en s'opposant, dès le début, à l'élévation de la température, que la médication en question empêche la fibrine de dépasser notablement son chiffre physiologique, et le pouls d'atteindre la fréquence qu'il présente ordinairement dans ces phlegmasies ?
Si les résultats de l'expérimentation étaient ceux que nous venons d'indiquer, le froid ne deviendrait-il pas la base du traitement rationnel de toutes les phlegmasies commençantes, de la pneumonie comme de la brûlure , et la question ne seraitelle pas réduite aux. proportions d'une question de procédé opératoire approprié aux différents sièges que peut occuper l'inflammation.
Si l'on réfléchit, en outre, que les recherches de l'école de Vienne tendent à établir que les émissions de sang sont plus nuisibles qu'utiles dans le traitement de la pneumonie (1), et que celles de MM. Demarquay, Duméril et Lecointe (2), montrent que le tartre stibié à haute dose (0, 5), dont l'efficacité est généralement admise, abaisse la température animale (de 2° en deux heures), on trouvera peut-être dans ces considérations de nouveaux et sérieux motifs pour expérimenter la méthode réfrigérante dans le traitement des grandes phlegmasies internes, et de la pneumonie en particulier.
Ces expérimentations d'un haut intérêt scientifique et pratique , il ne m'a pas été possible de les instituer jusqu'à pré(
pré( ) Der Aderlass in der Lungen-Entzùndung; Vienne, 1840. - Arch. gén. de méd., t. XXIII, p. 126 ; 1850.
(2) Demarquay, Duméril et Lecointe, Rech. expérimentales sur les modifications imprimées à la température animale, par l'introduction dans l'économie de différents agents thérapeutiques; in Gazette des hôpitaux, 1851, p. 183.
DE LA MÉDICATION HÉMOSTATIQUE. 193
sent, car on comprend qu'elles ne peuvent être accomplies que dans un grand hôpital; mais avant peu, je l'espère, je serai en mesure de les poursuivre avec le soin qu'elles réclament, et peut-être alors parviendrai-je à élucider définitivement cette importante question de thérapeutique, et à relever à médication réfrigérante de l'arrêt prononcé contre elle par Giannini, qui avouait d'ailleurs ne se fonder que sur des raisonnements et des théories dont le lecteur a pu apprécier la valeur (voy. p. 53).
De la médication hémostatique.
Nous n'avons rien à ajouter aux notions qui depuis longtemps ont cours dans la science touchant l'action hémostatique directe du froid ; on connaît les services que peut rendre ce modificateur pour arrêter certaines hémorrhagies, et spécialement l'épistaxis, les hémorrhagies buccales, la pneumorrhagie, la gastrorrhagie, les hémorrhagies du canal intestinal, la métrorrhagie, l'hématurie, et même quelques hémorrhagies traumatiques.
Nous verrons plus loin que si l'eau froide est un hémostatique direct, immédiat, pouvant être employé, abstraction faite de la cause de l'écoulement sanguin, à titre de corps réfrigérant, constringent, destiné à ralentir la circulation, à opérer le resserrement des capillaires, à favoriser la coagulation du sang, elle exerce une action non moins puissante, et souvent beaucoup plus utile, tantôt en modifiant la composition du sang, tantôt en opérant une révulsion, une dérivation propre à combattre la congestion, active ou passive, dont l'organe qui fournit le sang est le siège. Cette double action de l'eau froide sera mise en lumière, lorsque nous nous occuperons de la médication reconstitutive et tonique, et de la médication révulsive.
13
194 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
De la médication sédative et hyposthéorisante.
C'est principalement encore en abaissant la température animale, que l'eau froide exerce une action sédative sur le système circulatoire et sur le système nerveux; mais ici elle n'agi pas exclusivement à titre de corps froid, elle agit aussi à titre de corps liquide, et elle exerce sur l'organisme une influence qui, bien que singulièrement exagérée par F. Hoffmann, Geoffroy, Hecquet, Pomme, etc., n'en est pas moins très-réelle, ainsi que nous l'avons dit plus haut (voy. p. 119).
L'efficacité des affusions, des immersions, des enveloppements, dans la fièvre typhoïde et les fièvres éruptives, ne saurait plus être mise en doute , et nous avons fait connaître les autorités et les faits sur lesquels elle repose (voy, p. 46-63). A Bellevue , qui ne reçoit guère d'affections aiguës, je n'ai pas en l'occasion d'employer cette médication ; mais j'en ai fait usage plusieurs fois sur des malades de la ville et toujours avec avantage.
M. le Dr Jacquez, dont nous avons déjà cité le nom, a publié sur ce sujet un travail qui a de la valeur. Sur 313 malades affectés de fièvre typhoïde et traités par la médication réfrigérante, depuis 1839 jusqu'en 1846, 19 ont succombé, c'est-àdire environ 1 sur 16,5; tandis que sur 349 malades appartenant aux mêmes localités, et traités, pendant les mêmes épidémies, par des médications diverses, la mortalité a été de 91, c'estdire d'environ 1 sur 3,9. M. Jacquez ajoute que rigoureusement il faudrait encore retrancher des 19 morts plusieurs individus qu'il n'a vus qu'une fois, ou qui ne se sont soumis au traitement que d'une manière irrégulière.
Le traitement mis en usage par M. Jacquez consiste à applquer sur le front et sur le ventre des compresses trempées dans de l'eau à 7 ou 8°, et renouvelées plus ou moins fréquemment
DE LA MÉDICATION SÉDATIVE ET HYPOSTHÉNISANTE. 195
suivant la température du malade, qui n'a pour boisson que de l'eau pure, froide, et en assez grande quantité. Les applications froides sont continuées tant qu'on voit persister ou se reproduire le moindre phénomène de chaleur fébrile, c'est-àdire pendant 10, 20, 30 ou 40 jours.
Aucun symptôme, aucune complication ne s'oppose à l'emploi des applications froides; peu importe que les malades toussent très-souvent et beaucoup, qu'ils aient une grande oppression, que les organes respiratoires soient engorgés ou enflammés, que la peau soit couverte de sudamina ; non-seulement les applications froides ne sont pas nuisibles dans ces cas, mais encore elles hâtent la résolution des phlegmasies intérieures. Il ne faut consulter, pour graduer l'énergie de ce mode de traitement, que le degré de la température animale. Sous l'influence de ce traitement, non-seulement l'état fébrile tombe avec une grande rapidité, souvent du jour au lendemain, mais encore les désordres de l'intelligence, les troubles nerveux, la sécheresse de la langue, le ballonnement du ventre, les difficultés d'uriner, les phénomènes de putridité, cèdent également très-vite à l'application régulière du froid (1).
En dehors des grandes pyrexies, l'eau froide exerce encore sur le système nerveux une action sédative puissante qu'on demanderait en vain à tout autre modificateur, et qui rend au praticien des services immenses dans le traitement de la plupart des névroses. Tout le monde connaît les bons effets des applications froides intus et extra dans la chorée, l'hystérie, l'épilepsie, le délire nerveux, les affections spasmodiques; les convulsions, la dyspnée, la toux, et les palpitations dites nerveuses, etc. etc. A cet égard, Pomme et Giannini n'ont rien exagéré, et l'eau froide doit être maintenue dans le titre de sédatif par excellence que lui a donné Broussais. La plupart des douleurs dites nerveuses sont calmées par les
(1) Jacquez, mémoire cité in Arch. gén. de méd., t. XIV, p. 91-93; 1847.
196 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
applications d'eau froide, et ici encore Giannini s'est montré un observateur exact et intelligent ; quant à ses doctrines sur la névrosthénie, sur la distension des nerfs, nous les discuterons ailleurs, et nous rechercherons si un grand nombre de douleurs et de troubles fonctionnels rapportés au fluide nerveux ou à l'irritation, c'est-à-dire à deux êtres de raison dont l'existence ne repose sur aucun fait matériel appréciable, ne sont point dus à des troubles de la circulation capillaire, à des congestions sanguines qui donnent la clef des principales circonstances pathologiques liées à ces états morbides, et qui expliquent physiologiquément l'efficacité des applications froides dans les cas de ce genre.
Les faits pathologiques qui attestent la puissance sédative des application d'eau froide intus et extra sont trop fréquente et trop connus, pour que je veuille rapporter ici tous ceux qui depuis six ans se sont présentés à mon observation; mais je crois cependant devoir mettre sous les yeux du lecteur une observation qui rappelle quelques-unes de celles qu'a relatées Pomme, et que nous trouvons aujourd'hui tellement extraordinaires, que nous sommes tentés de les attribuer à une inexactitude du narrateur ou à une observation médicale peu éclairée.
OBSERVATION.— Mme M. est âgée de 39 ans, d'une constitution grêle, mais robuste, d'un tempérament nerveux très-prononcé, auquel s'allient une grande énergie morale et une force de volonté remarquable. Élevée à la campagne, elle s'est développée rapidement sous l'influence bienfaisante de la vie des champs et de l'exercice en plein air; son enfance a été exemple de maladies, et à l'âge de 10 ans, la menstruation s'est établie facilement, régulièrement,: sans douleurs, sans aucun des accidents qui précèdent et accompagnent si souvent son apparition; dès le début, les règles ont été très-abondantes, et ont eu une durée de huit jours.
Mme M. s'est mariée en 1829, à l'âge de 17 ans, jouissant d'une santé florissante et d'un embonpoint développé.
Devenue enceinte au commencement de septembre 1830, Mme M. eut une grossisse heureuse, mais accompagnée pendant les huit premiers mois de nausées et de vomissements presque continuels. Un
DE LA MÉDICATION SÉDATIVE ET HYPOSTHÉNISANTE. 197
accouchement naturel, à terme, facile, eut lieu le 5 juin 1831; l'enfant fut confié à une nourrice, et la mère quitta son lit le dixième jour, pour reprendre ses occupations habituelles, qui exigent beaucoup d'activité, de soins, et de fatigues, car elles consistent à diriger l'administration intérieure d'un grand établissement industriel appartenant à M. M.
En 1834, seconde grossesse semblable à la première; au huitième
mois, Mme M. fait une chute violente, le ventre porte sur le bord
d'une caisse en bois, et une vive douleur se fait sentir au côté
droit du bas-ventre. Une saignée est pratiquée ; l'accouchement a
lieu à son terme, il est naturel et facile ; Mme M. se lève dès le quatrième
quatrième et se fatigue beaucoup nuit et jour en donnant des soins
à son nouveau-né, qui est gravement malade, et qui finit par succomber.
succomber. douleur du côté droit s'est reproduite, elle est très-vive et
continue ; Mme M. ressent, en outre, une douleur violente qui occupe
transversalement toute la région hypogastrique, et une sensation
de pesanteur très-incommode vers l'anus et le périnée. Ces phénomènes
phénomènes augmentés par la station debout, par l'acte de s'asseoir;
la marche est difficile, et Mme M. est obligée de se courber en avant
et de soutenir son ventre avec ses deux mains réunies.
Cet état ne subit aucune modification notable jusqu'à l'époque
d'une troisième grossesse, qui a lieu en 1835, se passe comme les
précédentes, et est également suivie d'un accouchement à terme,
naturel et facile.
Mme M. ne quitta celle fois son lit que le dix-septième jour, et cette précaution, jugée suffisante, ne prévint pas le développement d'accidents que nous verrons, à partir de ce moment, se perpétuer et S'accroître pendant quinze ans, et arriver enfin à un degré extraordinaire de gravité.
La douleur du côté droit est plus vive que jamais, et se propage, depuis l'aine, dans toute l'étendue du membre pelvien correspondant; la barre douloureuse qui occupe transversalement toute l'étendue du bas-ventre, la pesanteur périnéale, la difficulté de la marche, de la station debout, se présentent avec plus d'intensité qu'auparavant; les évacuations alvines sont rares, difficiles, il semble que les matières aient un obstacle à franchir; des douleurs très-vives occupent la région lombaire. Un phénomène nouveau , destiné à devenir bientôt prédominant, est apparu : c'est une sensation de chaleur, de cuisson, de brûlure, qui se fait sentir profondément dans toute la région hypogastrique et dans la cavité pelvienne. Cette sensation est continue, extrêmement pénible, exaspérée par un léger mouvement du tronc ou des membres, mais non par la près-
198 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
sion, bien que tout le ventre soit d'une sensibilité extrême et supporte à peine le contact des doigts.
En 1836, Mme M. ne peut plus ni marcher, ni se tenir debout ou assise, ni aller en voiture; elle reste couchée pendant la plus grande partie de la journée, et se traîne péniblement dans l'intérieur de sa maison. Les règles sont plus abondantes qu'elles ne l'ont jamais été accompagnées de douleurs assez vives, et suivies d'une exaspération considérable de la sensation de brûlure que nous avons décrite.
Mme M. reçoit les soins de son oncle. Un vésicatoire très-large appliqué sur l'hypogastre, un cautère posé sur la région lombaire, n'amènent aucun soulagement ; des bains tièdes très-fréquents, des cataplasmes introduits dans le vagin, huit cautérisations du col utérin avec le nitrate acide de mercure, restent également inefficaces.
En 1837, Mme M. va aux eaux d'Aix, qui lui procurent un léger soulagement bientôt évanoui.
En 1838, Mme M. vient à Paris, et elle y consulte Lisfranc. L'invariable formule de ce chirurgien lui est appliquée. Petite saignéé après chaque époque menstruelle, cautérisation avec le nitrate acide de mercure, bains de son; à l'intérieur, ciguë et grande consoudé Ce traitement, continué pendant un an, reste sans effet.
En 1839, Mme M. réclame les soins de Marjolin, qui, dans une consultation écrite, établit le diagnostic suivant : «Point d'ulcérations sur le col de l'utérus ; l'exploration par le vagin et par le rectum montre que le corps de cet organe est plus volumineux et plus dur que dans l'état naturel, qu'il est incliné à droite, et que la pression produit une douleur extrêmement vive, qui parait avoir son siégé dans la portion droite du corps utérin et dans les annexes correspondants.»
Marjolin supprime les saignées, les cautérisations, la ciguë, la grande conspude; il prescrit trois verres d'eau froide le matin à jeun, des bains tièdes, le repos au lit, et des injections froides; mais celles-ci ne sont pas supportées, en raison des douleurs qu'elles provoquent.
Pendant neuf ans, l'état de Mme M. subit plusieurs alternatives d'amélioration et d'aggravation; mais, envisagé d'une manière générale, il devient de plus en plus fâcheux, et vers la fin de 1846, il acquiert une gravité que l'on ne comprend bien qu'en entendant la malade faire le récit des indicibles souffrances qu'elle a endurées.
Les douleurs hypogastriques, lombaires, inguinales, celles du membre pelvien, la pesanteur périnéale, là constipation, l'impossibilité de se mouvoir, de rester debout ou assise, sont plus pronon-
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cées que jamais; mais tous ces phénomènes morbides ne sont rien en comparaison des douleurs atroces que produit la sensation de chaleur dont nous avons déjà parlé, et qui est arrivée à des porportions incroyables.
Nuit et jour, continuellement, sans répit ni trêve, Mme M. éprouve dans le bas-ventre et le bassin une sensation de cuisson, de brulure, qu'elle compare à celle que fait naître un sinapisme très-énergique, un vésicatoire qui mord, une brûlure du premier degré. Cette sensation douloureuse est exaspérée par le plus léger mouvement, et la malade, couchée sur le dos dans une immobilité complète, ne peut ni soulever un membre ou la tête, ni se moucher, ni tousser, ni éternuer, sans éprouver un redoublement de souffrances qui, malgré toute l'énergie morale dont elle est douée, lui arrache des cris perçants ; cette cuisson atteint son summum d'intensité pendant l'époque menstruelle et les huit jours suivants. Les règles sont devenues irrégulières, se montrent à des intervallew de quinze jours ou de trois semaines, et sont d'une abondance qui les transforme en de véritables métrorrhagies.
Pendant deux années, Marjolin épuisa sans succès contre ce singulier état morbide toutes les ressources de la thérapeutique. Mme M. ne quitte pas le lit un seul instant, et y conserve, dans une immobilité complète, le décubitus dorsal. Plus de trois cents sangsues sont appliquées en différentes fois sur le ventre; huit cautères sont posés sur l'hypogastre, et trois sur la région lombaire; vingt-un vésicatoires d'une dimension énorme sont successivement appliqués sur le ventre, et saupoudrés chaque fois de 5 centigrammes de morphine, sous peine d'exaspérer violemmentles souffrances de la malade; plus de DEUX MILLE cataplasmes chauds, et arrosés chacun de deux cuillerées à bouche de laudanum, sont placés sur le ventre; Mme M. les accusé de lui faire plus de mal que de bien, mais Marjolin insiste pour qu'ils né soient point abandonnés. Des cataplasmes laudanisés de fécule de pomme de terre sont introduits dans le vagin; tous les jours on administre un ou deux lavements contenant de 10 à 25 gouttes de laudanum ; enfin des frictions mercurielles sont pratiquées sur l'abdomen. Mais tous ces moyens restent sans effet, et n'apportent aucun soulagement aux affreuses souffrances qu'endure la malade. Le 6 janvier 1849, Mme M. se fait transporter, non sans peine, à la Maison nationale de santé, et elle est placée dans le service de M. Mondd.
Ce chirurgien prescrit des bains tièdes prolongés ; mais on est obligé d'y renoncer, dès le troisième jour, en raison des douleurs
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atroces et des syncopes qu'ils provoquent; des injections de nitrate,; de plomb sont pratiquées dans le vagin, mais elles exaspèrent les accidents, et on les abandonne après trois tentatives malheureuses Une cautérisation avec le fer rouge est pratiquée sur le col utérin; elle a pour résultat de rendre pendant plusieurs jours les souffrances de la malade plus intolérables encore.
On se borne alors à appliquer d'une manière continue des cataplasmes chauds sur le ventre; Mme M. assure qu'ils exaspèrent ses? douleurs, et demande avec instance qu'on les lui applique froids, mais sa requête est repoussée.
Vers le commencement du mois de mai, il survient une métrorrhagie extrêmement abondante, qui persiste pendant trois semaines. Le vingt-deuxième jour, la malade a des syncopes répétées, et, la mort paraît imminente; le médecin de garde est appelé au milieu de la nuit, il prescrit une potion contenant du seigle ergoté et de l'acide sulfurique.
Immédiatement après l'avoir avalée, Mme M. ressent une chaleur brûlante dans la bouche, l'oesophage, l'estomac, et les intestins, les lèvres, les gencives, la langue, la cavité buccale toute entière, sont couvertes d'une pellicule blanche, semblable à celle qui caractérise le muguet ; Mme M. éprouve dans l'oesophage une sensation de gonflement, d'occlusion, qui rend impossible l'ingestion de lapins; petite quantité de liquide, malgré les ardeurs d'une soif extrême; des nausées, des efforts stériles de vomissement, se renouvellent incessamment ; la malade éprouve des crampes très-douloureuses et a des syncopes très-fréquentes.
Les jours suivants, les parties brûlées se dépouillent, et présentent des surfaces dénudées et saignantes, principalement sur la langue; les efforts de vomissement continuent; ni solides ni liquides ne peuvent pénétrer dans l'estomac. Mme M. éprouve des coliques violentes, et rend avec efforts et ténesme des matières sanglantes et des lambeaux membraneux.
Des vésicatoires sont appliqués sur les régions latérales du cou, l'épigastre, et le ventre; des frictions sèches, énergiques, sont pratiquées sur les membres. Mais ces moyens n'améliorent que peu l'état de la malade, qui quitte la Maison nationale de santé le 10 juillet 1849, emportant une consultation de M. Monod, conçue dans les termes suivants :
«Mme M. est affectée d'une maladie organique du corps de la matrice ; le col ne participe que faiblement à la lésion du corps; il s'y joint des désordres sympathiques, du système nerveux , surtout du côté des voies digestives. Les douleurs qu'éprouve la malade ne sont
DE LA MÉDICATION SÉDATIVE ET HYPOSTHÊNISANTE. 201
pas en rapport avec la lésion de la matrice. Dans le courant du mois dernier, Mme M. a éprouvé des désordres très-graves du côté des voies digestives ; symptômes inflammatoires et nerveux qui avaient complètement masqué la maladie principale : ces symptômes se sont en partie dissipés, pour faire place aux désordres primitifs. Le toucher pratiqué dernièrement a fait reconnaître que la lésion du corps de la matrice avait augmenté rapidement dans ces derniers temps. Je pense qu'il faut s'en tenir à des moyens adoucissants, et qu'il ne faudrait avoir recours aux fondants que si l'estomac revenait à l'état normal.»
Le 15 août 1849, M. le Dr Mercier, cousin de la malade, me prie de me rendre auprès de Mme M., qui désire entrer à l'établissement hydrothérapique de Bellevue. Je vois la malade le 17.
Mme M., qui n'a pas quitté le lit depuis trois ans et demi, est couchée sur le dos, et ne peut exécuter le moindre mouvement; la maigreur est squelettique, la peau sèche et écailleuse; le teint terreux, d'un jaune grisâtre; la peau du ventre et des membres inférieurs est violacée, la pression du doigt y laisse une empreinte blanche et déprimée. Les accidents liés à la maladie primitive sont ceux que nous avons décrits, et ils n'ont rien perdu de leur gravité ; ceux qui ;se rattachent à la phlegmasie toxique des voies digestives sont caractérisés par l'impossibilité d'introduire aucun aliment solide dans l'estomac; la malade ne se nourrit qu'avec une petite quantité de lait et de bouillon froids; plusieurs fois par jour, des coliques violentes se font sentir, et après de longs efforts, accompagnés de ténesme, d'ardeur anale, Mme M. rend une certaine quantité de pus sanguinolent, mêlé de glaires, de débris membraneux. L'aspect de la malade, la lecture des consultations rédigées par Marjolin et par M. Monod, me firent penser tout d'abord que Mme M. était atteinte d'un cancer utérin arrivé à sa dernière période, mais une exploration attentive me démontra bientôt qu'il n'en était rien-, je ne constatai qu'un engorgement médiocre du col de l'utérus, de la partie droite du corps, et une légère déviation latérale. Je recherchai avec soin si les accidents si graves éprouvés par la malade ne se rattachaient pas à une cause organique autre que celle dont l'utérus était le siège, mais les résultats de mon investigation furent tous négatifs.
Les difficultés du transport, l'impossibilité dans laquelle se trouvait Mme M. d'exécuter le plus léger mouvement, celle que j'entrevoyais quant à l'administration des douches, et, je dois l'avouer, la prévision d'un insuccès, la crainte d'une terminaison funeste, m'inspirèrent de sérieuses réflexions. Comment soumettre à la mé-
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dication hydrothérapique une femme condamnée à une immobilité absolue; une femme qu'on ne peut soulever, toucher, sans provoquer des douleurs atroces ? Comment la placer sous la douche? Comment provoquer la réaction dans des conditions aussi défavorables ?
Préoccupé de toutes ces considérations, effrayé de tous ces obstacles, j'engageai Mme M. à ne point songer à Bellevue, à rester chez elle, et à essayer un traitement que je formulai de la manière suivante :
Ingestion fréquente d'une petite quantité d'eau froide, compresses froides incessamment renouvelées sur le ventre, injections rectales et vaginales rendues graduellement de plus en plus copieuses et froides.
Depuis le 17 août 1849 jusqu'au 10 juin 1851, je ne revis point Mme M.; à plusieurs reprises, je fus sollicité de la faire admettre à l'établissement de Bellevue, mais je n'y voulus point consentir
Le 10 juin 1851, sans avoir été prévenu, et au moment où je pensais le moins à elle, je vis arriver à Bellevue Mme M., qui m'aborda en me disant: Je sais bien que vous ne voulez pas de moi; mais me voici, et il va bien falloir que vous me gardiez !
Que s'était-il passé depuis nôtre entre vue?
Ayant suivi mes prescriptions avec une scruputeuse exactitude, à l'exception toutefois des injections rectales et vaginales qui n'ont pu être supportées, Mme M. avait éprouvé au bout de trois semaines un soulagement considérable, qui l'avait remplie d'espoir, et avait augmenté la confiance qu'instinctivement déjà elle avait dans les vertus de l'eau froide ; pendant quatre mois et demi, c'est-à-dire jusqu'au mois de janvier 1890, le ventre avait été couvert nuit et, jour de compresses froides, exactement renouvelées toutes les cinq minutes.
A cette époque, une amélioration si notable s'était manifestée, que Mme M., pensant qu'elle pouvait se départir quelque peu de la rigueur du traitement, avait substitué aux compresses des cataplasmes, froids, des bains de trois heures à là température de 18 à 20°. Les compresses n'étalent appliquées que dans les cas d'une recrudescence plus ou moins violente des accidents.
Cette modification eut un fâcheux effet, et au mois d'avril la malade comprit qu'il fallait rétablir la continuité des applications froides ; elle imagina un appareil au moyen duquel le bas-ventre était constamment en contact avec une vessie remplie d'eau froide renouvelée à volonté et très-facilement, au moyen de deux robinets , l'un de décharge, l'autre d'arrivée.
DE LA MÉDICATION SÉDATIVE ET HYPOSTHÉNISANTE. 203
Pendant quinze mois, cet appareil fonctionna constamment nuit et jour, et la malade se trouva de nouveau notablement soulagée.
Les accidents du côté du canal intestinal, les selles purulentes et sanguinolentes, persistaient néanmoins toujours. Au mois d'avril 1851, Mme M., ayant lu, dans un journal de médecine, que M. Velpeau avait guéri des ulcérations intestinales au moyen de préparations huileuses, voulut essayer une médication de cette nature. Pendant dix-huit jours, elle prit tous les jours un lavement d'huile d'amandes douces, et au bout de ce temps, toute trace de pus et de sang disparut dans les évacuations alvines. La diarrhée fut remplacée par une constipation opiniâtre.
Deux mois après, Mme M., persuadée que l'eau froide devait la guérir, mais à la condition d'une application méthodique et puissante, prenait la résolution de se faire transporter à Bellevue, et elle y arrivait, comme je l'ai dit, le 10 juin.
État actuel. Une douleur continue, exaspérée par la pression, occupe la fosse iliaque droite; la sensation de brûlure existe toujours, quoiqu'elle soit beaucoup moins vive, et qu'elle permette maintenant à la malade de se tenir sur son séant dans son lit, et de se livrer à quelques travaux d'aiguille. Les règles, qui ont été supprimées pendant quinze mois après l'accident arrivé à la Maison de santé, ont reparu ; elles sont régulières , abondantes, accompagnées et suivies d'une exaspération considérable de la sensation de brûlure, mais il n'existe plus de métrorrhagies. La maigreur est toujours extrême; cependant la malade mange des potages et un peu de poisson ou de laitage. La constipation est opiniâtre et ne peut être surmontée que par des purgatifs doux pris tous les trois ou quatre jours; les lavements provoquent de violentes douleurs sans amener des évacuations suffisantes.
Je déclarai à Mme M. que, si la guérison d'une maladie aussi ancienne, aussi grave, aussi extraordinaire, pouvait être obtenue, cela ne serait qu'en associant l'action révulsive de l'eau froide à son action Sédative ; elle me promit une docilité complète, mais la première tentative faite pour la transporter sous la douche provoqua des douleurs tellement violentes, qu'il fallut y renoncer. Une baignoire et un bain de siège furent placés dans la chambre de la malade, et ce ne fut pas sans des difficultés énormes qu'on parvint à l'y placer et à lui faire prendre des bains de trois à quatre heures, a la température de 14° c. Pendant les intervalles séparant ces diverses immersions les unes des autres, le ventre fut constamment couvert, huit et jour, de compresses froides renouvelées toutes les cinq minutes.
Ce traitement si simple était, pour la malade, tellement pénible,
204 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
tellement douloureux, que dix fois le découragement me conduisit. à la porte de Mme M. avec l'intention de l'engager à abandonner Bellevue, et une médication qui ne devait pas être plus efficace la que chez elle; dix fois je m'arrêtai devant l'énergie, le courage, la volonté persévérante de la malade; devant la crainte surtout de. la jeter dans le désespoir, en lui enlevant une branche de salut à laquelle elle se rattachait avec d'autant plus de force et d'instances, qu'elle la considérait comme la dernière.
Au bout d'un mois, Mme M. pouvait descendre de son lit, et se placer elle-même, sans aide, soit dans la baignoire, soit dans le bain de siège. J'essayai alors de nouveau de la faire porter, sous la douche, et cette fois la chose fut effectuée sans trop de difficultés et de douleurs. Deux fois par jour, Mme M. reçut, étant assise sur une chaise, une douche en pluie générale et une forte douche mobile en jet promenée sur la partie supérieure du tronc et les membres thoraciques.
Dans les premiers jours du mois d'août, Mme M. faisait, en s'appuyant sur un bras, une dizaine de pas; à la fin du mois, elle se rendait seule à la douche, et faisait quelques pas dans le jardin. Je fis commencer, à cette époque, l'usage des douches ascendantes rectaies, rendues graduellement plus froides et plus copieuses; les premières occasionnèrent de vives douleurs ; mais bientôt elles, furent supportées sans peine, et au bout de quinze jours six litres de liquide étaient introduits dans l'intestin à chaque douche.
Le 1er octobre, Mme M. était rendue à la vie commune ; levée tout la journée, elle faisait d'un pas rapide et assuré d'assez longues promenades, travaillait beaucoup à l'aiguille, mangeait à table avec appétit, et digérait fort bien.
Les douleurs hypogas triques, inguinales, lombaires, la pesanteur périnéale, ont entièrement disparu; la sensation de brûlure ne se fait sentir, et encore très-modérément , que pendant et après les règles; mais alors les douches révulsives en font promptement justice, le traitement n'ayant jamais été interrompu pendant l'époque menstruelle.
Aujourd'hui, 15 décembre, la guérison de Mme M. est à peu près complète, et elle constitue un des succès les plus extraordinaires, les plus inespérés, que j'aie rencontrés dans ma carrière médicale.
Dans cette observation si curieuse, l'action sédative de l'eau froide n'a pas opéré la guérison à elle seule, il a fallu lui associer l'action révulsive; néanmoins elle a joué dans le traitement un rôle considérable, prépondérant, et voilà pourquoi j'ai cru devoir placer ici la relation de ce fait remarquable.
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE.
De la métlication reconstitntive et tonique.
Les travaux qui, dans ces dernières années, ont eu pour objet l'étude de la composition physiologique et des altérations du sang ont réhabilité l'humorisme, en lui assignant la base véritablement scientifique sur laquelle il doit reposer désormais, Nul ne peut nier les services qu'en ont retirés la pathogénie et la thérapeutique rationnelle. Cependant les divers éléments du sang n'ont pas fourni à la science des données d'une égale importance; les altérations de l'albumine, de la fibrine, des sels, ne sont pas suffisamment connues, et ont donné lieu à des inductions contestables, et que l'observation ultérieure est souvent venue renverser. Il n'en est pas de même de l'élément globulaire, dont les changements de proportion correspondent d'une manière constante à des états pathologiques nettement déterminés : la pléthore, la chlorose, et l'anémie. Et cependant encore, si l'on étudie avec soin ces divers états morbides, on est conduit à reconnaître que l'altération globulaire ne peut être considérée comme représentant à elle seule la maladie tout entière , et qu'il faut admettre l'intervention d'autres éléments pathogéniques d'une importance non moins grande pour le praticien. Certains faits restent toutefois acquis, et présentent une valeur réelle.
L'alimentation azotée, l'exercice musculaire, tous les agents qui activent la nutrition et développent le système musculaire, amènent une élévation du chiffre des globules ; tandis qu'il est abaissé par l'abstinence, une alimentation insuffisante, non réparatrice, par le repos, la privation de lumière, le repos continu, l'humidité, par tous les agents débilitants. Le sang d'une jeune fille en parfaite santé contient en globules 132,3.; mais, après quinze jours d'une diète rigoureuse, ce chiffre descend à 87,9 (Denis). Le sang des carnivores est plus riche en
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globules que celui des herbivores (1); les chiens donnent en moyenne 148,3; les boeufs, 97,4; et les porcs, dont la nourriture est mixte, 105,7 ; chez un chien boule-dogue vigourem et bien nourri, on trouve 176,6; chez un chien de même race, mais faible et ayant souffert, 131,6 (2).
La quantité d'eau que contient le sang est toujours en raison inverse de celle des globules; elle augmente notablement dans les cas où celle-ci diminue, et vice versa, sans toutefois que, le rapport soit constant. Ainsi, dans 5 cas de chlorose commençante, MM. Andral et Gavarret ont trouvé pour les globules et l'eau les chiffres suivants :
Globules. Eau.
113,7 790,0
112,7 709,7
112,2 801,1
104,7 801,8
99.7 803,6
Dans 9 cas de chlorose confirmée, les chiffres ont été :
Globules. Eau.
77.5 830,6 70,1 839,6
62.8 848,8
56.9 851,6
54.6 866,4
49.7 852,8 49,6 860,1
46.6 866,5
38.7 868,7
(1) Prévost et Dumas. Examen du sang, et de son action dans les divers phénomènes de la vie, in Annales de chimie et de physique, t. XXlll; 1823.
(2) Andral, Gavarret et Delafond, Recherches sûr la composition du sang de quelques animaux domestiques , etc. ; Paris, 1842.
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 207
Chez une jeune fille chlorotique , dont le sang ne contenait plus en globules que 27,9, l'eau s'élevait au chiffre de 886; et
enfin, chez une femme épuisée par d'abondantes et continuelles
hémorrhagies utérines, les globules étant réduits à 21,4, l'eau était représentée par 915,7 (1).
Le même phénomène se produit chez les animaux, et il s'est montré chez les moutons hydroémiques dont le sang a été analysé par MM. Andral, Gavarret et Delafond, auxquels nous empointons quelques chiffres, pour mieux mettre en évidence la
règle que nous avons établie, et pour montrer quel degré extrême peut atteindre la double altération du sang.
Globules. Eau.
78,6 858,3
58,0 881,5
41,0 892,5
39,4 894,8
La pléthore nous fournit des exemples non moins tranchés du phénomène inverse. Ainsi 31 saignées pratiquées à des sujets pléthoriques ont donné pour moyenne des globules 141 , pour minimum 131, et pour maximum 154, la quantité de l'eau ayant toujours subi une diminution plus ou moins considérable; de telle sorte, dit M. Andral, que le sang des pléthoriques diffère du sang ordinaire par la plus grande quantité de globules et par la quantité beaucoup moindre d'eau qu'il contient (2).
Les saignées et la diète ont pour effet constant d'abaisser le chiffre des globules, d'élever celui de l'eau, et l'on comprend dès lors qu'elles soient le remède héroïque de la pléthore, dont tous les phénomènes caractéristiques se produisent dès que le chiffre des globules s'élève au-dessus de 135. Ainsi, 6 saignées
(1) Andral et Gavarret, Recherches sur les modifications de proportion de quelques principes du sang dans les maladies; Paris, 1840. (2) Andral, Essai d'hématologie pathologique, p. 44 ; Paris, 1843.
208 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE;
ayant été pratiquées à un rhumatisant, nous trouvons successivement pour les globules et l'eau les chiffres suivants (1):
Saignées. Globules. Eau.
1re 114,8 796,0
2e 111,0 800,7
3e 102,8 813,3
4e 88,7 823,9
5e 88,0 825,6
6e 76,6 837,5
Quatre saignées pratiquées à un mouton hydroémique fournissent les chiffres ci-dessous :
Saignées. Globules. Eau.
1re 39,4 894,8
2e 33,3 908,6
3e 29,3 915,6
4e 14,2 930,9
L'animal expira de faiblesse, trois heures après la dernière émission de sang (2).
Une alimentation abondante, azotée, un régime tonique, les préparations martiales, l'exercice musculaire, les bains de mer, ont ordinairement pour effet d'élever le chiffre des globules, d'abaisser celui de l'eau, et l'on conçoit que ces modificateurs puissent être opposés avec avantages à la chlorose, dont les phénomènes caractéristiques apparaissent constamment dès que le chiffre des globules est descendu au-dessous de 80, (3); à l'anémie, à l'état cachectique, aux névroses, qui sont fréquemment accompagnées d'un abaissement notable du chiffre des globules.
Une première saignée pratiquée à un mouton hydroémique donne 49,1 pour les globules, et 889,0 pour l'eau ; l'animal est
(1) Andral et Gavarret, loc. cit.
(2) Andral, Gavarret et Delafond, loc. cit.
(3) Andral, Essai d'hématologie pathologique.
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 209
soumis à un régime tonique pendant un mois, et l'on trouve
alors 67,7 pour les globules, et 862,9 pour l'eau. Chez un
autre mouton, placé dans les mêmes conditions, on trouve
d'abord 50,8—880,8, et après un mois d'un régime tonique,
69,9—861,6(1).
Une première saignée pratiquée à une femme chlorotique donne pour résultat 46,6—866,5; la malade est soumise à l'administration du fer pendant un mois, et l'on trouve alors 96,7—818,5. Dans un second cas, on obtient à une première saignée 49,7—852,8, et après trois semaines de l'emploi du fer, 64,3-831,5 (2).
Ainsi donc il demeure établi, d'une part, que l'abaissement du chiffre des globules sanguins est un caractère commun à la chlorose et à l'anémie, et, d'autre part, que l'alimentation azotée ahondante , l'exercice, le fer, les bains de mer, les corroborants, les toniques, sont des modificateurs qui tendent à élever le chiffre de ces globules. Mais s'ensuit-il que ces deux états de l'économie sont de nature identique, et que ces modificateurs en sont le remède commun? Non certes. Que de différences étiologiques, symptomatiques et thérapeutiques, surgissent devant le praticien et viennent compliquer sa tâche! Les circonstances au milieu desquelles se développe la chlorose, cette maladie qui, suivant les expressions de M. Trousseau, domine la pathologie de la femme , sont toujours individuelles; les modificateurs pathologiques et hygiéniques ne lui sont pas étrangers ; l'établissement de la menstruation , l'évolution des organes génitaux vers l'âge de la puberté, la continence, l'abus des plaisirs vénériens, les conditions d'alimentation, d'habitation , sont considérés comme des causes prédisposantes de chlorose. Mais quel est l'agent direct de la déglobulisation du sang ? comment expliquer ces cas de chlorose confirmée que M. Trousseau assure avoir vu se développer
(1) Andral, Gavarret et Detafond, toc. cit.
(2) Andral et Gavarret, loc. cit.
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210 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
brusquement sous l'influence d'une cause morale? combien de fois les causes de la chlorose échappent-elles complètement! nos investigations? Dans l'anémie et l'état cachectique, les causes sont aussi constamment individuelles ; mais presque toujours elles sont faciles à saisir, et sont hygiéniques et pathologiques. Ici viennent se placer la misère, une alimentation malsaine ou insuffisante, des travaux excessifs, le séjour dans un lieu bas, humide, privé d'air et de lumière ; les hémorrhagies abondantes et répétées, les hypersécrétions, le diabète, l'albuminurie ; l'intoxication paludéenne, saturnine ; la plupart des affections chroniques. «Dans les divers cas d'affection cancéreuse , dit M. Andral, les globules du sang offrent cette ; diminution progressive qu'ils éprouvent toutes les fois que l'organisme est sous l'influence d'une cause quelconque d'épuisement; dans la phthisie pulmonaire, les globules sont diminués dès le début, et si cette altération n'est pas la cause de la tuberculisation, elle est pour nous un signe certain que cette maladie prend naissance au milieu d'un notable affaiblissement de la constitution» (1).
Souvent aussi l'anémie est produite par l'abus de la diète, des purgatifs, des sudorifiques, des mercuriaux, des préparations iodées, etc.
S'agit-il des symptômes, tout le monde sait combien l'anémie diffère de la chlorose par ses manifestations, sa marche, ses caractères.
Le traitement est-il le même dans les deux cas ? Nullement,
Le fer peut être considéré comme le spécifique de la chlorosé , et son action est puissamment favorisée par les modificateurs hygiéniques; mais que de fois encore ne voit-on pas la maladie résister à tous ces moyens? Il est peu de praticiens qui n'aient pas rencontré quelques cas de ces chloroses rebelles aux efforts de la médecine. «Il faut dire aussi, parce que c'est une vérité que l'on comprend en vieillissant dans la pratique, que
(1) Andral, loc, cit.
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le fer, après avoir amendé rapidement les accidents les plus graves de la chlorose , devient quelquefois tout à coup impuissant , et nous laisse désarmés en présence d'une maladie qu'il semble dominer en général avec tant de facilité. Le médicament, dans ce cas, agit d'autant moins sûrement que l'affection est plus ancienne, et surtout que les récidives ont été plus fréquentes... L'indication de l'emploi des ferrugineux, si évidente qu'elle soit, ne peut pas d'ailleurs être toujours facilement remplie ; l'état de l'estomac et celui des intestins, une susceptibilité qu'il est impossible de prévoir, y peuvent mettre un invincible obstacle »(1).
Le traitement de l'anémie est complexe, et d'autant plus difficile à instituer, que de malade et le médecin tournent souvent dans un cercle vicieux. Ainsi, lorsque l'anémie est le résultat d'hémorrhagies abondantes et répétées, elle fait de rapides progrès à mesure que l'écoulement sanguin se reproduit, et, d'un autre côté, celui-ci devient d'autant plus fréquent et Considérable , que l'état général s'aggrave, que le sang s'appauvrit. Le traitement, pour être promptement et sûrement efficace, doit être dirigé simultanément contre l'état général considéré en lui-même et contre la cause pathologique locale qui lui a donné naissance ; mais combien de fois les moyens indiqués par celui-là ne sont-ils pas contre-indiqués par celle-ci, de telle sorte qu'en cherchant à améliorer l'état général, on aggrave la lésion locale et réciproquement. Le fer, le quinquina, les agents pharmaceutiques, ont ordinairement peu de prise sur l'anémie ; l'air de la campagne, l'exercice, l'alimentation surtout, sont les modificateurs aux quels on doit accorder le plus de confiance. Mais souvent les malades sont plongés dans un tel état de débilité, que leur emploi devient fort difficile ou même impossible; il est des sujets qu'on ne parvient ni à faire marcher ni à faire digérer,
(1) Trousseau et Pidoux, Traité de thérapeutique, t. 1, p. 15, 16; 1847.
212 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
quels que soient les soins, la gradation, la prudence, qu'on apporte dans l'usage de l'exercice et des aliments.
Si, en présence d'un tel état de choses, on se demande quelles doivent être les doctrines du nosographe et du praticien relativement aux deux états organiques dont il vient d'être question, on s'aperçoit qu'il est fort difficile, pour ne pas dire impossible, d'arriver à une solution certaine et complètement satisfaisante. Ce n'est point ici le lieu d'entrer dans tous les développements que comportent ces questions délicates ; mais, s'il est permis d'émettre à cet égard quelques idées, il me semble que l'on doit envisager le sujet de la manière suivante,
Sauf les restrictions que nous avons formulées plus haut, on peut dire que la chlorose est essentiellement caractérisée par la diminution des globules et du fer contenus dans le sang, et qu'elle trouve un remède héroïque dans les préparations martiales.
Pour l'anémie, la question est plus difficile. En se fondant sur ce que le chiffre des globules s'abaisse ici, comme dans la chlorose, un grand nombre d'auteurs , depuis les belles recherches de MM. Andral et Gavarret, ont prétendu que ces deux affections devaient être réunies, confondues; qu'elles étaient dues à une seule et même altération, et ils les ont dé; crites sous le nom de chloro-anémie. Or, la déglobulisation du sang ne devenant jamais dans la chlorose une cause d'hémorrhagie, ces auteurs, pour rester logiques, ont été contraints d'affirmer qu'il en était de même dans l'anémie, et ils ont été amenés ainsi à contester un fait positivement acquis pour tous les praticiens, à savoir qu'une hémorrhagie a de la tendance à se reproduire par cela même qu'elle a déjà eu lieu. plusieurs fois , et qu'elle a plongé le sujet dans l'anémie.
Nous avons déjà montré combien l'étiologie de l'anémie diffère de celle de la chlorose ; les symptômes ne sont pas moins différents, et tandis que le fer a en général facilement raison. de celle-ci, il reste complétement impuissant en présence de celle-là.
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 213
La diminution des globules n'est évidemment pas la seule altération du sang qui accompagne l'anémie. Nous pensons, avec M. Rostan, que la fibrine subit également un abaissement plus ou moins considérable , et l'on comprend dès lors que ce soit dans l'alimentation qu'il faille chercher les agents les plus efficaces de la guérison. Des recherches récentes et fort curieuses de M. Clément, préparateur de chimie à l'École d'Alfort, viennent à l'appui de cette manière de voir. Cet expérimentateur a constaté , en effet, que, sous l'influence de la douleur et des souffrances capables d'user en peu de temps la vie, l'albumine diminue de 1/7000, la fibrine de 1/3000 environ, et que celle-ci sert presque exclusivement à la nutrition, tandis que la première est destinée à alimenter la respiration (1).
Quel rôle la composition du sang joue-t-elle dans le tempérament lymphatique ?
Cette question, qui n'a pas encore été étudiée avec le soin qu'elle mérite , a été de ma part l'objet de quelques recherches que je crois utile de faire connaître. Je me contenterai d'indiquer brièvement les points qui rentrent dans le domaine des discussions doctrinales, pour me placer sur le terrain de la pratique et des faits ; car il n'entre ni dans mes projets ni dans la nature de ce livre de traiter ici in extenso la question des tempéraments, «question, dit Royer-Collard, la plus importante peut-être qui existe en hygiène, car elle se trouve toujours plus ou moins mêlée à toutes les autres, et elle sert véritablement de point de départ à quelque espèce d'étude qu'on veuille entreprendre sur la santé ou la maladie. »
Lorsque l'on dit, de nos jours : Cet enfant est doué d'un tempérament lymphatique très-prononcé, tous les praticiens rattachent à cette proposition un sens très-net et le même pour tous ; ils comprennent tous, en effet, qu'il s'agit d'un enfant plus ou moins chétif, à système musculaire grêle, à peau fine et blanche, à muqueuses pâles, à système capillaire peu
(1) Clément, séance de l'Académie des sciences du 15 juillet 1850
214 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
développé, à sang peu riche en globules; d'un enfant dont le développement est souvent inharmohique, dont les organes génitaux et les seins présentent peu de volume, dont les dents sont tardives; et se carient facilement ; chez lequel la puberté, la menstruation, sont retardées et difficiles, les chairs molles, les tissus cellulaire et adipeux abondants ; dont toutes les fonctions sont en général peu actives; d'un, enfant enfin prédise posé aux maladies du système osseux, aux flux et aux phlegmasies des muqueuses , aux dermatoses, a la scrofule, etc. Mais, si l'on demande aux physiologistes et aux hygiéniste quelle est là signification organique ou fonctionnelle de cette même proposition, on se trouve en présence d'opinions contradictoires. Sans parler de Zimmermann, de Georget, et de plusieurs autres, qui nient d'une manière absolue l'existence des tempéraments, sans parler des anciens, pour lesquels le tempérament lymphatique, appelé par eux phlëgmatique ou pituiteux, résultait de la prédominance du froid et de l'humide, associés dans la pituite, nous voyons Boerhaave, F. Hoffmann, Cullen, attribuer le tempérament lymphatique à l'excès des fluides blancs ; Halle et M. Husson le rattacher à un certain rapport existant entre les systèmes vasculaires artériel et lymphatique ; M. Rostan en placer la cause dans une atonie générale de tous les appareils ; enfin Royer-Collard en rejeter l'existence, en se fondant sur ce qu'il n'existe dans l'économie que deux fluides universels, le sang et le fluide nerveux, et sur ce que le tempérament est un état universel dé l'économie, dont il faut chercher la source et les conditions dans quelque chose qui soit également universel (1).
Or, si l'on considère que l'état organique et fonctionnel auquel correspond ce qu'on est convenu d'appeler le tempérament lymphatique existe manifestement et s'offre tous les jours à notre observation; que cet état est caractérisé par des phéno(1)
phéno(1) Mémoires de l'Académie royale de méd., t. X, p. 135 ; 1843.
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 215
mènes qui sont diamétralement opposés à ceux qui appartiennent au tempérament sanguin ; que le tempérament sanguin, dont la pléthore représente l'exagération, est organiquement constitué par un appareil capillaire sanguin très-développé, stimulé par un sang riche en globules ; que, si l'on parvient à détruire le tempérament lymphatique, celui-ci est remplacé par un tempérament sanguin acquis, et que cette substitution ne peut être obtenue qu'à l'aide des modificateurs qui ont pour effet d'augmenter le chiffre des globules sanguins, et surtout de stimuler la contractilité des vaisseaux capillaires et d'augmenter le développement apparent de ce système ; on est conduit à se demander si le tempérament lymphatique n'est point ce que quelques auteurs ont appelé un tempérament négatif; s'il n'est point la négation du tempérament sanguin, c'est-àdire
c'est-àdire état organique constitué par un sang pauvre en globules, par un système capillaire peu développé, ou, tout au moins, dont la contractilité propre est peu stimulée , de telle
façon qu'un grand nombre de vaisseaux, au lieu de recevoir des globules sanguins, ne laissent pénétrer que du sérum. Des considérations d'une valeur sérieuse me semblent militer en faveur de cette manière de voir.
Le chiffre des globules sanguins est en raison directe de la force, de la vigueur dès individus ; il est moins élevé chez les femmes que chez les hommes (94, au lieu de 127, suivant M. Le Canu; 127,' au lieu de 141, suivant MM. Becquerel et Rodier), moins élevé chez les enfants' et chez les vieillards que chez les adultes (Denis); les gros chevaux de trait sont plus riches en globules que les chevaux de poste ; le maximum de globules (123,4) a été trouvé chez une brebis mérine qui était reconnue pour la bête la plus forte du troupeau (Andral, Gavarret et Delafond); dans certaines espèces ovines, l'amélioration de la race par le croisement s'est traduite par une augmentation de l'élément globulaire (106,1, au lieu de 98,1 (1).
(1) Andral, Gavarret et Delafond, loc. cit.
216 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
Le tempérament lymphatique est presque constamment héréditaire : c'est dans les conditions d'âge absolu ou relatif des parents (Lugol), dans leur état de santé, dans l'étude de toutes les conditions organiques, de tous les modificateurs physiologiques, hygiéniques ou pathologiques, qui se rattachent aux ascendants, qu'il faut en rechercher l'origine.
Le volume du coeur, sa force d'impulsion, n'ont aucun rapport avec le tempérament lymphatique ; car on voit celui-ci persister chez des individus affectés d'une hypertrophie cardiaque , et il n'est nullement modifié par les agents excitateurs] de l'organe central de la circulation. Chez les sujets qui exercent peu leur système musculaire, qui ont une profession sédentaire, chez les hommes adonnés aux travaux de cabinet, on voit souvent se développer une hypertrophie du coeur, tandis que l'état général révèle les caractères principaux du tempérament lymphatique.
Le fer est impuissant à modifier le tempérament lymphatique ; les amers, l'huile de foie de morue, le quinquina, les toniques, les divers agents pharmaceutiques qui ont été tour à tour préconisés, n'ont pas une action bien constatée ; pour obtenir une influence réelle, c'est aux modificateurs hygiéniques qu'il faut s'adresser. Le séjour à la campagne, l'exposition à l'air extérieur, l'insolation, l'alimentation azotée, les bains de rivière ou de mer, ont une efficacité qui ne saurait être niée; mais l'agent dont la puissance est la plus sûre, la plus énergique, la plus prompte, est certainement l'exercice musculaire ; la marche, l'escrime, l'équitation, et surtout la gymnastique, sont les moyens par excellence, et cette circonstance ne témoigne-t-elle pas encore en faveur des rapports que nous voulons établir entre le tempérament lymphatique et le système capillaire, envisagé dans sa contractilité et ses propriétés vitales propres ?
Guidé par les considérations que je viens de résumer, je me suis demandé si les douches froides excitantes , en raison de l'action qu'elles exercent sur la circulation capillaire, la calo-
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 217
rificatiou, la nutrition, ne pourraient pas devenir l'agent le plus puissant de la médication reconstitutive et tonique, si mieux que le fer, et les divers modificateurs hygiéniques et pharmaceutiques énumérés plus haut, elles ne modifieraient pas la composition du sang, elles n'exciteraient pas la contractilité propre des vaisseaux capillaires ; si enfin elles ne fourniraient pas à la médecine pratique un moyen précieux pour combattre le tempérament lymphatique , la chlorose et l'anémie, c'est-à-dire trois états organiques qui jouent en pathologie un rôle immense dont chacun connaît l'importance.
Jetais d'autant plus autorisé à m'adresser cette question, que le mode d'action du fer lui-même est loin d'être complétement connu.
«On s'est demandé, disent MM. Trousseau et Pidoux , par quel moyen le fer rendait ainsi la coloration au sang. Les uns, et nous sommes de ce nombre, attribuent à ce médicament une action tonique , en vertu de laquelle les fonctions digestives et nerveuses sont influencées de manière à rendre plus parfaites l'innervation et la nutrition : ainsi se trouve rapidement facilitée la reconstitution organique ; les autres veulent que le fer absorbé passe directement dans le sang, y soit précipité à l'état d'oxyde, lui rende immédiatement les principes qui lui manquent, et fasse d'emblée de ce fluide un élément réparateur» (1).
Le sang ne se fait-il point d'ailleurs, suivant les expressions de M. Gerdy, dans les capillaires généraux de tous les organes? Lagrange, Hasenfràtz, Spallanzani, Edwards, Magnus, n'ont-ils pas établi que les phénomènes de combustion s'accomplissent non-seulement dans les poumons, comme l'avaient annoncé Lavoisier et Séguin, mais encore pendant le cours de la circulation, et principalement dans les capillaires ? MM. Andral et Gavarret n'ont-ils pas montré que dans les deux sexes, et à tous les âges , la quantité d'acide carbonique exhalée par le
(1) Trousseau et Pidoux, loc. cit., p. 11.
218 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
poumon est d'autant plus grande, que la constitution est plus forte et le système musculaire plus développé? L'intensité des courants électriques musculaires n'est-elle pas en rapport avec le degré de nutrition des muscles, l'activité de leur circulation? «Quand on pense, dit M. Gavarret, que l'action directe, immédiate, du système nerveux, ne joue aucun rôle dans la production du courant musculaire, qui est, au contraire, si puissamment modifié par la circulation, il est bien difficile de ne pas supposer, avec M. Matteucci, qu'au moment où, dans les réseaux capillaires, se manifestent les réactions entre les élé-; ments du sang et l'oxygène absorbé dans le poumon, au moment où est produite la chaleur animale, la nutrition, telle qu'on la conçoit dans le muscle et dans toutes les parties des animaux vivants, développe de l'électricité. Or, ajoute M. Gavarret , que l'électricité, à un titre quelconque, et que nous ne connaissons pas encore, joue un rôle soit dans la production, soit dans la manifestion des maladies, c'est là une chose qui nous paraît probable » (1).
« C'est au moyen dé la circulation capillaire, dit Béclard, que s'opèrent les sécrétions, la nutrition, l'absorption. »
Il était donc légitime de penser qu'un modificateur qui imprime une activité si considérable à la circulation capillaire pourrait directement et médiatement modifier l'organisme, et faire disparaître les accidents liés à l'appauvrissement du sang. Oh verra que l'expérience a donné à cette induction théorique 1 la valeur d'un fait.
L'hydrothérapie ne s'est que peu ou point occupée du sujet dont il est question ici. Je ne sache, pas que jamais elle ait été appliquée aux enfants dans le but de modifier le tempérament lymphatique, et MM. Scoutetten et Lubansky ne mentionnent ni la chlorose ni l'anémie.
M. Schedel s'exprime de la manière suivante :
(1 ) Gavarret, Lois générales de l'électricité dynamique, thèse de concours, p. 104 ; Paris, 1843.
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 219
«L'hydrothérapie doit-elle être employée dans la chlorose, à l'exclusion de tout autre moyen ? Je suis très-porté à en douter, d'après ce que j'ai observé à Graefenberg, où la fille aînée de Priessnitz, atteinte de cette affection, paraît loin d'être bien rétablie. Cette maladie, du reste, menace toute sa famille, composée de sept ou huit filles. Priessnitz lui-même me paraît, pour ainsi dire, affecté de chlorose ; son teint blême habituel est quelquefois d'une pâleur remarquable , et je crois qu'il se trouverait fort bien, ainsi que plusieurs de ses enfants, de passer quelques mois auprès de l'une des nombreuses sources d'eau ferrugineuse qu'on trouve en Bohême. « L'hydrothérapie peut guérir la chlorose peu avancée ; mais l'hygiène doit, dans ce cas, lui venir puissamment en aide. Des ablutions générales, matin et soir, sur tout le corps, ou bien des frictions faites avec le drap mouillé, et suivies de promenades en plein air, après l'ingestion de quelques verres d'eau , sont à peu près les seuls moyens de traitement mis en usage. S'il y a aménorrhée, on donne chaque jour deux ou trois bains de siège froids, de très-courte durée, suivis de frictions et de promenades en plein air. C'est en suivant ce traitement que j'ai vu des jeunes personnes quitter Graefenberg entièrement rétatablies, et n'offrant plus d'apparence chlorotique. «Lorsque la maladie est ancienne, les procédés hydrothérapiques me paraissent loin d'offrir des chances de guérison proropte et solide. Les préparations ferrugineuses ou les eaux minérales de même espèce sont les moyens qu'il convient d'employer, sans plus tarder, en faisant coïncider, comme moyen adjuvant très-utile, les ablutions froides ou une immersion instantannée. dans de l'eau de mer, et surtout l'exercice au grand air»(1).
M. Engel, dans un paragraphe consacré à l'aménorrhée et à la dysménorrhée, rapporte deux observations d'aménorrhée, dont l'une se rattache à la pléthore, et l'autre à la chlorose ;
(1) Schedel, loc. cit., p. 521-523.
220 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
la pléthorique et la chlorotique furent traitées de la même manière (bains de pieds et de siège, douche très-forte sur l'épine dorsale), et la guérison eut lieu... E sempre bene (1),
M. Baldou cite deux cas d'anémie rapidement guérie (l'une. en seize jours ! ) par l'hyrothérapie ; mais les observations qu'il rapporte sont tellement incomplètes, au triple point de vue des causes, des symptômes et du diagnostic, qu'on ne saurait leur accorder une valeur sérieuse (2).
Avant d'aborder l'étude des faits particuliers sur lesquels reposent ces recherches, il est nécessaire de rappeler que c'est à titre d'agent excitant que l'eau froide doit être mise en usage ici, et que son effet sédatif doit être évité avec soin, sous peine de faire beaucoup plus de mal que de bien aux malades. Pour obtenir l'action excitante, il faut que la température de l'eau soit suffisamment basse ( 8 à 12° centigr.), et que les douches soient puissantes, afin que l'effet si utile, si nécessaire de la percussion, vienne s'ajouter à celui du froid, pour provoquer la réaction.
Il faut que la durée des applications générales ou partielles d'eau froide soit constamment proportionnée à la puissance dé réaction du sujet, car cette réaction est l'instrument exclusif de la guérison ; si elle ne se produit point, le traitement reste complétement inefficace , ou devient même la cause d'accidents plus ou moins graves. Au début, chez les individus très-débilités, la durée des douches ne doit souvent pas excéder quelques secondes , et ce n'est que graduellement que l'on peut arriver jusqu'à deux à trois minutes, limite extrême qu'il est rarement; utile de dépasser. Après la douche, l'exercice, la marche, sont de toute rigueur; rien ne saurait les remplacer pour favoriser la réaction, et tel malade qui s'abstient de marcher, parce qu'immédiatement après la douche il n'éprouve aucun froid, est pris souvent, au bout d'une heure , d'une frisson, d'une sensation
(1) Engel, loc. cit., p. 97-101.
(2) Baldou, loc. cit., p. 562-567.
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de froid interne très-intense, très-pénible, qui persistent pendant toute une journée et qu'on a beaucoup de peine à faire disparaître (voy. p. 159 et suiv.).
La sudation est quelquefois indiquée par l'aridité de la peau; mais, dans aucun cas, elle ne doit être fréquente et prolongée. L'eau à l'intérieur doit être administrée avec beaucoup de ménagement.
La presque totalité des malades traités à Bellevue n'ont été soumis qu'aux applications extérieures d'eau froide ; chez tous, l'action de celles-ci a été favorisée par le séjour à la campagne sur un site élevé, entouré de bois très-vastes, par un exercice gradué, par une alimentation de plus en plus réparatrice, souvent par l'usage d'un vin généreux, etc.
Exposons maintenant les faits cliniques qui viennent à l'appui des doctrines que j'ai émises.
Tempérament lymphatique.
Trois petites filles , âgées l'une de six ans, les deux autres de trois ans, nées de parents d'un tempérament lymphatique très-prononcé, pouvaient être considérées comme le type de cet état organique : peau blanche et fine, cheveux blonds, yeux bleus, système musculaire très-grêle, teint d'un blanc de cire; sensibilité extrême des muqueuses aux influences atmosphériques; rhinites, bronchites, diarrhées fréquentes, malgré l'usage de la flanelle et les soins les plus minutieux, les précautions les plus incessantes ; le plus léger courant d'air, une fenêtre ouverte, la fraîcheur du soir, suffisent pour donner lieu à ces accidents. La première a pris des douches en 1849, pendant quatre mois (juin, juillet, août et septembre ) ; les deux autres en ont pris pendant cinq mois, de mai à octobre, l'une eu 1848, l'autre en 1849, et ce traitement si court a suffi pour amener un résultat très-remarquable. La peau a bruni, le teint s'est coloré, le système musculaire a pris du développement ; les enfants sont devenus plus gais, plus vifs, plus actifs, plus robustes ; ils
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jouent davantage sans se fatiguer autant ; leur apparence chétive et languissante à disparu pour faire place à une expression de bien-être et de force ; quoiqu'ils aient quitté la flanelle après quinze jours de douches, ils sont beaucoup moins sensibles au froid; ils n'ont eu ni rhinites ni bronchites, bien qu'on ait abandonné les précautions minutieuses dont on les entourait l'appétit, d'irrégulier, de capricieux, est devenu excellent et beaucoup plus vif, sans que les fonctions intestinales aient éprouvé le moindre dérangement. En un mot, si le tempérament lymphatique n'a pas été complètement détruit, il a du moins perdu ses caractères les plus prononcés, et l'état général des enfants a subi une modification des plus heureuses. Tout ce qui précède s'applique également à un petit garçon âgé de cinq ans, qui m'a été adressé par M. Malgaigne, pour une maladie de la hanche, et à une petite fille âgée de six ans, que j'ai vue conjointement avec M. le Dr Jules Guérin, et qui était affectée d'une coxalgie avec luxation spontanée, tumeur blanche et imminence d'abcès. Ces enfants, dont les observations détaillées seront rapportées ailleurs, étaient d'un tempérament très-lymphatique, et épuisés par de longues souffrances six mois de douches ont véritablement transformé leur état général et leur tempérament, indépendamment de l'action qu'elles ont exercée sur les lésions locales.
OBSERVATION. — Une petite fille de 4 ans, née d'une mère trèslymphatique, morte phthisique, était grêlé, chétive, pâle, trèssujette à s'enrhumer, d'un caractère indolent, et présentait tous les signes du tempérament de la mère. Deux saisons de douches en 1847 et 1848 (de mai à novembre), ont opéré ici une transformation complète; l'enfanta aujourd'hui un tempéramont sanguin acquis des plus prononcés ; la couleur brune de la peau, la chaleur et l'éclat du teint, lui donnent l'aspect de ces enfants robustes de la campagne de Rome; le système musculaire a pris un développément et une force remarquables ; le caractère est devenu d'une vivacité extrême, l'intelligence est aussi active que prompte, et il y a chez cette enfant une telle exubérance de vie, que je refuse de lui laisser prendre une nouvelle saison de douches, malgré ses vives instances.
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVÉ ET TONIQUE. 223
OBSERVATION. — Mlle D., âgée de 12 ans, née d'un père dont la santé est profondément altérée depuis longtemps, est d'un tempérament lymphatique très-prononcé; la taillé est petite, mal développée, le ventre est volumineux au point de faire croire à l'existence du carreau ; le teint est couperosé, et lorsque, sous l'influence d'une cause quelconque, la circulation devient plus active, on voit souvent apparaître sur la race, sur la poitrine et les membres, des petites taches violacées semblables à des pétéchies, et formées par de véritables petites ecchymoses; les fonctions digestives sont irrégulières, souvent dérangées ; les cheveux sont rares, le caractère est indolent , et nous sommes ici sur la limite qui sépare le tempérament de l'état morbide.
Les douches froides sont commencées au printemps de 1848; pendant l'été, survient une fièvre typhoïde qui dure trois septénaires; les douches sont reprises dès le début de la convalescence, et la tête est rasée, les cheveux étant devenus beaucoup plus rares encore. Après une suspension de quelques mois (décembre, janvier, février et mars), les douches sont reprises au mois d'avril 1849 et continuées jusqu'à l'automne. L'effet du traitement a été vraiment extraordinaire. Mlle D. est aujourd'hui une grande et belle fille, remarquable par la fraîcheur et l'uni de son teint-, par le développement régulier et proportionné de ses formes, par son apparence de force et de santé. La menstruation s'est établie: sans donner lieu au plus léger accident.
OBSERVATION. — Mlle J., âgée de 12 ans, a la peau très-blanche, les yeux bleus, des cheveux blonds très-longs, un teint très-éclatant; elle est, pour son âge, d'une taille et d'une précocité remarquables, et ce développement si rapide a produit une assez grande maigreur. Le tempérament lymphatique est accompagné, chez elle, d'une grande exaltation du système nerveux, de la sensibilité ; elle est d'une impressionnabilité extrême : un mot, un regard, la présence d'un étranger, suffisent pour l'émouvoir et l'agiter; souvent elle éclate en sanglots pour la cause la plus légère ou même sans aucun motif; son caractère est irrégulier, fougueux, se portant rapidement d'un extrême à l'autre; la marche la fatigue beaucoup et lui fait éprouver de vives douleurs dans les genoux. Cette organisation inspire des craintes sérieuses pour l'avenir, et fait redouter le développement ultérieur, sous l'influence de causes physiques ou morales, d'une maladie nerveuse semblable à celle qui, depuis dix ans, pèse sur la mère de celte enfant. Deux saisons de douches sont prises en 1848 et 1849, et pendant l'hiver, Mlle J. fait de la gym-
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nastique trois fois par semaine ; l'appétit est très-vif et le régime très-animalisé.
Dans ce cas, la transformation a été complète; l'irritabilité nerveuse a entièrement disparu , les systèmes capillaire et musculaire se sont développés; les règles se sont établies, sans le plus léger accident. Mlle J. ne présente plus aucun des caractères du tempérament lymphatique, et elle jouit de la santé la plus satisfaisante.
Si maintenant l'on considère, d'une part, combien il importe, dans la médecine de l'enfance, de modifier le tempérament lymphatique soit en vue du temps présent, soit, et surtout, en vue de l'avenir, et si, d'autre part, on se rappelle combien sont insuffisants, incertains, inefficaces, d'une application difficile et fort longue , les moyens dont le médecin dispose pour obtenir ce résultat, on reconnaîtra que les observations précédentes offrent un grand intérêt et qu'elles témoignent, en faveur des douches froides excitantes, d'une puissance qu'on chercherait en vain dans tout autre modificateur. Quel est, en effet, l'agent hygiénique ou pharmaceutique à l'aide duquel il soit possible de modifier profondément le tempérament lymphatique le plus prononce en quelques mois , d'en faire disparaître tous les caractères dans l'espace d'une ou de deux années ?
Dans l'état actuel des choses, le traitement n'a-t-il pas constamment une durée de plusieurs années, et souvent n'est-il pas nécessaire de le continuer depuis la plus tendre enfance jusqu'à l'age de la puberté ? Or combien rencontre-t-on de parenls capables dé comprendre la nécessité d'un pareil traitement? combien en rencontre-t-on qui consentent à soumettre un enfant, d'ailleurs bien portant, et jugé souvent par les gens du monde comme un type de santé et de beauté florissante, à des soins incessants, à une éducation en opposition avec une foule de préjugés généralement établis? Combien de fois d'ailleurs ne sont-ils pas mis dans l'impossibilité de satisfaire à toutes les exigences de ce traitement par leur fortune, les obligations de leur profession, etc. ?
Toutes ces difficultés ne disparaissent-elles point devant un
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 225
moyen aussi simple, aussi facile, aussi peu dispendieux, que celui qui nous est offert par les douches froides ?
Chlorose*
Plusieurs cas de chlorose confirmée, ancienne, rebelle, ont été traités par les douches froides. Chez toutes les malades, âgées de 12 à 22 ans, il existait un bruit de souffle intense dans les vaisseaux du cou, de l'éclat métallique au premier temps, des palpitations violentes, exaspérées par le plus léger exercice musculaire, par la marche , par l'ascension d'un escalier, etc. ; des troubles graves de la menstruation, l'écoulement cataménial étant irrégulier, peu abondant, accompagné de douleurs très-vives ; de la gastralgie ; des douleurs névralgiques irrégulières, erratiques ; des céphalalgies fréquentes, une grande faiblesse musculaire, de la constipation, de l'anorexie, un appétit capricieux, des digestions laborieuses; chez toutes on observait le teint et l'habitude extérieure caractéristiques de la chlorose confirmée. Chez toutes ces malades encore, la chlorose avait plusieurs années d'existence , et avait résisté à tous les moyens ordinaires de la médecine : fer sous toutes ses fermes, bains de mer, exercice, séjour à la campagne, régime, eaux minérales, etc.
Toutes les malades ont guéri, la durée du traitement ayant été de sept mois au maximum, de deux mois au minimum, de quatre mois et demi en moyenne , et ayant exclusivement consisté en douches froides générales, administrés deux ou trois fois par jour pendant deux ou trois minutes.
L'effet de la médication s'est montré constamment le même. Les premières douches, malgré toutes les précautions possibles et la gradation la plus rigoureuse, ont produit de la suffocation , des palpitations violentes, et plusieurs fois les malades ont cru qu'il leur serait impossible de continuer le traitement; mais ces phénomènes ont toujours disparu du troisième au cinquième jour, et dès lors les douches ont été prises sans ré15
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pugnançe ou même avec plaisir. Le système musculaire et l'appareil digestif ont été les premiers à ressentir l'influence de la médication ; au bout de quelques jours déjà, l'appétit était plus vif, les digestions étaient plus faciles, les forces plus considérables , les évacuations régulières et spontanées. L'innervation s'est modifiée en second lieu, et l'on a vu disparaître les douleurs névralgiques. Enfin le sang et la circulation se sont ensuite modifiés à leur tour : la peau est devenue plus blanche et plus colorée, les palpitations ont diminué de violence et de fréquence ; les règles ont coulé plus régulièrement, avec plus d'abondance et moins de douleurs, et les malades sont arrivées graduellement à une guérison complète et définitive. Deux d'entre elles, traitées en 1846, se sont mariées depuis, et ont continuée jouir d'une excellente santé ; trois autres, traitées en 1847 et 1849, sont restées à l'abri de toute récidive.
Ces faits ont une importance pratique facile à saisir. La chlorose, lorsqu'elle a résisté au fer et à la médication reconstitutive, devient une maladie grave, contre laquelle la médecine demeure le plus souvent impuissante ou n'obtient que des succès éphémères, bientôt suivis de récidives. Les praticiens s'estimeront donc heureux, je le pense, d'être mis en demeure d'expérimenter un modificateur nouveau, qui paraît devoir remporter sur tous les moyens dont ils disposent aujourd'hui. Mais la physiologie pathologique doit également en tenir compte, et ne pas perdre de vue que les phénomènes produits par le traitement se sont constamment montrés dans le même ordre de succession : la digestion et la nutrition sont d'abord modifiées ; puis disparaissent les accidents appartenant au système nerveux, et ce n'est que consécutivement à cette double modification que l'on voit s'amender les phénomènes qui se rat' tachent à la circulation et à la composition du sang.
Cette marche régulière et constante n'est-elle point propre à jeter quelque jour sur la pathogénie de la chlorose, et ne vient-elle pas à l'appui de l'opinion exprimée par MM. Trousseau et Pidoux, lesquels, ainsi que nous l'avons déjà dit, n'ac-
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cordent au fer qu'une action tonique, en vertu de laquelle les fonctions digestives et nerveuses sont influencées de manière à rendre plus parfaites l'innervation et la nutrition, et à faciliter ainsi la reconstitution organique?
Anémie.
Pour étudier avec fruit les observations qui appartiennent à l'histoire de l'anémie, et que nous avons recueillies à Bellevue, il est nécessaire d'établir quelques divisions; nous distinguerons : 1° l'anèmie idiopathique, 2° l'anémie des convalescents, 3° l'anémie symptomatique, a. d'une lésion guérissable , b. d'une lésion incurable, et nous rechercherons quels ont été, dans chacune de ces diverses espèces, les causes de la maladie et les effets du traitement par les douches froides.
1° Anémie idiopathique. — J'appelle idiopathique l'anémie qui n'est liée à aucune lésion organique, à aucun état morbide primitif; celle qui se montre sous l'influence de la misère, d'une alimentation insuffisante ou malsaine, de la privation de lumière , d'un air vicié, d'une vie trop sédentaire, etc. Le plus souvent, et surtout lorsque la maladie est récente, il suffit de soins hygiéniques bien entendus, pour faire disparaître tous les accidents; le séjour à la campagne, l'exercice, une nourriture substantielle, en font rapidement justice. Mais il n'en est plus ainsi lorsque la maladie est ancienne : souvent alors le système musculaire , les fonctions digestives, l'innervation , ont subi une modification si profonde, que l'économie reste opprimée sans pouvoir supporter l'application des agents propres à la relever ; l'exercice est impossible ou provoque, malgré toute la prudence possible, une fatigue extrême, de la courbature, des douleurs musculaires et articulaires, de la fièvre, qui viennent encore augmenter la faiblesse générale; l'estomac a complétement perdu la faculté de digérer ; l'alimentation la plus légère, la plus modérée, provoque des douleurs gastriques, de la fièvre, des phénomènes de réaction géné-
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rale, qui obligent d'en revenir, à une diète plus ou moins sévère.
L'anémie idiopathique est très-fréquente chez les jeunes femmes du monde, et doit être attribuée le plus souvent à des habitudes opposées à toutes les prescriptions d'une bonne hygiène; la constriction exagérée du corset, une alimentation insuffisante, les veilles, les bals, les spectacles, l'absence d'exercice à l'air libre, le séjour dans des appartements chauds et non suffisamment aérés, etc. etc. On voit alors les malades s'étioler, perdre, pour ainsi dire, la faculté de se mouvoir, et se condamner à un repos à peu près absolu ; l'anorexie, les douleurs gastralgiques, rendent l'alimentation de plus en plus insuffisante; l'amaigrissement devient considérable; on observe des palpitations, des accidents névralgiques et nerveux très-variables ; la peau est sèche, d'un gris sale ; ordinairement l'écoulement menstruel acquiert une abondance inusitée et se présente sous la forme d'une véritable hémorrhagie, sans que l'utérus soit d'ailleurs le siège de la moindre lésion; la faiblesse! générale augmente en raison de ces pertes de sang, rend à son tour celles-ci de plus en plus considérables, et les malades arrivent graduellement à un état fort grave qui se prolonge pendant plusieurs années, et qui résiste aux médications les plus rationnelles et les plus-variées.
C'est dans ces circonstances que les douches froides excitantes se présentent comme une ressource d'autant plus précieuse que je ne leur connais point d'équivalent. Sous leur influence, l'appétit se développe, les digestions deviennent faciles, les forces renaissent, les palpitations et les accidents nerveux disparaissent, le teint se colore, la peau perd sa teinte morbide, l'écoulement menstruel rentre dans ses limites physiologiques , et les malades retrouvent une santé perdue depuis longtemps, et considérée souvent comme compromise à jamais par une lésion organique se dérobant à nos moyens d'investigation.
Plusieurs malades affectés d'anémie idiopathique ont été trai-
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tés et guéris à Bellevue depuis 1846 , et l'observation suivante fournira le type des faits de ce genre qu'il m'a été donné d'observer.
OBSERVATION. — Mlle X., âgée de 28 ans, d'un tempérament lymphatique , d'une constitution grêle, ayant eu, dans son enfance, la rougeole, la scarlatine et la coqueluche, a été réglée à 15 ans ; l'établissement de la menstruation a été difficile, pénible, douloureux, et ce n'est que vers l'âge de 18 ans que les règles sont devenues régulières , exemptes de douleurs, et d'une abondance médiocre. Depuis cette époque jusqu'à l'âge de 22 ans, la santé a été bonne sans être très-robuste ; ainsi l'appétit n'a jamais été très-vif, et, par ce motif autant que par goût, Mlle X. ne mangeait qu'une trèspetite quantité de viande blanche et avait un régime presque exclusivement lacté et végétal ; les forces suffisaient à l'usage qu'on en taisait, mais elles n'auraient point permis une marche très-longue, un exercice musculaire violent, une fatigue quelconque. Eu un mot, Mlle X. se portait bien, mais elle était une jeune personne pâle et délicate.
Au printemps de l'année 1844, après un hiver passé à Paris, et pendant lequel Mlle X. avait été beaucoup dans le monde, au spectacle, au bal, fatigues pour lesquelles les jeunes femmes semblent toujours avoir une réserve de force et d'énergie, la santé générale devint moins bonne ; appétit presque nul ; digestions laborieuses, souvent douloureuses ; lassitudes spontanées, obligation de se coucher dans la journée pendant plusieurs heures. A partir de cette époque, cet état maladif fit continuellement des progrès, et en 1846 il inspira de sérieuses inquiétudes aux parents, qui consultèrent successivement Marjolin, M. Andral et M. Chomel. Ces praticiens éminents conseillèrent le séjour à la campagne, l'exercice, un régime analeptique, le fer, le quinquina, les eaux de Seltz, de Bussang, les bains de mer ; mais plusieurs de ces moyens ne furent pas supportés par la malade, et les autres restèrent inefficaces.
En 1848, l'état de Mlle X. était devenu fort triste: maigreur extrême, peau sèche, d'un gris sale; anorexie complète, accidents gastralgiques continuels, constipation opiniâtre, faiblesse extrême qui oblige la malade à rester couchée la plus grande partie de la journée, et à éviter la conversation, le bruit, la lumière. Les règles sont devenues extrêmement abondantes et donnent lieu chaque. mois à une véritable hémorrhagie, suivie, pendant plusieurs jours, de palpitations violentes et d'une exacerbation de tous les acci-
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dents, particulièrement de la faiblesse générale et des phénomènes gastralgiques.
Au mois de février 1849, les parents de la malade, redoutant une affection organique méconnue du foie ou de l'estomac, provoquèrent une consultation qui les rassura sur ce point, mais qui ne leur indiqua aucun moyen de traitement qui n'eût été déjà employé sans résultats. Ils se décidèrent alors à essayer l'hydrothérapie, qui fut commencée le 15 mars.
Au bout d'un mois de traitement, l'amélioration est déjà fort remarquable; le teint, la couleur de la peau, se sont notablement modifiés; l'appétit est plus vif, les digestions sont plus faciles; la constipation a disparu, la faiblesse est moins grande; la malade fait de petites promenades, et ne se couche plus dans la journée que pendant trois ou quatre heures.
Le 15 juin, les accidents gastralgiques ont entièrement disparu] l'appétit est vif, les digestions sont faciles, et la malade mange sans répugnance une quantité raisonnable de viandes noires ; les forces augmentent de plus en plus; les règles sont revenues à leur abondance primitive; elles ne sont plus suivies de palpitations; enfin Mlle X. a notablement engraissé.
Le 15 septembre. La guérison est complète, et Mlle X, assure que jamais sa santé n'a été aussi satisfaisante.
Je citerai encore l'observation suivante, que j'insère telle qu'elle a été recueillie et rédigée par mon excellent confrère et ami M. le Dr Chapel, de Saint-Malo, par lequel la malade m'a été adressée.
OBSERVATION. — Mlle C., de Saint-Malo, âgée de vingt-sept ans, d'une constitution grêle mais robuste', d'un tempérament nerveux très-pronoucé, a joui d'une parfaite santé jusqu'à l'âge de quinze ans. Les règles se sont établies à douze ans, et ont toujours été régulières et abondantes (six ou sept jours). Élevée dans un pensionnat dès l'âge le plus tendre, Mlle C. fut vivement affectée le jour où elle en sortit, et de ce moment commencèrent ses longues souffrances ; sans éprouver aucune douleur vive et localisée, sans présenter aucun phénomène morbide bien caractérisé, Mlle C. Vit son appétit, son embonpoint, la fraîcheur de son teint, et la gaieté naturelle à son caractère, diminuer de jour en jour. Bientôt se montrèrent une, deux, trois ou même quatre fois par mois, des roigraines ayant une durée de vingt-quatre ou quarante-huit heures, accompagnées dé vomissements et d'un malaise qui jetait Mlle C.
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dans un accablement difficile à décrire. Douée de beaucoup de résignation et d'énergie morale, la jeune malade dissimula ses souffrances le plus qu'elle put, et ce ne fut qu'après plusieurs années, lorsque l'altération des traits et l'amaigrissement attestèrent d'un état morbide grave, que les parents s'inquiétèrent et se décidèrent à réclamer le secours de la médecine. Plusieurs médecins furent successivement consultés ; leurs soins restèrent complètement inefficaces. Il y a trois ans, je fus appelé à mon tour à donner des conseils a Mlle C.
La malade se plaignait principalement d'éprouver de vives douleurs dans la région épigastrique, plusieurs espaces intercostaux, et alternativement la fosse iliaque droite et la fosse iliaque gauche. Un examen attentif de tous les organes de la poitrine et du ventre ne m'ayant fourni que des résultats négatifs, je considérai la maladie comme étant purement nerveuse, et j'instituai le traitement en conséquence. Une amélioration lente mais progressive ne tarda pas à se manifester; au bout de quelque temps, Mlle C. put sortir et aller respirer l'air de, la campagne. Toutefois des douleurs vagues, erratiques, irrégulières, se faisaient sentir tantôt dans un point, tantôt dans un autre.
Cependant les migraines n'avaient point été modifiées et faisaient le désespoir de Mlle C. ; je conseillai alors l'usage du citrate de caféiné que la malade prit, et continue encore à prendre, avec un plein succès ; en ce sens que deux ou trois pilules, prises aussitôt que la migraine se fait sentir, arrêtent immédiatement l'accès.
En janvier 1851, Mlle C. fut prise de douleurs qui envahirent pour ainsi dire toute sa personne, et la forcèrent de garder le lit. Aujourd'hui c'était la tête qui était le siège de douleurs atroces ; le lendemain, c'était l'estomac; puis la poitrine, les seins, les jambes, et ainsi toutes les parties du corps. Les antispasmodiques, les toniques, les narcotiques, les bains, n'amenèrent aucun soulagement, et la résignation de la jeune malade, qui se croyait arrivée au dernier terme de la vie, avait quelque chose de navrant.
A la fin du mois de février, je fus forcé, par ma propre santé, de quitter Saint-Malo, et de confier ma malade à un confrère; mais celui-ci ne put parvenir à faire agréer ses soins, et un mois après mon départ, le père de Mlle C. m'écrivait que sa fille allait de mal en pis; qu'elle ne mangeait plus, qu'elle ne dormait plus, qu'elle était d'une maigreur squelettique, et qu'il était impossible qu'elle vécût longtemps avec les souffrances qu'elle endurait.
Soumis moi-même, à Bellevue, à un traitement hydrothérapique, frappé des succès que je voyais se produire autour de moi,
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encouragé par les conseils de mon excellent ami M. le Dr Fleury, désireux d'ailleurs d'avoir la malade auprès de moi, je répondis à M. C. que l'hydrothérapie était une dernière ressource qu'il ne fallait point négliger, et que le seul parti qu'il eût à prendre était de faire partir immédiatement sa fille pour Bellevue, où je comptait moi-même resterencore pendant environ un mois. Ce conseil fut suivi, et le 5 avril Mlle C. arrivait à Bellevue, accompagnée de sa mère, et après un voyage accompli à grand'peine et non sans beaucoup de souffrances.
Le changement qui s'est opéré en Mlle C., depuis un mois, est extraordinaire-, le teint est hâve, terreux; les yeux sont profondément excavés, la maigreur est extrême, l'affaiblissement si considérable que c'est à peine si la malade peut mettre un pied devant l'autre. L'anorexie est complète, rien ne peut éveiller l'appétit, et ce n'est qu'à force d'instances qu'on obtient de Mlle C. de manger un oeuf ou un peu de poisson; les viandes inspirent un dégoût invincible. Le sommeil a complétement disparu , et pendant toute la, nuit la malade est tourmentée par des douleurs générales et erratiques , plus vives dans les membres inférieurs que partout ailleurs.
Le soir même de son arrivée, nous examinâmes la malade avec le plus grand soin, M. Fleury et moi ; aucune altération organique appréciable et localisée ne se révéla à nous. M. Fleury me déclara qu'il rattachait cet état morbide à une anémie idiopathique accompagnée d'accidents nerveux, et qu'il considérait la guérison comme certaine, l'hydrothérapie ayant, dans les cas de ce genre, une efficacité constante qu'on demanderait vainement à toute autre médication.
Le traitement fut commencé dès le lendemain 6 avril. Pendant trois ou quatre jours, on se contenta de pratiquer deux fois dans les vingt-quatre heures une friction en drap mouillé, puis on eu vint aux douches enpluie générales, aux douches mobiles en jet promenées sur toute la surface du corps; les sudations en étuve sèche, suivies d'immersions, ne furent que rarement employées et à de longs intervalles.
Quinze jours de traitement suffirent pour opérer une véritable résurrection! Mlle C. avait déjà, au bout de si peu de temps, repris du teint, de l'appétit, et on la voyait sauter et courir dans le jardin , au grand étonnement de sa mère et de toutes les personnes qui l'avaient vue à son arrivée, et qui ne pouvaient ajouter foi à une transformation aussi inattendue.
Le 5 mai, je quittai Bellevue avec Mme C., et la jeune malade, se sentant assez forte pour franchir aisément d'assez grandes distances,
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prit domicile chez des parents qui habitent Issy, village éloigné d'une lieue environ de Bellevue.
Le traitement fut continué jusqu'au 15 juin; Mlle C. venait le matin à Bellevue, y passait la journée, et retournait à Issy après la séance de l'après-midi ; souvent elle faisait à pied ce double trajet.
A son retour à Saint-Malo, Mlle C. se montra aux yeux étonnés de ses amies, grasse, fralchef, et gaie; les douleurs ont entièrement disparu, le sommeil est excellent, l'appétit très-satisfaisant. Pour consolider cette remarquable guérison, Mlle C. prit pendant tout l'été des bains de mer, qui lui ont été agréables et utiles.
Aujourd'hui, 15 décembre 1851, Mlle C. se porte mieux que jamais, et conserve le meilleur souvenir des bons soins que lui a donnés mon excellent ami et confrère M. le Dr Fleury.
2° Anémie des convalescents. — Cette seconde forme de l'anémie est très-fréquente, et tous les praticiens l'ont observée sur des malades convalescents d'une maladie aiguë qui a eu une longue durée ou qui a rendu nécessaires une diète sévère, des émissions de sang nombreuses, l'administration continue des purgatifs, etc. etc. Ordinairement le séjour à la campagne et l'alimentation ramènent en peu de temps une santé complètement satisfaisante ; mais quelquefois, et surtout chez les sujets débiles, lymphatiques, d'une mauvaise constitution, la convalescence se prolonge, et l'anémie devient une maladie consécutive sérieuse. Dans les cas de ce genre, comme dans les précédents, les douches froides ont une action extrêmement favorable.
OBSERVATION. —M. B. a été atteint, au mois de décembre 1849, d'un rhumatisme aigu, qui, après avoir envahi les articulations des membres supérieurs et inférieurs, se compliqua d'une pleurésie gauche et d'une péricardite. Le malade reçut les soins de MM. les Drs Cruveilhier et Deschamps; de nombreuses émissions de sang furent pratiquées, et suivies de l'application de plusieurs vésicatoires et de l'administration de purgatifs; le malade resta pendant longtemps à une diète plus ou moins austère, car ce n'est guère que vers le 8 février 1850 que les accidents furent enfin vaincus, et que la convalescence commença. M. B. était d'une faiblesse extrême, émacié, pâle, réduit, en un mot, à une profonde anémie.
Vers la fin de février, la convalescence n'avait fait aucun progrès ;
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la faiblesse générale, la pâleur, l'amaigrissement, sont restés humâmes ; le malade a des palpitations très-incommodes, exaspérées par l'exercice le plus léger, par le moindre mouvement; il a une toux sèche, très-fréquente, qui provoque des douleurs dans tout le côté gauche de la poitrine et dans l'espace interscapulaire ; les pommettes saillantes et rouges proéminent sur la face amaigrie et profondement altérée; l'appétit est à peu près nul, et les digestions sont pénibles et douloureuses ; des douleurs rhumatismales erratiques se font encore souvent sentir dans les membres, et principalement dans les articulations scapulo-humérales.
Cet état fâcheux ayant résisté à une médication tonique, au quinquina, au fer, M. le Dr Deschamps pensa au traitement hydrothérapique, et me pria de voir avec lui le malade, auprès duquel je me rendis le 1er mars.
L'habitude extérieure de M. B. me fit tout d'abord penser que nous avions affaire à une tuberculisation pulmonaire, et j'avous que, malgré les résultats négatifs d'un examen très-attentif, je ne fus pas complétement rassuré à cet égard; on entend du côté gauche quelques bruits de frottement pleural, aucun signe d'altération organique du côté du coeur, pas de bruit de souffle dans les vaisseaux du cou.
Ce n'est que sous toutes réserves que je consentis à soumettre ce malade à l'action des douches froides, et M. B. vint s'établir à Bellevue le 4 mars 1850.
Pendant les cinq premiers jours, on ne pratique que des frictions,' faites avec le drap mouillé, le matin et dans l'après-midi ; au bout de ce temps, la réaction étant devenue satisfaisante, M. B. est soumis à la douche générale en pluie et en jet. Les premières douches produisent une suffocation violente et des palpitations très-énergiques, mais ces accidents ne tardent pas à disparaître, et dès lors les douches sont prisés avec plaisir, en raison de la sensation de bienêtre et de force dont elles sont suivies.
Le 20 mars, on constate déjà une amélioration très-remarquable; la toux, les douleurs thoraciques et articulaires, ont complétement disparu, l'appétit est plus vif, les digestions sont faciles, les palpitations moins violentés, et le malade fait d'assez longues promenades sans en éprouver une trop grande fatigue.
Le 4 avril, M. B. veut aller reprendre ses occupations, tant il est satisfait de son état; tous les accidents ont disparu, l'appétit est vif, le teint excellent, les forces sont complétement revenues, et l'embonpoint commence à reparaître. Je conseille au malade de continuer le traitement encore pendant quinze jours, et, le 19 avril,
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il quitte Bellevue, dans un état de santé qui ne laisse rien à désirer.
OBSERVATION. — M. de S. a été atteint, en 1849, du choléra, et depuis celte époque sa santé est restée peu satisfaisante. La peau est d'un jaune gris semblable à la coloration qu'on rencontre dans l'infection purulente ou l'intoxication plombique ; l'appétit est peu développé, les digestions sont laborieuses; il existe une constipation opiniâtre, qui nécessite l'emploi quotidien de plusieurs lavements ; l'intestin ne se vide que difficilement, incomplètement; les matières se présentent fréquemment sous la forme de cylindres très-grêles, et comme il existe dans le trajet du colon droit un point fixe qui est le siège d'une sensation de douleur et de gène, on s'est demandé s'il n'y avait point là un rétrécissement de l'intestin, produit par une lésion organique. M. de S. présente en outre tous les caractères d'une profonde anémie ; les muqueuses sont pâles, les forces déprimées; l'exercice, la marche, provoquent des palpitations et de la dyspnée.
Après plusieurs médications restées sans effet, M. le Dr Jules Guérin conseille un traitement hydrothérapique, et M. de S. vient à Bellevue le 11 avril 1850.
Au bout de quinze jours déjà, le teint se modifie, les évacuations deviennent spontanées et quotidiennes, l'appétit et les digestions s'améliorent, et deux mois de traitement suffisent pour amener un état de santé fort bon.
Dans un autre cas, quinze jours de douches ont suffi pour rendre complètement satisfaisant l'état d'un homme qui, depuis trois mois, était affecté d'une anémie consécutive à une variole.
3° Anémie symptomatique. — Cette troisième forme d'anémie se montre dans la plupart des affections chroniques ayant eu une longue durée, ayant été accompagnées de troubles dans les phénomènes de la digestion et de la nutrition, d'absence d'exercice ; ayant rendu nécessaire l'application de médications énergiques, des émissions de sang, des purgatifs, de altérants, tels que le mercure, l'iode, etc., du sulfate de quinine, de l'opium, etc.; elle est souvent le résultat d'une lésion qui altère profondément l'organisme, et c'est ainsi qu'elle se lie aux tubercules, au cancer, aux altérations du
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foie, du rein, delà rate, de l'ovaire, de l'utérus, etc. etc. Mais on comprend qu'au point de vue du traitement en général, et de la médication hydrothérapique en particulier, les résultai obtenus par le praticien diffèrent complètement suivant la ture de la maladie primitive, et qu'il est par conséquent indpensable de tenir compte de la division que nous avons indiqu plus haut.
a. Anémie symptomatique d'une maladie curable. — faits appartenant à cette première catégorie se subdivisent deux classes : dans la première, se placent ceux où les douch froides exercent une double action curative sur la lésion primtive et sur l'anémie consécutive, de façon à guérir simultanément, et souvent l'une par l'autre, les deux affections ; dans la seconde, figurent ceux où les douches froides, n'ayant aucune action directe sur la maladie primitive, agissent néanmoins si l'état anémique ou cachectique de façon à améliorer l'état général du malade, et à faciliter ainsi la guérison complète et définitive de celui-ci.
Dans la première classe, viennent se ranger les anémies accompagnant la fièvre intermittente, l'ankylose incomplète, les engorgements et les déplacements de la matrice, les névralgies et les rhumatismes musculaires chroniques, les affections chreniques du foie et du tube digestif, etc. etc.
Dans la seconde classe, se placent surtout les anémies produites par des hémorrhagies fréquentes liées à un polype utérin, à une lésion sur laquelle l'hydrothérapie n'a point de prise.
b. Anémie symptomatique d'une maladie incurable. — A cette classe, appartiennent un grand nombre de malades, parmi lesquels plusieurs m'ont été adressés par MM. Andral, Hervez de Chégoin, Denis, Tournié, de Castelnau, etc. etc. Ils peuvent être divisés en deux catégories : dans la première, se rangent ceux chez lesquels l'anémie était le résultat d'une altération organique non accompagnée d'hémorrhagies (emphysème pulmonaire, maladie organique du coeur, du foie, de l'es-
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tomac, etc.); dans la seconde, ceux chez lesquels l'anémie était le résultat d'une lésion organique, accompagnée d'hémorrhagies (affection organique de l'utérus ou des ovaires). Dans l'un et l'autre cas, les douches froides ont toujours notablement amélioré l'état général, rétabli les fonctions digestives, fait disparaître les accidents nerveux, diminué les phénomènes anémiques ; exercé, en un mot, une influence extrêmement favorable sur les symptômes généraux. Mais, dans le premier, cette influence ne peut être rapportée qu'à une action unique, reconstitutive, exercée sur la nutrition, l'innervation, et la composition du sang; tandis que, dans le second, elle est. due à une action double : l'une s'exerçant comme nous venons de le dire, l'autre agissant à titre d'hémostatique; car chez les malades affectées d'une affection organique de l'utérus ou des ovaires, et chez lesquelles il existait des métrorrhagies mensuelles ou irrégulières, les douches froides ont eu constamment pour effet de rendre ces hémorrhagies beaucoup moins abondantes ou même de les arrêter complétement, et cette circonstance n'est pas une des moins intéressantes à signaler et à étudier dans le mode d'action des douches froides. N'est-il pas remarquable, en effet, de voir ce modificateur exercer une action révulsive et anticongestionnelle assez puissante pour diminuer ou arrêter des hémorrhagies liées à une lésion locale, sur laquelle il n'a aucune prise, et ne voit-on pas quelles précieuses ressources il offre sinon pour guérir des altérations devant lesquelles toutes les ressources de l'art doivent malheureusement rester impuissantes, mais du moins pour soulager les malades, améliorer leur état général, et prolonger leur existence, en combattant l'anémie qui vient si souvent en abréger le terme.
Les faits qui viennent à l'appui de ces propositions seront relatés lorsque nous nous occuperons de la médication révulsive, et des médications dans lesquelles l'hydrothérapie exerce une action complexe et multiple. De ce qui précède, nous tirerons les conclusions suivantes :
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1° Les douches froides excitantes doivent être placées au premier rang des agents appartenant à la médication reconstitutive, en raison de l'action qu'elles exercent sur la circulation capillaire générale, la composition du sang, les phénomènes de calorification, de nutrition et d'innervation.
2° Plus rapidement et plus sûrement que tous les agents; hygiéniques et pharmaceutiques connus, elles modifient le tempérament lymphatique et lui substituent un tempérament sanguin acquis. Cette heureuse influence paraît devoir être attribuée à une double action : l'une s'exerçant sur la nutrition et la composition du sang; l'autre, sur les vaisseaux capillaires euxmêmes, dont les propriétés vitales propres et la contractilité sont excitées de manière à faire pénétrer des globules sanguins dans des vaisseaux qui auparavant ne donnaient peut-êtreentrée qu'à du sérum. Les douches froides exercent en même temps une influence très-favorable sur le développement du corps et du système musculaire, ainsi que sur l'établissement de la menstruation.
3° Les douches froides peuvent faire disparaître la chlorose confirmée, ancienne, grave, rebelle, ayant résisté aux préparations ferrugineuses et à tous les modificateurs hygiéniques et pharmaceutiques connus. L'effet de la médication est constamment le même; il se manifeste d'abord sur les appareils digestif et musculaire, puis sur le système nerveux, et enfin surit sang et la circulation. Ces faits jettent une vive lumière sur la pathogénie de la chlorose, sur le mode d'action du fer, et justifient les paroles de M. Gerdy : Le sang se fait dans les capillaires généraux de tous les organes.
4° L'anémie idiopathique et celle des convalescents disparaissent rapidement sous l'influence des douches froides, en raison de l'action que celles-ci exercent sur la digestion, la nutrition, et le système musculaire, action qui favorise mieux que tout autre agent thérapeutique la reconstitution du sang.
5° Dans les anémies symptomatiques liées à certaines affections de l'utérus, aux névralgies anciennes et rebelles, à cer-
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 239
taines névroses, à une hypertrophie du foie ou de la rate, à la cachexie paludéenne, à une phlegmasie chronique des organes
digestifs, etc., les douches froides exercent une double action
curative, en guérissant simultanément, et souvent l'un par l'autre, les deux états pathologiques. 6° Dans l'anémie accompagnée d'hémorrhagies abondantes et répétées, les douches froides exercent également une double
double fort remarquable : en opérant la reconstitution du sang, en combattant les congestions organiques, elles diminuent ou arrêtent les hémorrhagies, qui, après avoir produit l'anémie, sont à leur tour favorisées par elle , et l'on parvient
ainsi à échapper au cercle vicieux qui se présente si souvent
dans la pratique. L'action hémostatique des douches froides se manifeste même dans des cas où les hémorrhagies sont liées à
une lésion du solide sur laquelle la médication n'a aucune prise. C'est ainsi que, chez une malade réduite au dernier degré de l'anémie par des hémorrhagies mensuelles liées à la présence d'un polype inséré sur le col utérin , les douches froides ont arrêté les hémorrhagies et fait disparaître l'anémie avant que le polype eût été enlevé; c'est ainsi que, chez plusieurs autres malades, elles ont notablement diminué ou même arrêté
des hémorrhagies mensuelles liées à une tumeur de l'ovaire, à
une affection de l'utérus.
7° Dans l'anémie liée à une affection curable, mais sur laquelle les douches froides n'ont aucune prise, celles-ci rendent encore d'importants services au praticien, en améliorant l'état général des malades, et en rendant ainsi plus faciles le traitement et la guérison de l'affection primitive.
8° Dans l'anémie liée à une affection incurable, les douches
froides sont souvent très-utiles; elles ont notablement amélioré
amélioré général de plusieurs malades atteints d'emphysème
pulmonaire, d'une affection, organique du coeur, du foie, de
l'estomac; de cancer, de tumeurs abdominales, etc.
240 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
Déplacements utérins.
Gomme exemple remarquable et très-important de l'action reconstitutive et tonique des douches froides, flous citerons encore l'influencé qu'elles exercent sur les déplacements simples de l'utérus ; c'est-à-dire sur ceux qui ne se rattachent point à un engorgement, à une congestion chronique, en un mot, à une augmentation de volume de la matrice; qui ne sont dus qu'à un état de débilité générale, et à l'atonie, à la faiblesse, à la laxité des organes destinés à suspendre l'utérus dans le bassin et à le maintenir dans sa position physiologique.
Quelques mots d'explication sont nécessaires. Je dois dire; tout d'abord qu'il ne s'agit pas ici des déplacements embryonnaires qu'à signalés M. Jobert, et qui sont lé résultat d'un vice de conformation, mais des déplacements accidentels, dus à des violences, à des ébranlements utérins, à des changements survenus dans les moyens d'union et de suspension de l'utérus. J'ajoute qu'il ne sera question que des déplacements proprement dits, dans lesquels l'utérus subit un déplacement absolu, sans que la direction de ses différents axes soit changée (élévation, abaissement), et des inclinaisons dans lesquelles l'utérus se déplace en masse, de façon que son grand axe ne correspond plus à celui du grand bassin (antéversion, rétro version, obliquités latérales). Les inflexions utérines restent complétement hors de causé.
L'existence et la fréquence des déplacements utérins sont généralement admises; mais les opinions divergent lorsqu'il s'agit d'en apprécier les causes et la valeur symptomatique.
Les uns font bon marché des déplacements utérins ; ce sont pour eux des maladies de convention, pour ainsi dire, et sans grande importance. L'utérus, disent-ils, est naturellement mobile ; une foule de circonstances influent sur sa position, qui est éminemment variable, et qui, sur la même malade, change souvent plusieurs fois dans la même journée: de la la difficile
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 241
de séparer d'une manière rigoureuse le déplacement permanent et pathologique du déplacement temporaire et pour ainsi dire physiologique; de là, lorsque plusieurs médecins sont réunis en consultation pour un cas de ce genre, là diversité des opinions et des diagnostics. Dans tous les cas, ajoutent-ils, le déplacement utérin ne donne lieu qu'à quelques légers accidents locaux, il ne réagit point sur l'innervation générale et sur les grandes fonctions de l'économie; les troubles fonctionnels que l'on observe dans quelques cas sont dus à une véritable complication, à une maladie concomitante, à une névropathie dont la maladie utérine n'a été, tout au plus, que la cause occasionnelle, le point de départ.
Les autres admettent que les déplacements pathologiques de l'utérus sont très-fréquents, et ils rapportent directement à eux tous les troubles fonctionnels : les uns à titre de phénomènes locaux et mécaniques, les autres à titre de phénomènes généraux et sympathiques; mais ils considèrent la maladie comme une infirmité à laquelle on ne peut opposer rationnellement qu'un palliatif mécanique (pessaire, ceinture, éponge, etc.), et a priori ils nient la possibilité d'une guérison obtenue à l'aide d'une médication quelconque. « On entrevoit difficilement, dit M. Velpeau, la possibilité de guérir les déviations de l'utérus, et, comme il s'agit d'un phénomène matériel, il est certain que les médications et les ressources pharmaceutiques ne peuvent absolument rien contre ces maladies; c'est donc à des procédés mécaniques seuls que l'on doit songer pour entrevoir quelques chances de succès, et encore s'aperçoit-on, en y réfléchissant quelque peu, que ces procédés doivent être d'une exécution fort difficile» (1). De là, les différentes ceintures mécaniques qui occasionnent toujours plus ou moins de gène et de douleur, qui sont pour la femme une suggestion fatigante et désagréable, enfin qui n'amènent souvent qu'un soulagement peu marqué. Quant aux pessaires,
(1) Velpeau, Gazette des hôpitaux, 1845, p. 370.
16
242 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
tampons, éponges, etc., on en connaît assez les désagréments et les dangers pour qu'il soit nécessaire d'insister sur ce point.
Aux premiers, il me suffira d'opposer le témoignage de l'immense majorité des praticiens, qui sait fort bien que le plus ordinairement le déplacement est primitif, se montre chez une femme jouissant de la meilleure santé, et donne lieu consécutivement à des désordres sympathiques, à des troubles fonctionnels, qui augmentent ou diminuent suivant que les symptômes locaux, manifestement produits par le déplacement utérin, s'amendent ou s'aggravent, et ne disparaissent jamais complétement que si la matrice revient à sa direction normale.
Aux seconds je répondrai par des faits. Dès 1848, j'écrivis dans le Compendium : « C'est en considérant les déplacements utérins comme étant presque toujours essentiels, c'est en proclamant a priori l'inefficacité des moyens hygiéniques et pharmaceutiques, que l'on a fourni à des charlatans l'occasion de guérir des déplacements qui, pendant plusieurs années, avaient résisté aux chirurgiens les plus habiles... La plupart des praticiens envisagent les déviations de l'utérus comme audessus des ressources de la médecine, et ils ne leur opposent qu'un traitement chirurgical, c'est-à-dire un traitement palliatif, dont les inconvénients surpassent quelquefois ceux du déplacement lui-même... Nous professons une doctrine entière ment opposée; nous croyons que les déplacements utérins sont en grande partie symptomatiques, nous croyons qu'une médication hygiénique et pharmaceutique dirigée contre la causé des déplacements est souvent suivie de succès... Pour remédier au relâchement des ligaments, on prescrira les bains de siège froids, les applications froides sur l'hypogastre, les doricles, les injections, les lavements froids...; si la malade a maigri, il est urgent de modifier l'état général par l'exercice, l'alimentation , le séjour à la campagne, etc. » (1).
1) Compendium de méd. pratique , t. Vlll, p. 368-376; Paris, 1848.
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 243
Depuis six ans, j'ai soumis au traitement hydrothérapique un grand nombre de femmes portant des déplacements considérables, anciens, permanents, accompagnés de troubles fonctionnels et d'accidents nerveux graves; ayant nécessité l'application de ceintures et de pessaires de toutes espèces ; et, dans la presque totalité des cas, j'ai obtenu une guérison complète, un redressement définitif suivi de la disparition de tous les phénomènes sympathiques. Ces guérisons ont été dues à cette action reconstitutive et tonique de l'eau froide, déjà indiquée par Lombard et Percy comme capable de fortifier le tissu et les ligaments de l'utérus; paroles que je reproduis avec d'autant plus d'insistance, que les hydropathes n'ont jamais songé à appliquer leur système aux déplacements de la matrice.
M. le Dr Baud, dans un travail présenté à l'Académie de médecine , et M. Hervez de Chégoin, dans son rapport sur ce travail, ont émis l'assertion que « presque toutes les déviations utérines sont passives, et secondaires à un état morbide général et primitif. » J'admets volontiers que les déplacements utérins sont plus fréquents chez les femmes d'une constitution grêle et délicate, d'un tempérament lymphatique; je reconnais l'influence que peut exercer une affection générale, telle que l'anémie par exemple ; mais je crois que la proposition formulée par ces messieurs est beaucoup trop absolue.
« Quelquefois, ai-je dit ailleurs, certaines affections générales , en donnant lieu à des congestions utérines, en troublant les fonctions digestives et la nutrition, en amenant l'amaigrissement, la mollesse des tissus, la faiblesse, la laxité des organes destinés à maintenir et à suspendre la matrice, etc., deviennent la cause d'engorgements ou de déplacements ; mais il est évident, certain, que dans la grande majorité des cas les choses ne se passent pas ainsi. Sous l'influence de causes locales parfaitement connues, les affections utérines, et les déplacements en particulier, se montrent presque constamment chez des femmes
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dont l'état général est excellent; la maladie ne se traduit d'abord, et pendant un certain temps, que par des accidents locaux ; ce n'est qu'au bout d'un temps plus ou moins long que le système nerveux général commence à se troubler, et alors il s'écoule encore souvent plusieurs années avant que les phénomènes généraux aient acquis assez de gravité pour constituer l'ensemble symptomatique auquel on donne le nom d'état nerveux, de névropathie générale. Qu'on trouve là un effet ou une coïncidence, les choses n'en sont pas moins telles» (1).
Les causes locales parfaitement connues auxquelles je faisais allusion, tous les praticiens les ont déjà nommées ; ce sont les imprudences faites pendant la grossesse: excès de marche, efforts musculaires violents, danse, équitation, etc.; certaines circonstances accompagnant la parturition: cris et efforts d'expulsion très-énergiques, accouchement opéré dans la station debout, soit accidentellement, soit en raison d'une préférence avouée par beaucoup de sages-femmés et même par quelques accoucheurs, préférence que nous ne saurions trop blàmer, relevailles trop prématurées, ou bien au contraire, après l'accouchement, séjour trop prolongé au lit, abus de la diète, des cataplasmes, des bains tièdes, des divérsagents émollients et débilitants.
Priessnitz veut que, pendant toute la durée de là grossesse, les femmes soient soumises aux applications hydrothérapiques, que pendant et après l'accouchement, le ventre soit constamment couvert de compresses froides, et il assure qu'on rend ainsi la grossesse heureuse, l'accouchement facile, les affeclions puerpérales rares et sans gravité ; des témoins oculaires, intelligents et dignes de foi, m'ont affirmé que les avantages attribués par Priessnitz à cette méthode ne sont nullement exagérés. Plusieurs fois déjà j'ai pu m'en convaincre, par moimême, et j'appelle sur ce point toute l'attention des praticiens éclairés.
(1) L. Fleury, Nouveaux faits de déplacements utérins, traités et guéris par les douches froides, in l'Union médicale, décembre 1801.
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 245
M. Baud, dans le travail dont nous avons parlé, établit, sous
forme de conclusions thérapeutiques, qu'il ne faut point chercher
chercher améliorer l'état local au détriment de l'état général,
et que le traitement doit être institué dans la pensée d'un état
passif de l'utérus.
Je ne combattrai pas la première de ces propositions, qui a le tort, ou l'avantage, de ressembler à une naïveté ; quant à la seconde, je la repousse de toutes mes forces, bien qu'elle soit couverte de l'autorité de MM. Velpeau, Hervez de Chégoin, et de tous les médecins qui ne voient que des moyens mécaniques à opposer aux déplacements utérins.
C'est en m'appuyant sur des faits nombreux, concluants, péremptoires, que je persiste à soutenir que l'hydrothérapie est pagent sans équivalent dans le traitement des déplacements de la matrice, qui permet le plus ordinairement d'obtenir une guérison solide, un redressement complet et définitif, parce qu'il s'adresse simultanément, d'une part, aux accidents locaux et mécaniques, d'autre part, aux symptômes généraux et sympathiques, de manière à combattre directement, et l'un par l'autre, ces deux ordres de phénomènes. A l'appui de ces propositions je pourrais citer un grand nombre observations recueillies à Bellevue depuis 1846; je me contenterai d'en rapporter quelques-unes.
OBSERVATION. — Mme K. est âgée de 43 ans, d'une constitution frêle, d'un tempérament nerveux. La menstruation s'est établie à 14 ans et demi ; elle a toujours été peu abondante et accompagnée de coliques et d'accidents nerveux. Depuis l'âge de 15 ans, il existe un écoulement leucorrhéique assez abondant et qui n'a jamais cessé, malgré tous les moyens qui ont été dirigés contre lui. Vers 16 ans, Mme K. apprends monter à cheval, et elle se livre, pendant trois ans, à un exercice d'équitation très-fréquent et souvent très-prolongé. A 19 ans, se manifestent les accidents qui depuis ont sans cesse été en augmentant. La marche devient pénible et provoque des douleurs lombaires et une fatigue générale qui oblige Mme K. à se coucher.
Mme K. se marie à 23 ans, en 1829 ; les rapports conjugaux ont été extrêmement douloureux, et depuis ils sont restés tels, à ce
240 DE L'HYDROTHÉRAPiÉ RATIONNELLE.
point qu'ils n'ont jamais été pour Mme K. qu'une occasion dé repugnance, d'effroi, de douleurs, et que son mari, après avoir été contraint de les rendre de plus en plus rafes, a fini par y renonce? Complétement. Mme K. est restée stérile.
Les accidents deviennent de plus en plus graves : douleurs lombaires et inguinales; pesanteur vers l'anus ; difficulté de la marche; douleurs vives provoquées par l'usage dé la voiture; obligation de rester couchée une partie de la journée; constipation opiniâtre; envies fréquentes d'uriner. M. Chomel est consulté en 1835 ; il constate un double déplacement utérin (abaissement et rétroversion) et une ulcération granulée du col. Il adresse là malade à M. Hervez de Chégoin. Ce chirurgien pratique douze à quinze cautérisations et prescrit un repos absolu. La malade reste étendue, pendant six mois, sûr un lit de repos, et au bout de ce temps, sont état ne s'étant nullement amélioré, M. Hervez de Chégoin applique un pessaire. La présence de ce corps étranger produit une grande gêne, des douleurs très-vives, une inflammation vaginale très-intense ; la malade ne peut plus faire un seul pas, et le pessaire est abandonné.
En 1836, Mme K. s'adresse à la femme Laroche, rqui lui pratique le massage; cette opération amène toujours un soulagement immédiat assez marqué, et permet à la malade de prendre un peu d'exercice ; mais cet effet bienfaisant ne s'étend pas au delà de trois jours. Pendant sept années, Mme K. est obligée, pour avoir la vie supportable, de se soumettre régulièrement une ou deux fois par semaine aux manipulations de la femme Laroche.
En 1843, M. Jobert est consulté : il constate un abaissement considérable de la matrice, et indique, comme seul remède, un répos absolu. Mme K. refuse de se soumettre à ce moyen, qu'elle a déjà employé pendant six mois et dont elle n'a retiré aucun profit, si ce n'est un affaiblissement général très-considérable et un dérangement des fonctions digestives.
Pendant deux aimées consécutives, Mme K. va passer une saison aux eaux d'Ems sans y trouver le moindre soulagement. Elle subit un traitement homoeopathique qui reste complétement inefficace ; et, de guerre lasse, elle se décide à en revenir au massage de la femme Laroche; mais, l'effet en étant encore moins satisfaisant que la première fois, je suis appelé auprès de la malade le 25 mars 1849.
État actuel. Pesanteur périnéale très - incommode ; sensation, dans le vagin, d'un corps étranger qui va s'échapper ; tiraillements douloureux dans le bas-ventre; douleurs dans les lombes, les aines et les cuisses ; impossibilité presque absolue de marcher, d'aller en
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 247
voiture, de monter un escalier; constipation opiniâtre ; une selle
tous les huit ou dix jours ; envies fréquentes d'uriner, jusqu'à quarante fois dans les vingt-quatre heures. Mme K. ne sort presque pas de chez elle, et passe la plus grande partie de ses journées étendue
sur un lit de repos. Anorexie, digestions laborieuses, céphalalgie fréqnente. Le système nerveux est très-affecté. Mme K. a souvent des attaques de nerfs, des accès de tristesse, de larmes, qu'elle ne peut attribuer à aucun motif, car elle, est placée dans les. conditions les plus heureuses de la vie.
Le toucher et l'inspection montrent que la matrice a subi un abaissement tel, que le museau de tanche a presque franchi l'orifice du vagin; il suffit d'entr'ouvrir celui-ci avec les doigts pour rencontrer immédiatement le col utérin, qui est petit, allongé, sans trace d'engorgement ni d'ulcération. L'ouverture est étroite, arrondie, telle qu'elle se présente chez les femmes qui n'ont pas eu d'enfant.
Mme K. vient s'établir à Bellevue, le 17 avril, et commence immédiatement le traitement hydrothérapique.
1er aoùt. L'utérus a subi un mouvement ascensionnel graduel, et aujourd'hui le col est à environ 15 centimètres de l'orifice du vagin; pour l'atteindre, il faut introduire l'index jusqu'à la
deuxième phalange. A mesure que la matrice s'est relevée, tous les accidents ont diminué, et aujourd'hui la santé de Mme K. ne laisse rien à désirer. La pesanteur, les tiraillements, les douleurs, ont
entièrement disparu. Mme K. fait, sans souffrances et même sans
fatigue, de longues promenades à pied et en voiture ; elle monte les
escaliers avec rapidité ; il n'existe plus de constipation, plus d'envies fréquentes d'uriner, plus de céphalalgie, plus d'accidents nerveux d'aucune sorte; l'appétit est très-vif, la digestion facile. Mme K. se considère comme guérie, et veut aller habiter une maison de campagne qu'elle possède aux environs de Paris. Pour
consolider sa guérison, elle y fait établir des appareils hydrothérapiques et elle y continue son traitement. J'ai revu Mme K. souvent
souvent cette époque, et aujourd'hui 15 décembre 1851, la guérison ne s'est pas démentie.
Il s'agit d'un déplacement qui remonte à plus de vingt ans, qui, en 1835, a nécessité l'application d'un pessaire, qui a été constaté, maintes et maintes fois, par les praticiens les plus
expérimentés; qui a produit des accidents non interrompus et de plus en plus graves, et qui enfin donne lieu à un vé-
248 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
ritable prolapsus, c'est-à-dire au déplacement utérin le plus fâcheux, le plus facile à réconnaître, le plus au-dessus de toute contestation. Ici, l'existence d'un déplacement considérable permanent, donnant lieu par lui-même à tout un ensemble de phénomènes morbides, a donc l'évidence d'un fait physique.
Toutes les médications qui n'agissent point directement sur l'utérus restent inefficaces ; chaque opération de massage amène, au contraire, un soulagement plus ou moins marqué, mais toujours incomplet et de courte durée ; et c'est lorsque la malade a épuisé toutes les ressources de la médecine, c'est lorsque le déplacement et les accidents locaux et généraux sont arrivés à leur maximum, que les douches froides sont mises en usage et viennent dépasser mes espérances ; car j'avoue qu'en pré» sence d'un déplacement de cette nature, je comptais peu sur un succès, et encore moins sur un succès aussi prompt et aussi
complet.
OBSERVATION. — Mme H., demeurant à Paris, rue Saint-Florehtin,
n° 7, est âgée de 25 ans, d'une constitution grêle, d'un tempérament
tempérament très-prononcé: Les règles ont paru à quinze ans;
elles sont régulières, peu abondantes, durent de trois à cinq jours,
et ne sont accompagnées d'aucune douleur.
Mme H. s'est mariée à l'âge de 19 ans, au mois de juin 1842, et
a eu un premier enfant, au mois de juillet 1843. La grossesse a été
pénible: à sept mois, on pratiqua une saignée et l'on appliqua, des
sangsues derrière les oreilles ; ces pertes de sang furent suivies d'une
grande faiblesse, d'un état anémique très-prononcé. L'accouchement
L'accouchement heureux; mais trois mois après, des douleurs, plus incommodes
incommodes vives, se firent sentir dans la région hypogastrique,
dans les lombes, les aines et les cuisses ; la marche devint pénible.
En avril 1844, M. le Dr Hoffmann fut consulté; il reconnut un
déplacement et une ulcération de l'utérus, et pratiqua neuf cautérisations
cautérisations n'amenèrent aucun soulagement. Au mois d'octobre de
la même année, Mme H. s'adressa à Mme Charrier, sage-femme en
chef de la Maternité, qui ne trouva aucune ulcération, mais une
antéversion très-prononcée, et qui conseilla l'usage d'une ceinture
hypogastrique. Celle-ci fut immédiatement appliquée, et la malade
se trouva notablement soulagée.
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 219
Mme H. devint enceinte pour la seconde fois, au mois d'août 1845. La grossesse fut heureuse et l'accouchement eut lieu, le 15 mai 1846. Mme H. quitta le lit le dix-huitième jour et reprit ses occupations qui sont assez fatigantes, et exigent tantôt des courses à pied ou en voiture plus ou moins considérables, plus ou moins multipliées, tantôt une station assise ou debout plus ou moins longue. Bientôt se montrèrent de nouveaux accidents, qui, cette fois, ne tardèrent pas à acquérir une grande intensité. Des douleurs vives, presque continues, se firent sentir dans le bas-ventre, les lombes et les aines ; elles étaient tellement exaspérées par la marche ou la voiture, que la malade fut obligée de se condamner à un repos presque absolu. L'usage des voitures à deux roues était pénible à ce point, que plusieurs fois Mme H. fut contrainte de descendre de cabriolet au milieu de la rue. Une constipation opiniâtre, des envies très-fréquentes d'uriner, vinrent s'ajouter à ces phénomènes morbides. La ceinture hypogastrique apportait quelque soulagement à cet état si fâcheux, mais elle était bien loin de faire cesser tous les accidents ; cependant, malgré la gêne et quelquefois la douleur causées par cet appareil, Mme H. se condamna à le porter constamment, l'expérience lui ayant appris que toutes ses souffrances s'exaspéraient aussitôt que l'utérus cessait d'être maintenu.
Vers le commencement de 1847, les digestions commencèrent à devenir mauvaises. Au bout de quelques mois, l'ingestion des aliments était suivie de douleurs si vives, que Mme H. fut obligée d'observer un régime très-sévère. Bientôt se manifesta un amaigrissement dont les progrès furent rapides. En septembre 1847, M. le professeur Cruveilhier fut consulté : il proposa une alimentation composée de laitage, de viandes blanches et l'abstention complète de vin; mais ce régime, loin d'améliorer l'état de la malade, ne fit que l'aggraver. Le 15 juin 1848, Mme H. vint réclamer mes soins.
Etat actuel. Le teint est d'un gris sale ; l'amaigrissement est notable. Malgré la sévérité du régime, les digestions sont pénibles, douloureuses ; la constipation est permanente, rebelle, et réclame l'emploi quotidien d'un ou de plusieurs lavements. Des douleurs se font quelquefois sentir dans le rectum. La malade éprouve souvent de la céphalalgie, une migraine très-incommode, des, lassitudes spontanées, de la courbature ; elle se plaint d'un malaise général presque continuel. La langue est naturelle, plutôt pâle; l'épigastre et l'abdomen sont souples et non douloureux à la pression.
Depuis deux ans, Mme H. n'a point quitté un seul jour sa ceinture hypogastrique ; mais, malgré cet appareil, elle ressent souvent dans
250 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
le bas-ventre, les lombes et les aines, des douleurs et une sensation de gêne, de tiraillement, qu'exaspèrent à un haut degré la marche et la voiture. Les envies d'uriner sont fréquentes et impérieuses, quelquefois accompagnées de dysurie.
Le toucher, pratiqué la malade étant debout, fournit les signes suivants: le col utérin est petit, allongé, de consistance normale; il est rejeté en arrière et. appuie sur la partie inférieure du sacrum, En introduisant le doigt dans le rectum, on sent à travers la paroi antérieure de l'intestin, la saillie formée par le col utérin. Vers la partie supérieure du vagin, le doigt rencontre le corps de l'utérus, qui est fortement incliné en avant.
La palpation, le toucher rectal et vaginal, pratiqués dans différentes positions, montrent d'une manière positive que le corps de la matrice a conservé son volume normal.
Le spéculum, introduit dans la direction de l'axe du bassin, ne rencontre point le col, mais bien le corps de l'utérus. Pour embrasser le museau de tanche, il faut faire basculer l'instrument de haut en bas et d'avant en arrière, en appuyant fortement sur le corps de la matrice. Il n'existe, ni engorgement ni ulcération.
Pour remédier à ce déplacement utérin, je conseillai à Mme H. d'aller passer l'été à Bellevue, et d'avoir recours aux douches froides. Cet avis fut suivi, et le traitement commencé le 22 juin.
Deux fois par jour, Mme H. reçoit une douche ascendante vaginale de dix minutes, et pendant cinq autres minutes, une douche en pluie générale,.et une douche locale dirigée sur l'hypogaistre, les aines et les lombes.
15 juillet. L'état général est déjà beaucoup meilleur; le malaise, la courbature, ont disparu; l'appétit est plus vif, les digestions sont plus faciles. La malade commence à manger des viandes, noires et à boire du vin; la constipation est moins opiniâtre; plusieurs évacuations spontanées ont eu lieu. A différentes reprises, Mme H. a ôté sa ceinture pendant plusieurs heures et a pu marcher, sans que les accidents locaux se soient aggravés. Les douleurs, le tiraillement, ont diminué; les envies d'uriner sont moins fréquentes; la miction est facile, non douloureuse.
1er août. Les fonctions digestives sont dans le meilleur état; l'appétit est très-vif ; la constipation n'existe plus ; le teint est bon; la malade engraisse manifestement. La ceinture a été supprimée impunément pendant des journées entières. Mme H. a fait de longues promenades sans souffrir. Les douleurs, les tiraillements, les accidents vésicaux, ne se montrent plus que rarement, et à un faible
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 251
degré. On constate par le toucher que la matrice est en grande partie redressée. Le doigt arrive presque directement sur le museau de tanche. 1er septembre. La ceinture n'a pas été replacée depuis un mois;
tous les phénomènes morbides, locaux et généraux, ont entièrement
entièrement Un embonpoint remarquable a remplacé la maigreur.
Le teint est excellent ; les forces ne laissent rien à désirer. Mme H.
à été plusieurs fois à Paris; elle y a fait de longues courses en voitures
voitures en cabriolet, à pied, et elle n'a pas éprouvé la moindre souffrance, la moindre gêne. Le toucher et le spéculum montrent que l'utérus est parfaitement rédressé. La guérison est complète; mais je conseille à Mme H. de la consolider, en continuant
encore son traitement pendant quelque temps. 22 octobre. La guérison ne s'est pas démentie un instant, et
Mme H. quitte Bellevue, dans un état de santé qu'elle assure ne jamais
jamais connu.
OBSERVATION. — Mme M., qui habite Bellevue, est âgée de 40 ans, d'une bonne constitution, d'uh tempérament lymphatique; elle a été mariée et réglée à quinze ans ; l'écoulement menstruel a toujours été régulier, facile et abondant. En 1823, après un an de mariage, eut lieu une fausse couché, vers le troisième mois de la grossesse.
En 1838, immédiatement après un coït qui n'a présenté aucune circonstance particulière, il survint une mëtrorrhagiè très-abondante, qui rendit nécessaire l'usage de la glace et le tamponnement. A partir de cette époque, Mme M., dont là santé avait toujours été excellente, à éprouvé des accidents qui ont graduellement augmenté, et qui, en 1841, présentaient les caractères suivants : Malaise général, courbature, lassitudes spontanées; douleurs incommodes dans l'hypogastre, les lombes et les aines; pesanteur au périnée; tous ces phénomènes sont exaspérés par l'action de s'asseoir, par la station debout, la marche, l'usage d'une voiture; le coït est douloureux ; il existe un écoulement leucorrhéique trèsabondant. Les digestions sont pénibles , douloureuses, souvent accompagnées d'un mouvement fébrile ; constipation opiniâtre.
Pendant plusieurs années, Mme M. n'opposa aucun traitement à cet état morbide, et ce ne fut qu'en 1846 qu'elle réclama les soins de M. le Dr Baud. Ce' médecin reconnut un déplacement de l'utérus qui lui parut être la cause de tous les accidents ressentis par la malade; il proposa l'application d'un pessaire ; mais Mme M. n'ayant pas voulu y consentir, M. Baud lui conseilla de s'adresser à moi et
252 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
de se soumettre à un traitement hydrothérapique. Le 5 avril 1849, je fus appelé près de Mme M.
État actuel. Le teint est d'un gris terreux, la figure exprime la souffrance et la fatigue ; la malade est très-amaigrie et très-faible, c'est à peine si elle peut marcher pendant un quart d'heure. Les douleurs hypogastriques, lombaires et inguinales, sont presque continues et assez vives ; la sensation de pesanteur au périnée est très-incommode. La malade reste étendue sur un canapé pendant la plus grande partie de la journée ; la marche, et la voiture sont impossibles; les digestions sont très-mauvaises, et la malade ne va à la garde-robe qu'au moyen de plusieurs lavements; les nuits sont agitées et sans sommeil.
Le toucher et le spéculum fournissent les données suivantes:
Il existe une hyperesthésie utéro-vulvaire très-prononcée ; l'intraduction du doigt est extrêmement douloureuse, et la malade redoute beaucoup celle du spéculum; la température du vagin n'est point augmentée ; le col utérin est notablement abaissé et fortement rejeté en arrière, tandis que le corps de l'utérus est porté en avant; le volume du col est assez considérable, sa consistance est normale, Le spéculum confirme ces données!, et montre qu'il n'existe aucune ulcération.
Le traitement est commencé le 8 avril. Trois séances par jour. Douches ascendantes rectales et vaginales, bains de siège à eau courante, douches en pluie générales, et douches mobiles dirigées sur l'hypogastre, les aines et les lombes.
8 mai. L'état général est infiniment meilleur ; le teint s'est éclairci, la malade est beaucoup plus forte, et fait d'assez longues promenades, sans éprouver une trop grande fatigue ou des douleurs très: intenses; l'appétit est plus vif, les digestions sont plus faciles, le sommeil est revenu ; l'hyperesthésie utéro-vulvaire a complétement disparu, la pesanteur périnéale a beaucoup diminué, là constipation est moins opiniâtre.
8 juin. L'amélioration a fait de nouveaux progrès, les fonctions digestives s'accomplissent parfaitement, et la malade a notablement, engraissé; le malaise, les lassitudes spontanées n'existent plus, les forces ne laissent plus rien à désirer; les garde-robes sont spontanées et à peu près quotidiennes; la pesanteur périnéale, les douleurs hypogastriques, lombaires et inguinales, ne se font plus sentir qu'à d'assez longs intervalles, et elles ont beaucoup perdu de leur intensité. Les flueurs blanches ont entièrement disparu.
Le volume du col utérin a notablement diminué, il peut être con-
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 253
sidéré comme physiologique; la matrice s'est relevée, et l'antéversion est beaucoup moins prononcée.
23 juillet. La guérison est complète; tous les phénomènes morbides ont disparu, l'utérus a repris sa position normale, la santé de Mme M. est aussi satisfaisante que possible.
16 décembre 1851. La guérison ne s'est poiut démentie; Mme M. présente aujourd'hui un embonpoint qu'elle désire ne pas voir augmenter, et jamais elle ne s'est mieux portée.
Il serait difficile de trouver deux exemples plus tranchés de déviation utérine; le toucher et l'application du spéculum ne laissent aucun doute sur la nature et le degré du déplacement de là matrice ; les accidents locaux et sympathiques, qui accompagnent si souvent cette affection, se présentent avec toute leur intensité; la maladie remonte à plusieurs années (cinq ans et six ans) ; l'art se reconnaît impuissant, et pour remédier à ce qu'il considère comme une infirmité, il a recours à dès moyens mécaniques, qui ne seront jamais que de fâcheux palliatifs, C'est dans de semblables conditions qu'interviennent les douches froides, et quinze jours suffisent pour amener une amélioration remarquable ; l'état général est d'abord modifié, les symptômes locaux s'amendent ensuite graduellement; l'utérus reprend peu à peu sa position normale, et quelques mois suffisent (deux mois et trois mois et demi) pour amener enfin une guérison complète, qu'on était en droit de considérer comme impossible.
La seconde observation nous offre un exemple de cette hyperesthésie utéro-vulyaire qui accompagne parfois les déplacements utérins, et qui a été très-bien décrite par Lisfranc. On sait que cette exaltation de la sensibilité devient quelquefois, pour les femmes, un insupportable supplice, et, pour le médecin, une difficulté insurmontable. «La sensibilité, dit Lisfranc, peut être tellement exagérée, que les soins de propreté sont difficiles a supporter; l'introduction d'une canule en gomme élastique, le toucher, provoquent des douleurs très-vives, une grande irritation nerveuse, et quelquefois un état convulsif. Le coït est douloureux, intolérable, et la femme est bientôt
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amenée à. s'y refuser avec effroi. L'examen le plus attentif des organes génitaux peut ne faire découvrir aucune altération, Cette hyperesthésie idiopathiquë résiste quelquefois à toutes les médications pendant plusieurs mois ou même plusieurs années»(1).
L'observation d'une malade, qui a reçu les soins de Marjolin, nous fournira un exemple , plus remarquable encore que le précèdent, d'une hyperesthésie utéro-vulvaire heureusement combattue par les douchés froides.
OBSERVATION. — Mme X. est âgée de 21 ans, d'une constitution robuste, d'un tempérament lymphatique ; elle a été menstruée à 15 ans ; les règles sont peu abondantes, régulières, et accompagnées de douleurs assez vives. Depuis leur apparition, Mme X. a éprouvé dans le bas-ventre et les aines des douleurs, ou plutôt une sensation de gêne, et des tiraillements qui lui rendaient la marche pénible ; mais on ne fit aucune attention à ces accidents, d'ailleurs légers.
Mme X. s'est mariée à 20 ans, en avril 1846, et quelques mois après se manifestèrent des phénomènes morbides, qui allèrent sans: cesse en augmentant jusqu'en janvier 1847, époque à laquelle je fus consulté.
État actuel. Des douleurs vives, presque continuelles, se font sentir dans le bas-ventre, les aines, les lombes, les flancs; elles sont tellement exaspérées par la marche et la voiture, que la malade à dû se condamner à un repos presque absolu, et qu'elle ne quitte pour ainsi dire plus la chambre ou même le lit; elle ne peut, sans souffrir beaucoup, rester pendant quelque temps assise où debout; descendre où monter un escalier lui est chose à peu près impossible, MmeX. éprouve des envies d'uriner très-fréquentes (10 à 20 dans les vingt-quatre heures ) ; la miction est très-douloureuse, et n'amène que quelques gouttes d'urine ; il existe une constipation habituelle et opiniâtre ; le canal utéro-vulvaire est le siège d'une douleur très-vive, qu'exaspéré le plus léger contact, et qui rend le coit très-péhibie.
Le toucher, pratiqué la malade étant debout, fournit les signes suivants : L'anneau vulvaife est resserré, contracté ; l'introduction
(1) Lisfranc, Clinique chirurgicale de la Pitié, t.11, p. 162 et suiv. Paris, 1842.
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du doigt, faite avec tous les ménagements possibles, provoque des douleurs qui arrachent des cris à là malade ; la température du vagin n'est pas augmentée, et il n'existe pas d'écoulement leucorrhéique. Le doigt ne rencontre point tout d'abord le museau de tanche, mais bien le corps de l'utérus, qui est fortement incliné en avant, tandis que le col est rejeté en arrière. Le toucher rectal permet également de constater l'antéversion qu'a subie la matrice; le col utérin n'est point engorgé, et sa consistance est normale; le volume du corps de l'utérus n'est nullement augmenté. A l'aide du spéculum, on reconnaît que la muqueuse utéro-vaginale n'est point enflammée, et qu'il n'existe aucune ulcération. Des bains de siège émbilients, des injections de même nature, des cataplasmes, une application de sangsues, n'amenèrent aucun soulagement, et, au mois de mars, eut heu une consultation. Après avoir constaté le déplacement de l'utérus et les divers symptômes ci-dessus énumérés, Marjolin conseilla d'ajouter aux moyens déjà employés l'usage d'une ceinture hypogastrique.
Un mois s'écoula, et la santé de Mme X. ne s'était rien moins
qu'améliorée ; l'action de la ceinture est très-variable : tantôt elle semble diminuer l'intensité des accidents locaux, tantôt elle paraît, au contraire, l'augmenter; la malade ne se résout d'ailleurs qu'aavec peine à porter un appareil qu'elle trouve désagréable et fort incommode.
L'impuissance des moyens ordinaires étant reconnue , je proposai l'emploi des douches, froides, et Marjolin s'étant rangé à mon avis , Mme X. vint s'établir à Bellevue, dans les premiers jours de mai 1847. Traitement. Deux ou trois séances par jour. Bains de pluie; douchelocale dirigée sur l'hypogastre, les aines, et les lombes; bains de siège à eau courante ; douches ascendantes rectales et vaginales. 1er juin. Les douches ascendantes vaginales ont d'abord occasionné de vives douleurs ; il a fallu apporter beaucoup de ménagements, dans leur administration, et procéder graduellement quant à la température de l'eau et à la durée de la douche ; aujourd'hui celle-ci est de dix mmutes, et la température du liquidé est de 14° c. L'hyperesthésie utéro-vulvaire a beaucoup diminué; le toucher est maintenant fort bien supporté, la ceinture est entièrement supprimée, les douleurs sont moins continues, moins vives., les envies d'uriner moins fréquentes. Mme X. a pu faire quelques promenades à pied et en voiture.
1er juillet. L'exagération de la sensibilité a complétement cessé ; les douleurs, les envies d'uriner, ne se montrent plus que par intervalles, la matrice est notablement redressée.
256 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
14 août. Depuis quinze jours déjà, la guérison est complète, tous les accidents ont disparu ; Mme X. a fait beaucoup d'exercice à pied et en voiture sans ressentir la moindre douleur, la moindre gêne; l'utérus est entièrement redressé ; les règles sont plus abondantes; faciles, non accompagnées de douleurs. Mme X quitte Bellevue pour aller habiter son château, où elle a fait installer des appareils hydrothérapiques, dont elle veut continuer l'usage pendant quelque temps pour consolider la guérison.
Au mois d'octobre, Mme X. est devenue enceinte ; la grossesse a été heureuse. Au mois de juillet 1848, un accouchement naturel et facile a été opéré par M. le professeur Paul Dubois; Mme X. a gardé le lit pendant six semaines, et aujourd'hui, 10 novembre, elle jouit d'un état de santé qui ne lui laisse rien à désirer.
Je puis ajouter aujourd'hui, 15 décembre 1851, que Mme X. a eu un second enfant, et que sa santé continue à être excellente.
Nouvel exemple d'un déplacement utérin considérable, remontant à plusieurs années, donnant lieu à des accidents trèsgraves , guéri en trois mois par les douches froides, tandis que la ceinture hypogastrique était le seul moyen que la thérapeutique usuelle ait pu opposer à cette infirmité. L'hyperesthésie utéro-vulvaire était ici extrêmement prononcée; elle a complètement disparu au bout de deux mois de traitement. Remarquons encore l'influence exercée par les douches froides sur la menstruation.
La grossesse survenue chez Mme X. est une circonstance qui mérite d'être signalée. Pendant quinze mois de mariage, Mme X., qui désirait vivement un enfant, ne peut devenir enceinte; trois mois après la guérison, la conception a lieu. Lisfranc, MM. Chomel, Émery, Gendrin, ont montré que les granulations, les ulcérations, sont une cause de stérilité ; mais le déplacement en est une cause bien plus puissante, et peut-être plus fréquente. A ce point de vue, on lira avec intérêt l'observation d'une malade qui m'a été adressée par M. Paul Dubois, et dont l'histoire est d'ailleurs intéressante à plus d'un titre.
OBSERVATION. — Mme D., créole, âgée de 24 ans, demeurant à Paris, est d'une constitution grêle, d'un tempérament nerveux très-caractérisé.
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 257
A l'Age de dix-huit ans, Mme D. a été empoisonnée par une négresse, au moyen d'une substance végétale qui ne nous est point suffisamment décrite pour que nous puissions nous prononcer sur sa nature. Des accidents très-graves se manifestèrent, et depuis celte époijuc, les digestions sont restées difficiles et douloureuses. La malade a suivi des régimes alimentaires variés; elle a subi plusieurs traitements différents, mais rien n'a pu la guérir de sa gastrite chronique.
Mme D. s'est mariée à l'âge de vingt ans; elle est devenue enceinte deux fois, mais deux fois un avortement a eu lieu vers la sixième semaine de la grossesse. Le dernier remonte à un an ; il a été suivi d'accidents graves : douleurs dans le bas-ventre et les régions ova riques ; impossibilité de marcher, attaques de nerfs, palpitations violenles, dyspepsie, vomissements, etc. La malade a reçu pendant plusieurs mois les soins de M. le Dr Rayerl; mais, n'ayant éprouvé aucun soulagement, elle s'est adressée à M. le professeur Paul Dubois. Après avoir essayé, sans succès, plusieurs médications, ce savant et consciencieux praticien conseilla un traitement hydrothérapique, et m'adressa Mme D. le 6 août 1847.
État actuel. La malade est très-amaigrie; le teint est d'un gris terreux; les forces ont graduellement diminué, et aujourd'hui c'est à peine si Mme D. peut faire quelques pas; elle passe ses journées étendues sur un lit de repos. Le moindre mouvement, la moindre émotion provoque des palpitations violentes. Le volume du coeur n'est pas augmenté; il n'existe aucun bruit anormal ; l'impulsion est très-énergique; souffle moelleux et continu dans les vaisseaux du cou. Le pouls bat 70 à 75 fois par minute; un mouvement fébrile plus ou moins prononcé se manifeste souvent le soir ou après le repas.
Les digestions sont extrêmement pénibles et très-capricieuses : tantôt la malade ne digère que la viande, tantôt elle ne digère que le laitage; elle passe sans cesse d'un régime tonique, ou même excitant, à un régime doux et débilitant, ou même à une diète complète. Presque constamment la digestion est douloureuse, accompagnée de malaise général, d'abattement, de lièvre. Souvent les matières alimentaires sont rejetées par le vomissement. La langue est rouge, effilée, un peu sèche; les papilles de la pointe sont saillantes et d'un rouge framboise; l'épigasire est d'une sensibilité extrême; la plus légère pression produit des douleurs très-vives. L'estomac n'est point dilaté; il n'existe aucune tumeur. Le ventre est souple, indolent; la malade est habituellement constipée.
L'hypogastre est le siège de douleurs presque continues, fort in17
in17
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commodes, exaspérées par la pression, la marche, la voiture. Ces douleurs se font particulièrement sentir dans les régions latérales, au niveau des ovaires et de la hanche droite. La malade ressent, dans le membre inférieur droit, une sensation de gêné, de faiblesse, un fourmillement qui rendent la marche pénible ; douloureuse, mal assurée. Dès que Mme D. fait une cinquantaine de pas, elle boité, et est obligée d'avoir recours à une canne ou à l'appui d'un bras.
La palpation, le toucher rectal et vaginal, ne font constater aucune augmentation de volume des ovaires. L'utérus à subi un double déplacement. Il existe une antéversion assez prononcée et une obliquité latérale droite. Le col est placé en arrière et à gauche, le corps en avant et à droite. Le museau de tanche est médiocrement engorgé ; sa consistance est normale (engorgement hypertrophique); la muqueuse qui le recouvre est parfaitement saine.
Les règles sont régulières, peu abondantes , accompagnées de vives douleurs, et souvent d'attaques nerveuses caractérisées par les phénomènes suivants : la malade pousse deux ou trois cris extrêmement aigus ; elle tombe si elle est debout, et se renverse brusquement en arrière lorsqu'elle est assise. Les membres sont agités par d'énérgiques convulsions cloniques ; quelquefois il survient de la contracture dans les coudes, les poignets ou les doigts. La malade se jette violemment de côté et d'autre ; plusieurs personnes ont de la peine à la maintenir, et à préserver la tête de chocs capables de la briser. Pendant les dix ou douze minutes que durent ces accidents, la connaissance est à peu près entièrement perdue; au bout de ce temps, la malade revient à elle; les mouvements convulsifs diminuent de fréquence, d'étendue et de violence ; ils cessent enfin, et sont remplacés par une résolution complète des membres. Pendant le resté de la journée, Mme D. éprouve une grande fatigue et une sensation de brisure dans les articulations.
Ces attaques se montrent quelquefois dans l'intervalle des règles, tantôt sans aucune cause déterminante appréciable, tantôt à la suite d'une émotion morale vive, d'un exercice trop prolongé, etc. Quelquefois elles se déclarent brusquement, sans avoir été précédées d'aucun prodrome ; d'autres fois elles sont annoncées par de l'agitation, du malaise, une sensation de constriction à la gorge, une douleur lancinante dans l'une des régions ovariques, et principalement dans la droite.
Mme D. s'installa à Bellevue le 10 août, et le traitement fut commencé le 14.
Traitement. Deux ou trois séances par jour. Douche ascendante vaginale ; bain de siège sédatif (à eau dormante) ou excitant (à eau
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 259
courante), suivant les circonstances ; douche générale en pluie et en nappe; douche mobile dirigée sur l'hypogastre, les aines, les
lombes, l'épigastre et la colonne vertébrale ; compresses sédatives ou excitantes, suivant les indications, sur le bas-ventre et la région
région 14 septembre. L'état général s'est sensiblement modifié; le teint est beaucoup meilleur ; les forces renaissent. Mme D., qui, dans les premiers jours, pouvait à peine franchir la courte distance qui la sépare de l'établissement, et faire quelques pas après la douche pour favoriser la réaction, fait maintenant de petites promenades. La marche est plus rapide, plus assurée; la claudication ne se montre plus ; la faiblesse, les fourmillements, qui se faisaient sentir dans le membre inférieur droit, ont en partie disparu ; l'hypogastre est moins douloureux. Quatre attaques nerveuses ont eu lieu, mais elles ont été moins intenses. Les douleurs occupant les régions ovariques se font quelquefois sentir avec une grande violence pendant la nuit ; elles sont combattues par des compresses sédatives et par des demi-emmaillottements en drap mouillé. Les digestions ont été rendues moins douloureuses par l'application de compresses sédatives; mais l'épigastre étant toujours d'une sensibilité extrême, la langue présentant toujours le même aspect, deux cautères sont établis sur la région épigastrique au moyen de la pâte caustique de Vienne.
1er octobre. L'amélioration a fait de nouveaux progrès ; le teint, l'expression de la figure, sont satisfaisants ; le membre inférieur droit est entièrement. dégagé. Mme D. fait maintenant un exercice très-raisonnable sans éprouver ni douleur ni fatigue. La pression ne produit plus qu'une très-légère douleur dans la région ovarique droite; l'utérus commence à se rédresser. Les cautères ont produit un excellent effet ; l'épigastre est moins sensible ; la langue est meilleure. Mme D. suit un régime régulier, composé de viandes blanches, légumes frais, vin de Bordeaux. Une seule attaque très-courte et peu violente.
14 novembre. Mme D. quitte Bellevue dans un état de santé qui ne laisse plus que peu de chose à désirer. L'appétit est vif; les digestions sont presque constamment bonnes. La malade a notablement engraissé; elle marche et va en voiture sans en être le moins du
monde incommodée; il n'existe plus de douleur dans aucun point
du ventre; depuis six semaines il n'y a pas eu d'attaque. La matrice
matrice complètement redressée; son volume est normal. Les règles
sont faciles et plus abondantes.
Dans les premiers jours du mois de janvier 1848, Mme D. est de-
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venue enceinte. Les premières semaines de la grossesse ont été accompagnées de vomissements très-fatigants; plus tard, sont survenues des douleurs névralgiques dans la face, le membre inférieur droit, et une fièvre intermittente qui n'a cédé que difficilement au sulfate de quinine et au vin de Séguin. L'accouchement a eu lieu dans les premiers jours d'octobre.
Nous avions affaire ici à un état morbide complexe. Les applications d'eau froide ont d'abord modifié les symptômes généraux et les accidents qu'on peut considérer comme sympathiques du déplacement utérin; elles ont amené ensuite le redressement complet de la matrice, et fait disparaître les phénomènes qui existaient du côté des ovaires ; alors les attaques ; hystériformes ont disparu à leur tour, en même temps que le membre inférieur droit recouvrait toute l'intégrité de ses fonctions.
Six semaines après le redressement de l'utérus et la disparition des accidents ovariques, Mme D. devient enceinte; la grossesse arrive à son terme, et il est hors de doute que c'est grâce à la modification apportée par le traitement à l'état général de la malade et à l'état spécial des organes générateurs.
Tous les praticiens connaissent les accidents généraux, si variés, si nombreux et parfois si graves, qui accompagnent, certaines affections utérines, et les déplacements en particulier ; mais, comme nous l'avons dit, tous ne sont point d'accord sur la nature et la cause de ces accidents.
Les uns rattachent les phénomènes généraux au déplacement utérin, qui, selon eux, est primitif, et doit être considéré comme le point de départ, la cause efficiente de tous les troubles fonctionnels, qui seraient sympathiques. Si, au bout d'un certain, temps, disent-ils, ceux-ci trouvent en eux-mêmes leur raison d'existence et de développement, s'ils deviennent, pour ainsi dire, une maladie indépendante de l'affection utérine, ils n'en conservent pas moins, avec cette dernière, des liens intimes. Il ne faut pas oublier d'ailleurs, ajoutent les partisans de cette doctrine, qu'on tourne ici dans un véritable cercle vicieux. En
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 261
effet, plus les symptômes généraux s'accroissent, plus l'amaigrissement et la débilité générale augmentent, plus le déplacement
déplacement considérable ; et plus le déplacement augmente,
plus on voit s'aggraver les troubles de la digestion, de la nutrition, de l'innervation, etc. D'autres médecins ne veulent point établir, entre le déplacement
déplacement et les phénomènes généraux, une relation de cause à effet ; ils n'admettent point qu'une légère déviation de l'utérus
l'utérus amener des troubles aussi sérieux dans les principales fonctions de l'économie, et ils ne voient entre les deux ordres de phénomènes qu'une simple coïncidence. Que de fois,
ajoutent-ils, ne voit-on pas des malades présenter un déplacement utérin très-marqué, sans que leur santé générale soit le moins du monde altérée, et que de fois, au contraire, ne rencontre-t-on point, en l'absence de tout déplacement utérin,
l'ensemble de phénomènes généraux que l'on veut considérer
comme sympathique de celui-ci !
Quoi qu'il en soit, et sans se prononcer d'une manière définitive
définitive ce point, M. Paul Dubois a parfaitement raison de
dire que les phénomènes généraux, quand ils ont atteint leur summum d'intensité, doivent être considérés comme la maladie
maladie ; comme celle qui compromet le plus la santé ou même la vie de la malade, et qui réclame le plus impérieusement
un traitement énergique et promptement efficace. Malheureusement,
Malheureusement, l'indication est précise, elle n'est point facile à remplir; on sait combien cet état morbide complexe résiste aux médications les plus rationnelles et les mieux dirigées ; les antispasmodiques, les toniques; les excitants, les dérivatifs, restent
restent toujours sans effet, et trop souvent les efforts des médecins ne peuvent non-seulement obtenir la guérison, mais encore enrayer les progrès du mal. Que de malades, après avoir
épuisé pendant plusieurs années les ressources de la médecine
honnête et éclairée, s'abandonnent au charlatanisme pour obtenir
obtenir soulagement qui leur est encore refusé !
Je ne prétends point résoudre la question de pathogénie que
262 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
je viens d'indiquer; mais je pense qu'en présence de l'impuissance constatée de la thérapeutique contre un état morbide aussi fréquent que grave, les praticiens verront avec plaisir que les douches froides leur fournissent un modificateur aussi sûr que prompt, agissant, comme je l'ai dit, simultanément sur les deux ordres de phénomènes, les, combattant l'un par l'autre, et amenant ainsi une guérison solide et durable. L'efficacité de cette nouvelle médication, déjà mise en lumière par les faits qui précèdent, se montrera d'une manière plus remarquable encore dans les observations suivantes. La malade qui fait l'objet de la première m'a été adressée par M. le professeur Paul Dubois, et il est impossible de citer un exemple plus concluant, en raison de la gravité et de la nature insolite des accidents.
OBSERVATION.— Mme C., demeurant à Paris, rue Richer, 2, âgée de 32 ans, d'une bonne constitution, d'un tempérament nerveux, ayant toujours joui d'une excellente, santé, s'est mariée en 1842. En avril 1843, elle accoucha heureusement d'une fille. Jusqu'à 1845, la santé resta parfaite ; mais Mme C. habitait une maison qui l'obligeait à monter et à descendre constamment des escaliers, et cet exercice la fatiguait beaucoup. Pendant l'été de 1845, Mme C. porte souvent son enfant, alors âgée de 2 ans, et vers l'automne, elle éprouve des lassitudes générales, ses digestions se dérangent;il survient un écoulement leucorrhéique très-abondant, et des démangeaisons vives se sont fait sentir à la vulve. En janvier 1846, Mme C. fait un voyage à Rouen ; elle couche dans une chambre humide et froide, et au bout de quatre jours elle ressent des douleurs lombaires très-intenses ; la marche, devient impossible, et les fonctions digestives se troublent de plus en plus.
Le 30 janvier, M. Récamier est consulté; il cautérise le col de l'utérus.
Le 6 février, Mme C. se rend en voiture dans la rue de la Cnausséed'Antin et veut revenir à pied chez elle ; au milieu de sa course, elle est prise de violentes douleurs qui lui permettent à peine de regagner sop domicile, où elle prend le lit pour ne plus le quitter pendant deux mois.
Le 17 février et lé 17 mars, nouvelles cautérisations qui sont suivies, pendant deux jours, d'une perte de sang assez abondante. > Les douleurs et l'écoulement n'ont pas diminué ; les digestions sont
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 263
toujours aussi mauvaises, malgré l'usage d'extrait sec de quinquina; pesanteur au périnée. Le prurit vulvaire est un peu calmé par des lotions d'eau camphrée.
Dans les premiers jours d'avril, Mme C. éprouve un léger soulagement; elle fait trois courses fort courtes en voiture, mais elle en éprouve tant de fatigue et des douleurs si fortes, qu'elle est obligée de se condamner de nouveau au repos. Indépendamment du prurit vulvaire, des douleurs très-vives se font sentir dans le vagin, dont la sensibilité est très-exagérée. Des injections d'eau de son ou de pavot, à la température de + 32°, diminuent l'abondance de l'écoulement ; quelques bains tièdes sont prescrits, mais ils produisent une grande agitation nerveuse et beaucoup de faiblesse. Mme C. ne peut faire le moindre exercice sans être en sueur ; le système nerveux est tellement ébranlé, que le moindre bruit occasionne des douleurs de tête insupportables.
Pendant le mois de mai, Mme C. est sortie une fois en chaise à porteurs et trois fois en voiture, mais celle-ci, quoique allant au pas, a beaucoup exaspéré les douleurs que la malade ressent continuellement dans le bas-ventre, l'utérus, les lombes et les cuisses.
le 9 juin, M. Récamier pratique une quatrième cautérisation qui est suivie de douleurs très-intenses et d'une crise nerveuse qui se prolonge pendant huit jours. La faiblesse est telle, que la malade est obligée de se faire porter pour franchir les escaliers, et que c'est à peine si elle peut faire quelques pas dans son appartement.
Le 13 juin, une saignée du bras est pratiquée.
Le 6 juillet, cinquième cautérisation. Mêmes douleurs; la faiblesse augmente; la marche est impossible ; pesanteur croissante au périnée; l'irritation nerveuse est arrivée à ce point, que la malade ne peut entendre parler autour d'elle sans être agitée par des mouvements nerveux et sans entrer en transpiration. Mme C. ne peut se livrer à aucune occupation ; la lecture même la fatigue. Le ventre est météorisé. (Eau de Bussang.)
Le 18 août, M. Récamier conseille de faire deux fois par jour, Pendant cinq minutes, des lotions générales avec de l'eau à la température de +18°. Ce traitement amène d'abord un soulagement notable; la malade se sent plus forte, la marche est moins difficile, piques promenades sont faites en voiture au pas. Le traitement est continué sans modifications jusqu'au, 10 novembre; l'amélioration ne se soutient point, la faiblesse a reparu; Mme C. ne quitte Plus le lit, ne pouvant pas même rester une heure dans un fauteuil ; les douleurs sont aussi vives que jamais. A cette époque, se manifestent des accidents périodiques très-sin-
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guliers ; tous les jours, vers midi, Mme C. éprouve un redoublement de douleurs dans l'hypogastre, une grande chaleur dans les intestins, une sensation de froid très-intense à la vulve et aux pieds, et un besoin de dormir auquel il lui est impossible de résister.
Du 15 novembre au 15 janvier 1847, Mme C. suit un traitements prescrit par une somnambule, et n'en éprouve aucun soulagement
A la fin de janvier, M. Récamier conseille l'usage de l'électricité appliquée sur le ventre et les lombes ; huit séances ont lieu, et restent sans résultat.
En février, on reprend les lotions à 18° et à 16°. Pour combattre les accidents périodiques et nerveux, on a recours au sulfate de quinine, à la belladone, à l'asa foetida, qui restent inefficaces. En avril, bains de siège à une température de 26°, graduellement! abaissée jusqu'à +18° ; ils exaspèrent les douleurs, et on les abandonne après le douzième bain.
Le 15 mai, M. Récamier prescrit des douches d'eau salée à 32°, qui sont prises à Tivoli, au nombre de soixante-deux, jusqu'au 1er septembre. L'effet produit est variable ; la faiblesse est moins,: grande -, Mme C. passe quelques heures de la journée; dans un fauteuil, mais tantôt les douches calment les douleurs, tantôt elles les exaspèrent; la marche est toujours impossible, les accidents quotidiens ne sont point modifiés.
On essaye l'huile de foie de morue, mais la malade ne peut la digérer; des pilules camphrées, des emplâtres d'asa foetida sur le ventre, sont prescrits sans succès.
Le 6 octobre, M. Gendrin est appelé en consultation. Il conseille des bains alcalins de la durée d'une heure et demie, mais ils exaspèrent les douleurs et augmentent la faiblesse ; la malade n'en prend que trois. Les pieds sont continuellement froids, malgré l'usage de bas de laine, de chaussures fourrées, etc. Les douleurs sont beaucoup plus violentes après les règles.
En octobre, une application de sangsues augmente la faiblesse sans produire aucun soulagement; M. Récamier prescrit le massage; il est mis en usage pendant deux mois, et n'amène aucune amélioration.
En décembre, les douleurs vaginales, l'hyperesthésie utéro-vulvaire deviennent insupportables; on a recours à des cataplasmes de farine de graine de lin introduits dans le vagin : ils procurent quelque soulagement.
En février 1848, M. Récamier, revenant à l'idée que l'électricité joue un rôle dans la production des accidents nerveux éprouvés par Mme C., fait mettre des roulettes de cristal au pied du lit de la
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malade; il survient dès la première nuit une crise nerveuse trèsviolente, qui se reproduit la nuit suivante; les roulettes sont enlevées.
Mme C reste dans le même état jusqu'au mois de juillet; à cette époque, tous les accidents s'aggravent encore ; M. le professeur Paul Dubois est consulté; il conseille l'hydrothérapie, et m'adresse la malade, qui vient s'établir à Bellevue, le 18 juillet 1848.
Etat actuel. Teint hâve, terreux ; amaigrissement considérable, faiblesse extrême ; Mme C. garde presque continuellement le lit; c'est à peine si elle peut rester étendue sur un canapé pendant une ou deux heures de la journée; l'éclat du soleil, d'une bougie, le moindre bruit, le tintement d'une sonnette, provoquent de violentes douleurs de tête et de la sueur; la plus légère contention d'esprit amène de la fatigue et des douleurs ; la marche n'est possible que pendant cinq ou six minutes, et la malade est obligée de se tenir fortement courbée en avant, de faire des pas très-petits et trèslents ; des douleurs violentes, des tiraillements, se font sentir d'une manière presque continue dans les lombes, le bas-ventre, les aines, les cuisses, et sont exaspérés par la marche, la voiture, la station debout on assise. Ces accidents augmentent beaucoup d'intensité pendant les huit jours qui suivent les règles. Une sensation trèsincommode de pesanteur se fait sentir au périnée ; la malade a quelquefois des envies très-fréquentes d'uriner, accompagnées de dysurie et de douleurs vésicales. Les règles sont régulières, peu abondantes; l'écoulement leucorrhéique est tantôt très-considérable, tantôt presque nul ; parfois il cesse complétement pendant plusieurs jours. Une sensation de froid très-intense, très-pénible, se fait presque constamment sentir à la vulve, que Mme C. est souvent obligée de couvrir avec des serviettes chaudes; le canal utéro-vulvaire est le siège de douleurs vives, d'une hyperesthésie, qui rendent le coït impossible et l'introduction du doigt très-douloureuse. Les cataplasmes vaginaux et les injections sont restés sans effet.
Les pieds sont constamment glacés, bien qu'ils soient toujours couverts de plusieurs paires de bas de laine, de chaussures ouatées ou fourrées, d'un édredon, etc.
Les digestions sont très-mauvaises ; la malade mange très-peu , et seulement des légumes et des viandes blanches; il existe une fonstipation habituelle et opiniâtre.
Tous les jours, vers midi, les douleurs lombaires et vaginales, le froid des pieds et de la vulve augmentent, tandis qu'une ardeur très-grande se fait sentir dans les entrailles ; Mme C. éprouve en même temps une envie irrésistible de dormir, qu'elle est obligée de
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satisfaire pendant environ deux heures; il n'existe, du reste, ni frisson, ni chaleur, ni sueur ; la rate a ses dimensions physiologiques. Ces accidents périodiques ont résisté au sulfate de quinine. Le toucher et le spéculum montrent qu'il existe un double déplacement très-prononcé: une antéversion et une obliquité latérale gauche ; le col est petit, allongé, son volume n'est pas augmenté, sa consistance est normale ; il n'existe pas d'ulcération.
Traitement. Deux séances par jour. Le matin, à quatre heures, douche ascendante vaginale, bain de siège à eau courante, douche en pluie générale, et douche mobile dirigée sur les pieds, la vulve, l'hypogastre, et les lombes; à onze heures, douche en pluie générale pour combattre les accès quotidiens.
28 juillet. Dix jours ont suffi pour amener une amélioration trèsremarquable; le froid de la vulve et des pieds a presque complétement disparu ; Mme C. porte des bas de coton ; la marche est plus facile ; les forces ont notablement augmenté, la malade reste levée chaque jour pendant plusieurs heures; les accès périodiques sont réduits à une légère somnolence, qui ne dure qu'un quart d'heure environ , et que la malade combat facilement.
12 août. Les accès quotidiens ont entièrement cessé, les digestions deviennent meilleures, les forces ont augmenté, les douleurs sont moins vives, le système nerveux est moins affecté ; Mme C. peut lire, et s'occuper de l'éducation de sa fille.
Trois séances par jour, à sept heures du matin, à deux heures, et à cinq heures de l'après-midi ; bains de pieds à eau courante.
10 septembre. Les maux de tête, l'irritabilité nerveuse, ont disparu; Mme C. a de l'appétit, suit un régime analeptique, et digère bien ; les forces reviennent de jour en jour, la malade reste levée près? que toute la journée ; l'hyperesthésie utéro-vulvaire n'existe plus; les douleurs lombaires et hypogastriques sont légères; elles ont été exaspérées à deux reprises par des promenades trop longues, mais des compresses froides sédatives et des bains de siège à eau dormante en ont rapidement fait justice. L'utérus est manifestement moins déplacé.
18 octobre. A la suite d'une chute faite pendant les règles, Mme C. a éprouvé de violentes douleurs lombaires, des envies très-fréquentes d'uriner, et de la pesanteur au périnée ; trois bains de siège à eau dormante, de dix minutes chacun, pris dans les vingt-quatre heures, ont fait disparaître ces accidents au bout de quelques jours.
18 novembre. Mme C. quitte Bellevue. L'état général est excellent, la maigreur a fait place à, un, embonpoint très-satisfaisant; l'appétit
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 267
est vif, les digestions sont excellentes ; les forces ne laissent rien à désirer; Mme C. a fait de longues promenades, elle a été plusieurs fois a Paris, où elle a fait des courses en voiture, sans éprouver ni douleurs, ni tiraillements, ni pesanteur; le froid des pieds et de la vulve, l'hyperesthésie utéro-vulvaire, ont entièrement disparu; le sommeil est bon ; enfin, l'utérus a complétement repris sa direction physiologique.
Voilà donc une malade qui, pendant plus de deux ans, épuise, avec MM. Récamier et Gendrin, toutes les ressources de la thérapeutique ; loin de s'améliorer, son état s'empire de jour en jour, et il devient enfin l'un des plus graves que l'on puisse rencontrer. M. le professeur Paul Dubois pense que l'hydrothérapie est le seul traitement sur lequel il soit possible de fonder encore quelque espoir, et ses prévisions ne sont pas trompées ; quatre mois suffisent pour amener la guérison.
OBSERVATION. — Mme H., âgée de 40 ans, d'une taille très-élevée, d'un tempérament sanguin, d'une constitution robuste, demeure à Paris, rue Fontaine-Saint-Georges, 27 ; elle a été mariée à 27 ans, n'a pas d'enfant, et n'a point fait de fausse couche.
Vers la fin de 1827, Mme H. a eu une fluxion de poitrine, à la suite de laquelle elle a toussé d'une manière presque continue pendant six ou sept ans; aujourd'hui encore elle tousse fréquemment pendant l'hiver, et la moindre fatigue lui fait éprouver une douleur fort incommode dans le dos.
En 1832, Mme H. a été affectée d'une névralgie faciale dont elle a souffert pendant plusieurs années, et qui a résisté au sulfate de quinine à haute dose et à plusieurs autres médications.
Mme H. a été réglée à 15 ans, l'écoulement menstruel a toujours été peu abondant; tous les six ou huit mois, une saignée générale ou une application de sangsues était rendue nécessaire par le développement des accidents suivants : toux, oppression, étourdissements, fièvre, engourdissement des membres.
La malade s'enroue très-facilement ; à la moindre souffrance, à la moindre fatigue, la voix devient rauque, cassée, chevrotante; Plusieurs fois, Mme H. a été complètement aphone, et il y a quelques années, la voix n'est revenue qu'après un mois de silence complet.
En 1832, Mme H. a éprouvé de grandes fatigues et de profonds chagrins; elle a perdu son frère après, l'avoir soigné et veillé pen-
268 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
dant six semaines; elle a eu des palpitations violentes et des suffocations.
En 1838, Mme H. a ressenti, pour la première fois, une violente crampe d'estomac suivie d'une attaque de nerfs, et depuis cette époque les mêmes accidents se sont reproduits, à des intervalles d'un an ou de six mois; ils ont presque toujours lieu le matin, sont précédés de douleurs abdominales très-vives, et suivis d'une grande; fatigue.
En 1835, palpitations, douleurs aiguës au coeur et sur le sommet de la tête. (Compresses d'eau froide, pilules de digitale, sirop de Johnsion, valériane, jusquiame, frictions avec divers liniments.)
En 1839, accidents qui sont rattachés à une gastro-entérite, et contre lesquels on dirige, pendant plusieurs mois, un traitement, actif.
En 1844, douleurs très-aiguës dans le côté gauche de la poitrine; elles se font sentir pendant plusieurs mois, et sont notablement augmentées par la marche. (Frictions avec l'huile de croton, emplâtre stibié.)
Vers la fin de 1845, Mme H. éprouve de nouvelles fatigues et de nouveaux chagrins à l'occasion de la mort d'une de ses parentes.
En février 1846, Mme H. fait une maladie à laquelle on donne le nom de fièvre inflammatoire; elle garde le lit pendant quinze jours; on lui pratique une saignée générale, on lui applique vingt sangsues, et on lui fait prendre quinze bains. Pendant tout l'été, passé à la campagne, Mme H. reste faible et souffrante.
En novembre 1846, Mme H. soigne encore une de ses parentes malades, et les fatigues qu'elle endure sont suivies d'une excitation nerveuse, principalement caractérisée par un besoin invincible de marcher et d'agir, malgré une fatigue continuelle et très-pénible.
En mars 1847, la mère de Mme H. fait une grave maladie; nouvelles épreuves pour celle-ci, dont la santé se détériore de plus en plus.
En mai, les accidents deviennent fort graves; les crampes d'estomac sont fréquentes, et toujours suivies d'attaques de nerfs; desdouleurs vives se font sentir dans les membres , qui sont agités d'un tremblement presque continuel; la marche est impossible ; la malade est forcée de renoncer à toute espèce d'occupation. M. le Dr Goupil et Mme Lachapelle constatent un double déplacement de l'utérus, qui est notablement abaissé, et incliné à droite.
Au mois d'août, Marjolin est consulté ; il reconnaît l'existence du double déplacement utérin, et conseille l'usage d'une ceinture hypogastrique et le repos absolu.
DE LA MÉDICATION RECONSTITUTIVE ET TONIQUE. 269
En octobre, l'état de la malade présente une légère amélioration, mais le moindre bruit, l'exercice le moins fatigant, une odeur un peu forte, déterminent des crises nerveuses. Pendant l'hiver, plusieurs alternatives d'amélioration et de recrudescence,
recrudescence, plus léger exercice amenant une rechute complète. Au mois de juin, tous les accidents s'aggravent; après avoir épuisé les ressources de la thérapeutique, M. le Dr Goupil conseilla à Mme H. d'avoir recours à l'hydrothérapie, et la malade vint à Bellevue le 7 août 1848. État actuel. Le faciès est bon, l'embonpoint conservé, le sommeil
satisfaisant, l'appétit très-vif; les digestions sont bonnes, et depuis plusieurs mois, Mme H. ne s'est point ressentie de ce qu'elle appelle ses crampes d'estomac; la langue est naturelle, les fonctions de l'intestin s'accomplissent régulièrement.
La voix présente un caractère tout particulier; elle est rauque,
chevrotante, et souvent la malade est complétement aphone, pendant plusieurs heures ou même plusieurs jours ; le moindre exercice, la plus légère émotion morale, provoquent de la dyspnée, de
l'oppression, ou même des accès de suffocation; une toux sèche, courte, quinteuse, très-fatigante, se fait souvent entendre ; une douleur très-intense existe presque continuellement dans l'espace interscapulaire;
interscapulaire; Mme H. éprouve des palpitations violentes. L'auscultation et la percussion de la poitrine ne donnent que des signes
signes
La malade ressent des douleurs, des tiraillements dans la région lombaire, les aines, la partie supérieure et interne des cuisses; les règles sont régulières, peu abondantes ; il n'existe pas d'écoulement
leucorrhéique.
Les membres supérieurs et inférieurs sont agités d'un tremblement presque continuel, et souvent contractés; les mouvements sont brusques, saccadés, désordonnés, comme convulsifs; les doigts sont roides; Mme H. ne peut que très-difficilement écrire, découper,
porter un verre ou les aliments à la bouche. La marche est presque complétement impossible; Mme H. ne peut faire qu'une dizaine de pas de suite, en s'appuyant d'un côté sur une canne, et. de l'autre
sur un bras; la marche est mal assurée, vacillante; la malade, dont le tronc est fortement fléchi en avant, s'appuie presque exclusivement
exclusivement les talons, et contracte violemment les muscles extenseurs des orteils.
La moindre fatigue, une émotion vive, une contrariété, provoquent des attaques nerveuses, qui se produisent souvent en l'absence
270 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
de toute cause déterminante appréciable, et qui sont caractérisées par les phénomènes suivants.
La malade pousse un cri aigu et tombe; sans toutefois perdre connaissance; elle éprouve à la gorge une sensation de constriction, de strangulation; la respiration devient sifflante, incomplète, embarrassée ; ce n'est plus qu'une espèce de sanglot. La face se congestionne et devient violette, les membres sont agités par des mouvements convulsifs, violents, désordonnés; la malade s'agite, se débat avec énergie, plusieurs personnes sont obligées de la maintenir. L'accès à une durée d'environ un quart d'heure, il est suivi d'une lassitude générale extrême qui se fait sentir pendant plusieurs jours ; souvent il se termine par des pleurs.
Mme H. porte constamment sa ceinture hypogastrique, car elle ne peut la quitter sans que tous les phénomènes morbides s'aggravent immédiatement. Toute occupation lui est interdite; elle ne peut ni lire, ni écrire, ni dessiner; elle reste presque toujours couchée; et depuis plusieurs mois, elle n'a pu se lever pendant plus de deux heures par jour.
Le toucher et le speculum montrent que le col utérin n'est ni engorgé ni ulcéré; mais l'utérus a subi un abaissement notable et une déviation latérale droite.
Traitement. Deux séances par jour. Douche générale en pluie ou en nappe; douche mobile dirigée sur l'hypogastre, les aines, et la région lombaire.
7 octobre. L'état de la malade ne s'est point sensiblement amélioré. Plusieurs attaques nerveuses ont eu lieu ; la marche est toujours aussi difficile, tous les accidents persistent avec une égale intensité; Mme H. est découragée; elle veut cesser le traitement et quitter Bellevue ; ce n'est qu'avec peine qu'on obtient d'elle de pérservérer pendant un mois encore.
22 octobre. La malade se sent mieux, et a repris courage et espoir; l'exaltation nerveuse est moins grande, il n'y a pas eu d'attaque, la marche est plus facile.
22 novembre. L'amélioration est jaujourd'hui très-marquée ; Mme H. fait de petites promenades en s'appuyant seulement sur sa canne ou sur une ombrelle; elle reste levée pendant la plus grande partie de la journée; elle peut lire, écrire, s'occuper, sans éprouver une trop grande fatigue. Je l'engage à ôter sa ceinture hypogastrique, ce qu'elle fait, non sans hésitation et sans crainte.
22 décembre. Mme H. fait de longues promenades sans se fatiguer elle a été plusieurs fois à Paris et à Versailles; elle à dîné et passé la
DE LA MÉDICATION RECÔNSTITUtiVÈ ET TONIQUE. 271
soirée en ville; elle a pu assister à des concerts, tandis que, depuis plusieurs années, elle était obligée de sortir dès les premières mesures, tant la musique faisait sur elle une impression douloureuse, quoique agréable; elle reste levée pendant toute la journée, lit, écrit, dessine, sans en éprouver aucune incommodité. La ceinture hypogastrique n'a pas été remise; la matrice est complétement redressée. Mme H. se considère comme parfaitement guérie, et veut retourner à Paris; je lui conseille de continuer encore son traitement pendant une quinzaine de jours. 7 janvier 1849. Mme H. quitte Bellevue dans un état de santé complétement satisfaisant; aujourd'hui, 15 décembre 1851, la guérison ne s'est point démentie.
Certes il était permis ici de soutenir qu'il n'existait aucune relation de cause à effet entre le déplacement utérin et la plupart des accidents que présentait la malade ; mais il n'en est pas moins vrai que, sous l'influence du traitement, on voit simultanément la matrice se redresser, les symptômes mécaniques liés au déplacement disparaître, et la santé remplacer un état morbide ancien très-fàcheux, caractérisé par des troubles graves de la respiration, de l'innervation et de la locomotion.
Cette observation met en évidence une circonstance dont il importe que le médecin et le malade soient prévenus : souvent ce n'est qu'après plusieurs semaines, ou même deux ou trois mois, que le traitement hydrothérapique amène une amélioration appréciable ; il ne faut donc point se décourager et y renoncer trop tôt, d'autant plus que, le premier pas une fois fait, les choses marchent ordinairement très-vite.
272 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLElïe
RATIONNELLElïe médication excitatrice.
Je n'ai rien à ajouter aux considérations générales développées par MM. Trousseau et Pidoux, dans les pages qu'ils ont consacrées à la médication excitatrice (1), et j'y renvoie le lecteur. Je dirai seulement ici que, comme l'électricité, le massage simple ou par percussion, l'urticatiôn, etc., les applications extérieures d'eau froide, exercent, sur la motilité et la sensibilité, une action excitatrice dont le praticien peut, dans certains cas, tirer un parti fort utile. Elles m'ont rendu d'éminents services dans le traitement des paralysies hystériques, de certaines paralysies liées à une congestion sanguine chronique des centres nerveux ; elles ont réveillé la puissance de contractilité dans des muscles qu'une ankylose avait condamnés à une longue inaction, et, dans toutes ces circonstances, elles ont puissamment contribué à la guérison. Je regrette de n'avoir pas eu l'occasion d'appliquer cette médication énergique au traitement des paralysies saturnines, de certaines paralysies partielles, telles que la paralysie idiopathique de la septième paire, celle du muscle grand dentelé, et enfin à celui de celle curieuse atrophie musculaire qui a été décrite par MM. Duchenne (de Boulogne) et Aran.
Un assez grand nombre de malades affectés de paralysies anciennes, ayant quatre, cinq, six, huit, dix années d'existence, manifestement produites par des altérations organiques des centres nerveux, sont venus à Bellevue réclamer le secours de l'hydrothérapie; je n'ai pas obtenu sur eux une seule guérison complète, et je déclare, sans hésiter, qu'il ne faut accepter que sous bénéfice d'inventaire les observations merveilleuses produites par quelques hydropathes, qui se vantent d'avoir renouvelé le miracle du paralytique de l'Évangile.
(1) Trousseau et Pidoux, Traité de thérapeutique, t.1, p. 880; Paris, 1847.
DE LA MÉDICATION EXCITATRICE, 273
Plusieurs hommes atteints de paralysie générale commençante ne m'ont pas fourni des résultats plus heureux.
Je dois dire cependant que, même dans ces cas désespérés, l'action excitatrice de l'eau froide s'est manifestée. Après la douche, les malades se sentaient plus forts, marchaient un peu mieux avec leurs béquilles; mais cet effet a été peu marqué, de courte durée, et, malgré un traitement fort long (six mois à deux ans), malgré des applications plusieurs fois renouvelées dans les vingt-quatre heures, il n'a jamais amené la guérison, ni même une amélioration notable et permanente.
Pour obtenir l'action excitatrice, il faut avoir recours à des douches très-puissantes, ayant une grande force de percussion ; les douches mobiles en jet ou en poussière, les douches verticales en colonnes, remplissent parfaitement toutes les indications.
J'ai souvent associé avec avantage l'électricité aux douches froides, en me conformant aux principes que j'ai établis ailleurs (1), et qui ont été si bien développés par M. le Dr Duchenne (de Boulogne).
Les constipations les plus anciennes, les plus opiniâtres, disparaissent ordinairement sous l'influence du traitement hydrothérapique, dont le mode d'action est ici très-variable. Tantôt, en effet, il détruit la constipation en rétablissant dans leur intégrité la digestion, les sécrétions hépatique et intestinale; tantôt en modifiant un état général, tel que la chlorose ou l'anémie; tantôt en faisant disparaître un obstacle mécanique: une antéversion ou une rétroversion utérine, par exemple. Mais fort souvent, c'est par son action excitatrice que l'eau froide a manifestement vaincu la constipation; c'est en réveillant la contractilité des fibres musculaires de l'intestin, et en combattant l'atonie, l'inertie dans lesquelles elles avaient été plongées par l'abus des lavements tièdes et émollients, une
(1) L. Fleury, Cours d'hygiène fait à la Faculté de méd. de Paris, P.131 et suiv; Paris, 1852.
18
274 DE L'HYDROTHÉRAPIE: RATIONNELLE.
distension considérable causée.par l'accumulation des matières, etc.
Lorsque, dans les cas de ce genre, les douches ascendantes froides, les bains de siège à eau. courante, les douches locales, n'ont point rapidement rétabli les fonctions, je leur ai associé un moyen indiqué par moi, il y a bientôt quinze ans, et dont l'efficacité, constatée par beaucoup de praticiens, ne m'a jamais fait défaut depuis cette époque ; je veux parler des mèches introduites le soir dans le rectum (1).
De la médication révulsive.
Nous abordons ici l'une des influences les plus puissantes, les plus précieuses, de toutes celles qu'exerce l'hydrothérapie, et nous sommes obligé d'entrer dans quelques, considérations préliminaires.
«La révulsion, dit M. Gazenave, est un acte organique complexe , dans lequel l'état physiologique ou l'état anormal d'une partie est diminué, modifié, annihilé, par suite d'un travail organique, normal ou anormal, survenu spontanément ou provoqué artificiellement dans une autre partie» (2). Après avoir ainsi défini la révulsion, M. Cazenave distingue six espèces de révulsion :
1° Révulsion par douleur, 2° Révulsion par congestion,
3° Révulsion par inflammation, 4° Révulsion par modification de la circulation,
5° Révulsion par augmentation d'action organique,
6° Révulsion par action organique particulière.
(1) L. Fleury, de l'Emploi des mèches dans le traitement de la constipation, in Arch. gèn. de méd., t.1, p. 336 ; 1838.
(2) Cazenave, la Révulsion et la dérivation, thèse de concours pour une chaire de pathologie interne ; Paris, 1840.
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 275
Or il est évident tout d'abord que l'hydrothérapie ne met en jeu que la deuxième, la troisième, la quatrième , et la cinquième de ces espèces de révulsions ; nous n'aurons donc point à nous occuper des deux autres.
Mais, en se plaçant à notre point de vue, la deuxième et la quatrième doivent être confondues en une seule; car M. Cazenave établit que la révulsion par modification de la circulation se décompose en deux variétés : dans l'une, il y a issue de sang hors des vaisseaux qui le contiennent; dans l'autre, les changements apportés dans la circulation consistent dans un état de congestion plus ou moins intense d'une partie plus ou moins étendue, sans issue du sang au dehors ; or cette seconde variété est la seule qui appartienne à la médication que nous étudions.
Quant à la révulsion par augmentation d'action organique, à laquelle se rattache, en partie, la doctrine des crises, nous laisserons de côté les influences exercées par l'hydrothérapie sur les reins , l'intestin, etc., car nous nous sommes déjà expliqué à cet égard (voy. p. 102-108), et nous ne tiendrons compte ici que de la révulsion par augmentation de l'action organique de la peau, provoquée au moyen du calorique, d'après les préceptes que nous avons formulés plus haut (voyez p. 123-133).
Enfin, en ce qui concerne la révulsion par inflammation, il ne s'agira que des phlegmasies de la peau et du tissu cellulaire (éruptions, furoncles, abcès), que l'on peut produire au moyen des applications froides excitantes, et que nous avons déclarées devoir être considérées non comme des phénomènes critiques, mais comme des moyens de révulsion (voy. p. 104 ).
Étudions maintenant chacune de ces espèces de révulsions hydrothérapiques.
De la révulsion par congestion.
L'effet produit par une ventouse sèche est l'exemple le plus net que l'on puisse citer d'une révulsion par congestion ; et les
276 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
influences, physiologiques et curatives exercées par ce modificateur mécanique ont été mises en lumière par les appareils, Junod, et par la pratique d'un médecin qui, malgré des doctrines physiologiques et pathologiques qu'on peut qualifier de chimériques, a obtenu quelques succès remarquables, au moyen de l'application souvent renouvelée d'un grand nombre de ventouses sèches (1).
L'élévation est encore un moyen puissant de révulsion par congestion, qui agit, non plus comme la ventouse, sur un point plus ou moins éloigné de la partie malade, mais sur cette partie elle-même ; les recherches de MM. Piorry et Gerdy ont, montré combien il peut rendre de services dans le traitement de beaucoup d'affections médicales et chirurgicales (2).
C'est pour combattre certaines hyperémies physiologiques ou pathologiques, actives ou passives, hémorrhagiques ou inflammatoires , nutritives ou sécrétoires, que l'on met en usage les moyens que nous venons d'indiquer ; mais tous les praticiens savent que les résultats obtenus ne répondent pas toujours aux espérances qu'on avait conçues, et il est facile, ce me semble, de démontrer qu'il ne pouvait en être autrement.
Les ventouses, l'élévation, sont des moyens physiques, mécaniques, qui n'exercent qu'une action locale et de courte durée ; qui peuvent: être efficaces lorsque l'hyperémie est due elle-même à une cause locale mécanique, physique ; mais qui deviennent nécessairement impuissants lorsque l'hyperémie est due à une cause générale et vitale; et c'est là précisément le cas qui se présente le plus ordinairement. Alors il faut que l'agent thérapeutique , pour être efficace, ait une double action; il faut qu'il agisse sur la lésion locale et sur la cause fié(1)
fié(1) Études théoriques et prat. des affections nerveuses , etc.; Paris, 1850.
(2) Piorry, de l'Influence de la pesanteur sur la circulation; Paris, 1835. Traite de médecine, t. III; Paris, 1847. - Gerdy, Pathologie générale médico-chirurgicale ; Paris, 1851. — Nélaton, de l'Influence de la position dans les maladies chirurgicales; Paris, 1851, etc.
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 277
nérale et vitale qui a donné naissance à l'hyperémie, et qui l'entretient.
Sans aborder en ce moment une question qui recevra de longs développements lorsque nous nous occuperons des congestions sanguines chroniques , nous dirons seulement ici que l'hydrothérapie est de tous les modificateurs connus celui qui remplit le mieux cette double indication, et nous allons prouver par des faits qui, nous l'espérons , porteront la conviction dans tous les esprits, qu'elle est un des plus puissants révulsifs par congestion que le praticien ait à sa disposition, Je disais en 1849 :
«Toutes les femmes traitées depuis trois ans dans l'établissement hydrothérapique de Bellevue ont pris, pendant l'époque menstruelle, des douches générales, en pluie ou en nappe/ précédées ou non de transpiration, et les résultats de cette pratique ont été les suivants : «Jamais il n'est survenu le plus léger accident. «Jamais les règles n'ont été arrêtées. «Dans l'état normal, l'écoulement menstruel n'a subi aucune modification.
«Dans l'état morbide, l'écoulement menstruel a été ramené à ses conditions physiologiques et s'est régularisé, si je puis m'exprimer ainsi ; devenant plus abondant s'il avait diminué, moins abondant s'il avait augmenté outre mesure, facile s'il était accompagné de douleurs plus ou moins vives, régulièrement périodique s'il était devenu irrégulier. «Les douches froides ont exercé sur l'écoulement menstruel une influence directe , en agissant sur la circulation générale et locale ; car ces modifications ont eu lieu avant qu'un changement notable soit survenu dans la maladie (chlorose, affection utérine, etc.) à laquelle se rattachait le dérangement de la menstruation. Les faits que nous avons observés nous autorisent à considérer les douches froides générales comme le moyen le plus puissant auquel on puisse avoir recours pour prévenir ou pour combattre la congestion utérine, comme d'ail-
278 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
leurs la congestion sanguine de tous les viscères de l'éco, nomie. »
Depuis cette époque, les faits, et ils ont été très-nombreux, ont de plus en plus justifié mes prévisions et mes assertions.
Là menstruation régulière n'a subi aucune modification sous l'influence de douches générales, prises pendant l'écoulement menstruel et uniformément, également répandues sur toute la surface du corps; mais j'ai constamment rendu plus abondante la menstruation insuffisante, par l'administration de douches congestives dirigées sur le bassin et les membres inférieurs.
J'ai constamment, au contraire, diminué la menstruation trop abondante par l'administration de douches révulsives dirigées sur la partie supérieure du tronc et les membres thoraciques.
Dans les cas de véritables métrorrhagies, l'action des douches révulsives a été non moins sûre, non moins énergique. Les hémorrhagies liées à un état d'anémie, d'appauvrissement dp sang , ont cessé avant qu'un changement notable soit survenu dans la maladie générale ; mais des faits bien plus remarquables encore se sont produits : des métrorrhagies liées à une lésion organique locale , à un polype utérin, à une tumeur de l'ovaire, ont cessé par la seule influence des douche? révulsives gavant toute modification opérée dans la cause locale. L'observation suivante est, à cet égard, une des plus curieuses qu'on puisse rencontrer.
OBSERVATION. — Mme A., âgée de 48 ans, a été réglée à 15 ans; mais jusqu'à sa première couche l'écoulement menstruel a été peu abondant, très-irrégulier, et ne se montrait que tous les deux ou trois mois : à partir de cette époque, il parut régulièrement toutes les six semaines.
En 1845, Mme A., qui jusque là avait toujours joui d'une excellente santé, fit une fausse couche, après laquelle les règles se montrèrent tous les mois, acquirent une abondance inaccoutumée, et furent suivies d'une sensation de faiblesse qui se prolongeait pendant plusieurs jours. Pendant trois ans environ, ces accidents augmentèrent
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 279
graduellement, mais d'une manière insensible pour ainsi dire, et sans compromettre gravement la santé; à partir de l'année 1848, il n'en fut plus ainsi. Les règles, précédées et accompagnées de douleurs utérines très-vives, coulaient avec une grande abondance pendant trois ou quatre jours, et amenaient l'expulsion de nombreux caillots, plus ou moins volumineux -, puis l'écoulement continuait, en moins grande quantité et d'une façon irrégulièrement intermittente, pendant dix ou douze jours, laissant après lui un état de faiblesse qui permettait à peine à la malade de se mouvoir, et l'obligeait souvent à garder le lit ; à peine Mme A. avait-elle retrouvé des forces que l'écoulement périodique ramenait les mêmes accidents, et l'on comprend qu'en de telles circonstances, on ne tarda pas à constater tous les signes d'une anémie, dont les progrès furent incessants et rapides.
Les bains de mer, le quinquina , les toniques, furent essayés sans aucun succès; le fer, administré à plusieurs reprises, ne put jamais être supporté par l'estomac.
En 1849, l'anémie était profonde ; Mme A. ne pouvait plus se livrer à aucun exercice sans éprouver des palpitations violentes et de la suffocation; elle ne montait qu'avec peine les quelques marches de son escalier, et avait à peine assez de forces pour faire quelques courtes promenades sur un terrain parfaitement plat, car la plus légère montée ramenait les palpitations, et un essoufflement allant jusqu'à la suffocation ; l'appétit était capricieux, peu développé ; les digestions se faisaient laborieusement, et la malade avait une grande répugnance pour la viande.
Les eaux de Forges, prises pendant les mois d'août et de septembre, n'apportèrent aucune modification à ce fâcheux état morbide.
Au mois de novembre, eut lieu un accident dont les effets directs furent bien tristes, et qui exerça sur l'état général de Mme A. une influence funeste. Un coup porté sur la région sourcilière droite produisit, du cèté du globe de l'oeil, des accidents graves, qui nécessitèrent deux applications de sangsues, pour combattre une choroïdite intense, accompagnée de vives douleurs. Les soins éclairés de MM. Serres et Sichel eurent raison des phénomènes aigus ; mais, par suite d'une hydropisie sous-choroïdienne, et probablement aussi d'un déchatonnement du cristallin, la vue subit des altérations qui se sont terminées par une abolition complète et définitive de la vision du côté droit.
Mais le globe de l'oeil ne ressentit pas seul les effets de la violence extérieure; du côté du cerveau, eurent lieu des vertiges qui rendaient la marche chancelante, mal assurée, et du côté de l'estomac,
280 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
se produisirent des vomissements quotidiens, ayant lieu le matin à jeun, et souvent après les repas.
Au mois de janvier, Mme A. fut frappée brusquement d'une congestion cérébrale, accompagnée de perte de connaissance et d'abolition de la sensibilité et de la motilité; M. Serres, ne pouvant se décider à pratiquer une émission de sang, en raison de l'état général de la malade, eut recours à de puissants révulsifs, et les accidents se dissipèrent au bout de quelques heures, mais non sans imprimer une nouvelle aggravation à l'état si fâcheux de Mme A., et spécialement sans augmenter les vertiges et les vomissements.
La position de la malade devenant de plus en plus grave, et une terminaison funeste étant jugée imminente, M. Serres pensa qu'il fallait tenter un traitement hydrothérapique, et M. Sichel ayant partagé cet avis, je fus appelé en consultation par ces messieurs, le 20 avril 1850.
La violence extérieure était-elle la cause directe de ces accidents, en raison d'une action exercée par elle sur le cerveau, ou bien n'avait-elle agi qu'à titre de cause occasionnelle, pour développer des phénomènes se liant à l'état anémique ? La question était difficile à résoudre ; mais elle ne pouvait avoir aucune influence sur le traitement, car aucune indication ne se présentait du côté de l'eucéphale.
État actuel. Les traits sont profondément altérés, les muqueuses sont complétement décolorées, la face est bouffie et présente une teinte jaune-paille des plus prononcées, qui se retrouve sur les mains et sur toute la surface de l'enveloppe cutanée. Indépendamment des signes d'une profonde anémie, l'aspect de la malade est tellement semblable à celui d'une personne parvenue au dernier degré de la cachexie cancéreuse, que ma première pensée fut pour une dégénérescence de l'utérus ou de l'estomac.
Tous les matins, à jeun, Mme A. éprouve des nausées très-pénibles qui durent pendant une demi-heure environ, et qui se terminent par un vomissement de matières muqueuses ou bilieuses ; souvent le vomissement a lieu après les repas, surtout après le déjeuner, et les aliments sont rejetés peu de temps après leur ingestion dans l'estomac; l'appétit est entièrement nul, la malade ne mange qu'une très-petite quantité de légumes, de laitage ou de poisson, et éprouve pour la viande une répugnance invincible et absolue. Les garderobes n'ont lieu que lorsqu'elles ont été provoquées par un ou plusieurs lavements; la langue est pâle, large, humide, et ne présente ni pointillé rouge saillant, ni enduit digne d'être noté.
La palpation et la percussion de l'abdomen ne fournissent que des
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 281
lignes négatifs ; il n'existe de sensibilité anormale dans aucun point, aucune tumeur ; rien du côté du foie, de la rate et des reins ; les urines ne contiennent ni albumine, ni sucre, ni aucun des éléments de la bile.
La percussion et l'auscultation de la poitrine ne font percevoir aucun bruit anormal ; les battements du coeur sont faibles et irréguliers, tantôt lents, tantôt précipités et tumultueux ; le moindre mouvement, quelques pas faits dans la chambre, provoquent des palpitations violentes.
Les forces sont réduites au point que c'est à grand'peine que la malade se traîne de son lit à son fauteuil, où elle reste deux ou trois heures par jour; la prostration augmente encore A chaque époque menstruelle, pendant laquelle a lieu une hémorrhagie abondante, qui oblige Mme A. à garder le lit pendant une quinzaine de jours; les règles sont précédées et accompagnées de vives douleurs, des caillots sont expulsés pendant le deuxième et le troisième jour, et l'écoulement se prolonge ensuite avec moins d'abondance pendant sept ou huit jours; c'est alors que se montrent, avec une fréquence et une intensité plus grandes, les vertiges, la vacillation de la marches vomissements, tous les phénomènes, en un mot, qui se rattachent au système nerveux.
Il n'existe, du côté des organes génitaux, ni douleurs spontanées ou provoquées dans la région hypogastrique, ni tumeur, ni écoulement leucorrhéique; mais, la malade n'ayant jamais voulu se soumettre à une exploration directe, l'état de l'utérus n'a point été apprécié à l'aide du toucher et du spéculum, c'est-à-dire des moyens d'investigation qui seuls peuvent conduire à la certitude.
Préoccupé de cette idée, que l'anémie était le résultat des métrorrhagies répétées qui avaient eu lieu depuis plusieurs années, et que l'hémorrhagie elle-même n'était que l'effet d'une lésion utérine, je fis d'un examen complet la condition sine qua non de mon intervention médicale, et la malade se résigna à en passer par là ; mais l'état général de Mme A. était tel qu'on ne pouvait songer à la soumettre actuellement à la plus légère secousse physique, à la moindre émotion morale, et il fut convenu que l'on s'efforcerait d'abord de relever les forces, d'amender les accidents nerveux, et que l'examen n'aurait lieu que lorsque la malade serait jugée capable de le supporter.
Le 1er mai 1850, Mme A. vint s'établir à Bellevue ; le traitement fut immédiatement commencé.
Pendant plusieurs jours, je me contente de pratiquer, matin et soir, une friction en drap mouillé; puis la malade, soutenue par
282 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
deux personnes, et se reposant sur un pliant tous les dix pas, franchit la courte distance qui sépare son habitation de l'établissement, et reçoit deux fois par jour une douche générale en pluie et en jet.
Au bout de quinze jours de traitement, le teint se modifie, les vomissements deviennent beaucoup moins fréquents, les forces augmentent, et déjà on constate une amélioration remarquable, qui remplit la malade de joie et d'espoir.
1er juin. Les vomissements ont entièrement disparu ; l'appétit renaît, les digestions sont assez bonnes, les vertiges sont notablement diminués ; la marche est plus assurée, la malade accomplit beaucoup plus facilement sa promenade quotidienne , le teint continue à s'améliorer, les palpitations et la suffocation sont moins violentes.
Les règles se sont montrées dans la dernière semaine du mois de mai, et ce n'est pas sans une vive appréhension que MM. Serres, Sichel et le mari de la malade, m'ont vu continuer le traitement pendant la durée de l'écoulement menstruel. A leur grand étonnement, et conformément à mes prévisions, les règles ont été beau-, coup moins abondantes; Mme A. n'a pas été obligée de garder, le lit d'une manière continue, et la faiblesse n'a pas été à beaucoup près aussi considérable que d'habitude.
1er juillet. L'amélioration a fait de nouveaux progrès ; le teint est bon, l'appétit vif, ta malade mange de la viande et digère bien; les vomissements ne se sont pas reproduits, les accidents du côté de l'encéphale ont presque entièrement disparu ; les forces augmentent de jour en jour, et Mme A. fait maintenant d'assez longues promenades; les palpitations ne se font sentir qu'après l'ascension d'un escalier ou d'un terrain en côté.
Les règles ont paru à leur époque ; elles ont été d'une abondance médiocre, mais elles se sont prolongées pendant plusieurs jours, sous forme d'un écoulement sanguinolent intermittent, irrégulier, accompagné d'une prostration non assez considérable pour obliger la malade à garder le lit, mais suffisante pour diminuer l'appétit, rendre les digestions moins faciles, et obliger Mme A. à suspendre ses promenades.
Celte circonstance me fait insister de nouveau sur la nécessité de constater, d'une manière précise, l'état de l'utérus, et comme maintenant rien dans l'état physique et moral de Mme A. ne s'oppose à un examen complet, celui-ci est effectué le 7 juillet. Voici ce que je constate :
Il n'existe point de déplacement utérin; le col n'est point hyper-
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 283
trophié, et présente le volume que l'on rencontre habituellement chez les femmes qui ont eu plusieurs enfants; il n'existe point d'ulcération, la muqueuse est saine, lisse et très-pâle.
A la commissure droite de l'orifice utérin, existe un polype de la grosseur d'un pois, formé par un tissu mou, d'un rouge violacé , vasculaire, saignant au plus léger contact, et ayant la plus grande analogie avec le tissu érectile. Ce polype s'insère par un pédicule étroit dans la cavité du museau de tanche.
Le 15 juillet, j'enlève le polype par arrachement, et j'introduis dans la cavité du museau de tanche, sur le lieu d'insertion, un stylet rougi à blanc, aussi bien pour arrêter l'écoulement sanguin assez considérable qui se fait en ce point, que pour détruire complétement le polype et empêcher sa reproduction. Cette opération s'accomplit avec la plus grande facilité, et sans la moindre douleur pour la malade; des compresses froides sont appliquées sur l'hypôgastre, et dès le lendemain, Mme A. reprend son traitement hydrothérapique.
Depuis ce moment, la santé de la malade a subi une amélioration régulièrement progressive; elle ne laissait plus rien à désirer lorsque Mme A. a quitté Bellevue au mois de novembre ; le teint est coloré, l'appétit très-vif, la digestion excellente. Mme A. a été au bal et y a passé une partie de la nuit ; elle a fait de longues courses sans en éprouver de fatigue, et elle assure qu'elle ne s'est jamais mieux portée de sa vie.
L'intérêt et l'importance que présente cette observation ne sauraient être contestés.
En raison de métrorrhagies mensuelles se reproduisant pendant plusieurs années, Mme A. est jetée graduellement dans une anémie qui finit par atteindre les dernières limites de cet état pathologique, et alors une violence extérieure devient la cause occasionnelle d'accidents nerveux qui ajoutent encore à la gravité de la situation. Entre les mains d'un des plus éminents praticiens de Paris, la thérapeutique reste complétement impuissante, et c'est en présence d'une terminaison funeste imminente, que la malade est soumise au traitement hydrothérapique. Quinze jours suffisent pour amener une amélioration des plus remarquables. Par le seul effet de la révulsion opérée par les douches froides, de l'action exercée par elles sur la cir-
284 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
culation capillaire générale, on voit les métrorrhagies disparaître, bien qu'elles soient liées à une lésion locale qui n'a pas encore été attaquée, à un polype inséré dans l'orifice du museau de tanche ; les accidents nerveux disparaissent, les phénomènes anémiques s'amendent de plus en plus, et le polype ayant été enlevé, l'amélioration continue à faire de rapides progrès, qui aboutissent à une guérison complète.
Je puis ajouter, aujourd'hui 15 décembre 1851, que la guérison de Mme A. s'est parfaitement maintenue.
Une cliente de M. Hervez de Chégoin, portant une tumeur considérable de l'ovaire, après avoir vu, depuis plusieurs années, la menstruation devenir de plus en plus abondante, avait chaque mois, depuis environ deux ans, une véritable hémorrhagie; plusieurs fois celle-ci avait été assez considérable pour mettre en péril les jours de la malade, et pour rendre nécessaires les moyens les plus énergiques de la médecine. Une anémie profonde ne tarda pas à se produire, sous l'influence de ces pertes de sang si répétées. Un traitement hydrothérapique, commencé le 12 juillet 1850, a ramené l'écoulement menstruel à ses conditions physiologiques, a fait disparaître l'anémié, et placé Mme M. dans un état de santé satisfaisant qui se maintient encore aujourd'hui.
Des faits analogues se sont reproduits, l'année dernière, chez une dame que m'avait adressée M. le Dr Tournié, et, cette année, chez une malade qui m'a été amenée par M. de Castelnau. C'est en présence de faits aussi intéressants, aussi concluants, que je disais dans un précédent mémoire, et que je répète ici :
« N'est-il pas remarquable de voir les douches froides exercer une action révulsive et anticongestionnelle assez puissante, pour diminuer ou arrêter des hémorrhagies liées à une lésion locale sur laquelle elles n'ont aucune prise, et ne voit-on pas : quelles précieuses ressources elles offrent, sinon pour guérir des altérations devant lesquelles toutes les ressources de l'art doivent malheureusement rester impuissantes, mais du moins
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 285
pour soulager les malades, améliorer leur état général, et prolonger leur existence, en combattant l'anémie qui vient si souvent en abréger le terme?»
N'est-ce pas aussi à l'action révulsive des douches froides générales , que j'ai dû de pouvoir soumettre impunément à des mouvements graduellement forcés des malades affectés d'ankylose incomplète, chez lesquels la manoeuvre la plus légère provoquait auparavant des douleurs atroces, de la fièvre, des accidents phlegmasiques qui obligeaient à suspendre toute espèce de traitement, à replacer l'articulation dans un repos absolu; n'est-ce point par une action révulsive que les douches froides font disparaître une foule de douleurs névralgiques, rhumatismales, nerveuses, dues à des congestions sanguines? Dans tous les cas dont nous venons de parler, les douches froides font l'office d'une ventouse qui recouvrirait toute la surface du corps ; c'est en appelant le sang vers la périphérie, c'est en congestionnant les capillaires superficiels, qu'elles débarrassent la partie malade de l'hyperémie dont elle est le siège.
Dans d'autres circonstances, l'hydrothérapie agit en même temps comme la ventouse et comme l'élévation : comme la ventouse, par la douche générale; comme l'élévation, par une douche locale qui chasse directement, immédiatement, le sang de l'organe hyperémié.
Cette double action se traduit par une diminution graduellement progressive de l'organe congestionné, et par le retour définitif de celui-ci à ses limites et à ses fonctions physiologiques.
La diminution graduelle du volume de l'organe hyperémié s'accomplit suivant une LOI qu'il importe de bien connaître, et qui va être mise en lumière par les faits suivants :
Chaque douche amène, TOUJOURS ET INSTANTANÉMENT , une diminution de volume considérable. Le 24 juin 1847, M. X., dont la rate a 23 centimètres de diamètre vertical et 15 centimètres de diamèfre transversal, reçoit une douche énergique.
286 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
La rate, mesurée immédiatement après, ne présente plus que 14 centimètres verticalement et 10 transversalement (voyez la planche n° 1, figures 1 et 2). Le 25 mai 1851, je prie MM. Andral et Piorry de mesurer exactement et de dessiner, à l'aide du nitrate d'argent, le foie d'un malade que je leur présente, La percussion, pratiquée avec le plus grand soin, démontre que le foie a 18 centimètres verticalement, au niveau du mamelon , et que transversalement il dépasse la ligne médiane de 11 centimètres. Une douche énergique est administrée en présence de ces honorables professeurs, qui constatent, immédiatement après, que le volume du foie a diminué de 6 centim. 1/2 verticalement et de 5 centimètres transversalement (voyez la planche n° II, fig. 1 et 2).
La diminution de volume opérée par chaque douche persiste pendant un temps d'autant plus long que le traitement est plus avancé ; mais, dans les intervalles qui séparent les douches les unes des autres, l'organe augmente de nouveau, sans atteindre toutefois, dans aucun intervalle, les dimensions qu'il présentait dans l'intervalle précédent, et c'est en passant ainsi par des alternatives de décroissement et d'accroissement de moins en moins considérables, qu'il revient enfin à ses limites physiologiques. Un exemple va faire comprendre ces effets si remarquables des douches froides.
Le 24 juin 1847, avant tout traitement hydriatrique, la rate présente
23 centimètres verticalement,
15 cenlimètres transversalement (pl. n° III, fig. 1).
Après la douche, ses dimensions sont réduites à
14 centimètres verticalement,
10 centimètres transversalement (fig. 2).
Le 25 juin, avant la douché, la rate a
19 centimètres verticalement,
12 centimètres transversalement (fig. 3).
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 287
Après la douche, ses dimensions sont de
12 centimètres verticalement,
10 centimètres transversalement (fig. 4).
Le 27 juin, avant la douche, la rate a
12 centimètres verticalement,
8 centimètres transversalement (fig. 6).
Après la douche, elle n'a plus que
9 centimètres verticalement,
7 centimètres transversalement (fig. 6).
Le 30 juin, avant la douche, la rate présente ses limites physiologiques, et la guérison est complète.
La marche est la même pour le foie, pour l'utérus ; seulement
elle est moins rapide. La diminution de volume opérée par la louche est aussi moins considérable, ce qui s'explique facilement
facilement les différences que ces organes présentent dans leur contexture et dans la disposition de leurs vaisseaux capillaires.
Nous reviendrons sur ces points, si importants pour le praticien, lorsque nous nous occuperons de la médication antipériodique
antipériodique des congestions sanguines chroniques.
De la révulsion par augmentation d'action organique de la peau.
Ce second mode de révulsion est surtout applicable, comme on le sait, aux phlegmasies catarrhales commençantes, aux névralgies, aux rhumatismes musculaires. MM. Trousseau et Pidoux ont parfaitement développé toutes les considérations qui se rattachent à l'application de la médication irritante transpositive, et ils ont dit avec raison : «Il faut agir sur une surrace d'autant plus étendue, que la maladie occupe elle-même un espace plus considérable ou qu'elle est plus intense. L'oubli
288' DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
de ce principe est la cause du discrédit dans lequel est tombée la révulsion transpositive» (1).
J'ai vérifié l'exactitude de cette assertion en agissant sur toute l'étendue de la surface cutanée par l'action combinée dut calorique et des douches froides excitantes. En opposant cette médication, dès le début, à l'angine tonsillaire, au coryza, à la bronchite, j'ai presque constamment fait immédiatement disparaître l'inflammation, et à cet égard elle possède une puissance dont on ne peut se faire une idée exacte qu'après l'avoir expérimentée. Dans les névralgies, les rhumatismes musculaires, j'ai obtenu des guérisons qui méritent également de fixer l'attention des praticiens, et que je dois faire connaître d'une manière plus complète.
Névralgies.
On sait qu'une foule de médications diverses ont été préconisées contre les névralgies, et que chacune d'elles compte des succès plus ou moins nombreux. La méthode endermique, les vésicatoires volants, le sulfate de quinine, les ferrugineux, les préparations de zinc, l'électricité, se placent au premier rang, et méritent la réputation qu'ils ont acquise ; mais, malgré l'efficacité de ces agents, il est cependant encore un grand nombre de névralgies qui opposent une résistance désespérée à tous les traitements, soit rationnels, soit empiriques, que l'on dirige contre elles, ou qui se reproduisent avec obstination, lorsqu'à l'aide d'un moyen quelconque on est parvenu à les faire disparaître momentanément.
En 1840, m'appuyant sur la pratique de M. Jobert et sur ; mon expérience personnelle, j'ai indiqué les heureux effets que Ton obtient de la cautérisation transcurrente dans le traitement de certaines névralgies rebelles (2), et depuis, j'ai de
(1) Trousseau et Pidoux, ouvr. cité, t. I, p. 469 et suiv.
(2) Compendium de médecine pratique, t. III, p. 160.
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 289
nouveau appelé l'attention des praticiens sur ce précieux modificateur.
«La cautérisation transcurrente, ai-je dit, pratiquée avec des succès remarquables par M. Jobert, est un moyen puissant, souvent héroïque, que nous avons vu réussir dans des cas très-graves, pour lesquels la thérapeutique avait été épuisée en vain» (1).
Ces assertions ne furent pas acceptées sans réserve par tous les médecins. « Attendons, disait en 1841 M. Valleix, pour nous prononcer définitivement sur la valeur de la cautérisation transcurrente, que des observations détaillées viennent nous éclairer suffisamment» (2).
Pendant ces dernières années, l'expérience est venue confirmer mes paroles, et aujourd'hui je suis heureux de pouvoir compter au nombre des partisans de la cautérisation transcurrente M. Valleix lui-même, qui résume de la manière suivante les avantages du fer rouge sur le vésicatoire : «Application moins souvent répétée, puisque, dans un peu plus des deux tiers des cas, une seule a suffi ; douleur beaucoup moindre, puisque le malade est éthérisé ; efficacité plus grande, puisque des névralgies qui avaient résisté au vésicatoire ont été enlevées par le cautère actuel ; enfin guérison plus rapide.»
Tels sont, suivant l'interprète de M. Valleix, les titres «qui assurent à la cautérisation transcurrente une supériorité incontestable sur le vésicatoire» (3).
Mais, si l'efficacité de la cautérisation transcurrente est main tenant confirmée par les meilleurs observateurs, il est encore malheureusement beaucoup de malades qui refusent de se soumettre à ce moyen, plus effrayant que douloureux, et il faut
(1) Compendium de médecine pratique, t. VI, p. 184. (2) Valleix, Traité des névralgies, p. 225; Paris, 1841.
(3) Traitement des névralgies par la cautérisation transcurrente, in l'Union médicale, octobre 1847.
19
290 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
avouer d'ailleurs que le fer rouge n'est, ni infaillible ni applicable à tous les cas.
Des faits fort remarquables de névralgies, soit récentes, soit anciennes et rebelles, m'ont prouvé que l'emploi simultané de la sudation et des douches froides constitue une médication destinée à remplacer avec avantage la méthode endermique, les vésicatoires volants, les nombreux modificateurs que la médecine oppose avec plus ou moins de succès aux névralgies, et enfin le fer rouge lui-même.
La voie que j'ai suivie n'est point d'ailleurs complétement nouvelle; elle a déjà été explorée par quelques médecins, dont je vais brièvement résumer les travaux.
M. Rapou a appliqué la méthode fumigatoire au traitement des névralgies, et voici comment il s'exprime à cet égard :
« J'ai souvent opposé aux névralgies la méthode fumigatoire, et je l'ai fait avec des succès variés. Les douches de vapeurs sédatives à une très-douce température sont le moyen qui m'a paru le plus efficace, au moins contre les névralgies cubitales , sciatiques, frontales, faciales, et maxillaires. Lorsque des nerfs du tronc étaient le siège de douleurs, j'ai été quelquefois obligé d'associer aux douches les bains à l'orientale ou par encaissement, afin d'augmenter l'action de tout le système cutané, et détourner ainsi la fluxion locale... Les névralgies frontales et maxillaires paraissent moins opiniâtres que les tics douloureux; sur trois cas qui se sont offerts à ma pratique, deux ont complétement cédé aux douches de vapeurs. Les douleurs cubitales, ischio-scrotales, plantaires, etc., ainsi que les névralgies anormales, résistent rarement à l'emploi méthodique et soutenu des bains et des douches de vapeurs »(1).
M. Rapou cite ensuite cinq cas de névralgie faciale. Deux
(1) Rapou, Traité de la méthode fumigatoire, t. II, p. 297-301 ; Paris, 1824.
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 291
malades ont complètement guéri, deux n'ont éprouvé qu'un soulagement momentané; chez le dernier, le traitement est resté sans effet.
Le Dr Lambert a étudié avec plus de soin les effets des bains russes, c'est-à-dire des bains de vapeurs suivis d'affusions froides. On trouve dans son ouvrage l'appréciation suivante : «Les bains, d'étuve sont plus heureux que tous les antispasmodiques et opiacés qu'on oppose d'ordinaire aux névralgies, car ils réussissent presque constamment... Lorsqu'une névralgie récente est attaquée de bonne heure par les bains russes, trèssouvent elle disparaît comme par enchantement. Si elle a déjà quelque durée, après les premiers bains les douleurs changent ordinairement de place, se divisent ou deviennent plus aiguës ; dans ce dernier cas, elles prennent souvent un caractère d'intermittence... Dans les névralgies chroniques, le malade doit prendre sa première série de bains sans interruption, et si du sixième au huitième il n'y a pas eu de changement sensible, il est bon de recourir à la douche de vapeurs, pour chercher à déterminer quelque crise favorable ; dès qu'on a atteint ce but, on est presque sûr de triompher de l'affection, quelle que soit sa chronicité ; ou les douleurs devenues plus intenses disparaissent tout à fait, ou, après s'être déjà calmées, elles se font sentir de nouveau, pour se dissiper encore et ne plus revenir. «Dans les premiers bains, il faut user sobrement des arrosements froids ; mais il n'en est pas de même à la fin du traitement, où l'on doit chercher à donner du ton au système nerveux, afin de diminuer son irritabilité » (1). M. Lambert rapporte neuf observations de névralgies aiguës ou chroniques, faciales ou sciatiques, et il montre que le succès a été constant.
Les auteurs ne paraissent pas avoir tenu compte de ces données, et M. Valleix ne mentionne qu'une seule fois, à propos
(1) Lambert, Traité sur l'hygiène et la médecine des bains russes et orientaux, p. 212-214 ; Paris, 1841.
292 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
de la névralgie fémoro-poplitée, les bains de vapeurs, qu'il apprécie de la manière suivante: «Jamais la guérison n'a pu être obtenue à l'aide de ce moyen seul, mais le soulagement qu'il a apporté a été même plus constant que celui des bains simples, et il s'est toujours prolongé plusieurs heures après le bain, surtout pendant le temps que durait la sueur consécutive. Le retour des douleurs avec la même intensité, la fatigue, et l'affaiblissement résultant des bains de vapeurs, faisaient bientôt renoncer à leur usage » (1).
Les névralgies n'occupent qu'une placé fort restreinte dans les ouvrages consacrés à l'hydrothérapie: MM. Scoutetten et Engelles passent sous silence, M. Lubansky n'en cite aucun cas dans le chapitre de son ouvrage qui traite dès maladies du système nerveux (2); M. Schedel n'en rapporte qu'une seule observation. Il s'agir d'une névralgie du nerf; frontal droit, remontant à sept années, et donnant lieu à des paroxysmes irréguliers: après un mois de traitement, la malade n'a ressenti aucune douleur pendant vingt-quatre jours ; mais, à cette époque, elle a cessé le traitement, et l'on ne sait point si la maladie n'a pas reparu peu de temps après (3).
Dans le chapitre consacré aux névralgies par M. Baldou, on ne rencontre qu'une seule observation dont on puisse tenir compte. Une névralgie faciale, suite de lésion traumatique, ayant plusieurs années d'existence, a été guérie en trente-cinq jours par le traitement suivant: sueur le matin dans le drap mouillé, grand bain, douche de poussière dans la journée, bain de siège ou de pieds le soir (4).
Tel était sur ce point l'état de la science, lorsque plusieurs malades atteints de névralgies se sont présentés à rétablissement hydrothérapique de Bellevue ; ils y ont été traités par la
(1) Valleix, ouvr. cité., p. 629.
(2) Lubansky, ouvr. cité , p. 388-448.
(3) Schedel, ouvr. cité, p. 408.
(4) Baldou , ouvr. cité., p. 122,125.
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 293
sudation en étuve sèche et les douches froides, et ce sont les résultats obtenus par cette médication que je me propose d'exposer.
Mais, pour apprécier convenablement les effets de la médication que nous allons étudier, il est nécessaire d'établir une division.
1° Névralgies récentes, aiguës, localisées. — A leur début, les névralgies sont ordinairement fixes, parfaitement circonscrites, exactement limitées à un tronc nerveux et à ses branches; elles constituent une AFFECTION LOCALE dans laquelle les grandes fonctions de l'économie ne sont point troublées ; la digestion , la circulation, l'innervation générale, restent intactes.
Dans cet état de choses, j'ai pensé qu'il devait être possible de faire disparaître la névralgie à l'aide d'une révulsion énergique, appliquée sur une large surface, exerçant une action analogue à celle des vésicatoires volants et de la cautérisation transcurrente ; et, dans cette idée, j'ai eu recours à la sudation , suivie de douche froide, appliquée comme agent de la médication transpositive, et suivant les règles que j'ai établies ailleurs. Plusieurs malades, affectés de névralgie depuis quatre à quinze jours, ont été traités de cette manière; tous ont guéri après une, deux, ou trois séances, au maximum. Je reproduis en abrégé les observations que j'ai recueilles, afin de mettre le lecteur à même de juger avec une parfaite connaissance de cause.
OBSERVATION. — M. A. est âgé de 33 ans, d'un tempérament sansuin, d'une constitution très-robuste; il n'a jamais été atteint de rhumatisme ni de névralgie. Le 5 novembre 1847, par un temps froid et humide, il fait une course en omnibus, et le côté droit de la tête reste exposé à un courant d'air, la vitre correspondante de la voiture étant brisée; le même soir, M. A. ressent des douleurs vives qui, pendant quatre jours, vont sans cesse en augmentant, et ne lui laissent de repos ni de jour ni de nuit. Je suis appelé auprès de lui le 10.
Etat actuel. — Douleurs spontanées. Les trois branches de la cin-
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quième paire son affectées; des élancements extrêmement vifs, dés douleurs brûlantes, lancinantes, se font sentir dans tout le côte droit de la face, et principalement dans le fond de l'orbite, le front, le sourcil, les paupières, la tempe, la joue, la moitié correspondante du riez et des lèvres, le menton; l'oreille, etc.; elles sont éxaspérées par les mouvements, l'action de se moucher; d'éternuer, par la déglutition de la salive, par l'éclat du soleil ou de la lumière artificielle. Les paroxysmes sont extrêmement violents V leur durée est de une à deux heures, et ils se reproduisent plusieurs fois dans la journée ; dans les intervalles, les parties affectées sont le siége d'une espèce d'engourdissement très-pénible ; lorsque là douleur est à son maximum, le côté correspondant de la fàce est gonflé, l'oeil est rouge et larmoyant.
Douleurs provoquées. La pression fait naître une douleur intense et circonscrite dans les points sus-orbitaire, malaire, auriculo-temporal, et mentonnier.
Le même jour, 10 novembre 1847, au début d'un paroxysme qui paraît devoir être très-intense, le malade est placé dans l'étuve seche, et la chaleur est portée rapidement à 60°; des compresses froides sont placées sur la tête; au bout de dix minutes, la transpiration s'établit, et les douleurs deviennent moins vives; au bout de vingt minutes, le malade accuse une chaleur très-intense; le pouls bat 100 fois par minuté. Douche en pluie générale pendant trois minutes.
M. A. ne ressent plus aucune douleur, la pression est complétement indolente au niveau des points indiqués plus haut.
11 novembre. Des douleurs légères se sont fait sentir pendant la nuit; le malade accuse de l'engourdissement dans là joue, que sillonnent de temps en temps quelques élancements. Seconde séance, après laquelle la tête est de nouveau entièrement dégagée.
A partir de ce moment, la névralgie disparaît définitivement, et depuis dix-huit mois, M. A. n'en a point ressenti la moindre atteinte.
OBSERVATION. — M. F. est âgé de 38 ans, d'un tempérament sanguin, d'une constitution robuste; il n'a jamais eu de douleurs névralgiques. Le 7 décembre 1848, il ressent tout à coup dans le côté droit de la poitrine une douleur violente, continue, exaspérée par les mouvements du bras et du torse, par l'inspiration, la toux, l'action de se moucher, et le lendemain, le côté gauche de la poitrine est envahi à son tour; la respiration devient courte, précipitée, et le malade se condamne à un repos à peu près absolu dans la crainte
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 295
d'augmenter ses souffrances. Le 11, je suis appelé à lui donner des
soins.
EtatdclueLLe malade se tient immobile, le tronc légèrement fléchi en avant; le mouvement le plus circonscrit du torse ou des membres supérieurs exaspère, de façon à lui arracher des cris, les douleurs très-intenses, qu'il ressent d'une manière continue dans les deux côtés de la poitrine et au niveau de l'appendice xiphoïde; la respiration est fréquente, incomplète, et augmente également l'intensité de la douleur aussitôt que le malade fait un effort inspirateur plus profond. Des élancements spontanés, très-aigus, dirigés d'arrière en avant, se font souvent sentir. Douleurs provoquées. En examinant la poitrine avec soin, on constate que la névralgie est double, et qu'elle occupe de chaque côté les cinquième, sixième, septième, huitième, et neuvième espaces intercostaux; les points vertébraux ne sont que médiocrement douloureux à la pression; mais il n'en est pas de même des points latéraux et sternaux, au niveau desquels l'application même légère des doigts provoque une douleur extrêmement vive, laquelle atteint son maximum d'intensité au niveau de l'appendice xiphoïde. Il existe une hyperesthésie,cutanée très-prononcée, toute la peau qui recouvre la poitrine est douloureuse au plus léger contact. Le 12 décembre, au matin, le malade est placé dans l'étuve sèche, dont la température est portée à 65°; la peau devient le siège d'une vive excitation ; quelques symptômes de congestion cérébrale, se montrent au bout d'une demi-heure, et M. F. reçoit alors, pendant trois à quatre minutes, une douche générale en pluie et en jet. Toutes les douleurs spontanées, ou provoquées ont entièrement disparu; le malade éprouve un bien-être extrême, auquel il a peine à croire ; il respire profondément; il agite les membres et le tronc, et reconnaît, avec autant de plaisir que d'étonnement, qu'il n'éprouve plus aucune espèce de sensation douloureuse; toute la journée et toute la nuit s'écoulent sans le plus léger accident, et M. F. trouve son état si satisfaisant, qu'il se refuse à prendre une seconde douche.
La guérison ne s'est point démentie.
OBSERVATION. — Mme C., âgée de 36 ans, lymphatique, grêle, a été plusieurs fois atteinte d'une névralgie, sciatique gauche, dont les attaques ont eu constamment une durée de plusieurs mois. Le sulfate de quinine, les pilules de Méglin, les ferrugineux , la térébenthine, le valérianate de zinc, les vésicatoires volants, simples ou saupoudrés d'acétate, de morphine, ont été nus en usage sans succès
296
DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
bien marqués, tous ces moyens n'ayant amené qu'un soulagement momentané; dans l'intervalle des attaques, la malade n'éprouve aucune douleur, et sa santé est excellente.
Le 17 juillet 1848, Mme C. ressent des élancements très-vifs dans la cuisse gauche, et dès le lendemain, elle est mise dans l'impossibilité de marcher par une attaque qui a toute, la violence de celles qui l'ont précédée. Le 1er août, je suis appelé auprès de la malade.
État actuel. Mme C. ne marche qu'avec une grande difficulté,!) mouvement exaspérant les douleurs et provoquant des élancements extrêmement vifs, qui parcourent la: fesse et toute la cuisse, en se dirigeant de haut en bas ( névralgie descendante); la malade ne peut se coucher sur le côté affecté, la station assise lui est également pénible ; les élancements sont plus vifs pendant la nuit et sous l'influence de la chaleur du lit. Dans L'intervalle des paroxysmes.) le membre inférieur gauche est le siège de fourmillements, de picotements, d'une douleur sourde, continue, d'une sensation de grande faiblesse. La pression fait naître une douleur très-vive dans les points sacro-iliaque, fessier, et péronéo-tibial.
Le 2 août, Mme C. est placée dans l'étuve sèche ; elle y reste pendant une demi-heure, et reçoit ensuite une douche générale en pluie et une douche locale en jet dirigée sur la fesse et la cuisse gauches La douleur disparait complétement, la malade retourne chez elle à pied.
3 août. Aucune douleur pendant toute la journée; la malade va que aux soins de son ménage, et marche sans éprouver le plus léger élancement; vers le milieu de la nuit, elle a été éveillée par des élancements très-vifs, qui se sont fait sentir pendant une heure environ. Ce matin, le membre est engourdi.
Seconde séance de sudation, suivie de douche.
4 août. Dans la soirée et pendant la nuit, Mme C. a ressenti quelques élancements isolés, passagers, se reproduisant à des intervalles variables et assez éloignés.
Troisième séance.
5 août. Aucune douleur ne s'est fait sentir, et la malade a repris toute la liberté de ses mouvements.
15 août. La guérison s'est maintenue, et Mme C. la considère comme suffisamment assurée pour suspendre le traitement qu'elle a voulu continuer jusqu'à ce jour.
OBSERVATION.— M. N., âgé de 22 ans, est atteint depuis huit jours, et pour la première fois, d'une névralgie intercostale droite, qui occupe les troisième, quatrième, cinquième, et sixième espaces
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intercostaux ; douleur continue, contùsive, augmentée par la respiration, la toux, le rire, les mouvements du membre supérieur correspondant, etc.; élancements très-vifs et très-fréquents. Les points vertébraux et sternaux ne sont que médiocrement douloureux à la pression, laquelle provoque, au contraire, des douleurs extrêmement vives au niveau des points latéraux.
Le 9 avril 1848, M. N. est placé dans l'étuve sèche; il y reste trente-cinq minutes, et reçoit ensuite une douche générale en pluie, et une douche locale en jet, dirigée sur le côté droit de la poitrine.
La douleur, qui a diminué dans l'étuve, disparaît complétement après la douche froide, et ne reparaît plus, bien que le malade n'ait point continué le traitement.
OBSERVATION. — Mme L., âgée de 28 ans, a été affectée, il y a cinq ans, d'une névralgie trifaciale droite, qui a duré trois semaines, et qui à été combattue par les pilules de Méglin et les vésicatoires saupoudrés d'acétate de morphine.
Le 19 avril 1847, à la suite d'émotions morales très-vives, la maladie reparaît, et envahit principalement les branches maxillaires supérieure et inférieure. Douleurs au niveau des dernières molaires supérieures, dans la joue, la tempe, le nez, les dents, l'oreille, le menton, etc.; elles sont exaspérées par les mouvements de la mâchoire et rendent la mastication impossible; les accès sont trèsviolents et durent plusieurs heures. Douleur très-vive à la pression au niveau des points malaire, auriculo-temporal, et mentonnier. Le 24 avril, les accès devenant de plus en plus intenses, et sans qu'aucune médication ait été mise en usage, Mme L. est placée dans l'étuve sèche; au bout d'une demi-heure, douche générale en pluie et en jet.
Disparition complète des douleurs.
25 avril. Dans la journée, quelques élancements; le soir, un accès assez violent. Seconde séance.
26 avril. Un accès moins intense et moins long a encore lieu après le dîner; il a été provoqué par la mastication. Troisième séance.
27 avril. Aucune douleur. La malade ne continue pas le traitement; la guérison se maintient.
Il est impossible, ce me semble, de mettre en doute , dans les observations que je viens de rapporter, l'action du traitement. C'est directement, immédiatement sous l'influence de la sudation et de la douche froide, que les douleurs névralgi-
298 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
ques se calment et disparaissent. La relation de cause à effet est évidente.
Est-il possible d'expliquer là guérison autrement que par une révulsion très-puissante, s'exerçant sur toute la surface cutanée, et agissant de la même manière, mais plus énergiquement que les vésicatoires volants et la cautérisation transcurrente ?
Il est à remarquer que, dans les deux cas de névralgieintercostale, une seule séance à suffi pour amener une guérison complète, tandis que deux et trois séances ont été nécessaires pour la névralgie sciatique et les deux cas de névralgie trifaciale. Cela ne tient-il point à ce que la poitrine est soumise plus directement, plus complétement que la face et la cuisse, à l'action dit calorique et de la douché, qui dès lors agissent avec plus d'énergie et d'efficacité ?
Les avantages de cette médication sont faciles à apprécier si une expérimentation plus suivie vient en confirmer l'efficacité, il n'est pas un médecin, et surtout pas un malade, qui ne là préférera aux vésicatoires et au fer rouge.
2° Névralgies anciennes et rebelles; névropathie générale; état nerveux. — Chez les sujets dont il doit être question dans ce paragraphe, la maladie se présente sous un tout autre aspect. Quelquefois elle n'offre de particulier que sa continuités'; son intensité, sa longue durée, sa résistance à toutes les médications qu'on lui oppose, ses nombreuses récidives (névralgie fixe) ; d'autres fois la névralgie n'est plus exactement limitée elle est multiple et embrasse plusieurs troncs nerveux ; ou erratrque; ambulante; et envahit tantôt un point; tantôt un autre (névralgie ambulante): Elle se montre périodiquement ou irrégulièrement sous l'influence de causes diverses, telles que le froid, l'humidité, les variations, atmosphériques, les écarts de régime, les émotions morales, etc.
D'autres fois encore l'universalité est le principal, caractère de la maladie, que l'on désigne alors par les noms de névro-
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 299
pathie générale, d'état nerveux. Ici, en effet, il ne s'agit plus d'une affection locale; toutes les grandes fonctions de l'ééconomie sont plus ou moins troublées, et principalement la digestion, la nutrition, la circulation et l'innervation. C'est le degré le plus léger de ce singulier état morbide qu'a désigné M. Valleix en disant : «Il est un état qui, sans pouvoir être considéré comme un état réel de maladie, n'est cependant pas la santé : je veux parler de cet état des personnes nerveuses, qui ont toujours quelque souffrance dans un point ou dans l'autre, qui sont affaiblies, qu'une simple promenade fatigue, dont les digestions sont difficiles et l'intestin paresseux. Il n'est assurément aucun médecin qui n'ait rencontré maintes et maintes fois des sujets dans cet état, et surtout des femmes. Les malades de ce genre abondent dans les établissements hydrothérapiques, et ce sont ceux chez lesquels on Obtient les plus nombreux succès» (1). Trop souvent malheureusement, les accidents acquièrent une tout autre importance, et bien qu'on ne puisse constater aucune lésion localisée, on se trouve en présence d'un état bien réel de maladie, et même d'une affection d'une gravité extrême.
Les malades, qui presque tous, en effet, appartiennent au sexe féminin, éprouvent du côté des organes de la digestion des troubles sérieux : l'appétit se perd complétement; la vue seule des aliments, et principalement des viandes, inspire un dégoût insurmontable ; les crudités, les acides, sont seuls recherchés ; les digestions sont capricieuses, souvent accompagnées de douleurs gastralgiques très-aiguës; la constipation est opiniâtre ; les malades maigrissent de plus en plus, et finissent par arriver au plus haut degré de l'émaciation. Souvent il existe des palpitations si violentes, qu'on serait tenté de les rattacher à une affection organique du coeur, si l'on
(1) Valleix, Coup d'oeil général sur l'hydrothérapie, etc., in Bull. gén. de thérapeut., t. XXXV, p. 101 ; 1848.
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ne tenait compte de leur intermittence irréguliére, et des signes négatifs fournis par l'auscultation et la percussion. Le pouls est petit, serré, fréquent, irrégulier, parfois intermittent; un mouvement fébrile plus ou moins intense a lieu souvent vers le soir ou pendant la nuit.
Les forces se perdent graduellement, et les malades finissent par rester presque constamment couchées ou étendues sur une chaise longue; elles ne peuvent supporter la voiture. La marche est impossible, et c'est à peine si elles ont la force de se tenir debout.
La peau, sèche, rugueuse, écailleuse, n'est jamais humectée par la plus légère moiteur ; les urines sont tantôt rares, épaisses, sédimenteuses, tantôt abondantes, claires et aqueuses.
C'est du côté du système nerveux que se montrent les phénomènes les plus graves.
Des douleurs névralgiques irrégulières se font sentir tantôt dans un point, tantôt dans un autre. La cinquième paire est leur siège le plus ordinaire; mais souvent aussi elles occupent les nerfs intercostaux, mammaires, sciatiques. Très-fréquemment des douleurs de même nature se font sentir dans l'estomac, le foie, l'utérus, la vessie (viscéralgies).
Les malades sont d'une irritabilité nerveuse excessive, d'une impressionnabilité extrême; le plus léger bruit les fait tressaillir et les incommode ; la lumière, la musique, le monde, la conversation, la lecture, toute espèce d'occupation, de travail intellectuel, de contention d'esprit, ne peuvent plus être supportés; elles perdent le sommeil et sont en proie pendant la nuit à des terreurs, à des hallucinations, à une agitation fébrile que termine, vers le matin, une sueur plus ou moins abondante. Lear caractère est presque toujours modifié : elles deviennent irascibles, capricieuses, tristes ; la moindre émotion, la plus légère contrariété, les jette dans un désespoir qui n'est nullement en rapport avec la cause qui l'a produit. Quelques-unes tombent dans une véritable lypémanie qui leur fait désirer la mort. Quelques malades éprouvent incessamment le besoin de chan-
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 301
ger de place, et plusieurs d'entre elles voyagent sans rencontrer jamais qu'un soulagement momentané acquis au prix de grands efforts, suivis bientôt d'une prostration extrême de l'esprit et du corps. Des alternatives d'activité et d'accablement physique et moral, de force convulsive pour ainsi dire, et de faiblesse, de gaieté et de tristesse, d'espérance et de découragement profond, forment encore l'un des principaux caractères de la maladie.
'On chercherait vainement, dans les traités de pathologie, la description de cette affection, dont je viens de n'indiquer que les principaux traits; mais les praticiens ne la connaissent que trop, Elle est une des plus fréquentes et des plus graves parmi tilles qui se présentent dans la pratique civile, et surtout chez les femmes du monde; elle fait le désespoir des malades, dont Me empoisonne l'existence pendant de longues années, et celui des médecins, dont elle déjoue tous les efforts. C'est ce même état morbide, accompagné d'accidents locaux particuliers, que l'on rencontre si souvent chez les femmes dont lutérus est engorgé ou a subi un déplacement, et qui divise encore les médecins les plus expérimentés sur la question de savoir si, dans les cas de ce genre, il existe une relation de cause à effet entre la maladie utérine et la névropathie. Ici il n'est question que des névropathies générales dégagées de toute complication, de toute maladie de la matrice, de tout accident hystériforme ; de ces névropathies dont la cause orgamique échappe complètement à nos investigations , qui se développent et se perpétuent souvent sous l'influence de perturbations morales, et que beaucoup de médecins, à bout de ressources, décorent du nom d'hypochondrie ou de nosomanie, pour justifier leur insuccès passé, et légitimer leur inaction future.
Pour combattre une affection si complexe et si générale, à
quelle médication le praticien va-t-il s'adresser? Les antispasmodiques
antispasmodiques complétement inefficaces ; les toniques ne sont
point supportés ou n'amènent qu'un soulagement momentané,
302 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
dû à une excitation bientôt suivie de fièvre et d'une réaction générale qui commandent d'en suspendre l'emploi; les bains de mer, les différentes eaux thermales, réussissent quelquefois, mais souvent ils n'amènent qu'une amélioration de courte du rée, et d'autres fois ils sont trop excitants et ne peuvent pas être supportés. L'état des forces et de l'estomac ne permet point aux malades de se. soumettre au régime et à l'exerole musculaire, qui seraient appelés à leur rendre service.
Eh bien ! je n'hésite pas à le déclarer ; les praticiens trouveront dans les douches froides, aidées de la sudation, un moyen héroïque, à l'aide duquel ils pourront modifier l'état général des sujets, rétablir dans leur intégrité les fonctions digestives et nutritives, ramener ou développer l'embonpoint, faire disparaître les douleurs névralgiques, régulariser l'action nerveuse, obtenir, en un mot, la guérison complète d'une maladie contré laquelle toutes les ressources de l'art étaient venues échouer
Les observations suivantes justifieront ces assertions
OBSERVATION. — Mme la marquise de B. est âgée de 55 ans, d'une constitution grêlé, d'un tempérament nerveux. En 1840, elle ressent des douleurs très-vives, lancinantes, dans le côté droit de la face et dans les dents correspondantes ; il lui semble que deux des molaires inférieures sont plus longues que les autres, et elle les fait arracher dans l'espoir de voir cesser ses douleurs; niais elle n'éprouve de cette opération aucun soulagement. Bientôt les douleurs envahissent la moitié droite de la langue, du voile du palais, des lèvres et du menton ; la phonation, la mastication deviennent très douloureuses, très-difficiles et presque impossibles.
Pendant huit ans, la névralgie tend sans cesse à s'aggraver; elle disparaît quelquefois spontanément, ou sous l'influence d'une certaine médication ; mais au bout de quelques semaines au plus, elle se reproduit avec une intensité nouvelle. La malade reçoit les soins de Mal les professeurs Andral et Marjolin, qui épuisent sur elle tout l'arsenal thérapeutique. Les pilules de Méglin, le valérianate de zinc, l'iodure et le cyanure de potassium, le sulfate dé quinine à haute dose, les préparatifs martiales, les eaux minérales des Pyrénées, dEms, de Wiesbaden, l'acupuncture, les ventouses sèches placées au nombre de 12 à 60 sur la colonne vertébrale et sur les membres, une foule
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 303
d'autres modificateurs, restent complétement inefficaces, ou n'amènent qu'un soulagement de courte durée. En désespoir de cause, la malade s'adresse à l'homceopathie et au somnambulisme ; mais après plusieurs mois d'essais infructueux, elle vient se replacer entre les mains de Marjolin, qui, après de nouvelles tentatives également Stériles et voyant les accidents acquérir une gravité très-inquiétante, conseilla à la marquise de B. d'essayer l'hydrothérapie et de s'adresser à moi. Mme de B. vient à Bellevue le 29 mai 1848. État actuel. Des douleurs continues très-vives se font sentir dans toutes les branches de la cinquième paire, et occupent, du côté droit la tempe, le front, l'orbite, le sourcil, les paupières, la joue, les illèvres, le menton; souvent elles envahissent le cou, le voile du par lais et la luette, qui présente un volume considérable et produit souvent de la gêne ou même des nausées, en venant se mettre en contact avec la base de la langue. Les accès sont très-violents, durent plusieurs heures et se reproduisent trois ou quatre fois par jour ou même plus souvent. Les muscles élévateurs de la mâchoire inférieure sont contractures de telle sorte que les dents sont serrées les unes contre les autres. Il est impossible à la malade de les écarter, et il en résulte que la préhension des aliments et même l'introduction des liquides est complétement impossible. La moindre tentative faite pour écarter les mâchoires provoque des douleurs atroces. Dans cet état de choses, Mme de B. ne peut être alimentée qu'à l'aide de lavements de bouillon. La parole est gênée, douloureuse, saccadée, peu intelligible.
L'amaigrissement est extrême, la face profondément altérée. Dépuis plusieurs années, il existe une constipation opiniâtre qui exige l'emploi quotidien d'un ou de plusieurs lavements. Le sommeil est presque entièrement perdu; les nuits sont troublées par des cauchemars, des terreurs, des hallucinations. La malade tourne à l'hypochondrie; elle se préoccupe sans cesse de son état, et se croit affectée d'une affection organique dont on lui cache l'existence. Elle redoute un ramollissement cérébral ou une altération de la moelle épinière. Le traitement est commencé le 31 mai. Deux ou trois séances par
jour. Sudation en étuve sèche ; douche froide générale en nappe ou
en pluie.
8 juin. Une amélioration considérable s'est manifestée dès les premières douches; les douleurs continues sont devenues moins vives; les accès sont moins violents, plus rares et plus courts. Les mâchoires peuvent être écartées de plusieurs lignes, et la malade ingère les liquides avec facilité.
20 juin. Les douleurs continues ont entièrement disparu; les mâ-
304 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
choires sont parfaitement libres, et Mme de B. mange avec appétit, Elle n'éprouve plus, dans les vingt-quatre heures, qu'un ou deux accès très-courts et peu intenses. Les nuits sont tranquilles, et la malade goûte un sommeil qu'elle ne connaissait plus depuis longtemps. La constipation a notablement diminué ; les selles sont parfois spontanées.
1er juillet. Les accidents névralgiques ont complètement disparu. Mme de B. n'éprouve plus la. moindre douleur ; l'état général est transformé; les forces, le teint, l'appétit, le sommeil, ne laissent rien à désirer; la constipation n'existe plus. Marjolin, qui était loin d'espérer un succès aussi complet et aussi rapide, conseiller Mme de B. de continuer le traitement pendant plusieurs mois.
15 juillet. Mme de B. est tellement satisfaite de son état, qu'elle ne résiste pas au désir d'aller passer le restant de la belle saison a sa campagne, où l'appellent sa famille et ses habitudes.
26 octobre. La guérison ne s'est pas démentie un instant, et «c'est uniquement par reconnaissance pour les douches, dit Mme de B., que je viens encore me soumettre au traitement pendant un mois.»
Les événements politiques ont engagé Mme de B. à passer en Italie l'hiver de 1848-1849. Elle est en revenue le printemps suivant, sans avoir éprouvé la plus légère douleur névralgique, et elle vient de passer l'été à sa campagne dans l'état de santé le plus satisfaisant.
Aujourd'hui 15 janvier 1850, la guérison ne s'est pas démentit un instant.
Il serait difficile, je crois, de trouver, dans les annales des névralgies, un exemple plus remarquable de l'efficacité d'une médication : une névralgie ayant huit années d'existence, ayant résisté à tous les moyens dont dispose la thérapeutique, disparaît , après un mois de traitement hydrothérapique. Un des points les plus intéressants de cette observation est la rapidité avec laquelle a cédé la contracture des muscles élévateurs de là mâchoire.
OBSERVATION. — Mme G., habitant Meudon, âgée de 50 ans, d'une constitution robuste, d'un tempérament sanguin, a éprouvé pour la première fois, en 1837, des douleurs névralgiques dans le membre inférieur droit ; l'accès a été combattu avec succès par la méthode endermique. En 1838, 1839 et 1840, la maladie s'est reproduite plusieurs fois chaque année, et a toujours été traitée par les
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 305
vésicatoires volants simples ou saupoudrés d'acétate de morphine.
Dans l'intervalle des accès, la malade n'éprouvait aucune douleur.
En 1840, au mois de mars, un violent accès eut lieu, et les moyens Jusqu'alors efficaces eurent pour effet de diminuer les douleurs, mais non de les faire disparaître. Depuis cette époque, des douleurs spontanées continues se sont constamment fait sentir dans le membre
membre droit; elles sont exaspérées par les mouvements et par
la chaleur du lit. Très-fréquemment, plusieurs fois par mois, elles acquièrent une grande violence, et la malade éprouve alors un
accès qui se prolonge pendant plusieurs jours.
Cet état de choses a duré sept années, pendant lesquelles tous les moyens connus ont été mis en usage; à l'extérieur : méthode endermique, vésicatoires volants nombreux, cautères volants avec la
potasse caustique et la poudre de Vienne, liniments de toutes sortes
(ammoniaque, baume de Fioraventi, opodeldoch, essence de térébenthine, etc.), applications de sangsues, de ventouses sèches et scarifiées, etc.; à l'intérieur : sulfate de quinine, pilules de Méglin, ferrugineux, valérianate de zinc, térébenthine, opiacés. Malgré toutes ces médications, la maladie ne fait que s'aggraver ;
les douleurs sont de plus en plus violentes et continues; les accès
se rapprochent; la marche est très-difficile, et le membre est hotablement
hotablement Le 8 avril 1847, Mme G. commence le traitement hydrothérapique.
hydrothérapique.
8 mai. Les premières douches ont exaspéré les douleurs, et la malade, effrayée de ce résultat, a été sur le point de cesser le traitement.
traitement. bout de huit jours, l'effet contraire s'est manifesté, et dès lors l'amélioration a fait d'incessants progrès. Les douleurs sont moins continues et moins vives, surtout pendant la nuit ; depuis quinze jours, il n'y a pas eu d'accès violents. La malade, qui ne faisait le trajet de Meudon à Bellevue que très-péniblement et appuyée
sur une canne, marche beaucoup plus facilement.
8 juin. Pas d'accès; douleurs spontanées irrégulières et faibles; la marche est facile, le volume du membre a augmenté; l'étal général s'améliore quant au teint, à l'appétit et aux forces.
8 juillet. La guérison est complète et la santé aussi satisfaisante
que possible.
OBSERVATION. — Mme D., âgée de 44 ans ; constitution faible, tempérament lymphatique. Plusieurs accès de névralgie faciale avant l'apparition d'une névralgie sciatique droite qui s'est montrée en 1839, et qui, depuis cette époque, a constamment donné lieu à des
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306 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
douleurs spontanées très-incommodes et à des accès assez fréquents et très-intenses. Pendant trois années, Mme D. a mis en usage tous les moyens conseillés en pareil cas, et notamment tous ceux que nous avons énumérés dans l'observation précédente ; elle a été successivement aux eaux d'Eins, de Néris, de Vichy, de Wiesbaden, de Plombières, et elle n'a jamais obtenu qu'un soulagement de courte durée. En 1845, elle a suivi pendant six mois un traitement homoeopathique qui est resté sans aucun effet ; en 1846, la cautérisation transcurrente a été pratiquée et a obtenu un succès auquel il n'a manqué que la durée pour être complet. Pendant trois mois, Mme D. a été entièrement débarrassée de ses douleurs ; mais, au bout de ce temps, la maladie a reparu avec toute son intensité.
En 1847, l'état de Mme D. s'est beaucoup aggravé; des douleurs passagères plus ou moins violentes se sont fréquemment fait sentir dans la face, les épaules, le cou, la poitrine, le membre pelvien gauche ; les nuits sont devenues mauvaises, l'appétit s'est perdu. La malade a beaucoup maigri ; elle a éprouvé de la gastralgie, des céphalalgies, des palpitations; elle a perdu graduellement ses forces et a dû passer la plus grande partie de son temps couchée sur un lit de repos. Depuis plusieurs années, les évacuations alvines étaient provoquées par l'administration quotidienne d'un lavement, mais la constipation est devenue tellement opiniâtre que souvent trois ou quatre lavements restent sans effet et qu'il faut recourir à des purgatifs.
C'est dans ces conditions que Mme D. commence le traitement hydrothérapique le 25 avril 1848.
25 mai. Les douleurs erratiques ont entièrement disparu ; depuis huit jours, il n'y a pas eu d'accès ; les douleurs de la cuisse droite ont beaucoup moins vives ; l'état général s'est notablement amélioré quinze jours de traitement ont suffi pour faire cesser la constipation ; la malade a une selle quotidienne et spontanée.
25 juin. Plus d'accidents du côté de l'estomac, du coeur et de la tête; les forces reviennent avec l'appétit et le sommeil. Mme D. fait tous les jours une longue promenade, et elle n'éprouve plus que quelques douleurs lancinantes dans le membre inférieur droit.
25 juillet. La guérison est complète. Aujourd'hui 15 janvier 1850, elle ne s'est pas démentie.
OBSERVATION. — Le Dr M., chirurgien sous-aide-major à l'hôpital militaire du Gros-Caillou, est âgé de 30 ans et d'un tempérament lymphatique. Son père et son oncle paternel ont été sujets à des affections rhumatismales.
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Au mois de décembre 1848, M. M. fut atteint, à Metz, et pour la première fois, d'une névralgie sciatique du côté droit, caractérisée par les symptômes suivants: douleur lancinante, exaspérée par la station debout et la marche, et se faisant sentir 1° au niveau du grand trochanter et de l'ischion; 2° vers l'épine iliaque supérieure et postérieure ; 3° au niveau de la tête du péroné ; 4° sur le dos du pied. La marche étant impossible, et le malade ne pouvant rester que couché ou assis, il se décide à entrer à l'hôpital militaire de Metz, où on le soumet à un traitement antiphlogistique assez vigoureux (signée de 500 grammes ; 50 sangsues appliquées en deux fois entre l'ischion et le grand trochanter; ventouses scarifiées sur le même point; tous les jours, un bain tiède de deux heures) qui ne produit pas d'amélioration notable; deux larges vésicatoires volants sont alors appliqués entre l'ischion et le grand trochanter, et un troisième sur le dos du pied. On ajoute à ces moyens l'administration, à l'intérieur, de la térébenthine à la dose 4 grammes par jour. Ce médicament est continué pendant vingt-cinq jours. La guérison n'a lieu que le 20 janvier 1849, après plus de cinq semaines de vives souffrances.
Cette première attaque de névralgie laisse après elle, dans le membre inférieur droit, une grande faiblesse musculaire qui rend la marche pénible et fatigante. Dans les premiers jours du mois, d'août 1849, la névralgie reparait avec une grande violence. La douleur est plutôt obtuse que lancinante; elle occupe les mêmes points que dans l'attaque précédente ; il n'existe ni engourdissements ni fourmillements. M. M. rentre à l'hôpital militaire de Metz le 13 août. Pendant quinze jours, on lui fait prendre tous les deux jours un bain prolongé. A la fin d'août, on pratique la cautérisation transcurrente au niveau des troisième et quatrième espaces métatarsiens droits, et chaque matin, pendant vingt jours, on sillonne avec le fer rouge toute la hanche et la partie externe de la cuisse; quatre cents raies de feu sont ainsi pratiquées (!); enfin trois moxas sont posés au niveau des trous sacrés. Peu de temps après l'application de ce dernier moyen, il se manifeste pour la première fois, dans la jambe droite, une sensation de fourmillement et d'engourdissement qui ne dépasse pas la tête du péroné et n'atteint pas la cuisse ; cette sensation est accompagnée d'un léger refroidissement. Ces phénomènes présentent cela de particulier, que le malade ne les ressent que lorsqu'il est debout, qu'il marche ou qu'il est couché horizontalement sur le dos ou le ventre,
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les jambes étendues; la douleur, l'engourdissement et le fourmillement disparaissent, au contraire, lorsqu'il est assis ou couché dans son lit et plié sur le côté droit.
Six vésicatoires volants sont appliqués successivement sur la hanche, au niveau du grand trochanter, deux à la tête du péroné, deux au-dessus de la malléole externe, et un sur le dos du pied. La térébenthine est de nouveau administrée, pendant un mois, à la dose de 4 grammes par jour. Le malade prend un grand nombre de bains simples d'abord, sulfureux ensuite ; on pratique des frictions belladonées sur la fesse droite.
Malgré ce traitement si énergique, il ne se manifeste aucune amélioration, et le malade se décide à quitter Metz pour venir à Paris, et y entrer à l'hôpital militaire du Gros-Caillou.
Là, M. M. est soumis pendant trois mois, deux fois par semaine, à l'usage des bains et des douches de vapeurs ; l'iodure de potassium est administré pendant deux mois et demi, à dose progressive, depuis 0,5 jusqu'à 4 grammes par jour ( ! ).
La maladie résiste à ce nouveau traitement, et, ne sachant plus à quel moyen recourir, M. le Dr Larrey conseille au patient de suivre un traitement hydrothérapique, et de s'adresser, à cet effet, à M. le Dr Fleury.
Le 12 mars 1850, le malade vient à Bellevue, où l'on constate l'état suivant :
Points douloureux: 1° entre le grand trochanter et l'ischion; 2° au pli de l'aine, au niveau de la cavité cotyloïde; 3° à l'attache supérieure du long péronier latéral et dans la masse du jumeau externe; 4° le long de la branche musculo-cutanée du nerf poplité externe, la douleur occupant la partie antéro-externe de la jambe, la malléole externe et le dos du pied. Le fourmillement, l'engourdissement, sont continus et exaspérés, comme on l'a dit précédemment, par la marche, la station debout, le décubitus dorsal ou abdominal, les jambes étant étendues ; le malade ne peut se tenir debout ou marcher pendant plus de quatre ou cinq minutes sans éprouver des douleurs très-vives et une faiblesse dans le membre, qui suffirait seule pour l'obliger à s'asseoir.
Le traitement hydrothérapique est commencé le 13 mars et fort bien supporté.
Les premières séances déterminent une légère exacerbation de tous les phénomènes morbides et spécialement des douleurs et des fourmillements ; mais, à partir du 22 mars, il se manifeste, au contraire, un soulagement et une amélioration qui dès lors vont chaque jour en augmentant.
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Le 10 avril, toutes, les douleurs spontanées ont disparu, à l'exception de celles qui ont leur siège vers la tête du péroné et dans la niasse externe du mollet; celles-ci se font encore sentir, mais elles sont beaucoup moins vives qu'auparavant. L'engourdissement, le fourmillement, la faiblesse, ont beaucoup diminué; la marche est beaucoup plus facile et moins douloureuse; le malade fait après.ses douches de longues promenades.
Le 20 avril, il n'existe plus aucune douleur ; l'engourdissement et le fourmillement ont complètement disparu'; M. M. fait une promenade de deux heures sans être fatigué. Les mouvements du membre inférieur sont faciles et libres dans tous les sens ; la station debout, longtemps prolongée, produit seule encore un peu de faiblesse et de raideur. Le 11 mai, c'est-à-dire après deux mois de traitement, M. M. quitte Bellevue, complétement guéri.
Telle est l'observation qu'a rédigée et que m'a remise M. le Dr M... lui-même. Je n'ai rien à ajouter, si ce n'est que j'ai revu notre confrère, il y a peu de jours, et que la guérison ne s'est pas démentie.
Dans les quatre observations qu'on vient de lire, la maladie s'est montrée d'abord sous la forme d'une affection locale, d'une névralgie fixe, exactement circonscrite à un tronc nerveux et a ses branches ; ce n'est qu'au bout d'un temps plus ou moins long que l'état morbide s'est généralisé et que les grandes fonctions de l'économie se sont troublées. Souvent les choses se passent différemment : la névropathie générale se montre la première, les fonctions sont altérées sans que l'on puisse constater la moindre lésion organique, et ce n'est que longtemps après que l'on voit apparaître des douleurs névralgiques irrégulières et erratiques. Il s'agit alors de cet état morbide si complexe, si singulier, que l'on rencontre fréquemment chez les femmes dont il a été question plus haut, et qui ne saurait être confondu avec la névralgie générale qu'a récemment décrite M. Valleix ( 1), puisqu'il n'existe ni points douloureux dis(1)
dis(1) De la névralgie générale, in Bull. gén. de thérap., nos des 30 janvier, 30 avril et 30 mai 1818.
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seminés, ni tremblements, ni démarche vacillante, etc. Un exemple, choisi entre plusieurs, nous fournira le type de ce remarquable désordre fonctionnel.
OBSERVATION. — Mme X., âgée de 36 ans, d'une constitution remarquablement belle, d'un tempérament nerveux très-prononcé; santé excellente jusqu'à 20 ans; à ce moment, interviennent des perturbations morales dont l'influence continue à se faire sentir pendant plusieurs années, et qui amènent des troubles graves dans toutes les fonctions. Mme X. se marie à 22 ans. Trois grossesses ont lieu dans l'espace de neuf années, et à trois ans d'intervalle; les accouchements sont heureux, mais l'avant-dernier est suivi d'un abcès de la fosse iliaque qui compromet les jours de la malade, et pour lequel sont appelés MM. Guersant fils, Chomel, Cruveilhier, et Jobert; l'abcès s'ouvre spontanément dans le rectum, et la guérison s'opère sans aucun accident consécutif.
La santé de Mme X. s'altère de plus en plus; elle est soumise à un traitement hpmoeopathique qui reste inefficace, et M. Pétroz lui conseille le voyage d'Italie. Trois années sont passées à Rome, à Florence, à Naples, à Ischia, où la malade prend les eaux, et Mme X. revient en France, en 1845, sans avoir éprouvé le moindre soulagement.
Je passe rapidement sur ces antécédents parce que l'état dans lequel j'ai trouvé Mme X., lorsque j'ai été appelé à lui donner des soins, existait depuis plus de dix ans, sans avoir présenté, pendant ce long espace de temps, des modifications importantes ou des circonstances dignes d'être notées.
État actuel. Le faciès est celui d'une personne qui a été épuisée par une longue maladie chronique; le teint est terreux, d'un jaune gris, le nez effilé; les joues sont profondément excavées, les pommettes saillantes, les bords libres des paupières rouges et habituellement enflammés ; les yeux, très-enfoncés dans les orbites, ont un éclat fébrile qui cause une douloureuse impression.
L'amaigrissement est le plus prononcé qu'il m'ait été donné de rencontrer; les membres sont réduits à leur charpente osseuse, les clavicules, les omoplates, les pièces du sternum, les côtes et leurs cartilages, les apophyses vertébrales, les crètes iliaques, se dessinent comme si aucune partie molle ne les recouvrait : on peut dire littéralement que la malade n'a plus que la peau sur les os.
La peau est grise, sèche, rugueuse, écailleuse ; lorsqu'on la pince, on aperçoit une foule de petites rides qui lui donnent l'aspect d'une peau de chagrin ou du cuir de Russie, la perspiration cutanée est
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pour ainsi dire nulle; jamais la peau n'est humide, et les chaleurs les plus intenses de l'été n'y amènent point la sueur.
Les forces sont réduites à leur plus simple expression, c'est à peine si la malade peut se porter, elle ne reste quelques instants debout qu'autant qu'elle est soutenue ou qu'elle s'appuie sur un meuble; se transporter d'une chambre à une autre est pour elle un sujet d'effroi, et elle ne quitte son lit que pour s'étendre sur une chaise longue. L'exercice ne provoque d'ailleurs aucune douleur, aucun accident localisé; il est tout simplement impossible, en raison d'une faiblesse générale poussée à ses dernières limites.
Ici néanmoins se présente un phénomène curieux. Douée de facultés intellectuelles et morales remarquables, d'une imagination vive, d'une âme ardente, poussée par son organisation, par son amour pour les beautés naturelles et pour les arts, par le désir' de fuir un milieu dans lequel elle subit des souffrances morales sans cesse renouvelées, et aussi par un besoin maladif de changer de lieux, de se procurer des distractions, de donner incessamment des aliments nouveaux à son activité, Mme X. a la passion des voyages. Pour satisfaire ce goût, ce besoin, elle fait appel, dans un moment donné, à toute l'énergie morale qui est en elle, et alors on la voit accomplir ce qui parait être au-dessus des forces d'un homme robuste. C'est ainsi qu'elle gravit le Vésuve, dépassant tous ses compagnons d'ascension ; c'est ainsi que mourante, à Naples, elle trouve la force nécessaire pour faire un voyage en Orient. Mme X. possède un talent musical de premier ordre et une magnifique voix de contralto; elle reste souvent plusieurs mois sans ouvrir un cahier de musique, mais le hasard ou l'inspiration la conduit un jour à son piano, et alors pendant plusieurs heures de suite, elle chanté les morceaux les plus difficiles et les plus dramatiques de la manière la plus remarquable. Il ne faut point croire toutefois que ces dépenses de forces factices, que ces effets passagers d'une surexcitation nerveuse morbide ne soient point chèrement payés; à la suite de ces efforts, MmeX. tombe dans un épuisement profond, accompagné souvent de fièvres et d'accidents nerveux graves.
La langue est naturelle, le ventre souple et indolent, l'appétit entièrement aboli ; Mme X. a du dégoût pour les aliments, et ne mange qu'un peu de laitage, de légumes ou de fruits, ne boit que de l'eau, et l'on a peine à comprendre que la vie, quelque peu active qu'elle soit, puisse être entretenue par une alimentation aussi insuffisante et aussi peu substantielle. Les garde-robes n'ont lieu que tous les sept ou huit jours ; elles sont toujours provoquées par un
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ou plusieurs lavements. Le foie et la rate sont à l'état physiologique.
La voix a perdu de sa force et de son étendue ; il est des jours où il est impossible à Mme X. d'émettre un son clair et soutenu; du reste, les fonctions respiratoires ne sont point troublées. L'auscultation et la percussion ne fournissent que des résultats négatifs,
Le pouls est petit, serré, fréquent, parfois irrégulier et intermittent; chaque nuit, vers trois heures du matin, la malade a un mouvement fébrile très-prononcé, qui dure environ deux heures, et qui est suivi d'un épuisement extrême; il n'existe aucune altération organique du coeur, mais le mouvement, la plus légère émotion, le bruit inattendu d'une sonnette, d'une porte qu'on ferme, provoquent des palpitations très-violentes.
Les urines sont rares et sédimenteuses ; elles renferment une grande quantité de sels calcaires, et pendant le séjour de Mme X. à Ischia, il parait que la proportion en est devenue extrêmement considérable, L'écoulement menstruel est régulier, mais peu abondant; rien d'anormal du côté des organes génitaux; l'utérus est parfaitement sain, et ne présente ni engorgement, ni ulcération, ni déplacement d'aucune sorte.
Le système nerveux est profondément altéré; des douleurs névralgiques irrégulières, erratiques, se font sentir, tantôt dans un point, tantôt dans un autre; il en existe presque constamment dans une ou plusieurs branches de la cinquième paire, et pendant l'hiver, Mme X. a des accès extrêmement violents, qui durent plusieurs semaines , se renouvellent plusieurs fois dans le courant de la saison, et sont souvent accompagnés, indépendamment des phénomènes habituels, d'une abondante sécrétion de larmes ou d'un écoulement séreux par le nez; le froid, l'humidité, le contact de l'air, provoquent des accès de névralgie faciale: aussi la malade redoute-t-elle extrêmement l'action de ces agents, et a-t-elle toujours, même pendant l'été, la tète entourée de ouate, de fichus, etc.
La vue est très-affaiblie, Mme X. ne peut se livrer à aucun travail d'aiguille; le soir, la lecture est impossible, et dans la journée, elle ne peut pas être continuée au-delà de quelques minutes. L'ouïe a beaucoup perdu de sa finesse. La malade ne goûte chaque nuit que deux ou trois heures d'un sommeil agité, interrompu par des rêves, des cauchemars, des terreurs, des hallucinations ; vers le matin, il se manifeste un mouvement fébrile, que termine une légère moiteur, et Mme X. se lève plus fatiguée, plus faible qu'elle ne s'est couchée. L'état intellectuel et moral est aussi fâcheux que possible. La
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 313
moindre émotion pénible, la plus légère contrariété, provoque un
véritable désespoir, qui se prolonge souvent pendant toute une journée;
journée; malade se représente alors tous les chagrins qu'elle a éprouvés
éprouvés le cours dé sa vie : elle se plonge, sans que rien puisse l'en
distraire, dans un océan de souvenirs douloureux, de pensées
tristes; elle tombe dans un découragement profond, elle prend la
vie en dégoût, et l'on observe alors un véritable accès de lypémanie.
lypémanie.
C'est dans un tel état de choses que Mme X. commence le traitement hydrothérapique, le 7 juillet 1847. 7 septembre. Malgré tout le soin, toute la prudence qu'on y a mis, les premières applications d'eau froide )frictions en drap mouillé, lotions rapides) ont été très-pénibles, et ont provoqué des palpitations, de la suffocation, et une sensation de froid qui ne disparaissait qu'avec peine sous l'influence d'une réaction très-incomplète. Il a fallu de grands efforts pour obtenir de Mme X. de continuer le traitement. Au bout de quinze jours, des douches générales trèscourtes (douche en pluie, et douche en jet promenée sur toute la surface du corps) sont prises sans répugnance et suivies d'une réaction Satisfaisante. Huit jours après, je fais précéder la douche d'une sudation en étuve sèche : une amélioration notable ne tarde pas à se manifester; la peau blanchit et devient plus unie et moins sèche, le teint se modifie, l'appétit renaît, et bientôt il est assez vif pour que la malade mange avec plaisir du poisson et des viandes blanches ; la constipation s'amende, les nuits sont plus calmes, les. cauchemars, les terreurs, les hallucinations ont disparu. Mme X a quelques heures d'un sommeil tranquille et réparateur, le mouvement fébrile ne se montre plus qu'à des intervalles assez éloignés; les forces s'accroissent graduellement et permettent des promenades quotidiennes ; l'état moral est meilleur.
7 décembre. Un changement considérable s'est opéré dans l'état de la malade; l'appétit est vif, et Mme X. prend avec plaisir une alimentation abondante et substantielle (viandes noires rôties, gibier, vin de Bordeaux); la constipation a complètement disparu, une garde-robe spontanée a lieu chaque jour; les nuits sont bonnes. Mme X. a fait de longues promenades en voiture, à pied, et à cheval; elle fait de la musique régulièrement; la voix a repris toute sa force, son étendue, et sa pureté ; la vue et l'ouïe ont recouvré toute leur intégrité, enfin, l'amaigrissement est beaucoup moins prononcé.
7 avril. Des accès de névralgie faciale se sont encore fait sentir vers la mi-janvier, et ont beaucoup fait souffrir Mme X. pendant
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cinq ou six semaines, cependant ils ont été infiniment moins longs et moins violents que ceux des années précédentes ; l'hiver s'est assez bien passé, et Mme X. a pu aller fréquemment dans le monde et au spectacle. Elle a supporté avec sang-froid et courage les craintes et les émotions qu'a fait naître la révolution de février.
7 avril 1849. Mme X. a continué le traitement jusqu'à ce jour avec régularité ; l'hiver s'est passé sans que la plus légère douleur névralgique se soit fait sentir, l'état général est satisfaisant.
Le fait que je viens de rapporter est certainement un des plus curieux qu'il m'ait été donné d'Observer dans ma carrière médicale ; il faudrait en avoir été témoin pour se faire une juste idée de l'état désespéré dans lequel se trouvait la malade, et de l'impuissance manifeste à laquelle était condamné le médecin. On est obligé de reconnaître, en effet, que, dans des circonstances semblables, rien ne peut remplacer la médication hydrothérapique, qui seule est appelée à exercer sur l'éconfr mie une action que je considère comme l'agent nécessaire et exclusif de la guérison.
Rhumatisme musculaire.
On admet généralement aujourd'hui qu'il y a identité de nature entre la névralgie et le rhumatisme musculaire. Émise d'abord par MM. Roche et Cruveilhier, cette opinion, après avoir soulevé de nombreuses contradictions, a fini par prévaloir auprès des meilleurs observateurs (1).
De cette identité de nature, on a dû conclure à une identité de traitement, et l'on retrouve, en effet, à de légères différences près, dans la thérapeutique du rhumatisme musculaire, tous les modificateurs qui sont indiqués dans celle des névralgies : applications émollientes, topiques de différentes espèces.
(1) Valleix, Guide du médecin, praticien, t. X, p. 194 ; Paris, 1847. — Études sur le rhumatisme musculaire, in Bull. gén. de thérap., t. XXXV, p. 296; 1848.
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émissions de sang, vésicatoires, cautérisation transcurrente, médication endémique, sulfate de quinine, etc. etc.
Les bains de vapeurs, les bains russes, ont une efficacité qui n'est pas contestée, et on lit, en particulier dans les ouvrages déjà cités de MM. Rapou et Lambert, des observations qui l'établirent péremptoirement.
Enfin le rhumatisme musculaire a été jusqu'à présent le principal champ d'exploration de l'hydrothérapie empirique, et c'est lui qui a fourni à cette méthode les succès les plus nombreux elles plus éclatants.
II ne s'agit donc point, dans ce que j'ai à dire ici, d'une médication nouvelle, mais seulement d'une application différente, et, suivant moi, plus rationnelle et plus efficace de moyens déjà usités. Comme je l'ai fait d'ailleurs pour les névralgies,
je séparerai la forme aiguë de la forme chronique.
1° Rhumatisme musculaire aigu. — Cette première forme est, comme on le sait, très-douloureuse, et amène une impossibilité presque absolue de mouvement dans la partie affectée.
Souvent elle cède en quelques jours au repos, aux applications émollientes et narcotiques, aux sudorifiques ou aux topiques excitants, tels que les sinapismes, le liniment ammoniacal, l'alcool camphré, etc.; mais parfois elle résiste à ces divers agents, et l'on est obligé de recourir aux sangsues, aux ventouses scarifiées ou aux vésicatoires. Dans les cas de ce genre, on voit souvent la maladie avoir une durée de deux à trois septénaires,
quelles que soient la nature et l'activité de la médication employée.
employée.
Or l'hydrothérapie nous offre des moyens curatifs d'une application plus facile, moins désagréable pour le malade, et d'une efficacité plus constante et surtout plus prompte. Dans les cas légers, on réussira presque toujours en vingtquatre heures à enlever complétement la douleur, et à rétablir l'entière liberté des mouvements à l'aide du procédé suivant. On trempe un mouchoir de poche ou une serviette dans de
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l'eau très-froide, et l'on tord fortement ; on applique le linge mouillé sur la partie malade en plaçant par-dessus un morceau de taffetas gommé et un linge sec assez épais, à l'aide duquel on maintient le tout. Le linge mouillé ne tarde pas à s'échauffer fortement, et il en résulte une espèce de bain de vapeur local. Au bout de douze heures, on enlève l'appareil, et on lotionne la partie, malade avec une éponge et de l'eau froide. Il est rare, je le répète, qu'un rhumatisme musculaire aigu et d'une médiocre intensité résiste à deux ou trois applications de ce genres; pour ma part, j'ai obtenu un succès complet dans une douzaine de cas de lumbago, de torticolis, de pleurodynie, de rhumatisme deltoïdien, etc.
Lorsque le rhumatisme est intense, le moyen que je viens d'indiquer est insuffisant ; il faut alors avoir recours au procédé à l'aide duquel j'ai combattu les névralgies aiguës, et l'on peut être assuré qu'une, deux ou trois sudations en étuve sèche, suivies d'une douche froide, en feront justice. Les observations suivantes viennent à l'appui de cette assertion.
OBSERVATION. — M. G., âgé de 32 ans, capitaine d'artillerie, a contracté dans les bivouacs africains un lumbago aigu, qui depuis cinq à six ans s'est toujours reproduit deux ou trois fois chaque année. La douleur est très-intense, et occupe les deux gouttières lombaires; les plus légers mouvements du tronc l'exaspèrent violemment. M. G. se meut tout d'une pièce, ne marche qu'avec peine, à petits pas, et le corps fortement incliné en avant; souvent il est obligée garder le lit.
La maladie a été combattue par tous les moyens usités (cataplasmes, bains, sinapismes, liniments excitants, sangsues): mais constamment, qu'elle qu'ait été la médication employée, elle a eu une durée de quinze jours à trois semaines.
Le 7 mai 1849, M. G. ressent quelques douleurs lombaires, et le lendemain, le lumbago se montre avec toute son intensité.
Le 9, je propose à M. G. de se soumettre au traitement hydrothérapique; il y consent par complaisance, et en me disant : «Vous ne ferez pas mieux que tous les autres ; j'en ai pour mes trois semaines, soyez-en sûr.»
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Amélioration notable dès la première séance. M. G. se redresse, et la douleur, pendant la marche, est moins vive. Après la quatrième douche, la douleur, au grand étonnement de M. G., a complètement disparu.
OBSERVATION. — Mlle M., âgée de 20 ans, éprouve, en se réveillant, le 8 novembre 1847, dans le côté gauche du cou, une douleur trèsvive, que tous les mouvements de la tête exaspèrent au point de lui arracher des cris; l'immobilité est gardée pendant toute la journée, et le cou est. entouré de ouate; mais le lendemain, la douleur a conservé toute son intensité. Une seule séance hydrothérapique l'enlève immédiatement, et complétement.
OBSERVATION. — M. L., âgé de 36 ans, ressent, le 16 septembre 1848, dans le côté droit de la poitrine, une douteur très-vive, qu'exaspèrent les mouvements du tronc, du membre supérieur correspondant , et les efforts inspirateurs ; elle a son maximum d'intensité vers le mamelon, mais elle occupe toute l'étendue du muscle grand pectoral et les digitations du grand dentelé ; pendant deux jours, le malade garde le lit et fait usage de boissons chaudes et sudorifiques; des cataplasmes arrosés de laudanum, et plus tard un sinapisme, sont appliqués sur la poitrine.
Le 19 septembre, la douleur n'ayant rien perdu de son acuité, M. L. est placé dans l'étuve sèche, et reçoit, pour terminer la sudation , une douche en pluie générale, et une douche en jet, promenée sur les parties douloureuses ; le soir, seconde séance, qni enlève complétement la douleur.
OBSERVATION. — M. R., âgé de 37 ans, d'un tempérament sanguin, a eu plusieurs attaques de goutte, et ressent habituellement des douleurs rhumatismales erratiques, ambulantes, irrégulières.
Le 3 février 1847, une douleur très-vive se fait sentir dans la région lombaire, elle occupe les deux gouttières , et se propage vers le dos et la nuque ; le lendemain, elle est devenue à peu près générale, et se fait sentir dans le muscle occipito-frontal (gravedo), dans les muscles des régions latérales et postérieure du cou ( torticolis et cervicodynie de M. Valleix), dans les deux muscles deltoïdes, dans les deux côtés de la poitrine, où elle occupe principalement les insertions costales des grands pectoraux ; dans tous ces points, la douleur est continue, avec élancements, et exaspérée par les plus légers mouvements; enfin des élancements irréguliers se font sentir dans les fesses et les membres inférieurs. Le malade souffre beaucoup,
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est très-impatient, et réclame avec instance un soulagement immédiat.
Le tempérament du sujet, le pouls, qui était plein, dur et fréquent, l'étendue et l'acuité de la maladie, indiquaient certainement une saignée générale ; le malade la demandait, et je fus sur le point de la pratiquer ; mais désireux de voir quel serait, dans ce Cas, l'effet de la médication hydrothérapique, je demandai à M. R. de s'y soumettre, et il y consentit.
Le 5 février, le malade reste dans l'étuve pendant trois quarts d'heure; la transpiration est extrêmement abondante, et je ne saurais peindre l'étonnement qu'éprouve M. R., lorsque, sortant de la douche, il se trouve débarassé comme par enchantement de toutes ses douleurs.
Je pourrais encore relater plusieurs faits analogues à ceux que l'on vient de citer; mais ceux-ci suffisent, je pense, pour établir la supériorité du traitement que je préconise. Chez tous ces malades, le rhumatisme était assez intense pour autoriser le médecin à recourir d'emblée aux émissions de sang soit locales , soit générales, et aux agents les plus énergiques de la thérapeutique usuelle; or je demande quelle est la médication qui aurait amené un résultat plus satisfaisant et plus prompt que celui que nous avons obtenu au moyen du calorique, de la sudation, et des douches froides.
2° Rhumatisme musculaire chronique. — Le rhumatisme musculaire chronique se présente sous deux formes très-différentes, qui n'ont pas été suffisamment étudiées et séparées.
Tantôt il est fixe, et occupe constamment et d'une manière continue, quoique avec exacerbations irrégulières, le même lieu. Son siège le plus ordinaire est la région lombaire (lumbago chronique ), et souvent alors il est pris pour une affection de la moelle épinière, en raison de la continuité et de la gravité des accidents dont il est accompagné. Quelquefois il envahit le muscle occipito-frontal ou les muscles de la plante, des pieds ; et il y a lieu de s'étonner, soit dit en passant, que le gravedo et le rhumatisme plantaire chronique soient à peine indiqués par les auteurs, même par ceux qui se sont occupés spécialement de la matière,
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D'autres fois, et cette seconde forme est de beaucoup la plus fréquente, le rhumatisme chronique est mobile; il est alors caractérisé par des douleurs intermittentes, irrégulières, qui se font sentir tantôt dans un point, tantôt dans un autre, tantôt en plusieurs endroits à la fois. Il se montre de préférence dans les muscles des gouttières lombaires, de la région postérieure du cou, de la poitrine et des membres; souvent il n'occupe qu'un seul muscle: le deltoïde, le soléaire, le grand pectoral, etc. La douleur peut être lancinante, erratique, ambulante, et se porter incessamment d'un lieu à un autre, de telle sorte que, dans l'espace d'une journée, elle parcourt successivement tous les points que nous avons indiqués ; d'autres fois, elle persiste pendant quelque temps dans le même lieu, et ce n'est qu'au bout de trois, quatre, six ou huit jours, qu'elle disparait brusquement, pour se faire sentir dans une autre partie du corps.
Le froid, l'humidité, les variations atmosphériques, la direction des vents, les écarts de régime, la fatigue, ont une grande influence sur la marche, l'intensité et le retour du rhumatisme chronique mobile.
Quelle que soit la forme sous laquelle il se présente, le rhumatisme musculaire chronique est toujours une maladie sérieuse, en raison des douleurs qu'il provoque, de la gêne qu'il apporte dans les mouvements, de son extrême ténacité et de sa résistance aux efforts du médecin. Presque toujours sa durée est de plusieurs années, et il n'est pas rare de le voir se prolonger autant que la vie du sujet, qu'il n'abrège point d'ailleurs par lui-même. La thérapeutique de cette affection est assez mal établie dans te traités de pathologie, et l'on chercherait en vain des données positives et une appréciation motivée propres à fixer le praticien sur l'efficacité et l'opportunité des nombreux modificateurs dont les auteurs se contentent de faire la stérile énumération.
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Les émissions de sang locales, les vésicatoires, les cautères les moxas, la cautérisation transcurrente, l'acupuncture, l'électro-puncture, le massage, les bains et les douches de vapeurs, les bains russes, les bains sulfureux, les bains de sublimé les bains de mer, certaines eaux thermales, le sulfate de quinine à haute dose, l'iodure de potassium, et beaucoup d'autres modificateurs, composent l'arsenal thérapeutique dans lequel le praticien est réduit à puiser au hasard, et le plus ordinairement sans succès. Alors est intervenue l'hydrothérapie, et il ne lui a fallu que peu de temps pour établir sa supériorité sur toutes les médications antérieures ; ses détracteurs les plus obstinés et les plus aveugles ont dû lui concéder le rhumatisme musculaire chronique, et l'un de ses appréciateurs les plus éclairés et les plus impartiaux, M. Valleix, s'est expliqué en ces termes:
" Les faits rapportés par les auteurs sont de nature à faire considérer l'hydrothérapie comme très-utile contre le rhumatisme musculaire. Les lotions froides, pratiquées rapidement une ou deux fois par jour, peuvent suffire; et nous connaissons plusieurs personnes qui se sont débarrassées ainsi de douleurs rhumatismales datant de longtemps, et qui sont parvenues à sortir sans inconvénient, au fort de l'hiver, avec des vêtements légers, tandis qu'auparavant elles étaient obligées de se couvrir fortement, même dans l'intérieur de leur appartement.Si les douleurs musculaires ne sont pas très-fortes, on remarque qu'immédiatement après une simple lotion, elles ont complétement disparu ; mais il est ordinaire de les voir reparaître dans un moment de la journée plus ou moins éloigné de celui où la lotion a été faite. Cette disposition, ou du moins ce soulagement extrême de la douleur, immédiatement après l'application de l'eau froide, ne prouvent-ils pas l'action puissante de ce moyen, et ne doivent-ils pas faire espérer qu'en persévérant dans son emploi, on viendra à bout de la maladie? Aussi est-ce là, je le répète, ce qui arrive fréquemment ; mais il est des cas rebelles où, malgré l'usage persévérant des lotions froides, la
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douleur revient toujours. En pareil cas, il faut nécessairement recourir à l'hydrothérapie complète, c'est-à-dire à l'hydrosudopathie» (1).
Ce passage demande quelques explications. Il est très-vrai que de simples lotions froides procurent souvent le soulagement dont parle M. Valleix ; mais je ne connais pas un seul cas où elles aient suffi pour amener une guérison complète, durable, et ceci est un point important sur lequel j'appelle toute l'attention du lecteur.
L'efficacité de l'hydrothérapie, subordonnée à un grand nombre de circonstances, ne se montre ici que si l'on fait usage d'eau à une température de + 8° à -f- 10° centigr., de douches puissantes, ayant une grande force de projection, et enfin, si l'on varie, suivant les indications de chaque cas, les appareils et les procédés d'application.
Dans ces conditions, la médication hydrothérapique, méthodiquement appliquée, est sans contredit le traitement le plus purement et le plus promptement efficace que l'on puisse opposer au rhumatisme musculaire chronique, et j'ajoute qu'elle est beaucoup plus simple et moins pénible que ne l'ont faite Priessnitz et ses imitateurs. Les succès obtenus à Bellevue ont été aussi satisfaisants que possible, et cependant les malades n'ont pas été abreuvés d'eau, ils n'ont pas été soumis à des enveloppements toujours si longs et si désagréables, ils n'ont pas subi des applications froides incessantes. Deux séances par jour de douches froides, locales et générales, précédées ou non de la sudation en étuve sèche, des bains de siége, dans les cas de lumbago, parfois des compresses mouillées appliquées loco dolenti: tel est le traitement que j'ai mis en usage, et qui m'a constamment fourni les plus heureux résultats. Il faut même avoir soin de ne pas abuser du calorique, qui souvent réveille les douleurs, les rend plus vives, et dont l'application continuée éterniserait la maladie, au lieu de la guérir. Les sudations
(1) Valleix, Bull. gen. de thér., t, XXXV, p, 101,102 ; 1848
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doivent être supprimées, ou tout au moins rendues très-rares (une ou deux par. semaine), dès que les fonctions cutanées sont convenablement rétablies, que la transpiration est facile et abondante.
Je ne puis reproduire ici in extenso toutes les observations que j'ai recueillies, mais je résumerai les principales d'entre elles ; car ce n'est que par l'exposé des faits, que l'on peut arriver à établir l'efficacité d'une médication.
OBSERVATION. — M. M., âgé de 37 ans, réfugié polonais et homme de lettres, après avoir ressenti pendant plusieurs années des douleurs rhumatismales ambulantes qui ont parcouru successivement toutes les régions du corps, et dont l'origine remonte à la guerre de Pologne, a éprouvé en 1841 une douleur continue, qui occupait toute l'étendue de la région épicrànienne, et avait son maximum d'intensité vers l'occiput et le sommet de la tête. Cette douleur n'était pas très-violente et ne présentait point d'élancements trèsvifs, mais elle était diffuse, gravative, exaspérée par les mouvements du cuir chevelu., par la pression, par la constriction exercée par le chapeau, et sa continuité la rendait extrêmement incommode; elle donnait lieu à une sensation très-pénible de compression et à une espèce d'hébétude qui rendait M. M. complétement incapable de se livrer à aucun travail intellectuel ou même de lire son journal; quelquefois, la douleur disparaissait spontanément pour quelques jours, mais elle ne tardait pas à reparaître sans cause connue ou sous l'influence du froid, de l'humidité, d'une variation atmosphérique, d'un écart de régime, du travail de cabinet, du séjour dans un appartement très-chaud, dans une salle de spectacle, etc.
Pendant cinq ans, les traitements les plus divers ont été dirigés contre la maladie, qui, prise d'abord pour une névralgie, a été combattue par les pilules de Méglin, les vésicatoires, et la méthode endermique, les sangsues aux apophyses mastoïdes et à la nuque, le sulfate de quinine, etc.; considérée plus lard comme étant de nature syphilitique, on lui opposa un traitement mercuriel qui n'y apporta aucune modification.
En 1843, Marjolin fut consulté ; il reconnut l'existence d'un rhumatisme occipito-frontal chronique et conseilla les bains de vapeurs; ceux-ci ne purent pas être supportés par le malade, ils exaspéraient la douleur, produisaient de la congestion cérébrale et des palpitations violentes. Marjolin fit raser le cuir chevelu , et prescrivit divers liniments, soit calmants et narcotiques, soit excitants, mais ils
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restèrent sans effet ; de larges vésicatoires volants, recouvrant la plus grande partie du muscle occipito-frontal, ne furent pas plus efficaces ; trente-six bains sulfureux n'amenèrent aucun soulagement. M. M. se rendit à Barrèges, et en revint au bout de deux mois dans le même état.
En 1844, un séton fut appliqué à la nuque et porté pendant quatre mois sans résultats; plusieurs saignées générales furent, pratiquées; au mois de juillet, M. M. alla prendre les eaux de Plombières.
En 1845, un cautère fut appliqué à la jambe droite, et conservé jusqu'au 11 juillet 1846, époque à laquelle Marjolin conseilla à M. M. d'essayer un traitement hydrothérapique, la maladie ayant plutôt augmenté que diminué, sous l'influence des diverses médications employées jusque là.
Au bout de quinze jours, une notable amélioration se fait déjà sentir; au bout de trois mois, la guérison est complète, et elle s'est maintenue jusqu'à ce jour.
OBSERVATION.— M. de B., âgé de 40 ans, éprouve en 1841 plusieurs attaques de lumbago aigu qui l'obligent chaque fois à garder le lit pendant huit jours; les douleurs sont extrêmement vives et s'irradient dans les cuisses; elles sont accompagnées de fièvre, et rendent impossible toute espèce de mouvement du tronc; elles cèdent au repos, aux bains tièdes, aux cataplasmes ou aux sangsues.
En 1842 et 1843, la maladie se reproduit encore plusieurs fois, principalement pendant l'hiver, les temps froids et humides ; dans l'intervalle des accès, M. de B. éprouve d'une manière continue, ans la région lombaire, des douleurs sourdes, vagues, irrégulières, et une sensation de faiblesse, qui l'empêchent de marcher, de monter à cheval, de se livrer à aucun exercice; les mouvements du tronc, et surtout ceux de flexion, amènent des douleurs vives, et le malade les redoute tellement qu'il se tient constamment roide, et ne se meut que tout d'une pièce.
Le 13 juillet 1843, M. le Dr Cayol est consulté; il conseille au malade d'aller passer une saison à Vichy, d'y prendre des bains mitigés et des douches, et d'aller ensuite passer quinze jours à Néris.
Juillet 1844. Les eaux de Vichy et de Néris n'ont eu aucun résultat; les douleurs continues et la faiblesse lombaire ont augmenté, plusieurs accès ont eu lieu, et le malade éprouve en outre, depuis six mois, des accidents dyspepsiques caractérisés par des bâillements, du malaise gastrique, de l'inappétence, des rapports nidoreux, de la constipation alternant avec de la diarrhée, etc. M. Cayol
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prescrivit des pastilles de Vichy, de l'eau de Spa, des bols contenant 75 centigrammes de diascordium et 30 centigrammes de poudre de Colombo, des bains gélatino-sulfureux, et des frictions avec le baume opodeldoch.
1846. Depuis deux ans, la maladie s'est aggravée, et M. de B., qui habite la province, y a consulté plusieurs médecins qui lui ont donné à entendre qu'il était affecté d'une maladie de la moelle, Au mois de juin, il vient à Paris retrouver M. Cayol, qui conseille l'application de plusieurs cautères sur les gouttières lombaires; le malade refuse de se soumettre à ce moyen, et M. Cayol l'engage alors à essayer l'hydrothérapie, qui est commencée à Bellevue le 25 juin 1846. (Bains de siége à eau courante, sudation, douche en pluie générale et douche en jet dirigée sur la région lombaire.)
Guérison complète au bout de six semaines.
Au mois de juillet 1847, le malade fait un voyage à Paris et vient me voir. L'hiver s'est passé sans le moindre accident, aucune douleur ne s'est fait sentir, les mouvements du tronc sont libres; la guérison s'est parfaitement maintenue, mais M. de B. veut profiler de son séjour pour prendre encore des douches pendant un mois.
OBSERVATION. — P., âgé de 22 ans, jardinieraux environs de Paris, est atteint depuis six mois de douleurs lombaires qui le condamnent à une inaction complète, tant les plus légers mouvements du tronc provoquent de vives douleurs. Le médecin de la localité a d'abord considéré la maladie comme un rhumatisme muscuiaire, et l'a combattue par les topiques émollients au début, puis par des sangsues, des liniments irritants, des sinapismes, et enfin des vésicatoires volants ; mais les douleurs devenant de plus en plus vives, les mouvements de plus en plus difficiles malgré ce traitement énergique, il a pensé qu'il pouvait avoir affaire à une affection de la moelle, et il donna le conseil au malade de se rendre à Paris et d'y entrer dans un hôpital.
P. est soumis à mon examen le 17 décembre 1848 ; je reconnais l'existence d'un lumbago chronique, et je conseille l'hydrothérapie. P. est d'une pusillanimité extrême; il est fort effrayé de l'idée d'avoir une affection de la moelle; il n'ose exécuter le plus léger mouvement, et la perspective de la douche lui inspire un violent effroi. Le traitement est néanmoins commencé le 21 décembre; au bout de quelques jours, les douches sont prises convenablement, et au bout d'un mois la guérison est complète.
OBSERVATION. — M. J., âgé de 57 ans, habitant Bellevue, éprouve depuis plusieurs années dans les deux bras, et principalement dans
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les muscles deltoïdes, des douleurs continues qui de viennent plus vives pendant la nuit et qu'exaspèrent le froid, l'humidité, les variations atmosphériques et les mouvements ; ainsi M. J. a beaucoup Je peine à se raser, et c'est là, parmi les inconvénients de sa maladie, celui qui lui est le plus désagréable. Il a eu recours sans succès à toutes sortes de liniments, d'onguents, de pommades, au papier Fayard, etc., et le 20 juin 1848, il se décide à essayer l'hydrothérapie. Six semaines après, les douleurs avaient complétement disparu.
OBSERVATION. — L., habitant Meudon, âgé de 49 ans, a éprouvé à plusieurs reprises des douleurs rhumatismales qui ont parcouru les différentes régions du corps, qui se sont fait sentir principalement en automne et pendant l'hiver, et contre lesquelles il n'a jamais réclamé les secours de la médecine. Depuis deux ans, ces douleurs se sont fixées d'une manière exclusive et continue dans la plante des pieds, et sont devenues extrêmement incommodes; la pression avec la main est douloureuse ; lorsque, dans la marche ou la station debout, le poids du corps presse la plante des pieds contre un corps dur, des douleurs très-vives se manifestent, et le malade est obligé de garnir ses sabots d'une couche épaisse de paille. Il s'est adressé à des charlatans, qui lui ont vendu plusieurs espèces de liniments et de pommades dont il n'a retiré aucun soulagement.
Au bout de sept semaines d'un traitement hydrothérapique commencé le 9 juillet 1847, les douleurs disparaissent complétement.
OBSERVATION. — G., âgé de 40 ans, habitant Meudon, a éprouvé, dans la nuit du 8 au 9 juillet 1846, dans les épaules et les poignets, des douleurs très-vives qui, le lendemain, se sont fait sentir également dans la nuque, la région lombaire, les fesses, les jambes et te plantes des pieds. Pendant huit jours, la maladie a conservé un caractère d'acuité très-marqué. Au bout de ce temps, les douleurs ont diminué ; mais depuis lors elles se sont constamment montrées, à des intervalles très-rapprochés, dans l'une ou l'autre des parties du corps ci-dessus indiquées, et souvent, lorsqu'elles occupent les lombes ou la plante des pieds, elles obligent le malade à garder le lit.
Traitement hydrothérapique commencé le 13 août 1847; guérison le 15 septembre.
Au total, dans l'espace de six années, plus de 40 malades, affectés de rhumatisme musculaire chronique fixe ou ambulant,
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ont été traités par les douches froides et la sudation ; tous ont guéri, et ce résultat établit, je crois, d'une manière péremptoire, la supériorité de la médication hydrothérapique sur toutes les autres méthodes de traitement.
De la révulsion par inflammation.
Je n'ai que peu de choses à ajouter à ce que j'ai dit précédemment. Les abcès sdus-cutanés ou profonds ne doivent jamais être volontairement provoqués, car ils n'ont aucun avantage , et ils peuvent donner lieu à des accidents plus ou moins fâcheux. J'en dirai autant des furoncles, auxquels je n'ai jamais pu attribuer la moindre influence critique favorable, mais que j'ai vus souvent devenir une complication, une maladie nouvelle très-désagréable. On sait la tendance qu'ont les furoncles à se multiplier, à se reproduire; et M. Denonvilliers me parlait dernièrement d'une malade sur laquelle plus de 700 clous se sont successivement développés, sans que rien ait pu mettre un terme à cette déplorable diathèse furonculeuse, dont la science possède d'ailleurs de nombreux exemples, et que l'hydrothérapie empirique à souvent fait naître sans aucun profit pour les malades.
Parfois, au contraire, il est utile de provoquer, à l'aide de compresses excitantes et de frictions, le développement d'une éruption ; on obtient ainsi une action irritante transpositive énergique et de longue durée, qui m'a rendu des services dans le traitement de plusieurs phlegmasies chroniques de l'estomac et de l'intestin, de plusieurs névralgies et rhumatismes musculaires chroniques.
L'éruption se montre d'abord sous la forme papuleuse, et un prurit très-vif l'accompagne. Si l'on suspend alors les applications froides, la peau revient en quelques jours à son état normal; si, au contraire, on continue le traitement, l'éruption devient vésiculeuse et ensuite pustuleuse. Abandonnée à ellemême, ou soumise à des applications réfrigérantes et sédative,
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elle à une durée qui varie entre deux et quatre septénaires ; mais, si l'on persiste dans l'emploi des applications excitantes, l'éruption peut durer indéfiniment et elle tend à se propager. L'hydrothérapie empirique fait souvent naître ainsi dés érupfions générales, maladies graves et rebelles ajoutées à l'affection primitive ; mais elle s'en console, ou même s'en applaudit, en disant qu'elle a fixé au dehors le principe morbifique qui avait élu domicile en dedans. Nous, qui ne partageons pas ces illusions, nous avons toujours évité de nous donner un pareil sujet de contentement, et nous engageons tous les praticiens à nous imiter.
Maladies chroniques du tube digestif.
Les trois espèces de révulsion hydrothérapique que nous venons d'étudier peuvent s'exercer simultanément par l'association des douches froides, de la sudation, et des compresses ou des frictions excitantes; et c'est principalement dans le traitement des maladies chroniques du tube digestif que cette médication, exclusivement révulsive quoique complexe en apparence, produit des résultats impossibles à obtenir par toute autre méthode de traitement. Les observations suivantes fourniront des preuves remarquables de son efficacité.
OBSERVATION. — Mme R., âgée de 40 ans, est affectée, depuis une dizaine d'années, d'une gastro-entérite chronique qui a résisté à tous les moyens qui ont été dirigés contre elle par plusieurs médecins, et notamment par M. Chomel, pendant les dernières années. Sans entrer dans tous les détails de cette longue observation; il me suffira de dire ici que l'amaigrissement est un des plus considérables qu'il m'ait été donné d'observer; la peau sèche, rugueuse, aride, d'un gris terreux, est littéralement collée sur les os ; l'appétit est très-irrégulier, tantôt nul, tantôt assez vif; mais la malade, qui pese tous les jours exactement la petite quantité d'alimenis qu'elle ingère, redoute constamment de le satisfaire, car la plus légère augmentation de nourriture amène des douleurs gastriques et intestinales, des indigestions, de là diarrhée, un malaise qui se prolonge
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pendant plusieurs jours. Pour éviter ces accidents, Mme R. est réduite souvent, selon ses expressions, à se laisser mourir de faim,! Le choix des aliments est également entouré de vicissitudes et de difficultés ; pendant un certain temps, la malade ne peut supporter que le régime maigre, l'estomac se refusant à digérer la quantité la plus minime de viande noire ou blanche ; puis la faiblesse devient extrême, les digestions sont laborieuses, douloureuses, et ce n'est qu'en ayant recours au régime gras que Mme R. obtient un peu de soulagement. Mais bientôt les organes digestifs s'irritent, la langue rougit et s'effile, la région épigastrique présente une sensibilité extrême à la pression; il survient des vomissements, de la diarrhée, et il faut se hâter de revenir aux aliments maigres. Au milieu de ces alternatives, et malgré les précautions les plus minutieuses, les fonctions digestives s'accomplissent néanmoins très-mal ; une constipation et une diarrhée également opiniâtres se succèdent tour à tour; la langue est tantôt chargée et humide, tantôt rouge et sèche; les indigestions sont fréquentes, et l'émaciation fait tous les jours de nouveaux progrès.
Cette maladie, si grave et si ancienne, a plongé Mme R. dans un état d'anémie, de cachexie, qu'il est facile de comprendre. Les muqueuses sont complètement décolorées, la faiblesse est extrême; l'exercice le plus léger amène des palpitations violentes et une courbature générale qui dure plusieurs jours ; l'écoulement menstruel n'a point paru depuis quatre ans, et l'on perçoit un bruit de souffle très-intense dans les vaisseaux du cou.
Les médications les. plus diverses ont été essayées : les révulsifs ( vésicatoires, cautères ) sont restés sans effet, les purgatifs ont toujours été nuisibles, le fer et les toniques n'ont jamais pu être supportés ; les eaux minérales de Vichy, de Seltz, de Spa, de Bussang, etc., sont restées ineffficaces, ou n'ont amené qu'une amélioration légère et peu durable.
Mme R. vient s'établir à Bellevue le 1er mai 1849, et y est soumise au traitement hydrothérapique (sudation en étuve sèche, douches générales en pluie ou en jet, lavements froids; compresses froides sur le ventre, excitantes ou sédatives suivant les indications, etc. etc.).
Au bout de deux mois, l'amélioration est manifeste; la peau a repris sa coloration naturelle, les fonctions digestives sont plus régulières et plus satisfaisantes; Mme R. supporte sans accidents une alimentation mixte suffisamment réparatrice, et la maigreur a diminué; les forces rendent quelques promenades possibles, les muqueuses sont colorées, les palpitations moins violentes.
Le traitement est continué pendant tout l'été, mais d'une manière
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irrégulière, interrompue; Mme R. a eu des affaires qui lui ont imposé des absences, des voyages à Paris, des fatigues; cependant sa Santé a continué à s'améliorer, et la malade quitte Bellevue au mois de novembre dans un état satisfaisant, et ne présentant plus aucun symptôme d'anémie.
Pendant l'hiver de 1850, Mme R. est soumise tous les matins à une friction en drap mouillé, et, trois ou quatre fois par semaine, elle prend dans la journée une douche générale. Au mois de février, les règles, qui n'avaient point paru depuis plusieurs années et (que la malade croyait à jamais supprimées, reparaissent en petite abondance et accompagnées de douleurs assez vives ; depuis cette époque, elles se montrent régulièrement tous les mois, et elles sont devenues graduellement d'une abondance raisonnable et complétement indolentes; les fonctions digestives s'accomplissent bien.
Pendant les premiers mois de cet été, Mme R. a repris des douches à Bellevue; au mois de juillet, elle a conduit sa fille à Dieppe, et elle y a pris des bains de mer qui ont exercé une action très-favorable sur sa santé, qui aujourd'hui ne laisse plus que peu de chose à désirer.
L'influence exercée par le traitement hydrothérapique est ici bien évidente : par son action révulsive, il vient à bout d'une gastro-entérite chronique qui, pendant plusieurs années, a résisté à tous les efforts de l'art; par son action reconstitutive, il a prise sur l'anémie, et les deux maladies sont guéries ainsi simultanément et l'une par l'autre. Le fait de l'écoulement menstruel se rétablissant après plusieurs années d'interruption complète mérite aussi d'être particulièrement remarqué.
OUSERVATION. — Mme H. habite Sens ; elle est âgée de 36 ans, d'une constitution grêle, d'un tempérament nerveux, d'une santé habituellement bonne. Il y a septans, elle perdit brusquement l'aîné de ses enfants, et la douleur qu'elle en ressentit fut si vive que pendant plusieurs mois, elle ne prit presque aucune nourriture, bien que son appétit ait été jusque là très-développé. Au bout de quatre mois, Mme H. devint enceinte, la grossesse ramena la santé, et l'accouchement fut heureux. Mais, deux mois après, la malade était frappée par la mort de son mari, et ce nouveau malheur la replongeait dans de vives souffrances; ses règles, brusquement interrom-
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pues, devinrent de ce moment très-peu abondantes; des douleurs gastriques très-violentes réduisirent graduellement l'alimentation à son minimum possible, et pour comble d'infortune, des douleurs de dents d'une violence extrême ne laissèrent aucun repos à la malade ni pendant le jour ni même pendant la nuit;
Cet état se prolongea pendant quatre ans , et ne fut point amélioré par trois saignées générales ; l'application de plusieurs véslcacatoires, l'usage des ferrugineux, et l'avulsion d'une dizaine de dents.
Les choses en étaient là lorsqu'un jour à la campagne, âprès son déjeuner, Mme H. éprouva tout à coup à l'épigastre une douleur tellement atroc, qu'elle tomba par terre privée fié connaissance ; au bout de dix minutes, elle revint à elle ; ne ressentant plus rien que de la fatigue et dé la courbature générale. Ceci se passait au mois de septembre 1848.
Pendant l'hiver, plusieurs attaques semblables eurent lieu; une douleur atroce se faisait Brusquement sentir à l'épigastre ; la malade tombait à terre, restait privée de connaissance pendant huit à dix minutes, revenait à elle, se débattait sur le plancher contre une suffocation extrêmement pénible, et le tout se terminait par une sensation d'accablement et de fatigue.
Au mois de mai 1849, eut lieu une attaque extrêmement violente la perte de connaissance fut si profonde et si longue, que l'on crut Mme H. morte; la suffocation et les mouvements convulsifs se prolongèrent pendant une heure.
Ces accidents bizarres furent rattachés à une affection hystérique et gastralgique ; et combattus par la valériane , le bismuth, la morphine, toute la série des antispasmodiques et des opiacés ; mais ce traitement resta complétement inefficace.
Au mois d'août, les attaques devinrent d'une fréquence et d'une longueur désespérantes -, elles se montrèrent d'abord tous les deux jours, puis tous les jours, et leur durée atteignit successivement trois ; quatre, sept, et enfin douze heures. «Je gardais le lit , écrivait Mme H. dans une note qua j'ai sous les yeux ; je n'avais plus la force de me soutenir ; pendant mes crises, j'étais sans parole et sans mouvement, mais j'entendais tout ce que disait le médecin, qui était fort embarrassé, et avouait ne plus savoir que faire. » Des frictions avec la pommade stibiée furent pratiquées sur la poitrine et l'épigastre , elles ne modifièrent en rien l'état de la malade.
Mme H. cessa toute espèce de traitement; les crises diminuèrent peu à peu de fréquence, d'intensité, et, vers le mois d'octobre, elles disparurent pour nie plus se reproduire ; mais alors se mani-
DE LA MÉDICATION REVULSIVE. 331
festèrent du côté des voies digestives des accidents qui ; de ce molent,
molent, sans cesse en s'aggravant.
tes digestions devinrent très-pénibles, très-douloureuses, accompagnées
accompagnées gonflement considérable de la région épigastrique et du ventre; la moindre fatigue provoque des douleurs gastriques
très-violentes, et la malade est amenée à manger de moins en moins.
Pendant tout l'année 1850, Mme H. fut constamment souffrante ; au mois de décembre, elle vint à Paris pour un de ses fils, affligé
d'une difformité de la main, et elle consulta M. le Dr Jules Guérin,
qui, frappé de l'état dans lequel se trouvait là mère, lui conseilla
de se soumettre à un traitement hydrothérapique et de s'adresser
à moi. Mme H. vint en effet s'établir à Bellevue.
État actuel. Amaigrissement squelettique; peau sèche, aride, écailleuse, d'un jaune terreux ; agitation nerveuse considérable, qui se traduit par l'expression des yeux, la vivacité des gestes, une
parole rapide et saccadée ; la langue est effilée, sèche , et très-rouge à la pointé; soif vive et continuelle, anorexie complète, dégoût invincible
invincible les aliments, et pour les viandes en particulier. La
palpation et là percussion du ventre ne fournissent que des signes
négatifs ; mais la plus légère pression pratiquée sur là région épigastrique, ou même sur un point quelconque de l'abdomen, est
très-douloureuse. Depuis plus de six mois, Mme H. ne prend chaque jour qu'un peu de lait ou de bouillon, et cependant chaque digestion
est accompagnée de douleurs vives, de malaise, de gonflement épigastrique, souvent de nausées. Une constipation opiniêtre alterne,
railles les deux ou trois semaines, avec là diarrhée. La faiblesse est extrême, c'est à peine si Mme H. peut faire quelques
quelques les nuits se passent sans sommeil, dans l'agitation, et Jouirent un léger mouvement fébrile, suivi de sueur, se manifeste vers le matin.
Le traitement est commencé le 15 décembre 1850; et il est institué de la manière suivante : le matin, sudation en étuve sèche suivie d'une
douche; le soir, douche générale en pluie et en jet; dans la journée,
bain de siége à eau courante, compresses et frictions excitantes sur le ventre.
Au bout de trois semaines; une amélioration très-remarquable a été obtenue; l'appétit commence à se faire sentir; Mme H. mange et digère facilement du poulet, du poisson; les forces renaissent, et de petites promenades sont faites sans fatigue, sans courbature. 15 février. La constipation a disparu ; les garde-robes sont quotidiennes et spontanées, l'appétit dévient de plus eh plus vif, les di-
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gestions ne sont plus accompagnées de gonflement épigastrique,la teint se modifie.
15 mars. L'habitude extérieure de la malade est véritablement transformée quant à la coloration de la peau, à l'expression du visage, au maintien, au geste, à la parole ; les règles, réduites à quelques gouttes depuis si longtemps, sont devenues plus abondantes; les nuits sont excellentes, le sommeil est continu, calme et profond. Mme H. a notablement engraissé, et je l'engage à manger du boeuf et du mouton rôtis.
15 avril. La digestion des viandes noires est parfois accompagnée de pesanteur épigastrique : pour la rendre plus facile, je conseille à Mme H. de boire après chaque repas un petit verre de curaçao ou d'anisette; j'ai beaucoup de peine à lui faire accepter un moyen aussi incendiaire, qui doit, suivant elle, ressusciter la gastrite, mais elle cède néanmoins à mes instances, et elle ne tarde pas à s'en féliciter.
15 mai. La santé est aussi bonne que possible, l'appétit est insatiable, les digestions sont excellentes. Mme H. fait de longues courses, va souvent à Paris, s'occupe de ses affaires sans en éprouver la moindre fatigue ; elle a acquis un embonpoint très-satisfaisant; et; se considérant comme entièrement guérie, elle veut retourner à Sens.
M. Guérin, qui a suivi la marche de la maladie, qui a constaté, toutes les deux ou trois semaines, les progrès de la guérison, conseille à Mme H. de consolider ce remarquable succès en continuantencore le traitement pendant deux mois ; Mme H. y consent, et, le 22 juillet, elle Quitte Bellevue dans un état de santé qui ne laisse rien à désirer.
Je pourrais multiplier les observations de ce genre, et j'en possède beaucoup qui offrent une grande analogie avec celles qu'on vient de lire; mais ce livre n'est point un répertoire clinique, et je dois m'arrêter. Cependant je veux encore mettre sous les yeux du lecteur un fait digne de toute son attention, en le priant de se rappeler que, s'il m'a été possible de réunir un aussi grand nombre d'observations extraordinaires, exceptionnelles, cela tient à ce que mes confrères ne m'ont guère adressé jusqu'à présent que leurs incurables, absolument, comme l'on envoie à Pau ou en Italie les phthisiques dont on n'espère plus rien. La plupart des malades dont je rapporte
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l'histoire souffraient depuis de longues années et avaient, avant de venir à Bellevue, consulté plusieurs médecins, épuisé les ressources de la thérapeutique, et souvent celles du charlatanisme. Voici à l'appui de cette assertion un fait fort curieux, qui, au point de vue de l'action exercée par l'hydrothérapie sur les fonctions digestives, présente des analogies remarquables avec l'une des observations que nous avons rapportées précédemment (voy. p. 278).
OBSERVATION. —M. G. habite Dreux ; il est âgé de 22 ans, d'une taille élevée, d'une constitution grêle, d'un tempérament très-lymphatique, d'une santé habituellement bonne. Pendant l'hiver de 1847, il contracta une bronchite qui devint chronique, et qui resista à l'administration dé deux purgatifs, du sirop de Desessarts, et de plusieurs autres médicaments. Le matin, la toux amenait une expectoration muqueuse assez abondante; pendant la journée, elle était sèche. L'appétit se perdit, et un amaigrissement considérable eut lieu. Au mois de juin, les parents de M. C commencèrent à s'inquiéter sérieusement, et, craignant que la poitrine ne soit compromise; ils amenèrent leur fils à Paris pour consulter M. Cruveilhier, qui les rassura, attribua en grande partie la toux à une Irritation pharyngo-laryngée, et prescrivit un sirop béchique, un gargarisme astringent, et pour boisson une infusion d'hysope. Ce traitement reste sans effet ; la toux persiste, l'amaigrissement continue à faire des progrès, et des sueurs nocturnes surviennent. Au mois de septembre, nouvelle visite à M. Cruveilhier, qui, cette fois, prescrit le lait d'ânesse et plusieurs préparations de soufre.
Au mois de janvier 1848, la toux cesse tout à coup, mais il survient, du côté des voies digestives, des accidents qui, de ce moment, vont aller en s'aggravant pendant trois ans, et jeter le malade dans l'un des états morbides les plus graves que l'on puisse voir.
Sans avoir commis aucun excès de table, sans avoir rien changé à son régime, en l'absence, en un mot, de toute cause appréciable, M. C., a plusieurs indigestions à des intervalles très-rapprochés. Les digestions deviennent laborieuses, pénibles, douloureuses ; l'appétit se perd, la langue devient rouge, le malade éprouve un dégoût invincible pour toute espèce de viande, et ne mange plus qu'un peu de poisson et de légumes; c'est tout au plus si l'on parvient à lui faire boire une tasse de bouillon. Au mois de mars, il ne veut plus manger de pain, et souvent il ne prend, en vingt-quatre heures ;
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qu'un seul oeuf pour nourriture, A partir du mois d'avril, chaque repas, quelque peu copieux qu'il soit, est suivi, au bout de une à deux heures, d'un vomissement très-douloureux.
En juin; M. Cruveilhier est de nouveau consulté; il prescrit un régime exclusivement lacté, le séjour à la campagne, l'exercice, les travaux de jardinage, etc. Pendant six semaines, M. C. ne se nourrit que de lait sous différentes formes, mais ce régime est loin d'améliorer son état. Après chaque repas a lieu un vomissement abondant, douloureux ; les matières sont d'une acidité extrême; formées de bile et de lait caillé; toutes les dents s'altèrent et se carient, L'amaigrissement est extrême; c'est à peine si plusieurs lavements peuvent vaincre une constipation opiniâtre et provoquer une garde-robe tous les huit pu dix jours.
A la fin du mois de juillet, M. Chomel est consulté. Il ordonne les potages gras, les viandes noires rôties, et l'hydrothérapie pratiquée de la manière suivante : LE MALADE SERA PLACÉ DANS UNE
BAIGNOIRE VIDE, ET ON LUI VERSERA SUR LE CORPS PLUSIEURS POIS
D'EAU FROIDE. M. C. se rend à Tivoli pour subir cette opération hydrothérapique ; une affusion de 5 minutes ( ! ) produit une suffocation épouvantable, la réaction ne s'opère point, et le malade se sauve glacé, transi, jurant, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus ! Les potages gras, les viandes noires, provoquent de violentes douleurs gastriques et d'affreux vomissements; ils sont abandonnés au bout de quelques jours.
M. C. retourne auprès de M. Cruveilhier et lui fait part de sa mésaventure; cet éminent praticien déclare que L'HYDROTHERAPIE NE CONVIENT PAS DANS LE CAS ACTUEL, et conseille les eaux de Plombières.
M. C. se met en route; il est forcé de rester pendant quelques jours à Nancy, où on le voit s'arrêter au coin des rues pour vomir. Les eaux, prises pendant 21 jours, n'amènent aucun soulagement, et M. C. revient plus malade, plus maigre et plus faible qu'à son départ.
Le 15 septembre, les parents du malade se décident à consulter le sieur Benech; celui-ci leur impose son invariable formule, mais elle exaspère tellement les accidents, qu'on est bientôt obligé de l'abandonner.
L'amaigrissement est squelettique ; la plus légère friction excorie la peau ; la constipation alterne maintenant avec la diarrhée. M. C, désire beacoup chasser, mais il est tellement faible qu'on est obligé de le hisser sur un âne, et que c'est à grand'peine s'il peut tenir son fusil en joue.
DE LA MÉDICATION RÉVULSIVE. 335
Toute médication est abandonnée ; une bronchite est contractée pendant l'hiver de, 1849. M. le Dr Maréchal, de Dreux, qui donne habituellement des. soins au malade, fait appliquer un vésicatoire aj bras, et la toux cesse au bout de trois semaines. Au mois de juillet 1849, on. affirme aux parents de M. C. qu'un médecin de Laigle possède un moyen de guérison infaillible, et ils se décident à y conduire leur fils. Là celui-ci subit, ex abrupto, une cautérisalion de l'urèthre suivant le procédé de M. Lallemand, sans examen préalable des urines et en 'absence de toutes pertes séminales nvolontaires, soit nocturnes, soit diurnes. Cette opération est suivie de vives douleurs, d'un écoulement abondant, de dysurie, et d'une irritation des organes gépito-urinaires qui a persisté pendant plus de deux ans et n'a disparu que sous l'influence du traitement hydrothérapique suivi à Bellevue.
Au mois de nobembre, M. C. est ramené à Paris auprès de M. Cruveilhier, qui ordonne la suppression du vésicatoire du bras, des frictions avec la pommade stibiée sur la région épigastrique, et le vin de Malaga à haute dose (4 à 6 verres de bordeaux par jour). Sous l'influence de celui-ci, les accidents gastriques deviennent plus violents encore, et l'on est obligé d'y renoncer, Au mois de décembre, M. le Dr Monneret est appelé à. donner des soins au malade ; il prescrit un régime végéto-animal et l'usage des gouttes noires anglaises (black drops) à doses progressives (2 à 120 gouttes dans les vingt-quatre heures). Le régime mixte augmente les vomissements.
Des frictions avec l'huile de croton sont pratiquées, à plusieurs reprises, sur la région épigastrique, et amènent le développement d'éruptions abondantes ; des bains fortement alcalins sont pris trois fois par semaine ; 50 gouttes noires sont ingérées chaque jour. Sous J'influence de ce traitement, une amélioration notable se manifeste au mois de février 1850. Le malade reprend un peu de force et d'embonpoint ; les vomissements ont toujours lieu après chaque repas, mais ils sont moins-abondants et moins douloureux. Au mois de juin, M. Monneret prescrit des bains de Barèges. Vers le douzième bain, M. C. ressent, au côté gauche de la poitrine, une douleur assez vive, exaspérée par la respiration et les secousses de la voiture ; il n'en tient aucun compte pendant plusieurs jours et continue à prendre ses bains ; cependant, la douleur étant devenue plus intense, M. Monneret est appelé dans les derniers jours du mois, et il constate, avec étonnement, la présence ftn épanchement pleurétique considérable, remplissant les deux tiers de la cavité pleurale gauche. La manière dont l'épanchement
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s'est développé, la constitution et l'habitude extérieure du sujet, l'existence antérieure de plusieurs bronchites rebelles, inspirent de sérieuses inquiétudes à M. Monneret, et lui font craindre que la pleurésie ne soit liée à la présence de tubercules pulmonaires. Pllrsieurs larges vésicatoires sont appliqués sur la poitrine; au bout à deux mois environ, la résorption est complète; et l'épanchement n'a laissé aucune trace appréciable de son passage. L'auscultation et la percussion ne fournissent aucun signe anormal.
Pendant les quinze premiers jours de l'existence de la pleurésie, les vomissements ont entièrement disparu, bien que l'usage des gouttes noires eût été suspendu. Il faut' ajouter, à la vérité, que le malade avait gardé une diète à peu près complète; ils avaient reparu dès qu'une certaine quantité d'aliments avait été introduite chaque jour dans l'estomac.
Au mois de septembre; les gouttes noires, auxquelles on substitue quelquefois le sirop de codéine, celui de chlorhydrate de morphine ou le laudanum de Rousseau, améliorent de nouveau l'état de M. C., qui fait de petites promenades et quelques chasses. L'eau de Vichy ou de Seltz, le café, les glaces, rendent souvent la digestion plus facile, et sont pris avec plaisir par le malade.
Au mois de novembre, on essaye de rendre l'alimentation un peu plus copieuse, et aussitôt les vomissements redeviennent abondants et douloureux. Pendant quatre mois, le malade prend 3 bains de Barèges par semaine; les gouttes noires sont portées à là dose énorme de 120 gouttes par jour, mais leur efficacité parait être épuisée.
Au mois de juillet 1851, M. Monneret conseille un traitement hydrothérapique. M. C., peu encouragé par le souvenir de Tivoli; ni s'y décide que sur l'assurance réitérée que les choses se passeront différemment à Bellevue, où il vient s'établir le 5 juillet.
État actuel. Amaigrissement squelettique; faiblesse extrême; le malade, qui est d'une taille très-élevée, se tient courbé en deux et marche à pas lents; appuyé d'un côté sur une canne et de l'autre sur le bras de son père; l'alimentation est presque réduite à rien'; et cependant chaque repas est suivi d'un vomissement très-douloureux. Souvent il survient, une heure après le déjeuner; de la céphalalgie, des nausées, des efforts de vomissements qui se prolongent pendant toute la journée, et ce n'est que le soir que l'estomac est enfin débarrassé par un vomissement très-copieux. Pour se soustraire à ces souffrances, M. C. reste parfois plusieurs jours sans prendre aucune nourriture.
En présence d'un état aussi grave, aussi ancien, aussi rebelle, je dus faire toutes réserves et m'enquérir surtout de la cause assignée
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aux vomissements ; malheureusement, à cet égard, M. Monneret ne
put que me faire le récit de ses propres incertitudes. L'existence
d'un ulcère simple ou tuberculeux reposait sur quelques probabilités. S'agissait-il d'une gastrite chronique ou d'un vomissement
nerveux, comme Louyer-Villermay et Louis Frank (1) en ont rapporté
rapporté exemples ? La palpation, la percussion, les caractères des vomissements, la natuse des matières vomies, ne fournissaient aucun signe sur; lequel on pût asseoir un diagnostic positif. N'existait-il qu'une gastralgie intense et rebelle ?
Dans le cas actuel, c'était donc empiriquement que l'hydrothérapie allait être appliquée.
Le traitement est commencé le 7 juillet. M. C., qui est très-affaibli, très-maigre, très-impressionnable au froid, très-effrayé par le souvenir de son premier essai hydriatrique, a une appréhension
extrême de l'eau froide, et les premières frictions en drap mouillé produisent une violente suffocation ; dès le quatrième jour cependant, une douche générale, en pluie et en jet, est prise très-bravement, et bientôt M. G. devient l'un des plus fanatiques amateurs
de l'hydrothérapie. Pour lui, l'eau n'est jamais assez froide, les douches ne sont jamais assez longues ni assez multipliées. Quinze jours de traitement amènent déjà une amélioration remarquable; les forces ont notablement augmenté, et le malade
franchit maintenant, sans se reposer et sans appui, l'intervalle qui
sépare son domicile de l'établissement ; les vomissements sont moins abondants. Je substitue aux douches les bains de cercles en poussière, d'une
durée de trois minutes, pris deux fois par jour.
7 août. Les douches en poussière ont produit, dès les premiers jours, un effet très-remarquable ; les vomissements, au lieu d'avoir lieu après chaque repas, c'est-à-dire deux fois par jour, ne se montrent plus qu'une fois, tantôt après le déjeuner, tantôt après le dîner, et parfois ils manquent complétement, bien que M. C. mange le matin de la viande, et que son diner se compose de poisson et d'un plat de laitage.
7 septembre. L'alimentation a été graduellement rendue plus abondante et plus substantielle ; les vomissements sont irréguliers et n'ont plus lieu que tous les deux, trois ou quatre jours. Le malade fait sans fatigue de longues promenades. La peau est devenue
(1) L. Frank, Remarques sur le vomissement chronique idiopathique, in Journ. complém. des sciences médicales, t. XV, p. 221.
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338 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
blanche, le teint se colore, et l'embonpoint commence à se développer.
7 octobre. Les vomissements sont devenus de plus en plus rares; les digestions sont quelquefois laborieuses, et je conseille à M. G. de boire de l'eau de Seltz pendant ses repas, et de les terminer par une tasse de café ou un verre de curaçao. L'état général s'améliore tous les jours.
7 novembre. M. C n'a point vomi depuis quinze jours ; il a notablement engraissé, et on a peine à le suivre dans ses longues promenades. Ses parents sont tellement satisfaits de son état, qu'ils veulent le ramener à Dreux. M. Monneret, qui a suivi avec intérêt l'action du traitement, insiste pour que l'hydrothérapie soit continuée pendant tout l'hiver, afin de consplider la guérison, de prévenir les rechutes, et d'améliorer encore l'état général du malade.
15 janvier. M. C. n'a point vomi une' seule fois depuis trois mois, et voici de quoi se compose son alimentation : à déjeuner, une douzaine d'huitres, un plat de viande (aile de poulet, perdreau, lièvre, côtelette de chevreuil, etc.), un dessert et une tasses de café; à dîner, du poisson ou un plat de viande, un plat de légumes, un entrer mets sucré, un dessert et un verre de curaçao. Son teint est coloré, son embonpoint très-satisfaisant, son état général excellent.
Le bain de poussière, c'est-à-dire celui de. tous les appareils hydriatriques qui exerce l'action révulsive générale la plus énergique, a sur le vomissement et sur la digestion une influence toute spéciale, qui n'appartient qu'à lui, et que je me propose d'étudier, avec soin lorsque les circonstances me permettront de le faire. Une observation fort curieuse, qui trouvera sa place lorsque nous nous occuperons de la congestion rachidienne chronique, montrera toute la puissance, de ce modificateur, qui. s'est encore révélée dans un cas très-remarquable , dont les conséquences pratiques peuvent devenir d'une importance extrême.
A l'aide du bain de poussière, j'ai fait disparaître, dès le troisième jour, chez une dame enceinte, des vomissements très-pénibles. La grossesse et les vomissements étant survenus pendant un traitement hydrothérapique dirigé contre une affection utérine (engorgement et déplacement), celui, ne fut en rien modifié (douche générale en pluie et en jet), et
DE LA MÉDICATION RÉSOLUTIVE. 339
pendant quinze jours, le déjeuner fut rejeté tous les matins peu de temps après le repas; je substitue alors, le matin, le bain de poussière à la douche; dès le surlendemain, le vomissement est plus tardif et moins abondant; le troisième et le quatrième jour; la malade n'éprouve que du malaisé et des nausées; le cinquième jour, la digestion s'opère parfaitement, et dès lors, le bain de poussière ayant été continué, tout rentre dans l'ordre.
Ne faudrait-il pas placer au rang des plus grands bienfaits de l'hydrothérapie le procédé qui fournirait un remède efficace contre le vomissement des femmes grosses? contre cet accident si fréquent , qui résiste presque toujours, à toutes les ressources de la thérapeutique, qui est,pour les femmes une source de si pénibles souffrances ; et qui parfois devient une cause de mort; et si l'hydrothérapie obtenait un tel succès, ne pourrait-on pas l'opposer avec quelque espoir de réussite au vomissement nautique, à cet affreux mal de mer, auquel on a attribué tant de causes différentes sans pouvoir découvrir le moyen de le vaincre ?
De la médication résolutive.
Il est, en pathologie et en thérapeutique,'deux mots dont
ira a fait un étrange abus, et auxquels il est impossible, dans
l'état actuel des choses, d'assigner un sens précis et nettement
déterminé ; ces mots sont ceux d'engorgement et de fondant.
Le premier a été appliqué à l' augmentation du volume du foie, de la rate, dé l'utérus, du testicule, d'une partie quelconque, abstraction faite de la cause organique dont l'augmentation de volume n'était que la conséquence, de telle sorte que la simple congestion, l'hypertrophié, le squirrhe, le tubercule, ont été souvent confondus sous une même dénomination.
340 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
Le second, appliqué aux divers agents thérapeutiques destinés à faire disparaître l'engorgement, a dû nécessairement se ressentir de la fâcheuse élasticité attribuée au sens de ce mot, et il a, en effet, servi à désigner une foule de modificateurs essentiellement différents les uns des autres par leur mode d'action.
Des distinctions importantes doivent donc être établies ici, et quand M. Valleix appelle l'hydrothérapie UN DES MEILLECRS FONDANTS , il a certainement raison quant au fond, mais il se sert d'une expression qui a besoin d'être précisée.
Nous avons déjà montré, et nous prouverons encore mieux plus loin, que l'hydrothérapie, par sa triple action antiphlogistique, révulsive et tonique, est le plus efficace des modificateurs connus pour combattre, d'une part, l'hyperémie sthénique, active, aiguë, inflammatoire ou hémorrhagique ; et d'autre part, l'hyperémie asthénique, passive, chronique.
Dans l'un et l'autre cas, l'hydrothérapie ramène l'organe hyperémié à son volume physiologique, et peut par conséquent, en se servant du langage dont nous signalons les inconvénient être appelée un fondant. C'est de cette façon qu'elle agit sur certains engorgements du foie, de la rate, de l'utérus, etc.
Mais l'hydrothérapie a également été appliquée au traitement du squirrhe, de l'encéphaloïde,des produits hétérologues déposés dans la trame ou à la surface des tissus, organiques, et son effet a été constamment nul ; ici elle cesse par conséquent de mériter le nom de fondant, et elle n'est cas plus efficace que tous les modificateurs nombreux et variés qui ont été mis en usage en pareille circonstance.
Enfin des produits morbides de sécrétion peuvent être déposés au sein de l'organisme sous forme de sérosité, de pus, de fausse membrane, de dépôt plastique, d'induration du tissu cellulaire (tumeur blanche), et le principal caractère de ces produits est de pouvoir être résorbés et éliminés, de façon à disparaître plus ou moins complètement sous l'influence des phénomènes d'absorption et d'excrétion qui s'accomplissent au
DE LA MÉDICATION RÉSOLUTIVE. 341
sein de l'organisme. Cette résorption est le but que doit se proposer le médecin; car, s'il ne parvient pas à guérir ainsi la maladie par résolution, il ne lui reste plus d'autre ressource que l'évacuation au dehors du produit morbide ou l'ablation de la partie dans laquelle il a été déposé.
Or c'est précisément ici que l'hydrothérapie manifeste une puissance qui n'appartient à aucun autre modificateur, et qui doit, à juste raison, la faire considérer comme LE PLUS PUISSANT DES RÉSOLUTIFS ET DES FONDANTS.
Avant d'exposer les faits destinés à justifier cette proposition, je crois néanmoins devoir donner place à quelques considérations préliminaires sur l' absorption.
Sans entrer ici dans des détails qui nous entraîneraient beaucoup trop loin, qui sont du ressort de la physiologie, et qui d'ailleurs sont connus des lecteurs auxquels je m'adresse, je dirai seulement :
Soit que l'on considère l'absorption comme un acte physique, chimique, physico-chimique, électro-chimique, et qu'on la ritiàche à l'imbibition et à l'endosmose ; soit qu'avec M. Adelon(1) et beaucoup d'autres, on la considère comme un acte organique et vital; soit qu'avec M. P. Bérard on établisse des distinctions entre les divers phénomènes de l'absorption (2), il n'en demeure pas moins constant que, sur l'homme vivant, une influencé considérable, prépondérante, est exercée par le système capillaire veineux, par l'état de la circulation et des courants sanguins, par la composition du sang. Les belles expériences de MM. Magendie, Ségalas, Tiedemann et Gmelin, et de plusieurs autres physiologistes, ne permettent à cet égard aucun doute.
D'un autre côté, n'est-il pas évident que c'est au moyen de l'absorption qui s'opère sur les liquides contenus dans les cavités closes ou le tissu cellulaire, au moyen de celle qui s'exerce
(1) Adelon, Dictionn. de méd., art. Absorption.
(2) Bérard, Cours de physiologie, t, II, p. 664 et suiv.
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au sein de nos tissus (absorption accidentelle, interne ou de décomposition; absorption interstitielle de Hunter,. décomposate. de Bichat, organique de Buisson), et de l'élimination des produits morbides , que la nature opère la résolution de toutes les lésions susceptibles de présenter ce mode heureux de terminaison?
«La résolution dans les maladies, disent MM. Trousseau et Pidoux, n'est en définitive que la résorption interstitielle dans un organe en particulier, comme l'amaigrissement est la résorption interstitielle dans tous les tissus de l'économie »(1),
«Si l'on considère, dit M. Adelon (2), que les progrès de l'anatomie pathologique ont considérablement restreint le nom-. bre de ces affections que l'on croyait pouvoir appeler maladif sine materia, que presque toujours nous voyons quelque chose en plus dans un organe qui a été lésé, soit que des liquides y aient été exhalés en plus grande quantité ou qu'ils s'y, scient extravasés, soit que des produits organiques nouveaux ou même de véritables tissus y aient été formés, on concevra,. l'importance immense de l'absorption dans le rétablissement de l'organe à sa texture et à ses dimensions primitives."
Cette vue si vraie, si féconde en déductions, pratiques,est restée néanmoins à l'état d'aperçu physiologique, et la médication résolutive ne figure point dans les traités de thérapeutique. Certes, ce n'est point la médication spoliative que l'on peut considérer comme occupant sa place ; tout le monde connaît l'impuissance à peu près absolue des purgatifs, des diurétiques, des exutoires, etc., contre les congestions chroniques et les hypertrophies, contre les tumeurs blanches, etc. ;
Pour exposer d'ailleurs complétement l'état de la science sur ce point, nous ne pouvons mieux faire que de reproduire in extenso L'article suivant de Guersant.
(1) Trousseau et Pidoux, ouvr. cité, t. I, p. 487.
(2) Adelon, loc. cit., p. 277.
DE LA MÉDICATION RÉSOLUTIVE. 343
"Résolutif, résolvant. Cette] expression a reçu en thérapeutique deux sortes d'acceptions: tantôt on considère les résolutifs comme des moyens généraux qui tendent à favoriser le mode de terminaison des maladies externes ou internes, connu sous le nom de résolution ; tantôt, au contraire, on réserve seulement ce nom à une certaine classe de topiques, plus spécialement indiquée dans les phlegmasies externes. «La résolution, prisé d'ans toute l'étendue de ce mot et de la manière la plus générale, consiste dans la diminution progressive et la cessation complète de tous lès symptômes morbides, généraux et locaux, sans aucune altération et sans aucune transformation morbide consécutive; c'est là solution complète ou la guérison de la maladie, sans modification notable dans l'état normal; c'est par conséquent le genre de terminaison le plus favorable, et que les médecins se proposent toujours d'obtenir.. Dans cette acception générale, tous les moyens généraux qui tendent à favoriser la résolution, dans les maladies internes comme dans les externes, sont des résolutifs; il en résulte que toutes les médications antiphlogistiques, purgatives, diurétiques, vésicantes, etc., peuvent, suivant les circonstances, appartenir à la méthode résolutive, et concourir à la terminaison de toutes les maladies par résolution ; il n'y a par conséquent pas réellement de méthode résolutive spéciale,
" Dans l'acception particulière du mot résolutif, on désigne sous ce nom différents topiques qui tendent à favoriser la terminaison des maladies externes par résolution, c'est-à-dire sans suppuration, gangrène ou dégénérescence du tissu. Quoique les maladies externes soient beaucoup moins nombreuses que les maladies internes, elles n'en offrent pas moins des altérations morbides de nature très-différente, et qui par conséquent réclament des moyens de résolution variée. Les topiques résolutifs , quoique beaucoup plus circonscrits que les méthodes résolutives en général, n'appartiennent cependant pas à une classe particulière de médicaments dont les propriétés immé-
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diates puissent être identiques : ainsi les topiques émollients excitants, astringents, toniques, peuvent, suivant les circonstances, être employés avec avantage pour favoriser la résolution des maladies externes, et peuvent par conséquent prendre le nom de résolutifs. C'est dans ce sens que les cataplasmes émollients prennent le nom de résolutifs; que les solutions d'acétate de plomb, d'alcool camphré, que les infusions de fleurs de sureau, de plantes vulnéraires; etc., sont considérées comme des solutions résolutives; que les pommades mercurielles, hydriodatées ou iodurées, que les emplâtres de ciguë, de Vigo, prennent dans d'autres circonstances les mêmes épithètes. Il n'y a donc pas plus de résolutifs spéciaux que de méthodes résolutives spéciales" (1).
Eh bien! nous allons prouver que l'hydrothérapie, et c'est là un de ses plus grands bienfaits, A CRÉÉ UNE MÉTHODE RÉSOLUTIVE SPÉCIALE ; dont elle est le seul agent possible, parce qui seule elle peut modifier; activer l'absorption, en raison de l'action qu'elle exerce simultanément sur la circulation capillaire générale, les courants sanguins, la composition du sang, la transpiration cutanée et les sécrétions.
C'est en envisageant la question de cette manière que l'on doit non-seulement dire, avec M. Valleix, que l'hydrothérapie est un des meilleurs fondants, mais encore qu'elle est le plus puissant, ou plutôt qu'elle est le seul véritable fondant que possède la thérapeutique.
Il n'est point de meilleure méthode de traitement que l'hydrothérapie contre l'obésité. Par l'usage bien combiné des sudations fréquentes, des douches, de l'eau froide à l'intérieur, et de l'exercice, on fait disparaître le tissu adipeux, et l'on diminue rapidement le poids du corps sans altérer la santé, sans compromettre les organes digestifs ou la nutrition, et malgré une alimentation abondante et substantielle. A ce point de vue, l'hydrothérapie est bien préférable à la cura famis,
(1) Guersant, Dictionn. de méd., t. XXVII, p. 413, 414; 1813.
DE LA MÉDICATION RÉSOLUTIVE. 345
à l'entrainement, et à toutes les méthodes qui ont été préconisées. L'amaigrissement n'est point général, si je puis m'exprimer
ainsi; il absorbe rapidement les tissus adipeux et cellulaire; mais, à mesure que ceux-ci disparaissent, le système musculaire se développe au contraire, acquiert une fermeté et une force remarquables. J'ai vu des individus affligés d'une obésité considérable, ne pouvant faire quelques pas sans être essoufflés et
fatigués, n'ayant aucune force musculaire, digérant et dormant mal, sujets à des congestions cérébrales fréquentes, être transformés, au bout de dix-huit mois ou de deux ans de traitement,
traitement, hommes maigres, mais robustes, agiles, infatigables
infatigables la marche, et jouissant de la plus excellente santé. A côté d'eux, se trouvaient des individus que la maladie avait réduits au dernier degré de l'émaciation et de l'épuisement; ceux-ci, sous l'influence d'un traitement à peu près semblable, ne revenaient à la santé qu'après avoir acquis un embonpoint
plus ou moins prononcé.
C'est là un sujet fort intéressant d'étude que je n'ai pu encore poursuivre avec tout le soin qu'il mérite, mais que des recherches spéciales, faites à l'aide de la balance, me permettront bientôt de traiter avec toute la précision nécessaire en pareille circonstance.
MM. Scoutetten, Baldou, Lubansky, ne mentionnent point l'hydropisie dans leurs ouvrages, et Priessnitz a retranché cette affection du nombre de celles dont l'hydrothérapie entreprend la guérison. M. Schedel nous en donne la raison. «Si l'on se rappelle, dit-il, que la terminaison fatale d'une foule d'affections chroniques est précédée de l'hydropisie, les craintes que cette maladie inspire à Priessnitz paraîtront fort naturelles : l'expérience lui a appris, en effet, que l'hydropisie est en général un symptôme à la cause duquel il ne pouvait pas remonter... Quant à l'application des procédés hydrothérapiques, on comprend aisément combien elle est incertaine entre
346 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
les mains d'un hydropathe sans connaissances médicales.» Mais M. Schedel a soin d'ajouter que, convenablement appliquées par un homme éclairé, l'hydriatrie pourrait ici encore rendre des services éminents, en amenant par des sueurs forcées l'évacuation de la sérosité épanchée dans certains cas d'anasarque fébrile, d'hydropisie active, d'anasarque, suite d'affection organique du coeur, etc.
Langius, Rivière, Boerhaave, Weber, Harke, citent, en effet, des exemples d'hydropisies guéries par la sudation. «C'est une remarque à faire, dit Itard, que le petit nombre des guérisons opérées par les sueurs,et consignées dans nos recueils; n'ont été obtenues que par des médications cutanées; » Le même auteur rapporte qu'il a guéri une hydrocèle commençante par des fumigations acéteuses dirigées vers les bourses et qui provoquèrent dans cette partie une sueur abondante «Lorsqu'on peut provoquer des sueurs dans les hydrocèles, dit encore Itard (1), il n'est pas de moyen qui les dissipe plus promptement. » M. Rapou a inséré dans son ouvrage plusieurs observations d'anasarque, d'ascite, d'hydrocèle, d'hydarthrose, guéries au moyen de sudations provoquées par des fumigations sèches ou humides.
M. Bonnet assure avoir traité avec succès par les bains froids, précédés de sueurs, des hydarthroses généralisées dans un grand nombre d'articulations, et c'est à ce propos; qu'il déclare qu'on doit compter les douches parmi les moyens les plus efficaces pour opérer la résorption des liquides épanchés, et pour faire cesser les douleurs et la gêne dès mouvements qui accompagnent l'hydropisie. (voy. p. 32, 33).
Dans plusieurs circonstances, l'hydrothérapie m'a rendu de grands services pour obtenir la résorption de sérosité épanchée dans le tissu cellulaire ou dans certaines cavités closes. Elle m'a permis de faire disparaître des oedèmes des membres inférieurs
(1) Itard, Dictionn, des scienc. méd., t. XXII, p. 415, 237.
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produits par des tumeurs abdominales, et je regrette beaucoup de n'avoir pas eu l'occasion de l'appliquer au traitement de la maladie de Bright et de l'albuminurie en général.
J'ai obtenu plusieurs fois la, résorption d'hydarthroses du genou et du poignet, d'ascites liées à des fièvres internaittentes vec intumescence considérable de la rate. Chez un malade affecté de goutte, une hydrocèle ancienne et volumineuse, ayant été à plusieurs reprises ponctionnée, mais non injectée, perdit les deux tiers de son volume sous l'influence d'un traient de deux mois dirigé contre l'affection goutteuse, et consistant en sudations et en douches froides.
Il est une forme d'arthrite subaiguë, rhumatismale ou traumatique,encore peu connue et non décrite par les auteurs, qui donne souvent lieu à des exsudations plastiques, pseudomembraneuses, lesquelles, au début et pendant un temps plus ou moins long, n'occasionnent que de la douleur et de la gêne dans les mouvements ; mais, comme la thérapeutique ne possède aucun agent capable d'amener la résorption de ces produits morbides de sécrétion-, ceux-ci se transforment en tissu fibreux, donnent naissance à des adhérences intra ou extra-articulaires, à des encroûtements, et deviennent ainsi la cause d'ankyloses graves et rebelles. Les observations suivantes montreront que, dans tous les cas de ce genre, les douches froides ont une efficacité qui n'appartient qu'à elles.
OBSERVATION. — M. J., demeurant à Paris , rue d'Antin, n° 10, est âgé de 58 ans; d'une taille élevée, d'une constitution athlétique., il a toujours joui d'une bonne santé, et n'a jamais été affecté de rhumatisme. Se trouvant à Naples pendant l'été de 1845, il fut obligé de se lever pendant la nuit pour donner des soins à un de ses enfantsqui était malade, et le lendemain matin, il se plaignit d'éprouver dans l'articulation scapulo-humérale droite une douleur assez vive, qu'exaspéraient les plus légers mouvements du membre supérieur; cette douleur persista pendant plusieurs jours, aucun traitement ne lui fut opposé, et M. J. se contenta de laisser son bras droit dans le repos. Depuis ce moment jusqu'au mois de juillet 1847, M. J. n'a plus
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éprouvé que des douleurs intermittentes et peu intenses, tant que les mouvements ne dépassaient point certaines limites ;mais aussitôt que celles-ci étaient franchies, des douleurs très-vives se faisaient, au contraire, sentir, et comme, d'un autre côté, la liberté des mouvements avait graduellement diminué au point de rendre impossibles certains actes habituels de la vie, le malade se décida à réclamer les secours de l'art. Voici ce que je constatai.
État actuel. L'articulation ne présente aucune déformation ; les mouvements peu étendus sont parfaitement libres, se passent dans l'articulation et ne sont accompagnés d'aucune douleur; il n'en est plus de même au delà de certaines limites que nous allons faire connaître. Lorsque, l'avant-bras étant fléchi, le malade veut porter le bras en dehors et en haut, le coude ne peut atteindre le niveau de l'épaule, de telle sorte que M. J., qui est grand chasseur, est fort gêné pour épauler son fusil; la main portée en arrière et en haut arrive à peine jusqu'à l'angle inférieur de l'omoplate ; lorsque les deux membres supérieurs sont portés directement en haut, les mains étant rapprochées l'une de l'autre, il existe entre elles, au désavantage de la droite, une différence de niveau de 10 centimètres. Le malade ne peut se tenir suspendu par le bras droit, les mouvements brusques et violents lui sont entièrement interdits ; ainsi il ne peut, avec le membre droit, lancer une pierre, corriger son chien de chasse, etc.; les mouvements forcés, spontanés ou artificiels, provoquent une vive douleur, et une espèce de frottement, de craquement, qui indique une modification dans la structure des organes mis en jeu.
6 juillet 1847. M. J. commence un traitement qui consiste à recevoir deux fois par jour, pendant cinq minutes environ, une douche en pluie générale, et une douche locale énergique de 3 centimètres de diamètre dirigée sur l'articulation de l'épaule droite.
15 juillet. Quelques mouvements artificiels ont été exécutés, mais non sans difficulté, en raison de la puissance musculaire du malade, et de la résistance qu'il oppose à des manoeuvres qui lui causent une vive douleur.
30 juillet. Les mouvements sont plus faciles, moins douloureux le malade cherche chaque jour à augmenter leur étendue par des efforts spontanés, auxquels il ne craint plus de se livrer.
15 août. Il n'existe plus qu'une légère différence entre les mouvements du membre supérieur droit et ceux du membre gauche, le malade peut impunément faire le simulacre de lancer une pierre, et il exécuté souvent ce mouvement en lui donnant de plus en plus de force et d'étendue.
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6 septembre. La guérison est complète; les mouvements du membre droit ont une étendue égale à celle des mouvements du membre gauche; il n'existe plus aucune douleur. 5 mai 1848. La guérison ne s'est point démentie; M. J. a chassé
pendant tout l'automne dernier sans éprouver la moindre gêne, la oindre douleur dans l'exercice de son bras droit, dont les mouvements ont aujourd'hui toute l'étendue et toute la facilité désitables.
OBSERVATION. — M. J. est Anglais, âgé de 33 ans, d'un temperament lymphatique très-prononcé ; il a toujours joui d'une excellente santé, et n'a jamais éprouvé la plus légère douleur rhumatismale.
M. J. est grand amateur d'équitation , et il monte tous les jours, pendant plusieurs heures, un cheval très-vif, très-ardent, qu'il faut costamment retenir avec force, et qui, par des mouvements de tête braques et saccadés, imprime souvent au bras droit du cavalier des
secousses très-énergiques.
y a trois mois, M. J. s'aperçut qu'il ne lui était plus aussi facile qu'auparavant de maintenir son cheval, et que chaque secousse lui faisait éprouver une douleur assez vive dans l'épaule droite; il ne fit aucune attention à cette double circonstance, et continua son exercice quotidien ; quinze jours après ; les douleurs de l'articulation étaient plus vives, parfois spontanées, et les mouvements de l'épaule perdaient de leur étendue. M. J. éprouvait de la difficulté à se raser. Au bout de deux nouvelles semaines, M. J. fut obligé de renoncer complétement à l'équitation, et il consulta plusieurs des médecins et des chirurgiens les plus renommés de l'Angleterre.
Le membre fut condamné à un repos absolu, et à plusieurs reprises, des sangsues furent appliquées sur l'articulation scapulohumérale ; des cataplasmes, des liniments de plusieurs sortes furent prescrits et mis en usage pendant un mois. Ce traitement eut pour effet de rendre les douleurs spontanées moins vives et moins fréquentes, mais il ne rendit point à l'articulation la liberté et l'étendue de ses mouvements.
M. J. cessa toute espèce de médication, et ne fit mouvoir son bras que dans les limites qu'il pouvait atteindre sans éprouver de la douleur, mais bientôt il s'aperçut que ces limites se rapprochaient tous les jours davantage, et il prit la résolution de venir consulter à Paris.
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Le 20 juillet 1852, M. J. vint à Bellevue réclamer mes soins elle secours de l'hydrothérapie.
État actuel. L'articulation ne présente aucune déformation; aucune douleur ne s'y fait sentir lorsque le membre est au repos, à moins toutefois qu'il ne reste longtemps pendant le long du corps; les mouvements peu étendus sont également exécutés sans difficulté et sans souffrance, mais il n'en est plus de même aussitôt que M. J. veut franchir une certaine limite, soit par un effort musculaire, soit à l'aide de son autre bras. Il lui est impossible de porter la mita droite sur sa tête, sur l'épaule gauche, eh arrière jusqu'à l'angle inférieur de l'omoplate, de lancer une pierre, etc.; il a dû renoncer à se raser, et, comme nous l'avons dit, il ne peut plus monter à cheval.
Si, en maintenant l'omoplate en place; on cherche à faire exécuter au bras droit des mouvements forcés, on perçoit, par le tact et par l'oreille, des bruits de craquement, de frottement, qui indiquent que les parties, soit dans l'intérieur, soit à l'extérieur de l'articulation, sont modifiées dans leur structure par un produit morbide de sécrétion quia altéré leur élasticité, leur poli, leurs fonctions de glissement, d'extension, de contraction,etc.
Le traitement hydrothérapique est commencé le 1er août; le 15, je soumets le membre, deux fois par jour, à des mouvements graduellement forcés, qui sont peu douloureux ; les bruits de craquement et de frottement ont beaucoup diminuée
Le 15 septembre, la guérison est complète.
Pour qui sait comment les ankyloses commencent et se développent, et combien les moyens dont la thérapeutique dispose pour les prévenir ou les combattre sont insuffisants, ces deux faits, bien simples en apparence, auront une grande valeur. L'observation suivante va nous montrer une lésion articulaire non moins grave, quoique de nature différente, résister à un grand nombre de médications, et ne disparaître que sous l'influence des douches froides, dont l'efficacité, dans cette circonstance, mérite de fixer l'attention des praticiens.
OBSERVATION. — M. le Dr C, de Saint-Malo, est âgé de 40 ans, d'une constitution grêle, mais robuste, d'un tempérament nerveux, d'une santé habituelle fort bonne, si ce n'est que la plus légère impression de froid, un courant d'air, une fenêtre ouverte, etc., lui font éprouver, tantôt dans un point, tantôt dans un autre, des dou-
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leurs rhumatismales assez vives, dont la durée varie entre quelques heures et plusieurs jours. En 1845, il fait, en descendant un escalier, une chute sur le genou gauche; il en résulte une contusion à laquelle M. C. ne prête d'abord aucune attention, mais qui, au bout de nuit jours, l'oblige à garder lé lit pendant trois semaines, et à recourir à un traitement fort énergique. Au bout de ce temps, M. C. reprend ses occupations quotidiennes, mais il s'aperçoit bientôt que la guérison n'est pas complète. Le genou ne présente rien d'anormal à l'inspection, à la palpation, à la mensuration, mais il est le siége d'une sensation de gêne, de roideur, qui, sous l'influence de la fatigue, se transforme en douleur assez vive; le mouvement de flexion est incomplet et parfois douloureux. Pendant deux ans, cet état résista, sans présenter la moindre modification, à un grand nombre de liniments divers, aux bains de mer, à l'usage d'une genouillière, etc. etc.
En 1847, M. C. fut atteint d'un rhumatisme articulaire aigu généralisé, qui fut combattu avec succès par des saignées coup sur coup, et ne laissa aucune trace de son passage ni au coeur ni dans les articulations. Le genou malade n'en ressentit aucune influence ni fâcheuse ni favorable, et se retrouva dans le même état qu'auparavant.
En 1850, M. C., en voulant soulever un malade, pressa fortement son genou droit contre le bois de lit, et ressentit dans l'articulation une douleur assez vive, qui, devenue plus intense le soir, le mit le lendemain matin dans l'impossibilité absolue de marcher. M. C. garda le lit pendant deux jours ; l'accomplissement d'un douloureux devoir le força alors de se lever et de marcher pendant cinq jours, non sans beaucoup, de difficulté et de douleur ; au bout de ce temps, il reprit le lit pour ne plus le quitter pendant plusieurs mois.
Le genou est rouge, peu douloureux à la pression, tandis que le moindre mouvement provoque, au contraire, des douleurs extrêmement vives ; une tuméfaction assez considérable existe principalement des deux côtés du ligament rotulien, où l'on perçoit une fluctuation manifeste. Le repos absolu, une application de sangsues, des cataplasmes émollients, n'ayant point eu raison des accidents, on a successivement recours aux vésicatoires, à diverses frictions, embrocations, etc.; à des douches et à des bains de vaPeurs simples et sulfureuses ; à la compression, etc. etc. Au commencement du mois de février 1851, M. C. abandonne le lit; mais la marche était à peu près impossible, et pendant trois semaines, les accidents augmentèrent plutôt que de diminuer.
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Le 25 février, M. C. arrivait à Paris, pour y prendre les avis des hommes les plus éminents de la science, et il s'adressait successivement à MM. Bouillaud, Bégin, Jobert (de Lamballe), Nélaton, Malgaigne, Sappey, etc. etc. Aucun diagnostic précis ne fut porté ; l'idée d'un kyste se présenta toutefois à l'esprit de l'un des chirurgiens consultés. A l'égard du traitement, des opinions très-diverses furent émises. La compression, l'immobilité, les frictions stibiées, la pommade mercurielle, les vésicatoires, les cautères, etc. etc.; furent proposés ; mais notre confrère, peu désireux de recourir à des moyens qui, pour la plupart, avaient déjà été essayés sans succès, prit la résolution de se confier à l'hydrothérapie, et il y fut encouragé par MM. Sappey, Longet, et de Castelnau.
Le 4 mars, M. C. vint me voir, et, me dissimulant son litre de confrère, ne faisant aucune mention des consultations qu'il avait déjà recueillies, il me pria d'examiner ses genoux et de lui dire si le traitement hydrothérapique lui était applicable avec quelques chances de succès.
État actuel. Les genoux ne présentent aucune déformation, aucune lésion appréciable. Il n'existe ni rougeur ni gonflement partiel ou général, ni fluctuation. La marche produit dans le genou gauche une sensation de fatigue et des douleurs qui obligent M. C. à se reposer, à s'asseoir après avoir fait quelques pas, et qui donnent lieu à une espèce particulière de claudication, les deux genoux étant toujours légèrement et inégalement fléchis. Les mouvements alternatifs de flexion et d'extension provoquent souvent dans le genou gauche un craquement qui est insupportable au malade, et d'ailleurs très-pénible; si l'on applique la main sur l'articulation, et que, par des mouvements, on fasse naître le craquement, on perçoit une sensation de frottement rude, saccadé, rugueux. Le moindre choc, la plus légère pression, provoquent de vives douleurs et obligent M. C. à un repos complet pendant un ou plusieurs jours
Des phénomènes identiques se passent dans le genou droit; mais il existe en outre, de ce côté, une sensation de fourmillement trèspénible qui remonte jusqu'au milieu de la cuisse, et une hyperesthésie cutanée extrêmement douloureuse. Le plus léger contact, le frottement du pantalon, provoquent de vives souffrances, et M. G est sans cesse occupé à préserver ses genoux de toute atteinte. Tout le membre pelvien est notablement amaigri, et il est plus faible que celui du côté gauche.
Après un examen attentif, je déclarai à M. C. que je considérais sa maladie comme un nouvel et curieux exemple d'arthrite subaiguë, développée sous l'influence d'une violence extérieure, dont
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l'action fût restée nulle sans une prédisposition rhumatismale facile à constater. Cette phlegmasie, dis-je, a produit des lésions intra ou extra-articulaires qui finissent par aboutir à l'ankylose, contre lesquelles la thérapeutique ne possède aucun agent efficace, mais dont l'hydrothérapie a constamment raison. Une expérience souvent renouvelée m'autorise à regarder la guérison comme certaine. M. C me fit alors connaître son titre de confrère, me donna sur sa maladie les détails que j'ai reproduits plus haut, et m'annonça qu'il se livrait à moi pieds et poings liés.
Le traitement fut commencé le 5 mars. Frictions en drap mouillé; douche générale en pluie et en jet ; sudation en étuve sèche suivie d'une douche ; douche mobile en pluie et en jet sur les genoux. Quinze jours de traitement amènent déjà une amélioration notable; la marche est plus facile, les craquements ont disparu, l'hyperesthésie a beaucoup diminué. M. C. fait assez facilement de petites promenades, et plusieurs fois il a pu aller à Paris. 15 avril. La claudication a complétement cessé ; la marche est naturelle, facile, très-rapide ; l'hyperesthésie a disparu, le membre droit a repris son embonpoint et sa force.
Le 5 mai, M. C. est tellement satisfait de son état, qu'il veut retourner à Saint-Malo , où l'appelle une nombreuse clientèle depuis trop longtemps privée de ses soins. Le 15 décembre, il m'écrivait : «Depuis mon retour, j'ai mené une vie extrêmement active, marchant et montant des escaliers toute la journée sans éprouver aucun accident ; lorsque le soir je rentre fatigué, il me suffit d'arroser mes genoux avec de l'eau froide, pour faire disparaître toute sensation de fatigue locale et pour pouvoir me remettre immédiatement en marche. Ce phénomène remarquable s'est manifesté si souvent pendant les premiers mois, qu'il est impossible de ne pas admettre là une relation de cause à effet. Un autre fait mérite également d'être signalé. Mon impressionnabilité au froid a complétement disparu ; quoique beaucoup moins vêtu que les années précédentes, quoique prenant beaucoup moins de précautions contre l'humidité, les courants d'air, etc., je n'ai pas éprouvé la plus légère douleur rhumatismale, et n'aurais-je gagné, par mon séjour à Bellevue, que cette modification survenue dans ma constitution, je m'estimerais encore très-heureux d'y avoir été.»
Nous avons dit que l'utilité de l'eau froide dans le traitement de l'entorse est généralement admise ; il n'est pas en effet de Praticien qui n'ait recours aujourd'hui à ce modificateur, et qui n'ait constaté son efficacité pour prévenir ou modérer la tumé23
tumé23
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faction et les accidents immédiats résultant de la distension articulaire; mais, si la médication hydriatrique antiphlogistique est convenablement appréciée lorsqu'il s'agit des accidents immédiats, primitifs, et inflammatoires de la maladie, il n'en est pas de même de la médication hydriatrique résolutive, destinée à combattre les lésions consécutives chroniques , accompagnées d'une tuméfaction plus ou moins considérable de l'articulation, et de gêne dans les mouvements. M. Bonnet, qui apprécie si bien les avantages de l'eau froide dans le premier cas (1), reste muet dans le second; il blâme, avec raison, l'immobilité conseillée par quelques, auteurs; il préconise, avec non moins de raison, les mouvements gradués et le massage, mais il ne fait aucune mention des douches froides (2), et cependant, combien celles-ci ne sont-elles pas plus puissantes et plus efficaces que le massage !
La tuméfaction articulaire que laissent souvent après eux le rhumatisme et la goutte disparaît parfois rapidement sous la triple influence de l'eau froide, delà position, et de la compression pratiquée avec des bandelettes de diachylon. Cette méthode de traitement m'a fourni les plus heureux résultats dans plusieurs cas où l'état des articulations était tellement ancien, tellement grave, qu'il semblait devoir être rapporté à une tumeur blanche commençante. Ici se présentent, quant à la goutte, quelques considérations d'une grande importance pratique.
On sait qu'une attaque de goutte, lorsqu'elle a occupé son lieu d'élection, laisse après elle, dans l'articulation du gros orteil , une tuméfaction qui, ne se résout que difficilement, en raison probablement de la position déclive de la partie malade ; or, lorsque des attaques se sont reproduites plusieurs fois, à des intervalles rapprochés, la tuméfaction ne disparait plus complétement, et augmente au contraire après chaque accès,
(1) Voy. Bonnet, ouvr. cité, t. I, p, 223-232.
(2) Bonnet, ibid., p. 243-247.
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de telle sorte qu'elle finit par devenir permanente, très-considérable, et par amener une déformation plus ou moins prononcée du pied. La tuméfaction n'occupe d'abord, et pendant un temps plus ou moins long, que les parties molles extra-articulaires, mais elle ne tarde pas à devenir plus profomde, et alors les os eux-mêmes acquièrent un développement qui souvent est poussé fort loin.
Dans cet état de choses, les lésions locales exercent sur la marche de la goutte une influence très-remarquable, qui n'a point été suffisamment signalée par les auteurs.
La maladie locale devient pour la maladie générale une cause occasionnelle puissante, et il suffit d'une pression, d'un coup, de la plus légère violence extérieure exercée sur l'articulation; il suffit d'une chaussure trop serrée, d'une marche trop longue, pour provoquer une attaque goutteuse.
J'ai vu des malades chez lesquels, sous l'influence des circonstances que je viens d'indiquer, des attaques très-violentes, et surtout très-fréquentes, avaient lieu depuis plusieurs années: on combattait la goutte par tous les moyens possibles, sans tenir compte de l'état de l'articulation, et sans parvenir à modifier la marche de la maladie ; il m'a suffi de faire disparaître la tuméfaction articulaire pour rendre les attaques beaucoup moins intenses, et surtout beaucoup plus rares.
L'observation suivante est un bel exemple d'arthrite rhumatismale chronique rapidement guérie par l'hydrothérapie.
OBSERVATION. — M. L., maître couvreur, habitant Saint-Cloud, est âgé de 40 ans, d'une constitution athlétique, d'un tempérament sanguin très-prononcé ; sa santé a toujours été excellente. Il y a un an,un rhumatisme articulaire aigu a envahi les deux genoux; il n'a pas été très-intense, et a cédé au traitement antiphlogistique, mais il a laissé dans les articulations une gêne et des douleurs qui, depuis cette époque, ont été sans cesse en augmentant, et ont résisté à tous les moyens dirigés contre elles. M. le Dr Pigache m'adresse le malade le 30 novembre 1850.
Etat actuel. Le malade marche péniblement, appuyé sur une canne, les genoux légèrement fléchis, le corps courbé et penché en avant ; il se porte alternativement sur l'une et l'autre jambe, ce qui
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fait dire à M. L. qu'il marche comme un canard; deux heures lui sont nécessaires pour venir de Saint-Cloud, car il est obligé de s'arrêter plus de dix fois pendant le trajet, et de se reposer chaque fois pendant quelques minutes; ce n'est qu'avec une peine extrême qu'il parvient à monter la côte de Sèvres, et il est toujours en nage lorsqu'il arrive à l'établissement hydrothérapique.
Les genoux présentent un empâtement considérable ; leur circonférence est de 44 centimètres, l'extension complète et impossible les tentatives faites pour la produire déterminent de très-vives douleurs.
Le traitement est commencé le 3 décembre. Sudation suivie de douche; douches générales en pluie; douches en jet de plus en plus énergiques, sur les genoux.
Quinze jours de traitement amènent déjà une amélioration remarquable; le corps est en partie redressé, les genoux sont moins fléchis, la marche est plus facile, et accompagnée de moins d'efforts et de fatigue ; M. L. ne se repose que quatre ou cinq fois en route et fait le trajet en une heure et demie; la circonférence des genoux a diminué de un centimètre.
3 février 1851. La guérison est complète ; M. L. vient de SaintCloud à Bellevue en une demi-heure sans éprouver la moindre fatigue, la plus légère douleur; il monte et descend la côte sans aucune difficulté, il a repris les travaux de sa profession, en un mot, il se porte parfaitement bien. La circonférence des genoux n'est plus que de 38 centimètres,
En procédant du simple au composé, nous venons de montrer que l'hydrothérapie exerce une action résolutive puissante et incontestable qui, dans beaucoup de cas, peut être mise à profit par le praticien; il nous reste à examiner s'il en est de même dans une maladie contre laquelle toutes les ressources de la thérapeutique n'échouent que trop souvent, sans pouvoir obtenir une résolution d'autant plus désirable ici, que son absence devient une cause de mutilation ou de mort.
Tumeurs blanches.
Nous avons vu Percy déclarer que les luxations spontanées peuvent être prévenues ou guéries par les applications d'eau froide, et que des tumeurs avec induration du tissu cellu-
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laire cèdent parfois à l'action des douches (voy. p. 12); nous avons vu M. Ichon rapporter une belle observation de tumeur Blanche du poignet, se résolvant sous l'influence d'irrigations INTERMITTENTES d'eau froide (voy. p. 32) ; mais en dehors de
l'hydrothérapie, la science en est restée là sur ce point, ainsi que l'attestent les paroles suivantes de M. Richet : «M. Gerdy, M. Bérard (thèse de M. Ichon), ont employé contre les tumeurs
blanches, avec apparence de succès, les irrigations froides CONTINUES. M. Malgaigne, qui les a essayées, n'a pas à s'en
louer, et je n'ai pas connaissance que depuis d'autres chirurgiens les aient employées» (1). Ce passage montre aussi jusqu'à quel point les divers modes
d'action de l'eau froide sont peu connus, mal appréciés, même par les hommes les plus instruits de notre époque. M. Richet
transforme, sans y attacher la moindre importance apparemment, des irrigations intermittentes en irrigations continues, et il confond ainsi l'action réfrigérante de l'eau avec l'action excitante, la médication antiphlogistique avec la médication résolutive! En tout cas, si ce sont en effet les irrigations continues que M. Malgaigne a essayées clans le traitement des tumeurs blanches, nous comprenons facilement qu'il n'ait pas eu à s'en louer.
M. Bonnet a employé avec succès, dans le traitement de l'arthrite et du rhumatisme articulaire chronique, les bains froids
à la. température de 8 à 11°, et d'une durée de une à dix minutes (2), mais les malades ne présentaient que de la gêne dans
les mouvements, un empâtement articulaire, et des douleurs plus ou moins vives, de telle sorte qu'ils appartiennent plutôt à l'étude du rhumatisme et de l'ankylose qu'à celle des tumeurs blanches, et que leur histoire doit être rapprochée des observations que nous avons rapportées dans les pages précédentes.
(1) Richet, thèse citée, p. 47.
(2) Bonnet, ouvr. cité, t. I, p. 418-436, 528-539.
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A propos du traitement local de l'arthrite chronique , M. Bonnet déclare «que les douches, associées aux mouvements et au massage, constituent l'une des méthodes les plus puissantes dont on puisse disposer,» mais il ne rapporte aucune observation en témoignage de leur efficacité.
Dans le chapitre consacré à l'histoire des tumeurs fongueuses des articulations, M. Bonnet mentionne l'hydrothérapie) en s'en référant au livre de M. Scoutetten, d'où l'on peut conclure que cette médication n'a pas été mise en usage par lui-même (1), or M. Scoutetten, sous le titre de rhumatisme chronique trèsgrave pris pour une coxite, ne rapporte qu'un seul fait, dont la valeur est très-Contestable (2).
Voici de quelle façon M. Schedel s'exprime a l'égard du sujet qui nous occupe.
«Plusieurs tumeurs blanches, de nature scrofuleuse, étaient en traitement , mais je n'ai vu aucun cas de guérison. L'état d'un jeune enfant de huit ans, qui était à Graefenberg depuis près de deux ans, s'était, m'a-t-on dit, grandement améliores la tuméfaction avait beaucoup diminué, mais je l'ai trouvée encore assez prononcée ; des fragments d'os nécrosés étaient déjà sortis par l'ouverture fistuleuse qui existait au-dessous et en dedans de la rotule, mais celle-ci n'était pas mobile, et la jambe restait constamment dans la flexion, en sorte que le petit malade se servait toujours de béquilles... Un jeune médecin, affecté depuis six ans d'une tumeur blanche scrofuleuse au genou droit, et qui avait employé une foule de remèdes, m'assurait que depuis un an qu'on le traitait par l'hydrothérapie la tuméfaction du genou avait diminué considérablement, et qu'il avait l'espoir d'arriver à guérison» (3).
MM. Baldou, Lubansky, Engel, Vidart, ne rapportent dans leurs ouvrages aucun cas de tumeur blanche; je vais faire con(1)
con(1) ouvr.cité, t. II, p. 32-41.
(2) Scoutetten, ouvr. cité, p. 483.
(3) Schedel,ouvr. cité, p. 516.
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naître ceux qui se sont présentés à moi depuis six ans, et j'en
discuterai ensuite la valeur;
OBSERVATION. — Séneau, terrassier, âgé de 56 ans, d'une taille peu élevée, d'une constitution débile, a été sujet, dès l'âgé de 17 ans, à des douleurs rhumatismales vagues. Il y a dix-huit mois, de la douleur et du gonflement se montrèrent subitement dans le pied droit, et persistèrent pendant près de six mois; on ne leur opposa que des cataplasmes, des applications d'eau-de-vie camphrée et des douches de vapeurs aromatiques. Peu de temps après la disparition de ces accidents, il y a environ un an par conséquent, de la
douleur et du gonflement se manifestèrent dans le genou droit, et furent combattus d'abord par des sangsues, plus tard, par plusieurs applications de vésicatoires. Ces moyens amenèrent du soulagement, mais le genou resta gonflé et douloureux par intervalles ; les mouvements devinrent difficiles, de moins en moins étendus, et le médecin qui donnait des soins à Séneau lui conseilla de se rendre à Paris pour s'y faire admettre dans un hôpital. Le malade se mit en
route, et se dirigea d'abord sur Meudon pour s'y reposer pendant
quelques jours chez l'un de ses parents; là il fut visité par M. le
Dr Baud, qui m'adressa le malade le 14 mai 1847.
Etat actuel. Le genou droit est notablement déformé, il est trèsvolumineux
trèsvolumineux mesuré au niveau de la partie médiane de la rotule, il présente, dans sa circonférence, 6 centimètres de plus que le genou gauche. Il n'existe aucun épanchement dans l'articulation, la
peau est rouge et chaude; les parties molles sont engorgées, dures, rénitentes, mais on sent parfaitement que l'hétéromorphie est due Principalement au développement des condyles du fémur, dont le
ussu est manifestement hypertrophié ; l'aspect de l'articulation est
celui d'une tumeur blanche dans la première période de son évolution. La jambe et la cuisse sont atrophiées, et forment un fâcheux Soustraie avec le volume du genou. Le malade assure que depuis six
mois la maladie est restée stationnaire, et que l'aspect du membre n'a subi aucune modification. La jambe est fléchie de manière à former avec la cuisse un angle d'environ 140 degrés, le malade ne peut lui imprimer que de trèslégers mouvents; si, en fixant la cuisse, on cherche à mouvoir la jambe, on parvient à la ramener un peu dans l'extension, mais la flexion est entièrement impossible, et l'on sent que l'obstacle réside principalement dans l'augmentation de volume des condyles
fémoraux. En raison de cet état de l'articulation, la jambe droite est plus
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courte que la gauche, et il en résulte une claudication très-prenoncée; le malade ne peut marcher qu'appuyé sur une canne, et encore met-il plus de deux heures à faire le trajet de Meudon à Bellevue.
Séneau ne soulève son membre qu'avec peine; il lui semble, dit-il, qu'il est de plomb ; il y éprouve des douleurs à peu près continues qui s'exaspèrent pendant la nuit et lorsque le pied touche le sol.
Le traitement est commencé le 16 mai 1847; deux fois par jour, une douche mobile de 3 centimètres de diamètre est dirigée, pendant dix minutes, sur le genou droit.
25 mai. Les premières douches ont été un peu douloureuses ; elles ont amené de la rougeur et du gonflement, mais des compresses froides, fréquemment renouvelées, ont fait justice de ces légers accidents ; aujourd'hui la douche est parfaitement supportée, les douleurs sont moins vives, moins continues; le malade s'appuie moins sur sa canne : il peut exécuter sans douleur quelques petits mouvements d'extension et de flexion.
2 juin. Les douleurs ont presque entièrement disparu; le voulue du genou a diminué de 25 millimètres; la peau est moins rouge, plus mobile; les parties sous-jacentes sont moins dures. Le malade ramène complètement la jambe dans l'extension; les mouvements de flexion sont plus faciles et plus étendus ; la marche s'est beaucoup améliorée, elle est plus rapide; le trajet de Meudon à Bellevue s'accomplit maintenant en moins d'une heure; Séneau boue. beaucoup moins, et il peut faire plusieurs pas sans s'appuyer sur s'a canne.
16 juin. Depuis quinze jours, l'amélioration a marché moins rapidement; les parties molles sont entièrement revenues à leur état normal, mais les condyles fémoraux, que l'on sent maintenant parfaitement, sont toujours volumineux, et s'opposent à la flexion de la jambe. Je substitue à la douche mobile une douche verticale beaucoup plus puissante, et ayant 5 centimètres de diamètre.
26 juin. L'effet de la douche verticale a été aussi prompt qu'heureux : le volume du genou a diminué de 27 à 28 millimètres; les mouvements de flexion sont beaucoup plus étendus, la claudication est presque nulle; le malade est venu à Bellevue ayant sa canne sous le bras. Il n'existe plus aucune douleur. ...
10 juillet. Il n'existe plus qu'une différence de 3 millimètres entre le volume du genou droit et celui du genou gauche, la flexion de la jambe est à peu près complète; le malade, qui éprouve une joie trèsvive de sa guérison, et qui la manifeste avec expansion, prend plaisir
DE LA MÉDICATION RÉSOLUTIVE. 361
à exécuter des mouvements énergiques et très-étendus ; il marche au pas gymnastique, au pas de charge, il court, etc.; il a brisé sa canne, il vient en vingt minutes de Meudon à Bellevue ; il n'existe plus de claudication, plus dé douleur. Séneau veut retourner dans sou pays, et malgré mes instances, auxquelles M. le Dr Baud joint les siennes, il nous fait ses adieux, comptant bien faire ses quarante lieues à pied.
OBSERVATION. — Marie E., demeurant rue Tronchet, n° 3, née au mois de mars 1844, est d'une constitution chétive, d'un tempérament lymphatique très-prononcé, d'une santé habituellement bonne. Au mois de novembre 1847, en l'absence de toute cause appréciable, l'enfant prétend que la marche la fatigue, et lui fait éprouver de la douleur dans le membre pelvien droit ; les parents n'attachent d'abord que peu d'importance à des plaintes qu'ils attribuent à la paresse ; mais bientôt il survient de la claudication, et ils consultent MM. Auvity, Jobert ( de Lamballe), etc. Des frictions avec le benjoin, avec l'alcool camphré, et plusieurs autres substances, sont pratiquées sur le membre ; l'enfant assure ne plus souffrir, et pendant quelques jours elle ne boite plus ; au mois de décembre , les accidents se reproduisent, et M. le Dr Goupil est appelé à donner des soins à l'enfant. En date du 24 décembre, cet excellent praticien rédige la consultation suivante :
«Légère menace de coxalgie. — Faire porter un caleçon de flanelle ; matin et soir une cuillerée à bouche du mélange suivant : R. huile de foie de morue, 250 grammes ; sirop antiscorbutique, 150 grammes. — Frictionner le membre et la hanche avec la pommade suivante: R. iodure de potassium, 2,50 ; iode , 0,25; axonge, 25,0. — Un bain d'eau de savon toutes les semaines. — Pour boisson: décoction de feuilles de noyer et sirop de feuilles de noyer, à prendre même avec le vin aux repas. — Éviter la fatigue. — Régime de bouillons, viandes rôties, etc.»
Ce traitement, continué pendant un mois, n'amène aucune amélioration; l'articulation coxo-fémorale est gonflée, douloureuse, et le 24 janvier 1848, M. Goupil y fait pratiquer des frictions avec la pommade suivante : R. huile decroton tiglium , 1,25; résine d'euphorbe, 1,50; axonge, 5,0. Au bout d'un mois on revient aux frictions avec la pommade iodurée. Ce traitement, continué pendant un an, reste sans effet.
Au commencement de l'année 1849, la marche devient à peu près impossible, le membre est plus court que celui du côté opposé, la claudication est considérable, l'enfant a beaucoup maigri.
362 DE L'HYDROTHERAPIE RATIONNELLE.
M. le Dr Pilliot est consulté ; il cotisidère là maladie comme trèsgrave, et demande que M. Cloquet soit appelé ; une consultation a lieu, et l'on décide qu'un large vésicatoire volant sera appliqué sur l'articulation malade. L'emplâtre vésicant fait beaucoup souffrir l'enfant et ne répond pas aux espérances qu'on avait conçues; il est remplacé par quatre vastes cautères ; on prescrit ; en même temps, de donner tous les jours à Marie une cuillerée à bouche du sirop suivaut: R. sirop antiscorbutique, 250 grammes; iodure de potassium, 3 grammes.
Au mois de mai, les parents, effrayés de voir la maladie faire d'incessants progrès, provoquer des douleurs violentes qui né laissent aucun repos à l'enfant, dont l'état général dévient déplus en plus fâcheux, consultent M. le Dr Paul Guersant.
L'habile chirurgien dé l'hôpital des Enfants rédige la consultation suivante :
«Goxalgie, constitution lymbhatique. Cette maladie sera de longue durée.
" Je conseille le traitement hydrothérapique ou bien l'application répétée de plaques de caustique de Vienne autour de l'articulation ; trois par trois, à un mois ou six semaines d'intervalle, de façon à arriver ainsi à 30 ou 40 cautères.»
Mis en demeure de choisir, les parents de Marie se décident pour l'hydrothérapie, et je suis appelé le 3 juin 1849:
État actuel. L'enfant n'a pas quitté le lit depuis quatre mois, elle éprouve dans la hanche, la fesse, et toute l'étendue du membre pelvien, des douleurs continués et lancinantes qui deviennent beaucoup plus violentes pendant les nuits, que Marie passe dans l'insomnie, l'agitation; les larmes ; et les cris; le membre, convenablement mesuré, est plus court de 7 centimètres; le pied n'est pas sensiblement dévié; au niveau de l'articulation eoxo-fémorale, les parties molles sont empâtées de façon à former une tumeur considérable, mais mal circonscrite; il est d'ailleurs impossible de constater exactement l'état des parties, car la plus légère pression, le moindre mouvement; provoquent des douleurs atroces, et jettent la petite malade dans de véritables convulsions.
En présence d'un pareil état de choses, la première, la seule indication, était manifestement de calmer la douleur ; des compresses froides, incessamment renouvelées, sont placées nuit et jour sur la hanche, la fesse, et la partie supérieure de la cuisse; dès le quatrième jour, l'enfant souffre beaucoup moins; elle ne crie plus, ne pleure plus; les nuits sont calmes ; et Marie dort assez bien. Au bout de quinze jours, les douleurs spontanées ont entièrement disparu.
DE LA MÉDICATION RÉSOLUTIVE. 363
(Continuation des compresses; tous les matins, un demi-verre d'eau de Sedlitz.)
A la fin du mois, l'enfant peut s'asseoir sur son séant dans son lit; elle s'est levée plusieurs fois, et a pu faire quelques pas à l'aide de deux béquilles. J'examine alors l'articulation avec soin, et je constate l'existence d'une luxation spontanée incomplète ; la tête du fémur est portée en hautet en dehors, et semble être à cheval sur le rebord de la cavité cotyloïde. Les parents, fort étonnés de la gravité que j'attribue à la maladie, manifestent le désir d'une consultation; et M. le Dr Jules Guérin est appelé.
Cet éminent praticien reconnaît l'existence de la luxation spontanée, et croit sentir une fluctuation profonde; il considère d'ailleurs la formation d'un abcès comme inévitable et imminente. «Quant au traitement, dit-il, je ne connais pas assez les effets de l'hydrothérapie pour oser conseiller cette médication; pour mon compte, je n'hésiterais pas à recourir immédiatement aux moyens dont j'ai constaté bien des fois l'efficacité; je donnerais tous les jours une verre d'eau de Sedlitz, et je pratiquerais sur la tumeur de nombreuses cautérisations avec le fer rouge.»
Les parents ; qui redoutent beaucoup le cautère actuel, déclarent persister dans leur préférence pour l'hydrothérapie, et le 3 juillet, Mme E. s'établit à Bellevue avec sa fille ; le traitement est commencé le lendemain, il consiste en douches générales et douches résolutives locales, rendues graduellement de plus en plus énergiques.
15 août. L'état général de l'enfant est transformé ; l'appétit est vif, les digestions sont excellentes, le teint est coloré, et un embonpoint très-satisfaisant a remplacé l'extrême maigreur. Marie, qui se traînait à peine avec deux béquilles, se promène toute la journée avec l'une d'elles seulement, ou même avec une canne, aucune douleur ne se fait sentir dans la hanche, la fesse, et le membre pelvien.
Le 15 octobre, Marie revient à Paris, et continue à prendre des douches à Tivoli pendant deux mois; l'hiver se passe fort bien. Au mois de mars 1850, l'enfant éprouve de nouveau quelques douleurs dans l'articulation coxo-fémorale : je fais appeler M. Jules Guérin. «Lesrésultats que vous avez obtenus, me dit mon excellent confrère, sont extrêmement remarquables et entièrement inespérés pour moi; cependant je crois que vous n'éviterez pas la formation du Pus, si même un abcès profond n'existe pas déjà.»
Mme E. revient à Bellevue avec son enfant; qui subit un nouveau traitement hydrothérapique de trois mois, au bout desquels la guérison me paraît être complète et définitive.
364 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
Mes prévisions se sont réalisées ; aujourd'hui, 15 février 1852 Marie jouit d'une santé générale excellente, elle est grasse et d'un teint très-coloré ; elle n'éprouve aucune douleur dans la hanche, et à l'aide d'un brodequin armé d'un talon très-élevé, elle marche, court, saute sans difficulté, et se livre à tous les jeux de son âgé.
L'action résolutive du traitement n'est-elle pas évidente et fort remarquable dans les deux cas que je viens de rapporter?' Quelle autre médication eût été aussi efficace? L'hydrothérapie n'a-t-elle point justifié la préférence qui lui a été accordée sur les quarante cautères, considérés par M. Guersant comme son: équivalent ? L'action reconstitutive et tonique de l'eau froide n'a-t-elle pas été fort utile à Marie E., et n'a-t-elle pas exercé sur la santé générale, sur le tempérament, une influence trèsfavorable, que n'avaient eue ni l'huile de foie de morue, ni le sirop antiscorbutique, etc.
Une guérison complète et définitive a été obtenue chez nos deux malades. En présence de lésions plus graves, les résultats ne sont pas toujours aussi heureux et surtout aussi rapides, mais l'observation suivante montrera quels sont encore les inappréciables bienfaits de l'hydrothérapie dans les cas où l'amputation paraît être la seule chance d'arracher le malade à une mort imminente.
OBSERVATION. — Mlle L., âgée de 23 ans, d'un tempérament trèslymphatique, d'une constitution grêle ; a été réglée à 14 ans; la menstruation s'est établie facilement, a toujours été parfaitement régulière, mais très-peu abondante (deux jours).
La santé n'avait jamais été troublée par aucune maladie grave; lorsqu'à l'âge de 17 ans, étant dans un pensionnat d'Autun, Mlle L. fit sur le genou gauche une chute qui, pendant quelques jours, laissa l'articulation douloureuse et gonflée. Deux semaines après, une nouvelle chute plus violente, accompagnée d'une sensation de déplacement dans l'articulation, fut suivie d'un gonflement considérable, de douleurs très-vives, et d'une impossibilité absolue de marcher. Mlle L. fut obligée de prendre le lit et de le garder pendant deux mois. Deux applications de 30 sangsues chacune, dix vésicatoires volants, des frictions avec des pommades et des liniments de toutes sortes n'amenèrent que peu de soulagement, et les parents, inquiets
DE LA MÉDICATION RÉSOLUTIVE. 365
de voir la maladie se prolonger ainsi, retirèrent leur fille de pension et la ramenèrent chez eux, à Saint-Symphorien.
Pendant six mois, Mlle L. fut soumise à un traitement énergique. Plusieurs applications de sangsues, de ventouses scarifiées, de vésicatoires; des bains, des liniments, des pommades, restèrent complétement inefficaces, et c'est à peine si la jeune malade pouvait faire quelques pas, appuyée sur une béquille et sur une canne. Les eaux de Bourbon-Lancy furent conseillées; elles eurent pour résultat d'affaiblir beaucoup la malade et d'amener un amaigrissement notable.
Mlle L. va passer six mois à Saint-Dezer chez l'un de ses oncles ; elle y est traitée par une pommade verte dont elle ne connaît pas la composition, et qui ne modifie en rien son état. La malade retourne chez ses parents et ne fait plus aucun traitement. En 1849, le mal ayant fait des progrès, Mlle L. est conduite à Lyon, où elle reçoit pendant trois mois les soins de M. Pétrequin, qui applique sur le genou 4 moxas, prescrit des douches de vapeur, des bains salés, et pratique enfin la compression au moyen d'un bandage amidonné. Ce nouveau traitement améliore l'état général, mais non celui de l'articulation, et au mois de novembre, Mlle L. se décide à venir a Paris. Pendant six mois, elle reçoit les soins de M. le Dr Michon, qui donne à l'intérieur le sirop d'iodure de fer et pratique plusieurs cautérisations avec le fer rouge.
M. le Dr Thierry est consulté ; il prescrit une pommade, du vin de gentiane et de l'huile de foie de morue.
Toutes ces médications restent complétement inefficaces. Mlle L., découragée et impatiente de guérir, cède à de funestes conseils et va se mettre entre les mains d'une rebouteuse qui répond au nom de Mlle Figuier. Celle-ci couvre l'articulation, pendant six mois, de cataplasmes, d'herbes émollientes, d'onguents, et au bout de ce temps, la malade éprouve des douleurs extrêmement violentes, et s'aperçoit que son genou est dans un état beaucoup plus fâcheux qu'auparavant.
Cette première excursion dans le domaine du charlatanisme de bas étage ne corrige pas Mlle L., qui, pensant cette fois s'adresser à plus experte, va trouver la fameuse dame blanche de Chatillon. Cette femme, à l'odieuse brutalité et aux dangereuses manoeuvres de laquelle les justes sévérités de la justice auraient dû depuis longtemps mettre un terme, soumet le membre à de brusques et violents mouvements de flexion et d'extension; elle provoque ainsi des douleurs épouvantables et une inflammation articulaire intense, dont les suites ont été bien funestes, ainsi que nous le verrons bientôt.
366 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
A la fin du mois de mars 1851, Mlle L. consulté M. le Dr Vernois. Cet excellent praticien estime que l'hydrothérapie est la seule médication qui offre encore quelques chances de succès en présence d'une affection qui, dans un avenir très-prochain, doit rendre l'amputation de la cuisse inévitable ; il conseille à la jeune malade de s'adresser à moi, et elle vient s'établir à Bellevue le 14 avril.
État actuel. La face est profondément altérée, le teint est d'un jaune gris, l'amaigrissement considérable. La marche est impossible ; c'est à peine si là malade peut faire quelques pas avec l'aidé de deux béquilles. Le genou est le siège de douleurs spontanées extrêmement vives, continues, exaspérées par le plus petit mouvement communiqué, (tout mouvement volontaire étant aboli) par le plus léger contact, par le seul poids du membre dans la station debout,' La tumeur est considérable et fait contraste avec la cuisse et la jambe, notablement atrophiées; son étendue est de 20 centimètres, sa plus grande circonférence, vers la partie supérieure de la rotule, est de 41 centimètres ; à 9 centimètres au-dessus, la circonférence; est de 37 centimètres, et à 11 centimètres au-dessous, elle est de 33 centimètres. Le membre du côté opposé, mesuré dans les mêmes points, présente 32 centimètres, au lieu de 41, 34 centimètres, au lieu de 37, et 28 centimètres, au lieu de 33.
La peau qui recouvre la tumeur est blafarde, vergetée, violacée" en quelques points ; elle porte les traces des cautères et des cautérisations. En palpant la tumeur avec précaution, on perçoit au côté interne une fluctuation très-manifeste ; en maintenant la cuisse et en imprimant à la jambe des mouvements de latéralité, il se manifeste une mobilité anormale qui indique de graves lésions articulaires. Cette exploration ne peut d'ailleurs être poussée très-loin, car elle provoque des douleurs extrêmement violentes.
M. le Dr Chapel, de Saint-Malo, qui lui-même est en traitement à Bellevue, examine la malade avec moi; il considère le cas comme désespéré, et me déclare que, quant a lui, il n'hésiterait pas un instant à donner issue au pus.
L'appétit est nul ; les nuits sont très-mauvaises, le sommeil est sans cesse interrompu par les douleurs. Souvent un mouvement fébrile se manifeste vers le soir et se termine le matin par une légère sueur.
Le traitement est immédiatement commencé. Il consiste en irrigâtions continues, en compresses froides sans cesse renouvelées, le membre étant placé dans un repos absolu.
Au bout de quinze jours, les douleurs ont disparu, les nuits sont bonnes, l'appétit est assez vif, l'état général meilleur, et Mllle L.
DE LA MÉDICATION RÉSOLUTIVE. 367
peut, au moyen de deux béquilles, se transporter à l'établissement, où elle reçoit deux fois par jour une douche générale en pluie et en jet.
31 mai. Le pus s'est fait jour à l'extérieur par une petite ouverture située à la partie supérieure et interne de la jambe ; il est séreux et mal lié.
15 juin. L'état général s'améliore de jour en jour; le genou n'est plus douloureux, et il reçoit une pu deux fois par jour une douche résolutive en pluie. Son volume n'a pas changé. 15 juillet. Les douches résolutives locales ont produit parfois de la rougeur et des douleurs dans le genou ; il a fallu alors les suspendre pendant vingt-quatre ou quarante-huit heures, pour en revenir aux applications réfrigérantes, qui; ont toujours eu facilement raison des accidents.
15 août. L'état général est excellent; la tumeur a diminué notablement : à sa partie supérieure, elle n'a plus que 35 centimètres (au lieu de 37), à sa partie moyenne 39 (au lieu de 41), et à sa partie inférieure 29 (au lieu de 33). Le genou est parfaitement indolent et supporte sans peine une compression méthodique pratiquée avec des bandelettes de diachylon.
15 janvier 1852. Je supprime des détails sans importance pour priver au résultat actuellement obtenu. Mlle L. est fraîche, grasse, et sa santé générale ne laisse rien à désirer ; l'ouverture qui a donné issue du pus, et par laquelle s'est échappé jusqu'à présent un liquide séreux, sera cicatrisée dans quelques jours. Au niveau des parties supérieures et inférieures de la tumeur, le membre a le même volume que celui du côté opposé ; au niveau de la partie médiane, il présente 33 centimètres (au lieu de 41), tandis que le membre sain n'en a dans le même point que 32. En définitive, la tumeur blanche est manifestement arrêtée dans sa marche, et la guérison est à peu près certaine; j'espère même encore qu'elle aura lieu sans une ankylose complète.
Une observation qui présente les plus grandes analogies avec celle qu'on vient de lire, à cela près que la tumeur blanche occupait le coude, devrait trouver sa place ici ; mais le malade, qui est un confrère, n'a pu la rédiger en temps opportun pour l'impression de ce livre, et je me réserve de là publier ultérieurement.
Les faits que nous venons de faire connaître suffisent pour mettre en évidence la puissance résolutive de l'hydrothérapie
368 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
appliquée au traitement des tumeurs blanches; ils montrent avec quels avantages on peut tirer parti des effets révulsifs, antiphlogistiques, sédatifs, de cette médication; enfin ils prouvent que, par l'influence tonique et reconstitutive de l'eau froide, on peut modifier rapidement, et de la façon la plus heureuse, l'état morbide général qui apporte un si grand obstacle à la guérison des lésions locales, et qui, si fréquemment, devient par lui-même une cause de mort.
Il est hors de doute, pour moi, que l'hydrothérapie n'a point d'équivalent pour combattre une maladie qui, dans la presque universalité des cas, résiste à toutes les ressources de la thérapeutique; mais, pour obtenir les résultats que cette médication peut donner, il faudra que les malades et les chirurgiens se décident enfin à la faire intervenir dès le début] et à ne point attendre que des désordres graves aient profondément altéré les parties molles, ou même les os, les cartilages et les synoviales. Je ne crains pas de proclamer ici l'immense supériorité de l'eau froide sur les émissions de sang locales, les vésicatoires, les cautères, la pommade au nitrate d'argent, l'iode et les iodures, et tous les autres moyens que la chirurgie met impitoyablement en usage pour se conformer aux prescriptions de l'art classique, sans en retirer, dans le plus grand nombre des cas, aucun avantage bien constaté.
Ile la médication udoriflque, altérante et dépurative.
Nous avons dit qu'en mettant en oeuvre le calorique, et en lui associant l'eau froide, l'hydrothérapie avait, à proprement parler, créé la médication sudorifique : en premier lieu, parce que le calorique est le seul agent qui provoque la sueur à titre d'excitant spécial et non d'excitant général et pyrétogénétique;
DE LA MÉDICATION SUDORIFIQUE. 369
en second lieu, parce que l'eau froide exerce sur la peau une action tonique, qui permet de la soumettre impunément, pendant fort longtemps, à un exercice exagéré de ses fonctions de perspiration (voyez p. 64, 76,123).
La puissance de cette médication sudorifique est remarquable. J'ai vu un grand nombre de malades qui considéraient la diaphorèse comme chose impossible à obtenir chez eux, soit parce que leur peau avait toujours été naturellement aride, soit parce qu'elle était devenue telle depuis plusieurs années, en raison du dévelppement d'un certain état morbide; chez tous, j'ai pu modifier, en peu de temps, les fonctions de l'enveloppe cutanée, et provoquer des sueurs d'autant plus abondantes et faciles, qu'elles se répétaient plus fréquemment. Au début, une heure de séjour dans l'étuve sèche était à peine suffisante pour amener une transpiration peu considérable; au bout de quelques jours, un quart d'heure suffisait pour faire ruisseler la sueur.
Sous les réserves établies plus haut (voyez p. 131-133), nous avons soumis à la.médication sudorifique un nombre considérable de malades, soit pour développer, soit pour rétablir les fonctions perspiratoires de la peau, naturellement peu actives ou bien diminuées, abolies par l'état morbide.
On connaît les rapports étroits qui existent entre la peau et les principales fonctions de l'organisme. M. Fourcault (1) en a expérimentalement démontré l'importance ; l'observation clinique les met chaque jour en lumière, et l'hydrothérapie a complété la démonstration.
Dans la plupart des affections chroniques, et spécialement celles du foie, de la rate, du tube digestif, dans les névralgies, les rhumatismes musculaires, les congestions sanguines chroniques, l'anémie, etc., la peau est sèche, écailleuse, rugueuse, parcheminée, aride ; dans tous les cas de ce genre, la
(1) Fourcault, Causes générales des maladies chroniques, p. 117 et suiv.; Paris, 1844.
24
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médication sudorifique m'a rendu de grands services et a puissamment contribué à la guérison (voyez p. 126,127,132,133), Je regrette vivement de n'avoir pas eu l'occasion de l'appliquer à des diabétiques.
La médication sudorifique spoliative fait, dans beaucoup de cas, partie intégrante de la médication résolutive ; elle fait la base du traitement de l'obésité ; elle favorise singulièrement la résorption des liquides épanchés soit dans le tissu cellulaire, soit dans certaines cavités closes ; elle a rendu de grands services à plusieurs malades présentant un oedème des membres inférieurs, dû à la compression exercée par une tumeur abdominale sur les vaisseaux pelviens, portant une hydarthrose, une ascite, une hydrocèle (voyez p. 345).
L'action dépurative de la médication sudorifique demande à être étudiée avec plus de développements.
«C'est surtout dans les maladies chroniques, constitutionnelles , que l'emploi des sudorifiques est, indiqué, disent MM. Trousseau et Pidoux. La vérole, le rhumatisme, la goutte, la scrofule, la cachexie mercurielle, la diathèse purulente, réclament l'emploi de ces moyens. En favorisant la tendance vers la peau, les sudorifiques présentent à chaque instant le sang et les produits morbides qu'il contient au plus vaste émonctoire de l'économie, et chaque jour, à chaque instant, un peu de la cause morbifique est éliminée. Par cela môme que ces médicaments n'épurent que lentement et en détail, ils doivent, surtout dans les maladies chroniques, où la cause est si inhérente et se régénère si facilement, ils doivent, disons-nous, agir longtemps dans le même sens. Aussi, dans les véroles constitutionnelles, dans les rhumatismes, etc., les sudorifiques seront-ils continués pendant trois, six, dix mois, et quelquefois même davantage, en ayant soin d'en interrompre l'usage pendant quelque temps pour y revenir ensuite» (1).
Certes, si l'on admet que le sang contient un produit mor(1)
mor(1) et Pidoux, ouvr. cité, t. Il, p. 659.
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bide, on peut concevoir que la médication sudorifique favorise l'élimination de celui-ci, et opère ainsi la dépuration ; mais l'existence de ce produit lui-même n'est rien moins que démontrée dans beaucoup de cas, et si elle doit être admise pour la vérole et toutes les maladies virulentes, pour la cachexie mercurielle, l'infection purulente, etc., elle devient,déjà problématique quant à la goutte, et elle doit être rejetée, selon moi, lorsqu'il s'agit du rhumatisme, de la scrofule, et môme des dermatoses.
L'efficacité de la médication ne saurait être considérée comme une preuve, car la guérison peut être le résultat d'une action sudorifique simple, révulsive, complexe, entièrement étangère à la dépuration. La constatation matérielle, physique
ou chimique, du produit morbide pourrait seule résoudre la question d'une manière certaine ; mais nous avons vu, en nous
occupant de la doctrine des crises, que cette constatation n'a pas encore été faite (voyez p. 102-108).
Le lecteur appréciera l'importance de ces considérations, que nous avons voulu lui soumettre avant d'aborder l'étude des principales maladies dans lesquelles l'hydrothérapie a été considérée comme agissant, principalement, à titre de médication dépurative.
Syphilis.
« Pour guérir les affections vénériennes primitives, dit M. Schedel, on doit préférer le traitement qui paraît le plus capable de chasser de l'économie la cause mystérieuse du mal, et qui offre en même temps la certitude de ne pouvoir exercer sur la constitution aucune influence fâcheuse. De tous les traitements proposés contre la syphilis, l'hydrothérapie seule présente ces garanties, et je la crois le seul moyen capable d'expulser de l'économie cet agent morbifique venant du dehors. Aucun remède ne guérit plus vite, aucun ne guérit plus sûre-
372 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
ment, aucun ne laisse comme lui l'esprit sans inquiétude pour l'avenir» (1).
A priori, on peut, en effet, admettre l'opinion de M. Schedel ; et, sans parler de ceux qui prétendent que le mercure est souvent la cause des accidents consécutifs, si l'on considère qu'il n'est pas encore démontré (2) que les mercuriaux, employés dans la curation des symptômes primitifs, soient prophylactiques des symptômes secondaires (Ricord), qu'il n'est pas même démontré qu'ils rendent ceux-ci moins fréquents et moins graves, on est porté à préférer l'hydrothérapie au mercure et surtout à la syphilisation, dont quelques hommes de talent n'ont pas craint de défendre les étranges et dangereuses doctrines ; mais cette préférence ne peut être justifiée, jusqu'a présent, que par des hypothèses et des théories. Dire, comme le fait M. Schedel, que, sous l'influence du traitement hydrothérapique, des chancres ont guéri en quinze jours ou trois semaines, ce n'est rien prouver du tout, car M. Desruelles et les adversaires du mercure ont montré que les choses se passent ainsi chez les malades soumis au traitement simple, c'esta-dire à la méthode antiphlogistique ou expectante.
L'hydrothérapie, appliquée au traitement des accidents primitifs, prévient-elle le développement des accidents consécutifs , autant, moins, ou plus que le traitement mercuriel? Telle est la question; mais, pour y répondre, de longues et difficiles recherches statistiques comparatives sont encore nécessaires,
L'hydrothérapie a-t-elle des avantages mieux constats dans le traitement des accidents secondaires et tertiaires? Doit elle être préférée aux mercuriaux, à l'iodure de potassium? Obtient-elle des guérisons plus nombreuses, plus rapides, plus sûres? Arrête-t-elle, mieux que toute autre médication, les progrès de la diathèse syphilitique ?
(1) Schedel, ouvr. cité, p. 488, 489.
(2) Voy. Compend. de méd. prat., t. VIII, p. 42.
DE LA MÉDICATION SUDORIFIQUE. 373
M. Schedel reste ici dans une réserve beaucoup plus grande. "Dans la syphilis consécutive, dit-il, il serait injuste de vouloir que l'hydrothérapie pût effectuer les miracles que nous voyons journellement se produire par l'administration des composés iodurés et mercuriels ; mais il sera toujours convenable de débuter par un traitement hydrothérapique, car si les résultats n'étaient pas favorables, il n'y aurait qu'un peu de temps de perdu, et encore les faits semblent prouver que la modification avantageuse que les médicaments produisent sur l'économie est encore plus sûrement obtenue après un traitement
hydriatrique. » Parmi les hydropathes proprement dits, la question a soulevé
soulevé controverses et produit des assertions contradictoires. Voyons si les faits peuvent nous conduire à une conclusion.
On trouve dans l'ouvrage de M. Scoutetten (1) une observation de syphilis secondaire traitée sans succès par Priessnitz, et M. Schedel (2) rapporte trois observations d'accidents secondaires et tertiaires contre lesquels l'hydrothérapie a également échoué. M. Lubansky ne mentionne pas la syphilis dans son ouvrage ;
M. Vidart lui consacre le paragraphe suivant :
XIe SÉRIE, Syphilis. — N° 93. Syphilis et accidents tertiares. Traitement, six semaines. Guérison. —N° 94. Dartres circinnées. Traitement, neuf semaines. Guérison. — N° 95. Syphilis , dartres du scrotum. Traitement, huit semaines. Guérison. — N° 96. Douleurs ostéocopes du crâne, des genoux et (les tibias. Traitement, dix semaines. Guérison (3). Le lecteur jugera sans doute, comme moi, que ces indications ne sont pas suffisantes.
M. Baldou, dans le chapitre consacré à la syphilis (4), rapporte onze observations, dont les unes ont été recueillies à
(1) Scoutetten, ouvr. cité, p. 465.
(2) Schedel, ouvr. cité, p. 456-502.
(3) Vidart, ouvr. cité , p. 168.
(4) Baldou, ouvr. cité, p. 323 et suiv.
374 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
Groefenberg, et les autres tirées de sa pratique. Nous allons apprécier brièvement leur valeur.
Trois observations ont trait à des accidents primitifs, et nous n'avons point à nous en occuper. Deux nous montrent des chancres réapparaissant in situ, quinze et vingt-cinq ans après leur premier développement, chez des individus ne présentant actuellement aucun accident syphilitique. Nous discuterons plus loin la puissance évocatrice, exphorétique, attribuée, dans les cas de ce genre, à l'hydrothérapie.
Dans une sixième observation, il s'agit d'un ozène chronique et d'ulcérations des muqueuses bronchiques (sic) ayant succédé à des symptômes tertiaires. La maladie ne présente aucun caractère syphilitique, et la guérison n'est d'ailleurs pas obtenue.
Une septième observation nous montre des douleurs ostéocopes, avec gonflement de la clavicule droite, accompagnées d'une rétraction des muscles thoraciques et dorsaux s' implantant à la partie supérieure de l'humérus. Le malade est traité par l'hydrothérapie et l'iodure de potassium. Les douleurs disparaissent, mais la clavicule conserve quelques rugosités à sa surface, et l'articulation scapulo-humérale reste à demi ankylosée !
Décompte fait, nous voici par conséquent .en présence de QUATRE OBSERVATIONS !
L'une (page 331) nous montre des syphilides (sic; M.Baldou affectionne le pluriel) guéries par l'hydrothérapie, mais l'auteur ne décrit point l'éruption, qu'il range parmi les accidents tertiaires.
Une autre (page 333) porte le titre d'exostoses syphilitiques. «Le tibia gauche est irrégulièrement gonflé dans toute Sa longueur ; ce gonflement est très-apparent ; il l'est un peu moins au tibia droit. Les douleurs sont très-vives, surtout pendant la nuit. » Au bout de trois mois, les tibias sont revenus à l'état normal.
Enfin les dernières observations (pages 337-341) nous par-
DE LA MÉDICATION SUDORIFIQUE. 375
lent de douleurs occupant le crâne, les genoux, les tibias, dans un cas; les clavicules, les os des épaules, des genoux et des jambes, dans l'autre. Ces douleurs sont considérées comme syphilitiques, mais les malades ne présentaient aucun autre symptôme vénérien, et il n'est point fait mention, dans leur histoire , d'accidents constitutionnels antécédents.
Dans presque toutes les observations rapportées par les hydropathes, il est question d'un grand nombre de chancres réapparaissant in situ, un grand nombre d'années après leur premier développement, tantôt chez des malades ayant actuellement des accidents constitutionnels, tantôt chez des individus ne présentant aucun symptôme vénérien.
N'ayant jamais rien observé de semblable, il m'est impossible de me prononcer sur ce point ; d'autant plus que les faits produits sont tous incomplets, tronqués, dépourvus des détails et des descriptions les plus indispensables au diagnostic
M. de Castelnau a décrit, sous le nom d'accidents successifs ou consécutifs localisés, des chancres se reproduisant autour et à une petite distance des points primitivement atteints , rarement sur ces points eux-mêmes, plusieurs semaines ou même plusieurs mois après leur complète cicatrisation, et en l'absence de tout nouveau rapprochement sexuel ; j'ai vu Moi-même plusieurs faits de ce genre, mais faut-il en conclure que l'hydrothérapie peut faire revivre, après vingt-cinq années, un chancre qui n'a été suivi d'aucun accident constitutionnel ? Aucun fait concluant n'autorise à le penser, et nous ne connaissons aucun syphiliographe qui soit disposé à admettre une telle opinion. Dans tous les cas, des recherches nouvelles et sérieuses, des observations complétement et rigoureusement recueillies, pourront seules élucider cette question, non Moins importante pour l'histoire de la syphilis que pour celle de l'hydrothérapie.
Plusieurs malades atteints d'accidents syphiliques primitifs ou consécutifs ont été reçus à Bellevue ; quelques-uns d'entre eux désiraient être traités exclusivement par l'hydrothé-
376 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
rapie, mais j'ai cru devoir résister à leurs instances; à plus forte raison, n'ai-je point voulu expérimenter cette médication sur ceux qui déclaraient s'en rapporter à moi. J'ai donc toujours eu recours aux spécifiques, mais je leur ai associé les sudations et les douches froides générales, et je m'en suis constamment fort bien trouvé.
Les hydropathes préconisent la diète, le régime lacté, et l'eau froide à haute dose à l'intérieur ; je n'ai point suivi ces errements, et j'ai appliqué, quant au régime, les préceptes si bien développés par M. Ricord (1). Dans ces conditions, l'hydrothérapie m'a semblé être un adjuvant précieux du traitement spécifique ; elle est fort utile pour combattre la chloroanémie que l'on rencontre si fréquemment chez les malades atteints de vérole constitutionnelle, et qui a été particulièrement signalée par M. Ricord ; elle m'a paru aussi exercer une influence très-favorable sur la marche de la maladie, et principaiement sur celle des accidents secondaires et tertiaires. Cette influence s'est manifestée surtout chez les individus faibles, débilités, lymphatiques, à tendance scrofuleuse, suivant les expressions de M. Ricord.
A moins de documents nouveaux et concluants, je conseille aux praticiens de suivre la voie que je leur indique, et je puis ajouter qu'un médecin hydropathe pur sang, ayant constaté sur lui-même l'existence de symptômes vénériens secondaires, s'est hâté de recourir au mercure et à l'iodure de potassium; semblable en cela à ces fougueux homoeopathes qui lorsqu'une maladie grave les frappe, en appellent aussitôt à cette infâme allopathie, tant décriée par eux lorsqu'il ne s'agit que de leurs clients !
Dermatoses.
Quel plus beau champ d'exploration et de succès que celui des dermatoses l'hydrothérapie empirique pouvait-elle choi(1)
choi(1) Compendium de méd., t. VIII, p. 83.
DE LA MÉDICATION SUDORIFIQUE. 377
sir! Quelle plus belle occasion de faire briller à tous les yeux sa puissance évocatrice et exphorétique, en présence des doctrines humorales qui font encore admettre si généralement, l'existence du vice dartreux! C'est ici que les faits doivent être nombreux, péremptoires ; c'est ici que les preuves et les démonstrations doivent se presser.
Examinons s'il en est ainsi.
M. Scoutetten ne mentionne point les maladies de la peau.
"L'application de l'hydrothérapie, dit M. Schedel, ne peut guère être faite; que dans les affections très-chroniques de la peau... Le traitement est fort long, très-pénible, et Priessnitz m'a dit, à plusieurs reprises, qu'il n'aimait pas à s'en charger"(1).
charger"(1).
M. Schedel n'a recueilli à Groefenberg que deux observations.
La première a trait à un psoriasis guttata fort ancien, que
cinq mois de traitement n'ont pas modifié. Le second malade était guéri au bout de dix mois de traitement, et il paraissait avoir eu un psoriasis diffusa. M. Baldou, après avoir parlé de la variété des formes que
présente l'affection herpétique, et avoir indiqué les boutons, les pellicules et les ÉCHABBOULURES (sic) (2) ; après avoir établi
«que la science du jour se trouve évidemment fourvoyée, quant à la manière de considérer les effets divers du vice herpétique sur l'enveloppe cutanée, M. Baldou déclare qu'il fera fort peu de cas des appellations usitées dans la science,
emprunts souvent bizarres, quelquefois ridicules, faits à des langues mortes, et qu'il se servira le plus souvent d'appellations françaises qui seront comprises par tout le monde. » Échauboulure! — est déjà un assez joli échantillon des appellations françaises que préfère M. Baldou ; mais nous devons lui en signaler une autre, que nous avons eu le regret de ne pas
(1) Schedel, ouvr. cité, p. 506. (2) Baldou, ouvr. cité, p. 140.
378 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
rencontrer dans son livre, et qui est fort usitée parmi les citoyens français qui fréquentent l'hôpital Saint-Louis : c'est celle de démangeaisons entre cuir et chair !
Passons plusieurs pages où se trouve développée la doctrine de l'exphorèse des détritus de l'organisme, et arrivons aux faits.
Éruption générale de petites vésicules qui, dans quelques parties, s'élèvent sur des plaques rouges érythémateuses, surtout sur les clavicules, les hanches et les jambes, au devant des tibias. Cette éruption a déjà disparu plusieurs fois pour reparaître au bout d'un temps plus ou moins long. Traitement de deux mois ; guérison ; seulement quelques petits boutons par missent de loin en loin sur la surface cutanée, ce qui fait penser à M. Baldou que la maladie n'est pas aussi entièrement vaincue que le pense la malade.
Acné; nombreuses pustules sur le nez, les joues et le menton. Un mois et demi de traitement. Il ne reste plus que deux ou trois petites pustules sur le nez et autant sur chacque joue.
Dartres très-rouges du scrotum fournissant un liquide très-: abondant ; application de compresses mouillées, disparition de la dartre.
Prurigo ; croutes épaisses sur le dos et la face interne des cuisses. Guérison en quatre jours! Cependant M. Baldou ne parle pas des croûtes; Il en restait probablement encore deux ou trois petites sur le dos, et autant sur chacune des cuisses.
Pityriasis de la face, du larynx et de tout le tube digestif (sic!). Traitement de trois mois; état très-amelioré; le pityriasis du" larynx a disparu. — Mais celui de la face et dû cuir chevelu?
De pareilles observations ne se discutent pas ; il suffit de les reproduire.
M. Lubansky avoue que, dans le traitement des affections cutanées, l'hydrothérapie n'a point répondu à ses espérances, et
DE LA MÉDICATION SUDORIFIQUE. 379
il ne la considère que comme un puissant auxiliaire des médications ordinaires (1).
M. Vidart ne rapporte que deux observations de psoriasis ; succès dans un cas, guérison incomplète dans l'autre (2).
Il nous reste à apprécier les essais tentés à Paris, en 1841, par M. Wertheim, qui, mis en demeure d'introduire l'hydrothérapie à l'hôpital Saint-Louis, a eu la malencontreuse idée de choisir les maladies de la peau pour objet de ses expérimentations.
Voici les renseignements fournis à cet égard par M. Devergie; sous la surveillance duquel M. Wertheim a traité la plupart des malades.
Dans les premiers jours de l'année 1841, M. Wertheim, désirant appliquer l'hydrothérapie au traitement des maladies de la peau, s'adressa à M. Gibert, qui lui confia quelques malades à partir du 1er juillet. Au mois d'août, M. Wertheim demande quelques hommes affectés de maladies squameuses à M. Devergie, qui les lui confie à son tour.
«Vers la fin de septembre, dit M. Devergie, je reçus dans mes salles plusieurs des malades du service de M. Gibert, sur lesquels le traitement par l'hydrothérapie avait été commencé, la salle où ils se trouvaient ayant été fermée pour y opérer des réparations. C'est ainsi que j'ai pu suivre la presque totalité des malades sur lesquels l'hydrothérapie a été employée.»
Neuf malades ont; été soumis à la médication hydrothérapique ; tous étaient atteints de psoriasis.
La santé générale d'un malade a paru influencée d'une manière fâcheuse par la médication, et, au bout de trois mois, M. Devergie a fait cesser l'hydrothérapie, qui n'avait nullement modifié l'affection cutanée.
Chez les huit autres malades, il n'est survenu qu'une légère
(1) Lubansky, ouvr. cité, p. 484, 485. (1) Vidart, ouvr. cité, p. 147-150.
380 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
diarrhée de peu de durée, ou bien, au contraire, la santé générale a été très-notablement améliorée.
Sur les neuf malades, trois seulement sont sortis guéris sous l'influence seule de l'hydrothérapie ; encore y a-t-il eu récidive chez l'un d'eux, trois semaines après. Les deux autres' guérisons ont-elles été durables ?
Chez six malades, M. Devergie a dû faire suspendre l'hydrothérapie (1).
Ainsi l'hydrothérapie n'est appliquée qu'à UNE SEULE maladie cutanée, — et à laquelle ? — A celle qui disparaît souvent spontanément pour reparaître plus tard, à celle qui guérit fréquemment sous la seule influencé des bains de vapeurs, — au psoriasis. — Et quels sont les résultats obtenus par l'hydrotherapie dans de telles conditions ? — Ceux que nous venons de faire connaître.
Et ce sont ces mêmes résultats que M. Wertheim a osé évoquer tant de fois comme des titres glorieux à l'honneur d'avoir introduit l'hydrothérapie en France! Et ce sont encore ces mêmes résultats qui ont poussé M. Gibert à revendiquer une portion de la gloire de M. Wertheim, dans plusieurs articles adressés aux journaux politiques et dans un rapport récent fait à l'Académie; rapport dans lequel l'honorable secrétaire annuel montre qu'il n'a qu'une connaissance fort incomplète de l'hydrothérapie empirique, et qu'il est totalement étranger aux recherches qui ont eu pour objet de ramener cette médication aux véritables notions de la science (2).
M. Gibert déclare, dans son rapport académique, que familiarisé depuis longtemps, grâce aux leçons et aux exemples de M. Récamieret d'Alibert, avec l'usage interne et externe de l'eau froide, il l'appliquait habituellement en lotions et en com(1)
com(1) Rapport fait au Conseil général des hospices sur les essais tentés à l'hôpital Saint-Louis, concernant l'application de l'hydrothérapie au traitement des maladies de la peau, in Gaz. médic. de Paris, 1843, p. 219
(2) Voy. Gazette des hôpitaux, 1851, nos 114 et 115.
DE LA MÉDICATION SUDORIFIQUE. 381
presses à diverses maladies cutanées, et qu'en compagnie de M. Wertheim, il a retiré d'incontestables avantages des procédés hydrothérapiques contre les maladies de la peau. Pourquoi donc l'hydrothérapie a-t-elle été abandonnée à l'hôpital Saint-Louis, dans le service de M. Gibert lui-même? Où donc se trouvent consignés les succès obtenus par M. Gibert? Ce n'est point dans son Traité pratique des maladies spéciales delà peau? Est-ce dans son rapport au conseil général des hôpitaux à propos des tentatives hydrothérapiques de l'hôpital Saint-Louis ?
Mais M. Gibert commence par déclarer lui-même que ses
essais ont été trop peu nombreux et trop incomplets pour
qu'on puisse en tirer des conséquences bien rigoureuses ; il
ajoute qu'il ne peut fournir des renseignements précis que sur
sept malades.
Or, de ces sept malades,
Deux étaient atteints d'ichthyose ; ils ont paru guéris, mais il y a eu récidive au bout de quelques mois. Deux autres, atteints de psoriasis, ont éprouvé une notable amélioration sans arriver à une guérison entière.
Un cinquième a dû renoncer au traitement, qui paraissait avoir une influence fâcheuse sur l'état de la poitrine. ( Quel était cet état de la poitrine?)
Deux malades ont complétement guéri; l'un d'un prurigo, l'autre d'un psoriasis.
Eh bien ! je porte à M. Gibert le défi de traiter publiquement, par l'hydrothérapie, les malades placés dans son service de l'hôpital Saint-Louis pour des maladies de la peau; et mon défi ne sera point relevé, car M. Gibert sait fort bien qu'il ne rencontrerait que des insuccès.
J'ai soumis à une étude approfondie et consciencieuse l'application de l'hydrothérapie au traitement des maladies de la peau, et voici ce que m'ont appris mes recherches.
L'hydrothérapie, quelle que soit la manière dont on l'applique, est plutôt nuisible qu'utile dans le traitement des maladies
382 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
cutanées avec sécrétion; les affections vésiculeuses, huileuses, pustuleuses, aiguës ou chroniques, se sont presque toujours aggravées sous l'influence de l'eau froide, et jamais elles n'ont guéri.
Dans les dermatoses sans sécrétion, les affections populeuses et squameuses, l'hydrothérapie (sudation, immersions, douches) peut être employée sans inconvénient, ou même avec avantage, à titre d'adjuvant; mais pour obtenir la guérison, j'ai toujours été obligé de lui associer une autre médication. Dans le psoriasis, en particulier, j'ai constamment en recours à un moyen quej'aipréconisé il y a seize ans (1), en m'appuyant sur la pratique de mon excellent ami, M. le Dr Emery, et que, lui et moi, nous avons la satisfaction, aujourd'hui, de voir adopté par ses plus ardents détracteurs d'autrefois ; je veux parler de la pommade au goudron.
Après la guérison des maladies cutanées, l'usage intelligent et prudent de l'hydrothérapie ne peut-il pas rendre d'utiles services pour rétablir définitivement dans ses conditions normales l'état organique et fonctionnel de la peau ? Ne peut-il pas ainsi prévenir les récidives ou, du moins, les rendre moins fréquentes? Je le crois, mais je ne suis pas en mesure de l'affirmer, car pour résoudre de pareilles questions il faudrait avoir suivi un grand nombre de malades pendant plusieurs années.
Les hydropathes parlent sans cesse de maladies de toute nature dues à un vice dartreux latent, et guéries au moyen du développement d'une dartre réapparue, ou née sous l'influence évocatrice ou exphorétique de l'hydrothérapie ; je me suis suffisamment expliqué sur ce point (voy. p. 102-106), et je n'ai pas y revenir ici ; j'ajouterai seulement que, puisque l'hydrothérapie empirique s'attribue une si grande puissance pour découvrir et chasser le vice dartreux, alors que celui-ci se dé(1)
dé(1) Fleury, Mém. et obs. sur le psoriasis, in Arch. gén. de méd., t. XII, p. 410; 1836.
DE LA MÉDICATION SUDORIFIQUE. 383
robe à tous les yeux,, il est bien étonnant qu'elle reste complètement inefficace lorsque ce vice dartreux se présente de luimême aux regards, et se manifeste par des phénomènes cutanés qui constituent à eux seuls toute la maladie !
Les faits et les considérations qui précèdent ne fournissentils pas un nouvel et puissant appui à la doctrine que je défends depuis si longtemps (1), à savoir :
Que rien n'autorise à admettre l'existence d'un vice dartreux , d'une diathèse dartreuse, due à une altération générale spéciale ;
Que les maladies de la peau sont des affections locales, le plus souvent produites par des causes locales, externes, parfaitement appréciables ;
Que la médication externe locale est celle qui réussit le mieux, et que les médicaments internes n'agissent guère qu'à titre de révulsifs.
Serofule.
M. Schedel n'a observé à Groefenberg aucun fait qui lui ait permis d'apprécier l'efficacité de l'hydrothérapie dans le traitement des affections scrofuleuses ; on lui a montré à Freiwaldau une jeune fille qu'un traitement de deux ans et demi, par les sudations forcées, avait, disait-on, guérie de lésions fort graves ; mais aucune vérification n'a été faite (2).
M. Scoutetten rapporte une observation peu concluante : une plaie scrofuleuse du pied droit a guéri pendant la durée d'un traitement hydrothérapique, mais la guérison a été amenée par la sortie de plusieurs esquilles, et rien ne démontre que celle-ci ait été provoquée par le traitement; on comprend encore moins quelle a pu être l'influence exercée par plusieurs
(1) Voy. Maladies de la peau, in Compendium de méd. prat., t. VI, p. 309 et suiv.
(2) Schedel, loc. cit., p. 513 et suiv.
384 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
abcès furonculeux et une éruption déboutons blancs, produits par des applications excitantes (1).
M. Baldou n'hésite pas à déclarer que l'hydrothérapie est le meilleur traitement que l'on puisse opposer à la scrofule, en raison des mouvements d'élimination qu'elle provoque, mais il ne cite aucun fait à l'appui de son assertion (2).
M. Lubansky (3) rapporte trois: observations qui sont fort incomplètes, mais qui néanmoins présentent de l'intérêt et méritent d'être prises en considération.
J'ai trouvé dans les auteurs allemands un grand nombre d'observations de scrofule guérie par l'hydrothérapie, mais les descriptions symptomatiques sont insuffisantes, et jamais il ne ne m'a été possible de constater rinfluence exercée par le traitement; celui-ci d'ailleurs a toujours été, à mon avis ; parfaitement absurde et irrationnel. Préoccupés du désir de chasser de l'économie le vice scrofuleux, les hydropathes s'efforcent de provoquer des éruptions, des furoncles, des abcès, au moyen d'applications excitantes ; pour mettre en jeu l'action explhorétique, éliminatrice, de leur médication, ils abusent des sudations forcées, de l'eau à l'intérieur à haute dose, et j'avoue qu'il m'est impossible d'attribuer une influence favorable à une semblable méthode.
Je n'ai pas eu l'occasion d'appliquer Phydrothéràpie au traitement des affections scrofuleuses, et je le regrette vivement; car je suis convaincu que j'aurais obtenu d'excellents résultas, non point au moyen de l'action altérante et dépurative, mais à l'aide des influences excitantes, résolutives et reconstitutives, exercées par les douches froides.
Ce n'est pas ici le lieu de discuter toutes les doctrines qui ont été émises sur la pathogénie de la scrofule; il me suffira de dire que j'adopte complétement, à cet égard, les opinions bien
(1) Scoutetten, loc. cit., p. 449.
(2) Baldou, loc. cit., p. 349 et suiv.
(3) Lubansky, ouvr. cité, p. 448 et suiv.
DE LA MÉDICATION SUDORIFIQUE. 385
connues de MM. Piorry, Velpeau (1), etc., et que mes recherches eussent été dirigées dans le sens qu'a si bien indiqué M. Bégin dans les termes suivants (2) :
«La tâche du médecin est de faire recouvrer au système sanguin la prépondérance d'action qu'il a perdue, d'exciter les organes élaborateurs du sang. Que l'on analyse tous les moyens qui ont procuré des succès soutenus dans le traitement des scrofules, et partout on reconnaîtra que la maladie ne se dissipe qu'alors que les élaborations rouges et que l'appareil sanguin ont acquis ou recouvré leur prédominance.
«C'est sur la gymnastique médicale que repose tout entier le succès du traitement ; mais le bain froid est un des moyens les plus efficaces que l'on puisse employer, soit pour prévenir, soit pour combattre les accidents des scrofules.»
M. Bégin rappelle alors que Cullen, Tissot, Bordeu, Pujol, Buchan, Leid, ont préconisé cette médication et en ont retiré d'excellents effets.
N'est-il pas à regretter que ces indications aient été mises en
oubli pendant tant d'années, au profit de l'iode et d'une trop
longue mystification, qui, en faisant la réputation et la fortune
d'un homme aussi peu recommandable par son caractère que
par son talent, a engagé un grand nombre de médecins dans
une voie non moins stérile pour la science que fatale pour les
malades (3).
(1) Voyez Compendium de médecine pratique, t. VII, p. 544.
(2) Bégin, Dict. des sciences médicales, t. L, p. 356-364.
(3) NOTE. C'est en parcourant l'article Scrofule du Dictionnaire des sciences médicales, que nous avons eu connaissance, pour la première fois, des recherches faites par M. Bégin sur les effets physiologiques du bain
froid. L'impression déjà avancée de ce livre ne nous permet plus de les exposer dans le lieu convenable ; mais elles sont si exactes, elles confirment si parfaitement ce que nous avons observé et avancé nous-même, que nous pensons être agréable au lecteur en mettant sous ses yeux le passage dans lequel M. Bégin décrit les sensations qu'il a éprouvées en se jetant dans la Moselle au mois d'octobre, par une température qui varia de 2 à 6° R.
" A l'instant où l'on se précipite dans l'eau, on éprouve une vive sensation de refoulement des liquides dans les grandes cavités, et spécialement
25
386 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
Goutte.
La goutte est une des maladies dans le traitement desquelles l'hydrothérapie empirique s'attribue les succès les plus nombreux, les plus remarquables, et c'est ici surtout qu'elle fait
dans le thorax ; la respiration est haletante, entrecoupée, très-rapide; Il semble qu'incessamment elle ne pourra plus s'exécuter ; la peau est pâle, le pouls concentré, petit, profond et dur ; tous les tissus sont rigides; on ne tremble pas, mais il existe un spasme universel avec lequel se concilie à peine la régularité du mouvement ; après deux ou trois minutes au plus, le calme renaît et succède à cet état pénible et presque insupportable ; la respiration s'agrandit, le thorax se dilate, les mouvements sont redevenus libres et faciles, la chaleur se répand sur la peau, toutes les actions musculaires sont vives, légères et assurées. On croit sentir que les téguments et les aponévroses sont appliqués avec plus de force sur les muscles, et que ceux-ci, mieux soutenus, agissent avec plus de précision, plus de force, plus d'énergie que dans l'état naturel. Bientôt une vive rougeur couvre toute la surface du corps; une sensation très-prononcée et très-agréable de chaleur se répand sur la peau ; il semble que l'on nage dans un liquide élevé à 30 ou 36 degrés de chaleur ; le corps semble vouloir s'épanouir afin de multiplier ses surfaces de contact; le pouls est plein, grand, fort, régulier; peu de sensations sont aussi délicieuses que celle qu'on éprouve en ce moment. Tous les ressorts de la machine animée ont acquis plus de souplesse, de vigueur et de fermeté qu'ils n'en avaient précédemment. Les membres fendent avec facilité le liquide, qui ne leur offre plus aucune résistance ; on se meut sans efforts, avec vivacité et surtout avec une légèreté inconcevable. Cette sensation ou plutôt cet état dure 15 ou 20 minutes ; le bien-être diminue ensuite graduellement, et bientôt le froid se fait ressentir ; alors si l'on ne s'empresse de sortir de l'eau, du frisson et bientôt après un tremblement général s'emparent de la machine ; les mouvements deviennent si pénibles, que certaines personnes courraient le danger de se noyer, surtout lorsque le bain se prend dans un fleuve profond. Il ne faut donc jamais attendre le renouvellement complet du froid et la chute entière de la réaction. En sortant un peu auparavant, on n'éprouve aucune sensation désagréable, et en passant de l'eau à l'air, la mutation presque insensible occasionne plutôt un sentiment de chaleur que de froid, malgré le vent et malgré l'évaporation du liquide qui couvre la peau. On observe un fait fort remarquable : c'est que les téguments sont presque insensibles au contact des corps extérieurs; ce phénomène est tel, que le passage du linge avec lequel on s'essuie n'est pas senti, et il est arrivé plusieurs fois que, dans cet état d'orgasme et de con striction du derme, des frictions assez rudes pour enlever l'épiderme n'ont produit aucune sensation perceptible.
DE LA MÉDICATION SUDORIFIQUE. 387
intervenir son action éliminatrice, dépurative, exphorétique, etc.
C'est ici, en effet, que cette action devrait se montrer dans toute sa puissance, et de manière à lever tous les doutes; car il est à peu près généralement admis aujourd'hui que la goutte est le résultat d'une altération générale, caractérisée par la présence dans le sang, d'un élément morbigène, qui, d'après les recherches de Weatheread, de Forbes, de Copland, de Lehmann, et plus récemment de Garrod, serait de l'urée, de l'acide urique ou de l'urate de soude.
Or, si l'on étudie à ce point de vue les observations produites par les hydropathes, on voit que, dans certains cas, la sueur a présenté une odeur ou une coloration particulière, un dépôt blanchâtre plus ou moins considérable ; mais jamais l'analyse chimique n'a démontré d'une manière positive la présence d'un élément morbide ; des débris d'épiderme, des particules provenant des compresses, les sels appartenant à la sueur normale, tels sont les seuls corps que l'analyse a découverts , lorsqu'elle a été faite. Les urines n'ont pas fourni de résultats plus satisfaisants. On a parlé de la présence de sels calcaires dans le pus des furoncles provoqués par le traitement, pais ceci n'est encore qu'une assertion dénuée de preuves.
« En decrivant ici la manière d'agir des bains froids, nous ne prétendons pas généraliser les effets que nous avons éprouvés. Il est incontestable que la constitution du sujet, que l'âge, le sexe, la sensibilité plus ou moins exquise , m difient à différents degrés les phénomènes qui ont été décrits, et rendent la réaction plus ou moins prompte à se développer, plus ou moins vive, plus où moins prolongée.
«Il n'est peut-être pas de sujet, quelque débile qu'il soit, auquel le bain froid ne puisse être avantageux.... Ce qui est fondamental, c'est la réaction sanguine, et il faudrait qu'après l'application d'un excitant aussi énergique le sujet touchât au dernier terme de la débilité vitale pour que cette réaction n'eût pas lieu. Nous avons pu observer que cette réaction se manifeste plus facilement dans l'eau très-froide, et ce qu'il y a d'important, c'est de graduer la durée de l'immersion d'après la force du sujet.... L'usage du bain froid détermine en peu de temps le développement d'une sorte de tempérament sanguin dont les progrès sont très-rapides. »
388 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
Ceci posé, examinons quelle est la valeur de l'hydrothérapie dans le traitement de la goutte aiguë et chronique.
Goutte aiguë. — Traitement de l'accès. Le but de l'hydrothérapie empirique n'est point ici la sédation, mais, au contraire, l'excitation. «Basé sur une hypothèse complétement humorale, Priessnitz veut faciliter l'expulsion de l' humeur peccante, dit M. Schedel, et alors il s'efforce de provoquer des sueurs générales, au moyen de frictions et de compressés excitantes, pratiquées et appliquées sur diverses parties du corps, et même sur le siége du mal.»
Quelles sont les effets de cette méthode? Je n'ai point trouvé dans les écrivains hydropathes des éléments suffisants pouf répondre à cette question d'une manière satisfaisante; tout ce que je puis affirmer, c'est que mes recherches personnelles ne lui ont pas été favorables. La médication excitante augmente l'intensité des douleurs, exaspère tous les accidents locaux et les phénomènes de réaction générale ; elle n'abrége point la durée de l'accès, même lorsque les sueurs surviennent, ce qui n'a pas toujours lieu. Après avoir expérimenté cette méthode sur plusieurs malades et sur moi-même, j'y ai complétement renoncé, et je lui ai substitué, à l'exemple de Scudamore et de Kinglake, les applications réfrigérantes, c'est-à-dire antiphlogistiques et sédatives, aidées de la position. Dès lors j'ai constamment obtenu les meilleurs résultats ; souvent j'ai fait avorter l'accès complétement, et dissipé tous lès accidents dans l'espace de quelques heures; dans les cas moins heureux, j'ai calmé les douleurs comme par enchantement, empêché le développement de la tuméfaction, de la rougeur, et diminué considérablement la durée de l'accès (voyez pag. 175,179).
Traitement des phénomènes successifs. Ici les applications légèrement excitantes et intermittentes, les douches résolutives , sont d'une utilité incontestable et fort grande. Je suis convaincu que c'est en faisant disparaître les altérations locales qui persistent souvent après les accès dé goutte, que l'hydrothérapie empirique, sans s'en douter, a souvent rendu ceux-ci
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moins fréquents, moins intenses, et obtenu ainsi des succès attribués par elle à une action éliminatrice du vice goutteux.
L'eau froide employée à titre d'agent résolutif, la position et la compression méthodique, m'ont rendu des services que j'ai déjà signalés à l'attention des praticiens (voyez pag. 354), et qui seront appréciés à leur juste valeur par tous ceux qui voudront bien s'engager dans la voie que je leur indique. traitement curatif. Nous abordons le point véritablement important de la question. L'hydrothérapie guérit-elle la goutte? Or on entrevoit déjà toutes les difficultés qui environnent la solution.
Les accès de goutte aiguë sont très-irréguliers ; tantôt ils se montrent à. des intervalles très-rapprochés ; tantôt, au contraire, en l'absence de toute médication active, ils sont fort éloignés les uns des autres, séparés quelquefois par un interne de plusieurs années. Pour constater d'une manière certaine l'influence du traitement, il faudrait donc pouvoir suivre les malades pendant un temps fort long, et il est très-rare que le médecin soit mis en demeure de le faire. Heureusement que la goutte aiguë se présente parfois avec
des caractères particuliers, qui vont nous fournir une base plus, solide pour asseoir notre jugement. On sait, en effet, que chez certains goutteux les accès se montrent très-régulièrement, à des époques déterminées de l'année, et affectent ainsi une périodicité à peu près complète ; j'ai connu un goutteux chez lequel, pendant 40 ans, les accès ont eu lieu exactement tous les 22 mois. Dans les cas de ce genre, l'action du traitement se manifeste d'une manière beaucoup plus évidente, et c'est en m'appuyant sur des observations concluantes que je
ne crains pas de proclamer l'efficacité de l'hydrothérapie. Des malades, atteints de goutte depuis longtemps, et ayant chaque
année deux, trois ou quatre accès, ont vu d'abord ceux-ci diminuer de fréquence et d'intensité, et enfin disparaître complètement;
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chez plusieurs d'entre eux, cet état de choses se maintient depuis 2 et 3 années; en sera-t-il toujours de même et la guérison sera-t-elle définitive? Je n'ose l'affirmer, et il faut se demander, d'ailleurs, si les sujets ne feront rien qui soit de nature à provoquer de nouveaux accès ; mais ces résultats n'en sont pas moins assez remarquables pour devoir être pris en sérieuse considération.
Les sudations fréquentes suivies d'immersion ou de douche, l'eau à l'intérieur à haute dose, forment la base du traitement , surtout lorsque les sujets sont forts, sanguins, pléthoriques. Dans les cas de diathèse urique très-prononcée, j'ai souvent associé avec avantage à ces moyens l'usage de l'eau de Vichy à l'intérieur. Dans tous les cas, l'exercice, lé régime peu animalisé, l'abstention des boissons fermentées, alcooliques, sont des adjuvants précieux ou plutôt la condition du succès.
Ici encore, comme on le voit, j'ai pu, sans compromettre le succès de la médication, me tenir en dehors des excès commis par les hydropathes et fondés, comme toujours, sur leur doctrine de la matière peccante. On appréciera les avantages de la méthode que j'ai suivie si l'on en compare les effets à ceux que M. Schedel expose dans les termes suivants :
« M. le Dr C., ayant été pris d'un premier accès de goutte au printemps de 1844, se rendit à Graefenberg, après la guérison de l'accès, afin d'essayer lès vertus prophylactiques dé l'hydrothérapie. Lorsque je le vis pour la première fois en août 1844, il s'y trouvait déjà depuis deux mois environ, L'éruption furonculeuse amenée par le traitement avait été d'une violence telle, que depuis trois semaines il pouvait à peine marcher. Le membre inférieur gauche restait dans une flexion forcée, comme si l'articulation du genou s'était ankylosée. La partie inférieure de la cuisse gauche et le genou offraient une rougeur érysipélateuse, servant de base à des furoncles volumineux. Le long de la jambe, au devant du tibia, on voyait des points où, les bourbillons s'étant détachés, le pé-
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rioste se trouvait mis à nu. Une de ces ulcérations avait l'étendue d'une pièce de 2 francs. Pendant la nuit, la chaleur du lit rendait les douleurs presque insupportables » (1).
Le résultat de cette déplorable médication est-il au moins de guérir la maladie sans retour? Ecoutons encore M. Schedel: « Un goutteux, bien portant du reste, qui s'est soumis à ce traitement, dans l'intervalle des accès, pour arrêter le développement ultérieur de la goutte, doit-il être considéré comme libéré de cette maladie pour l'avenir ? Non, positivement non. Les cas de rechute chez les malades qui avaient longtemps séjourné à Graefenberg sont nombreux et parfaitement constatés. »
Goutte chronique, asthénique. — Tout le monde connaît les différences nombreuses et importantes qui séparent la goutte chronique de la goutte aiguë; tous les praticiens savent aussi combien les indications varient dans le traitement de ces deux formes de la maladie (2).
Ici, en présence de phénomènes morbides permanents, irrégulièrement exaspérés par des accès plus ou moins intenses, l'action du traitement est facile à constater, et les auteurs sont unanimes pour proclamer l'efficacité de l'hydrothérapie, que mettent d'ailleurs hors de doute des observations nombreuses et concluantes.
Sous l'influence de l'eau froide, les engorgements articulaires disparaissent, les ulcérations se cicatrisent, les concrétions calcaires sont résorbées ou éliminées; par son action reconstitutive et tonique, le traitement a prise sur les phénomènes nerveux, et plus encore sur les troubles gastriques auxquels, dans un travail récent, M. Durand-Fardel attribue, avec raison, une si grande part dans le développement de la goutte ; par son administration à l'intérieur, par les applications qui en sont faites à l'extérieur, l'eau froide exerce une influence très-heureuse sur
(1) Schedel, ouvr. cité, p. 446.
(2) Voyez Compendium de médecine pratique, t. IV, p. 345 et suiv.
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les fonctions de sécrétion urinaire et cutanée, auxquelles Sydenham, Cullen, Barthez, Copland, font jouer un rôle si important dans l'histoire de la goutte chronique ; enfin les sudations souvent renouvelées sont d'une utilité incontestable, qu'il n'est guère possible d'expliquer que par une action dépurative, et ici se représente, encore une fois, la question du modus faciendi.
Est-il nécessaire de suivre tous les errements de l'hydrothérapie empirique? Faut-il abreuver d'eau des sujets débilités, cacochymes? Faut-il provoquer des accès et s'efforcer de les rendre aussi violents que possible, afin de favoriser l'expulsion de la matière peccante ? Faut-il abuser des applications excitantes jusqu'à produire ces vastes et nombreux furoncles dont nous avons dépeint, d'après M. Schedel, les affreux ravages,
Je ne le pense pas; je crois qu'on peut obtenir des succès non moins fréquents, non moins complets, non moins durables, en repoussant tous ces excès, que là raison condamne et que l'observation ne justifie point; en évitant tous ces inconvénient tous ces dangers ; en se conformant, en un mot, aux principes de l'hydrothérapie rationnelle et scientifique, dont je me suis efforcé d'établir les éléments dans ce livre. Et mon opinion n'est pas une pure spéculation de l'esprit, une induction théorique; elle repose sur des faits nombreux, parmi lesquels, je choisis le suivant, afin démettre le lecteur à même de juger
avec connaissance de cause.
OBSERVATION.— M. X., habitant la Guadeloupe, est âgé de 52 ans, son père et son oncle maternel ont été goutteux. «Puisqu'il est question de mon oncle, me dit M. X., je vous dirai en passant que ce pauvre homme, le plus goutteux que j'aie connu de ma vie, toujours enveloppé chaudement, chaussé de bas de laine, de souliers! fourrés, a fini, après avoir épuisé tous les traitements imaginables et dans un véritable accès de désespoir, par se débarrasser de toutes ses enveloppes pour suivre un régime entièrement opposé à celui qui lui avait été prescrit pendant tant d'années. Demeurant a le campagne, il prit la résolution de sortir tous les matins bien avant le lever du soleil, en pantalon court, pieds et jambes nus, et de mar-
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cher ainsi dans la rosée et dans l'eau malgré l'humidité, la pluie, et le temps le plus affreux. Au bout de quelque temps, il éprouva un grand soulagement ; les attaques de goutte devinrent de plus en plus rares, et il mourut à 70 ans, n'ayant éprouvé, depuis plusieurs années, aucune atteinte de là maladie qui avait empoisonné son existence. Mon père, qui ne voulut point suivre les mêmes errements, succomba à un accès de goutte remontée bien avant lui!» Jusqu'à l'âge de 28 ans, M. X. a joui d'une santé excellente ; il était très-robuste et fort gros. A cette époque, rentrant chez lui, après avoir chassé pendant deux mois dans les marais, exposé à la pluie, les jambes dans l'eau ou dans la vase, il fut pris, au moment où il déposait son fusil, d'une douleur très-vive dans le gros orteil droit. Cette première attaque de goutte fut très-violente, obligea M. X. à garder le lit pendant plus de quinze jours, et fut suivie, dans l'espace d'une année, de trois autres attaques non moins intenses. En1831, M. X. fut atteint d'une dysenterie chronique qui, pendant deux années, suspendit les attaques goutteuses, mais qui, après avoir résisté à toutes les médications, réduisit le malade à un état désespéré; cependant, l'affection intestinale ayant fini par céder, la goutte se montra de nouveau, d'abord à de longs intervalles, et puis à des époques de plus en plus rapprochées., M. X; fit alors usage du sirop de Boubée qui, pendant quelque temps, lui procura un soulagement notable, et fit cesser presque instantanément les douleurs ; mais son efficacité ne tarda pas à s'user, et bientôt la goutte devint chronique et pour ainsi dire continue, affectant toutefois dans sa marche une, périodicité très-remarquable. " Pendant dix-huit mois, m'écrivait M. X., la maladie a conservé invariablement les caractères suivants: l'attaque avait lieu le vendredi, et nié tenait au lit jusqu'au lundi ; le mardi et le mercredi, je faisais quelques pas dans ma chambre; le jeudi, je sortais appuyé sur le bras de mon domestique, et le vendredi, une nouvelle attaque me forçait à me remettre au lit; la maladie était d'ailleurs devenue universelle, et se montrait alternativement aux pieds, aux genoux, aux épaules, aux mains, à la poitrine, aux lombes, à l'estomac, etc."
En 1840, les douleurs lombaires devinrent tellement violentes et continues, que ledéveloppement d'une maladie de la moelle fut considéré comme probable;
A cette époque, M. X.commença le traitement par les pilules de Lartigue, et il n'eut d'abord qu'à s'en féliciter ; mais, les attaques se reproduisant sans cesse, l'usage du médicament devint presque continuel, et dès lors ses inconvénients habituels ne tardèrent pas
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à se produire; une diarrhée incoercible obligea le malade à abaindonner les pilules.
En 1842, la goutte étant toujours périodique, ainsi que nous l'avons indiqué, de hautes doses de sulfate de quinine furent administrées, mais elles n'eurent pour résultat que de jeter M. X. dans une atonie et une débilité profondes; toute médication fut alors abandonnée pendant deux ans, mais la diarrhée et les troubles des voies digestives ayant acquis une gravité extrême, l'on conseilla à M. X., en 1845, de faire le voyage de France et d'aller à Vichy.
Ce voyage ne fut pas heureux ; les eaux de Vichy, prises pendait quarante jours, à l'intérieur et en bains, rendirent les accès de goutte plus fréquents et plus intenses, et elles n'eurent ancune influence sur les voies digestives: De retour à Paris, M. X. fut traité sans succès par le Dr Comet, et il retourna aux colonies très-découragé et aussi malade qu'à son départ.
En 1846, des hémorrhoïdes se développèrent, et occasionnerent à M. X. de très-vives souffrances, mais en même temps, les accès de goutte cessèrent d'être périodiques et ne se montrèrent plus que tous les trois ou quatre mois; des vésicatoires volants, appliqués sur les articulations tuméfiées et douloureuses, produisirent d'assez bons résultats. Vers la fin de cette année, les hémorrhoïdes, qui avaient résisté à toutes sortes de moyens dirigés contre elles, disparurent spontanément, et les attaques de goutte redevinrent immédiatement plus fréquentes et plus intenses; en désespoir de cause, M. X. recommença l'usage des pilules de Lartigue, et le continua pendant un an, malgré les désordres graves qui se produisirent de nouveau du côté des voies digestives.
Au mois de septembre, le malade prenait la résolution de se soumettre à un traitement hydrothérapique, et s'embarquait pour la France ; le 1er novembre, il s'installait à Bellevue.
État actuel. Amaigrissement squelettique, faiblesse extrême, c'est à peine si le malade peut se traîner; peau d'un gris terreux, sèche, rugueuse, écailleuse. L'appétit est très-capricieux, tantôt nul, tantôt assez vif; lorsque M. X. cède au désir de manger, quelque modéré qu'il soit dans son alimentation, qui se compose de poisson et de viandes blanches, une pesanteur épigastrique commence à se faut sentir vers minuit, et va croissant jusqu'à six heures du matin; alors des gaz fétides se font jour par la bouche, de violentes coliques se manifestent, et plusieurs selles abondantes et liquides ont lieu; alors l'appétit se perd, et pendant plusieurs jours, M. X. ne prend aucune nourriture, puis il recommence à manger ; pendant deux ou trois jours, les digestions sont assez bonnes; mais alors les
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accidents se reproduisent, et depuis plus d'un an, le malade tourne dans ce cercle vicieux sans pouvoir en sortir ; toutes les articulations sont tuméfiées, empâtées, déformées, cependant il n'existe pas de concrétions apparentes. La goutte a repris sa périodicité, les attaques ont lieu tous les vendredis, et sont extrêmement douloureuses. Le malade redoute excessivement le froid, et se surcharge de vêtements chauds.
Le traitement hydrothérapique est immédiatement commencé; pendant l'accès, on met en usage la médication réfrigérante au moyen d'immersions et de compresses sans cesse renouvelées; aussitôt que l'accès est fini, le malade prend le matin une sudation, suivie d'une douche générale, et le soir, une douché en pluie et une douche en jet promenée sur les diverses articulations. Quinze jours suffisent pour rendre les accès beaucoup moins douloureux et moins longs; dès le dimanche soir, M. X. peut prendre sa douche, et pendant les quatre jours suivants, il fait de petites promenades dans le jardin de l'établissement ; ses forces ont notablement augmenté.
15 décembre. L'état général a subi une modification très-remarquable ; la peau a repris son aspect normal, les forces sont satisfaisantes, et M. X. a été plusieurs fois à Paris. L'embonpoint commence à renaître ; la diarrhée a complétement cessé ; l'appétit est régulier, vif, et la digestion facile ; les articulations sont beaucoup moins tuméfiées. Un seul accès a eu lieu dans l'espace de dix-sept jours. 1er février. L'amélioration fait de rapides progrès, l'état général est à peu près complétement satisfaisant ; les articulations sont redevenues mobiles, et ne sont plus douloureuses à la pression. 15 mars. M. X. quitte Bellevue pour retourner à la Guadeloupe ; il n'a ressenti aucune atteinte de goutte depuis six semaines, les fonctions digestives s'accomplissent parfaitement, et le malade se trouve, dans un état de santé et de bien-être qu'il ne connaissait plus depuis vingt ans.
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De la médication antipériodique.
Dans plusieurs circonstances, des phénomènes périodiques,' très-divers d'ailleurs, ont disparu sous l'influence de douches froides excitantes, révulsives, administrées peu de temps avant le retour présumé des accidents, ou même au moment de leur apparition; l'une des observations rapportées dans ce livre ( voyez page 262) offre un exemple curieux de celte action antipériodique de l'eau froide, et dans beaucoup d'autres cas, j'ai fait disparaître de la même manière des céphalalgies, des douleurs névralgiques, des accès fébriles, etc. etc., se montrant d'une façon plus ou moins régulièrement intermittente en l'absence de toute lésion appréciable de la rate.
Un fait, probablement unique dans la science, doit trouver
place ici.
OBSERVATION. — Une dame, chez laquelle une tumeur de l'ovaire
droit donne lieu à d'abondantes hémorrhagies mensuelles et à de fréquentes attaques hystériformes, éprouve, en 1848, une violent émotion morale. Une douleur extrêmement intense se fait sentir au sommet de la tête, et tout à coup les paupières se ferment, sauf qu'il soit possible à Mme X. de les entrouvrir, ni même de les soulever à l'aide des doigts. Plusieurs médecins sont appelés pour faite cesser une cécité qui effraye la malade et désole toute sa famille, mais leurs efforts restent impuissants, et ce n'est qu'au bout de trente-six heures que les paupières se rouvrent spontanément, le globe de l'oeil et la vision n'offrant aucune espèce d'altération.
Depuis ce jour, et pendant dix-huit mois, Mme X. reste sujette!, des accidents contre lesquels toutes les ressources de la thérapeutique sont épuisées en vain, et qui se présentent avec les caractères suivants :
Plusieurs fois dans la journée, et même au milieu de la nuit, pendant le sommeil, trois ou quatre fois dans les vingt-quatre heures, à table, au milieu d'une promenade, au spectacle, dans toutes les circonstances de la vie indifféremment, les paupières se ferment tout à coup, brusquement, sans qu'aucun phénomène précurseur vienne avertir la malade, et lui permettre de se prémunir contre les inconvénients, ou même les dangers, qu'entraîne un
DE LA MÉDICATION ANTIPÉRIODIQUE. 397
pareil accident. La cécité est complète; la contracture des muscles orbiculaires des paupières est telle, que les efforts les plus énergiques faits par la malade ne livrent pas entrée au plus petit faisceau lumineux, et ce n'est que très-difficilement que l'on parvient a écarter les paupières de 2 ou 3 millimètres. Cet écartement forcé est très-douloureux, et ne peut être maintenu au delà de quelles secondes.
L'occlusion des paupières persiste pendant un temps qui varie, en général, entre cinq et dix minutes; alors les paupières se détendent, sont agitées d'un léger tremblement convulsif, s'entrouvrent peu à peu, et quelques minutes après tout a disparu. Pendant l'époque menstruelle, lorsque l'hémorrhagie est abondante, lorsque de vives douleurs se font sentir dans la tumeur ovarique, lorsque des attaques hystériformes ont lieu, l'occlusion des paupières est beaucoup plus fréquente et beaucoup plus longue; souvent elle se reproduit huit ou dix fois dans les vingt-quatre heures, et parfois elle dure un quart d'heure, une demi-heure, ou même plusieurs heures.
Au mois de juillet 1849, Mme X. commence un traitement hydrothérapique pour combattre l'anémie profonde dans laquelle l'ont plongée des métrorrhagies se renouvelant chaque mois depuis plusieurs années; anémie accompagnée d'une altération si profonde du teint, de désordres si graves de la digestion, que de sérieuses inquiétudes ont été conçues sur la nature de la tumeur abdominale, et sur l'issue d'une affection qui paraît devoir se terminer prochainement.
Sans parler ici des bienfaits obtenus du traitement quant a l'état général et aux accidents nerveux hystériformes qui ont entièrement, disparu; sans parler de phénomènes très-remarquables qui se sont produits du côté de la tumeur, je dirai seulement que six serines ont suffi pour faire disparaître cette singulière affection spasmodique des paupières, dont je n'ai trouvé aucun exemple dans les auteurs, et qui n'a jamais été observée par aucun des nombreux confrères auxquels j'ai demandé des renseignements à cet égard. Aujourd'hui l'occlusion des paupières n'a plus lieu que trois ou quatre fois par an, lorsque l'écoulement menstruel a été très-abondant, et accompagné de la douleur de tête que nous avons signalée plus haut.
Indépendamment des phénomènes intermittents dont il vient d'être question, j'ai appliqué les douches froides au traitement
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des fièvres d'accès, et ici de plus longs développements sont
nécessaires.
Fièvre intermittente.
L'idée de recourir aux applications d'eau froide pour combattre la fièvre intermittente parait appartenir à Currie, dont nous avons fait connaître les doctrines et la pratique (voyez page 49 et suiv. ), et dont nous ne rappellerons que les paroles suivantes, parce qu'elles ont été le point de départ de nos recherches.
Quelquefois, dit Currie, les accès ont été prévenus par des affusions pratiquées environ une heure avant l'époque présumée de leur retour, et la maladie a été complétement guérie après quatre ou cinq affusions de ce genre.
Quant à Giannini, dont nous avons également exposé les idées, on a vu qu'il considérait l'immersion comme le remède de l'acces, mais non comme celui de la maladie, et que, quant à cette dernière, il n'attribuait à l'eau froide qu'une action capable de rendre l'administration du quinquina plus facile et plus efficace ( voyez pages 52, 53 ).
Remarquons toutefois que Giannini n'a jamais eu recours aux immersions froides pendant l'apyrexie, et que ce n'est qui l'immersion pratiquée pendant le stade de chaleur de l'accès que s'adressent ces paroles : L'usage exclusif du bain froid ne guérit point la fièvre intermittente.
Il faut arriver jusqu'à l'hydrothérapie empirique pour retrouver l'eau froide appliquée au traitement des fièvres intermittentes , et voici ce que nous apprend à cet égard M. Schedel.
« Il y a quelques années, Priessnitz parait avoir cherche à guérir la fièvre intermittente en procédant à des transpirations plus ou moins prolongées chaque matin, et en donnant ensuite les ablutions froides ou le grand bain. Actuellement il parait
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avoir changé de méthode, et le traitement se divise en deux périodes : celui de l'intervalle des paroxysmes et celui de l'accès lui-même. "
Le traitement de l'accès consiste en frictions avec le drap mouillé pendant le stade de froid ; emmaillottement dans le drap mouillé, fréquemment renouvelé, pendant le stade de chaleur; des ablutions générales, ou des frictions dans un bain partiel, terminent l'opération.
Le traitement mis en usage dans l'intervalle des paroxysmes père peu du précédent : chaque matin, emmaillottement dans le drap mouillé, frictions dans un bain partiel lorsque la chaleur s'est rétablie; ceinture excitante placée autour de l'épigastre et des hypochondres ; eau froide à l'intérieur, à haute dose; exercice ; quelquefois des immersions dans le grand bain et des lavements froids (1).
Ce traitement, on le voit, est celui auquel Priessnitz soumet la presque généralité de ses malades. Quelle est son efficacité? M. Schedel n'a vu, à Graefenberg, que trois personnes atteintes de fièvre intermittente. Une jeune femme ayant une fièvre tierce était traitée sans succès depuis six semaines ; la rate était encore fortement tuméfiée. Un autre malade fut guéri d'une fièvre quotidienne au bout de deux mois. Le troisième palade, atteint d'une affection chronique des voies digestives et d'un engorgement considérable de la rate, fut pris de fièvre tierce après un mois de séjour à Groefenberg ; les accès résistèrent pendant quatre mois à l'hydrothérapie, et ne disparurent qu'après une abondante hématémèse survenue au sortir d'un bain froid.
M. Schedel rapporte ensuite neuf observations empruntées au Dr Fritz , médecin de l'hôpital militaire d'Inspruck, et au Dr Weisse; l'une est un exemple de variole précédée de quelques phénomènes intermittents (obs. 5), et deux autres nous Montrent des affections complexes : fièvre tierce accompagnant
(2) Schedel, ouvr. cité, p. 191-193.
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une éruption herpétique générale, avec tuméfaction des ganglions cervicaux, et disparaissant au bout de dix jours (obs. 7); fièvre quarte d'abord, tierce ensuite, accompagnant une affection gastro-hépatique chronique, résistant pendant deux mois à l'hydrothérapie, et disparaissant après l'évacuation de nombreux calculs biliaires ( obs. 8 ).
Six faits seulement appartiennent donc à des fièvres intermittentes proprement dites, et voici ce qu'ils nous présentent.
1° Un malade affecté de fièvre tierce est traité sans succès pendant deux mois ; on est obligé de recourir au sulfate de quinine ( obs. 4 ).
2° Un malade est guéri d'une fièvre quotidienne en dix jours, mais il avait pris du sulfate de quinine pendant les deux jours qui avaient précédé l'application du traitement hydrothérapique(obs. 2).
3° Deux malades affectés de fièvre quotidienne sont guéris, l'un au bout de neuf jours (obs. 1), l'autre au bout de dix (obs. 3).
4° Un malade affecté de fièvre tierce est guéri au bout de quatorze jours (obs. 6 ).
5° Enfin une malade, atteinte depuis dix mois d'une fièvre quarte, est guérie, au bout de trois mois, par un emmaillottement très-prolongé et une transpiration excessive ( obs. 9).
Voilà ce que nous avons trouvé dans l'ouvrage de M. Schedel : on comprendra dès lors facilement la réserve que cet habile et judicieux médecin a mise dans ses conclusions; on comprendra qu'en présence de faits aussi peu nombreux, aussi peu concluants, pour la plupart, M. Schedel conseille aux praticiens de s'en tenir aux moyens que possède la science, et de ne considérer l'hydrothérapie que comme une de ces ressources ultimes, auxquelles il n'est permis d'avoir récours que lorsque la thérapeutique ordinaire a été infructueusement épuisée(1).
(1) Schedel, loc. cit., p. 205, 206
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M. Scoutetten ne fait aucune mention des fièvres intermittentes, non plus que MM. Engel, Lubansky, et Vidart. M. Baldou s'exprime ainsi à ce sujet:
«La question de l'opportunité et de l'efficacité des applications hydrothérapiques, dans les cas ordinaires de fièvres intermittentes, ne me paraît pas résolue. Les auteurs des ouvrages qui traitent de la méthode citent fort peu d'exemples de ce genre, et les quelques observations qu'on y trouve sont si incomplètes et d'une nature si peu scientifique, qu'il est impossible d'en tirer aucune conclusion ni aucun enseignement. Les quelques essais que j'ai tentés ont eu des résultats variables, et me laissent dans la croyance que, pour arrêter une fièvre intermittente, le sulfate de quinine reste jusqu'ici le meilleur spécifique. Pourtant je conseillerai l'emploi de la méthode hydrothérapique, dans les cas qui se montreront rebelles à l'usage du spécifique indiqué »
Telles étaient les données fournies par la science, lorsque je formai le projet d'appliquer l'eau froide au traitement de la fièvre intermittente, en m'éloignant également des errements de Giannini et de ceux des hydrothérapistes, mais en tenant compte de cette assertion de Currie : Quelquefois les accès ont été prévenus par des affusions pratiquées une heure avant l'époque présumée de leur reretour, et la maladie a été complétement guérie après quatre ou cinq affusions de ce genre. Voici dès lors le terrain sur lequel je me suis placé. J'ai laissé les accès suivre leur marche; aucun modificateur n'a été mis en usage pendant leur durée. Pendant l'apyrexie, je n'ai eu recours à aucun agent pharmaceutique, et je me suis abstenu du régime froid, des boissons à haute dose, des sudations, des lotions, des emmaillottements, etc., prescrits par les hydrothérapistes. Le traitement a consisté exclusivement en douches froides
(1) Baldou, loc. cit., p. 526,527.
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administrées une ou deux heures avant le retour présumé de l'accès, et quelquefois pendant les jours d'apyrexie.
L'eau étant à la température de 14° à 12° centigrades, les malades ont reçu simultanément, une douche en pluie générale, et une forte douche locale, de 3 centimètres de diamètre, dirigée sur la région splénique.
Les observations suivantes feront connaître le modus faciendi auquel je me suis arrêté.
OBSERVATION. — Joseph Glézy, âgé de 18 ans, habite Bellevue depuis le printemps; il est. domestique chez M. Damainville, référendaire à la Cour des comptes.
D une constitution robuste, n'ayant jamais été malade, Joseph Glézy est pris tout à coup de frisson, le 21 août 1847, à midi ; il survient ensuite de la chaleur, de la sueur, et l'accès se termine vers six heures du soir ; les mêmes accidents se reproduisent les jours suivants, et je suis appelé, le 28 août, auprès du malade, que je trouve couvert de sueur et se plaignant d'un mal de tête très-violent. Voici ce que je constate :
La fièvre est quotidienne et parfaitement régulière ; le frisson n'est ni très-intense ni très-long, il n'est pas accompagné de claquement des dents ; les stades de chaleur et de sueur sont très-prononcés , et pendant toute leur durée, le malade éprouve une céphalalgie atroce, qui lui arrache des cris aigus, et détermine parfois une grande agitation et un peu de délire: la durée totale de l'accès est d'environ six heures. Pendant l'apyrexie, le malade éprouve une céphalalgie qui, bien que beaucoup moins intense que celle de l'accès , ne laisse pas de lui être très-pénible; il a du malaise, de la courbature ; l'anorexie est à peu près complète : la région splénique est légèrement douloureuse à la pression; la rate est volumineuse, elle a 14 centimètres et demi dans son diamètre vertical.
29 août. A dix heures du matin, Glézy reçoit une douche en pluie et la douche locale ; il les supporte sans répugnance, la réaction est énergique et très-prompte; le malade se rhabille rapidement, et va faire une promenade d'une demi-heure.
30 août. L'accès a commencé à une, heure, et s'est terminé vers quatre heures ; le frisson a été très-léger, la chaleur moins forte, la sueur moins abondante; mais ce qui a surtout frappé le malade, c'est l'intensité beaucoup moindre de son mal de tête; la rate n'a plus que 12 centimètres. — Seconde douche à onze heures.
31 août. L'accès s'est montré à une heure et demie ; frisson très-
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léger et très-court, chaleur peu intense, presque plus de céphalalgie ; le malade se sent plus fort, l'appétit est revenu; la rate a 11 centimètres. — Troisième douche à onze heures.
1er septembre. La fièvre n'a pas reparu; Glézy se sent tout à fait bien.
10 septembre. Bien que le malade n'ait pris que trois douches, la fièvre n'a pas reparu, la santé est excellente; le diamètre de la rate est de 10 centimètres.
OBSERVATION. — Gabrielle Lucas, âgée de 15 ans, habitant Bellevue depuis trois ans, a été prise de fièvre intermittente, pour la première fois, le 12 août 1847. Les accès sont quotidiens, se manifestent à sept heures du soir, et ne finissent que vers six heures du matin; le frisson est peu intense, mais la réaction est très-vive, accompagnée d'agitation et d'une très-forte céphalalgie. Aucune médication n'est mise en usage jusqu'au 27 août ; l'enfant a perdu l'appétit et ses forces; elle éprouve une grande lassitude générale, qu'il faut attribuer, sans doute en partie, à tant de nuits passées sans sommeil. La région splénique est indolente ; le diamètre vertical de la rate est de 10 centimètres et demi.
Le 27 août 1847, la jeune malade prend une douche à cinq heures du soir; elle en a une grande appréhension, et ce n'est qu'avec peine qu'on parvient a la faire descendre dans là cuve, où elle s'agite et crie.
L'accès né se montre que vers dix heures, et se termine avant cinq heures du matin; la chaleur, l'agitation et la céphalalgie ont été notablement moins fortes ; le diamètre splénique n'est plus que de 9 centimètres le lendemain matin.
Le 28 août, douche à sept heures du soir; l'enfant, plus raisonnable, supporte fort bien la douche; l'accès manque complétement; le diamètre splénique est de 8 centimètres et demi. La jeune malade se refuse à continuer la douche ; la fièvre ne reparaît pas, et au bout de quelques jours, la santé est entièrement satisfaisante.
OBSERVATION. — Eugène Didiot, âgé de 15 ans, d'une constitution robuste, d'une bonne santé, habite Bellevue avec ses parents. Le 7 août 1847, il est pris tout à coup de frisson vers sept heures du soir, et l'accès fébrile ne se termine que vers deux heures du matin; la fièvre se reproduit tous les jours à la même heure, et je suis appelé le 14 août. Le malade a eu sept accès; la fièvre est quotidienne, régulière; le frisson est intense, accompagné de claquements de dents, et dure environ une heure ; il est suivi d'une chaleur intense
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et de sueur ; la durée totale de l'accès est d'environ sept heures. Dans l'intervalle des accès, le jeune malade se plaint d'une céphalalgie continue très-intense; il éprouve de la courbature, un malaise général , l'appétit est à peu près nul ; la langue est couverte d'un enduit jaunâtre; la région splénique est indolente; la rate n'est pas engorgée, son diamètre vertical n'est que de 8 centimètres et demi. Le 14 août, le malade prend une douche à cinq heures du soir, il la supporte gaiement.
15 août. L'accès n'a commencé qu'à neuf heures; il a par conséquent été retardé de deux heures; le frisson a été moins fort et plus court, la céphalalgie moins intense; l'accès s'est terminé vers minuit et n'a duré ainsi que trois heures environ; le malade se sent infiniment mieux ; le malaise, la céphalalgie, ne se font presque plus sentir ; l'appétit a reparu. — Seconde douche à six heures du soir.
16 août. L'accès a manqué complètement; le malade se sent tout à fait bien.
30 août. Le malade, qui n'a pas continué le traitement, a repris sa bonne santé habituelle; la fièvre n'a pas reparu.
OBSERVATION. — Henriette, domestique, âgée de 37 ans, d'une taille élevée, d'une constitution robuste, habite Bellevue pendant l'été avec ses maîtres. L'année dernière, elle a été prise d'une fièvre intermittente quotidienne, qui a cédé à l'administration du sulfate de quinine.
Le 23 mai 1847, Henriette est prise de frisson vers sept heures du matin, et elle éprouve un violent accès de fièvre, qui se reproduit le 25 et le 27 mai ; je vois la malade le 28: la fièvre est tierce; régulièrement périodique; lé frisson est très-intense et duré quatre heures, tandis que la chaleur et la sueur se terminent ordinairement au bout d'une heure. Pendant l'accès, la malade éprouve une très-forte céphalalgie et des douleurs lombaires; dans l'apyrexie elle a du malaise, de l'anorexie et une faiblesse générale qui lui permet à peine de se livrer à ses occupations ; pas de douleurs dans la région splénique ; le diamètre vertical de la rate est de 10 centimètres.
Le 29 mai, Henriette prend une douche à cinq heures du matin; elle la supporte fort bien : l'accès est retardé de deux heures ; le frisson se fait sentir à neuf heures; il est beaucoup moins intense; les douleurs céphaliques et lombaires ont également diminué ; l'accès s'est terminé vers midi et demi.
30 mai. La malade se sent plus forte; elle a mangé avec appétit; la rate n'a plus que 9 centimètres.
DE LA MÉDICATION ANTIPÉRIODIQUE. 405
31 mai: Douche à sept heures du matin; l'accès se montre à midi; il est très-léger, et sa durée totale n'est que de deux heures. La malade se sent complétement bien pendant l'apyrexie. 2 juin. Douche à dix heures du matin; la fièvre ne reparaît plus, et la malade a repris sa santé habituelle.
Des douches sont administrées les 4,6 et 8 juin, la fièvre ne s'est pas montrée; les forces, l'appétit, ont reparu, la santé est excellente; la rate a conservé son diamètre de 9 centimètres.
A l'aide de ce traitement, je me proposais 1° d'exercer sur le système nerveux une perturbation puissante; 2° d'opposer une réaction périphérique énergique, une stimulation de toute l'enveloppe cutanée, au frisson, à la période algide de la fièvre; 3° de modifier la circulation capillaire générale, et celle de la rate, afin de combattre l'engorgement de cet organe.
Onze sujets atteints de fièvre intermittente simple, sans complication aucune, ont été soumis au traitement que je viens d'indiquer. Dix de ces malades ont été traités à l'établissement hydrothérapique de Bellevue, le dernier à l'hôpital de la Charité, pendant que j'y remplaçais M. le professeur Bouillaud. Sur ces 11 malades, on compte 8 hommes et 3 femmes. La fièvre à présenté 7 fois le type quotidien, 3 fois le type tierce, et 1 fois le type double-tierce.
Un homme chez lequel la fièvre était accompagnée d'accidents très-igraves, et qui avait eu déjà dix accès, a été guéri par une. seule douche. Voici cette observation, qui mérite d'être rapportée.
OBSERVATION, - Lazé, marchand de chevaux, âgé de 55 ans demeure à Meudon depuis 35 ans ; d'une constitution robuste, d'une santé habituelle excellente, il n'a jamais eu la fièvre intermittente, si ce n'est une fois, il y a trois ans, et dans les circonstances suivantes : en juin 1844, Lazé reçut un violent coup de timon de voiture dans le flanc gauche; il éprouva une douleur très vive, son ventre se tuméfia, et il survint une fièvre intermittente tierce, dont les accès furent très-prononcés. Des sangsues d'abord, et plusieurs vésicatoires ensuite, furent appliqués sur la région splénique, niais la fièvre persista pendant trois mois et disparut alors sponta-
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nément, sans que du sulfate de quinine ait été administré. La santé de Lazé redevint excellente.
Le 26 juin 1847, à trois heures de l'après-midi, Lazé éprouve un malaise inaccoutumé, bientôt suivi de frisson, auquel succèdent de la chaleur et de la sueur. L'accès fébrile se termine vers dix heures du soir. Le 27, accès semblable au précédent et à la même heure ; le 28, l'accès ne commence qu'à huit heures du soir, le frisson est extrêmement violent, une céphalalgie très-vive se fait sentir, et la fièvre ne cesse que vers six heures du matin; accès semblables les 29,30 juin et 1er juillet.
Le 2 juillet, l'accès se montre à dix heures du soir; le frisson n'est pas intense et dure peu ; mais pendant le stade de chaleur, le malade éprouve une céphalalgie atroce, il survient une agitation extrême , et enfin du délire : Lazé vocifère et veut s'élancer hors de son lit ; plusieurs personnes ne parviennent qu'avec peine à l'y maintenir. L'accès se termine vers huit heures du matin, et laisse le malade dans un état d'abattement et de faiblesse extrêmes.
A partir de ce jour, la fièvre devient tierce, de quotidienne qu'elle était, et des accès, semblables à celui que nous venons de décrire, ont lieu les 4, 6 et 8 juillet; le malade vient me consulter le 10.
Depuis huit jours, la fièvres est régulièrement tierce ; les accès ont une durée de dix heures, et sont accompagnés, pendant la période de réaction, de désordres encéphaliques très-graves. La pression ne produit aucune douleur dans la région splénique; la percussion, pratiquée avec soin, démontre que la rate n'est pas engorgée ; son diamètre vertical n'était que de 9 centimètres; le foie a également son volume normal,
Lazé est extrêmement faible; il éprouve dans toute la tête une sensation de vide; la face est profondément altérée, elle porte l'empreinte de la souffrance et d'une légère stupeur. Le même jour, 10 juillet 1847, le malade prend une douche à six heures du soir.
11 juillet. La fièvre a manqué complétement: Lazé n'a pas éprouvé le plus léger phénomène morbide; il a parfaitement dormi, et ne ressent qu'un peu de fatigue dans les genoux.
Douches les 12 et 14 juillet. Lazé a repris toute sa santé.
Tous les autres malades ont pris plusieurs douches, et chez eux l'effet produit par le traitement a été constamment le même. Dès la première douche, l'accès fébrile est retardé;il ne commence que deux ou trois heures après l'heure habituelle de l'invasion, il est moins intense et plus court; le frisson est
DE LA MÉDICATION ANTIPÉRIODIQUE. 407
abrégé dé moitié ou même des 5/6. La chaleur, la céphalalgie, les symptômes généraux, subissent également une diminution très-remarquable. Là durée totale de l'accès est abrégée, souvent de moitié et quelquefois même davantage. Les phénomènes morbides qui existent pendant l'apyrexie, tels que la céphalalgie, la courbature, le malaise, l'anorexie, la faiblesse musculaire, sont notablement amendés. Enfin la rate diminue graduellement de volume. L'amélioration devient de plus en plus tranchée après chaque nouvelle douche, et enfin tout rentre dans l'ordre, la rate étant ramenée à ses limites physiologiques lorsque celles-ci avaient été dépassées.
Les observations suivantes mettront en évidence les modifications que subit la maladie sous l'influence du traitement.
OBSERVATION. — Bouvet, blanchisseur, habitant le bas Meudon, d'une forte constitution, âgé de 36 ans, a été atteint de fièvre intermittente l'année dernière, à deux reprises : la première fois, la fièvre, à type tierce; a résisté pendant six semaines à l'administration du sulfaté de quinine; la seconde fois, la fièvre, à type quotidien, a duré pendant trois semaines; et lé sulfate de quinine à produit quelques accidents du côté des voies digestives.
Le 16 mai 1847, Bouvet a été repris de fièvre ; l'accès a commencé à onze heures du matin et s'est terminé vers sept heures du soir; le 17, l'accès s'est montré à deux heures et a fini vers dix heures ; le 18, accès à onze heures ; le 19, à deux heures. Je vois Bouvet le 20 mai au matin. La fièvre affecte le type double-tierce; elle est parfaitement régulière ; les accès sont précédés de malaise, de courbature , de douleurs lombaires, et ces prodromes ont une durée de deux heures environ : le frisson est très-intense, avec claquement de dents; il dure une heure et demie: la réaction est trèsvive, accompagnée d'une violenté céphalalgie; la sueur est trèsabondante ; la durée totale de l'accès est d'environ huit heures. La rate est volumineuse, son diamètre vertical est de 14 centimètres. Pendant les accès, une douleur assez intense se fait sentir dans le flanc gauche: le foie est notablement augmenté de volume; il dépasse les fausses côtes de deux travers de doigt, et s'étend dans la région épigastrique. Là face est pâle, altérée, le teint jaunâtre, terfeux; les conjonctives présentent une teinte ictérique très-prononcée; le malade se plaint d'éprouver, même pendant l'apyrexie, une
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céphalalgie très-pénible; les forces sont déprimées, l'appétit est nul.
Le 20 mai, Bouvet prend une douche à huit heures du matin ; la sensation ne lui est nullement désagréable; il se sent plus fort, plus dispos; il lui semble que la fièvre ne viendra pas. L'accès, qui devait commencer à onze heures, ne se montre qu'à une heure vingt minutes : il est, par conséquent, retardé d'environ une heure et demie ; le frisson, beaucoup moins intense, ne dure qu'un quart d'heure au lieu d'une heure et demie ; l'accès se termine vers six heures du soir ; sa durée totale est abrégée, par conséquent, de trois heures et demie.
Le 21 mai, Bouvet prend sa douche à une heure: l'accès,qui devait commencer à deux heures, ne se montre qu'à cinq; il est très-léger et se termine vers huit heures : sa durée a donc été abrégée de cinq heures ; la céphalalgie, ordinairement si violente, s'est à peine fait sentir. La rate n'a plus que 12 centimètres; le facies est meilleur, l'appétit renaît, les forces sont revenues.
22 mai. Douché à deux heures, l'accès manque complétement.
31 mai. Bouvet a pris une douche chaque jour ; la fièvre n'a pas reparu ; le foie est rentré dans ses limites normales ; la teinté ictérique a disparu ; le diamètre de la rate n'est plus que de 9 centimetres et demi. Le sujet assure qu'il ne s'est jamais aussi bien porté depuis un an.
OBSERVATION. — Pauline Lambert, âgée de 18 ans, demeurant à Sèvres depuis deux mois, est employée à la manufacture de capsules de Meudon. D'une constitution assez robuste, bien réglée, ayant toujours joui d'une bonne santé, elle fut prise tout à coup, le 3 août 1847, à neuf heures du soir, d'un frisson intense suivi de chaleur et de sueur. L'accès fébrile se prolongea pendant toute la nuit ; mais, le matin, la malade se sentit assez bien pour retourner à ses travaux. Le 4, à la même heure, un nouvel accès se déclara et suivit la même marche : il se reproduisit tous les jours jusqu'au 20 août, époque à laquelle Pauline Lambert vient réclamer mes soins. Voici ce que je constate:
La malade a eu 17 accès ; la fièvre est quotidienne et parfaitement, régulière; le frisson est intense, accompagné de claquement de dents; il dure environ deux heures ; les stades de chaleur et de sueur sont également très-prononcés, la fièvre ne cessant que vers cinq heures du matin, ce qui porte à huit heures la durée totale de l'accès. La malade n'a point cessé ses travaux, mais elle est loin de
DE LA MÉDICATION ANTIPÉRIODIQUE. 409
se bien porter dans l'intervalle des accès ; elle éprouve, d'une manière continue, de la céphalalgie, du malaise, de la courbature générale ; elle se sent très-faible et n'a presque plus d'appétit; les traits sont altérés, la figure exprime la souffrance, le teint est pâle ou plutôt d'un jaune terreux; la région splénique n'est le siége d'aucune douleur; la rate a 13 centimètres dans son diamètre vertical.
Le 20 août, la malade prend une douche à sept heures du soir; elle la supporte très-bien et sans répugnance: la réaction s'opère peu.
21 août. L'accès n'a commencé qu'à onze heures, le frisson a été moins intense, moins long, la chaleur moins forte, la sueur moins abondante; en un mot, l'accès a été plus court et plus faible; la malade se sent mieux, plus forte; elle a mangé avec plus d'appétit; fie mal de tête, le malaise, la courbature, ne se font pas sentir au Sème degré ; la rate ne présente plus que 11 centimètres et demi de hauteur. — Seconde douche à sept heures du soir. 22 août. L'accès a commencé à minuit; il a été très-faible et trèscourt; frisson léger sans claquement de dents, sueur peu abondante. La malade se sent tout à fait bien. La rate n'a plus que 10 centimètres. — Troisième douche.
23 août. L'accès a manqué complétement. 15 septembre. — La malade a pris goût aux douches froides, qui, dit-elle, lui donnent de la force; la fièvre n'a pas reparu : le teint est coloré, l'appétit très-vif, la santé parfaite; le diamètre vertical de la rate est toujours de 10 centimètres.
J'ai établi précédemment (voyez page 285-287) que chaque douche diminue notablement et immédiatement le volume de la rate; que celui-ci augmente de nouveau dans l'intervalle qui séparé les douches les unes des autres, sans atteindre toutefois ses limites premières, et que c'est en passant ainsi par des alternatives d'accroissement et de décroissement que la rate revient enfin à ses dimensions normales. Les observations suivantes mettront en évidence cette influence Si remarquable et si importante des douches froides.
OBSERVATION. — Marc, jardinier, habitant Meudon, âgé de 35 ans, a été atteint d'une fièvre quotidienne le 15 août 1846; il a
pris du sulfate de quinine, mais trois fois la maladie a récidivé, huit ou dix jours après le dernier accès. A chaque récidive, les deux
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premiers accès ont été très-violents, accompagnés de délire, de vomissement et de diarrhée ; au troisième accès, la fièvre devenait plus bénigne. Pendant l'automne de 1846 et l'hiver de 1847, Marca eu presque constamment la fièvre; il est entré à l'hôpital Beaujon, où l'on a constaté un développement considérable de la rate. Pendant dix-huit jours, Marc a pris chaque jour 60 centigrammes de sulfate de quinine; la fièvre a été coupée à la troisième dose; mais elle récidivait huit jours après la sortie de Marc de l'hôpital.
Marc rentre à l'hôpitai le 18 mai 1847; il est placé dans le service de M. Legroux et couché au n° 68 de la salle Beaujon. Les accès sont quotidens, aussi violents que ceux de l'été précédent, et se manifestent pendant la, nuit. On reconnaît que la rate présente toujours un volume considérable, et l'on prescrit le sulfate de quinine à la dose de 60 centigrammes d'abord, et ensuite de 1 grain. Au bout de huit jours de ce traitement, le malade éprouve de fortes douleurs épigastriques et une sensibilité très-vive de l'hypochondre droit. On suspend tout traitement pendant quelques jours, et l'on prescrit ensuite le vin de quinquina.
Marc quitte une seconde fois l'hôpital le 3 juin 1847; les accès sont moins violents, mais ils se manifestent régulièrement toutes les nuits. Le malade vient me consulter le 23 juin, et je constate l'état suivant, conjointement avec le Dr Baud, de Meudon. Marc présente à un haut degré tous les caractères de la cachexie paludéenne; il est très-amaigri; son teint est d'un jaune terreux; ses forces sont tellement affaiblies qu'il ne peut plus se livrer à ses occupations ; la marche le fatigue et l'essouffle; ce n'est qu'a grand, peine qu'il peut faire le trajet de Meudon à Bellevue; le malade éprouve souvent des palpitations; l'examen attentif du coeur ne dénote cependant aucune lésion, mais il fait reconnaître que le premier bruit est éclatant et métallique, et que l'impulsion est très-faible. Le pouls est petit, dépressible; il existe un bruit de souffle très-marqué dans les vaisseaux du cou. L'appétit est nul. la rate forme dans le flanc gauche une tumeur appréciable à l'oeil, la percussion et la palpation montrent que cet organe a pris un développement énorme; il descend en effet jusque vers la fosse illaque, et s'étend jusque vers le flanc droit. Le diamètre verticales' de 23 centim., le diamètre transversal de 15. Ces limites correspondent exactement à des lignes qui ont été tracées à l'hôpital Beaujon, à l'aide du nitrate d'argent. Marc a toutes les nuits un accès fébrile qui ne cesse que vers le matin ; le frisson est peu intense, mais la période de réaction est accompagnée d'agitation,de palpitations, de battements artériels, de céphalalgie.
DE LA MÉDICATION ANTIPERIODIQUE. 411
Le 24 juin 1847, Marc prend une douche à huit heures du matin, et l'on agit énergiquement sur la région splénique. La rate, mesurée immédiatement, a diminué de 2 centimètres vers le creux auxillaire et de 7 centimètres vers la fosse iliaque. A cinq heures dit soir, seconde douché ; la percussion, pratiquée avant la séance, montre que là rate a repris ses limites supérieures, mais qu'inférieurement, son volume primitif est moindre de 3 centim. Après la douche, on reconnaît que l'organe est revenu aux dimensions qui ont été constatées après la douche du matin. L'accès fébrile de la nuit à été plus court et moins intense, surtout quant à la céphalalgie et à l'agitation.
25 juin. Douche à huit heures du matin. En comparant le volume actuel de la rate à son volume primitif, on constate, avant la séance, qu'il est moindre de 1 centim. en haut et de 3 centim. en bas; après la séance, la diminution est de 3 centim. en haut et de 8 en bas. —Douche à sept heures du soir. L'accès fébrile à été très-léger. La nuit a été calme, et Marc a dormi d'un sommeil qu'il ne connaissait plus depuis longtemps, Le 27 juin, la rate ne présente plus que 12 centimètres dans son diamètre vertical et 8 dans son diamètre transversal ; les forces sont revenues, Marc a repris son travail, et « court comme un lapin, » suivant ses expressions. L'appétit commence à se faire sentir. - 2 douches.
Le 28 juin, la fièvre a manqué complétement. 30 juin. La rate à 9 centimètres verticalement et 7 transverlement; Marc ne s'est jamais si bien porté depuis dix-huit mois ; Il a retrouvé toutes ses forces, et il prétend qu'il n'a plus le temps de venir prendre ses douches. Je lui prescris des pilules ferrugineuses.
20 juillet. Les palpitations, les bruits anormaux, ont disparu; Marc à notablement engraissé, le teint est coloré, la santé parfaite.
OBSERVATION. — Chinardel, âgé de 28 ans, plombier, d'une forte constitution, d'une bonne santé habituelle, habite Paris depuis
vingt-cinq ans, et n'a jamais éprouvé aucune incommodité. Il y à deux mois, il à été obligé d'aller à Tours pour des travaux de sa profession-, au bout de quinze jours, il fut pris d'une fièvre intermittente fort irrégulière. Les accès, caractérisés par des frissons suivis de chaleur et de sueur, par de la courbature, de la céphalalgie, un sentiment de faiblesse générale, se montraient tantôt plusieurs fois par jour ; tantôt une fois par jour, tantôt enfin de deux jours l'un seulement. Chinardel entra à l'hôpital ; on lui donna du
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sulfate de quinine, qui, dès le premier jour, coupa la fièvre. Au bout de quinze jours, il sortit parfaitement guéri, et, douze jou après, il se rendit à Bardeaux; là, les mêmes accidents se repr duisirent; le malade garda le lit pendant quinze jours sans avoir recours à aucun traitement, et au bout de ce temps il revint à Par où il entra à l'hôpital de la Charité, salle Saint-Charles, n° 15, 5 octobre 1847.
État actuel. Le malade présente un état cachectique très-prononcé; les yeux et les conjonctives ont une teinte jaune assez in tense; les yeux sont très-ouverts et légèrement hagards ; les fonctions intellectuelles sont déprimées; les réponses du malade sont lentes; il existe une céphalalgie continuelle; appétit presque nul, soif modérée, langue naturelle; ventre souple et indolent; respiration faible et fréquente; pouls à 80 pulsations par minute; les forces sont complétement anéanties; le malade est incapable de se lever de son lit. L'examen des organes respiratoires ne fait rien découvrir d'anormal; celui des organes circulatoires fait constater un bruit de souffle doux et moelleux au premier temps, et un bruit de souffle intermittent dans les vaisseaux du cou. La région splénique est indolente, mais la rate est très-volumineuse; son diamètre vertical est de 18 centimètres. Le malade est mis eu observation pour étudier les caractères et la marche des accès fébriles.
fébriles.
13 octobre. Le malade a une fièvre quotidienne parfaitement régulière; il a eu chaque jour un accès; celui-ci commence vers sept heures du soir ; le frisson est intense, avec claquement de dents, la sueur est très-abondate ; le malade mouille plusieurs chemises l'accès ne se termine que vers, six heures du matin. L'état général n'a point changé, si ce n'est que la faiblesse générale a encore augmente.
Ce même jour, 13 octobre 1847, Chinardel prend une douche à cinq heures du soir. Elle lui cause une impression très-vive ; l'accès est retardé de quatre heures ; il ne commence qu'à onze heures du soir, et se termine aubout de deux heures ; le frisson est moins intense, la sueur beaucoup moins abondante.
14 octobre. A la visite du matin, le malade assure qu'il se sent déjà plus fort; le facies est meilleur, les réponses sont plus nettes et plus vives. Le diamètre splénique n'est plus que de 15 centimètres Douche à cinq heures du soir. L'accès commence à onze heures et demie et ne dure que trois quarts d'heure.
15 octobre. Le malade, qui mangeait à peine une portion, demande qu'on augmente la quantité de ses aliments. Jusqu'à présent
DE LA MÉDICATION ANTIPÉRIODIQUÉ. 413
a fallu le porter à la douche, mais il assure qu'aujourd'hui il
ijlirras'y rendre tout seul. La hauteur de la rate est de 14 centimèDouche
centimèDouche cinq heures du soir. L'accès ne se montre qu'à minuit
demi; et duré trois quarts d'heure.
16 octobre. La couleur de la peau et des conjonctives est moins e;l'état général s'améliore rapidement; le facies est bon; le mae a de la vivacité , de l'appétit , et ses forces reviennent ; il reste é pendant plusieurs heures. La hauteur de la rate est de 12 cenmètres. Douche à cinq heures. L'accès commence à une heure un rt; il est très-léger et très-court. Le 17, même état.
18, la hauteur de la rate est de 11 centimètres et demi. L'état néral est très-bon, et le malade se considère comme guéri. Douche nq heures du soir. La fièvre fait complétement défaut. 19, même état.
20, le malade mange trois portions ; il s'est levé pendant toute
journée. La hauteur de la rate est de 11 centimètres.
34, la fièvre n'a pas reparu; le teint est naturel ; le malade est
ablement engraissé ; les forces sont complétement revenues, la
teur de la rate n'est plus que de 9 centimètres; Chinardel ne veut
rester à l'hôpital, et exige son exeat.
OBSERVATION.- Gouret, blanchissseur du bas Meudon, âgé de
ans; a été pris de fièvre intermittente tierce, le 17 août 1846.
puis cette époque, c'est-à-dire depuis neuf mois, les accès se sont
que constamment reproduits; ce qu'il faut attribuer, peut-être,
ne administration peu méthodique du sulfate de quinine. En
t, la fièvre adisparu plusieurs fois sous l'influence de ce médicaent,
médicaent, celui-ci étarit aussitôt suspendu, celle-là reparaissait
out de quelques jours. Le 9 avril 1847, après une apyrexie de
fois semaines, intervalle le plus long qui ait été observé, la fièvre
se montre de nouveau, et pendant un mois on ne lui oppose aucun
aucun Le 9 mai, on prescrit à Gouret 76 centigr. de sulfate
sulfate quinine mélangés à 1 gram. de rhubarbe et divisés en 12 pauets
pauets Le malade en prend deux par jour. La fièvre cesse le
3; le médicament est suspendu le 15, et la fièvre reparaît le 17, affectant
affectant fois le type quotidien.
Je vous le malade le 21 mai 1847: la fièvre est régulière; les accès commencent chaque jour vers onze heures et demie du matin et nt une durée totale d'environ quatre heures. Le frisson, très-violent, accompagné de claquement de dents, dure une heure ; une céphalalgie très-intense se fait sentir pendant la période de réaction. Le
414 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE,
malade a considérablement maigri ; ses forces ont diminué à tel point qu'il peut à peine se livrer à ses occupations habituelles, bien qu'elles n'exigent point de grands efforts musculaires; la marche le fatigue beaucoup; la face est altérée, le teint d'un gris sale, l'appétit presque nul. La rate est très-volumineuse; son diamètre vertical est de 15 centim. et demi ; le foie ne dépasse point ses limites physiologiques. Le même jour, 21 mai 1847, Gouret prend une douche à huit heures du matin. L'accès ne commence qu'à midi trois quarts; il se termine vers trois heures un quart, et présente, par conséquent, une durée plus courte de moitié, quoique le frisson n'ait rien perdu de son intensité.
22 mai. La rate a diminué d'un demi-centimètre. Douche à midi. Vers deux heures, le malade a quelques bâillements ; il éprouve le besoin de se détirer les membres, mais le frisson ne se montre point, et tout rentre dans l'ordre au bout de dix minutes.
23 mai. Douche à deux heures. La fièvre manque complétement, Gouret sent renaître ses forces et son appétit ; le faciès, le teint, sont beaucoup meilleurs. Le diamètre de la rate est de 11 cent et demi.
31 mai. Gouret a pris une douche chaque jour; ses forces sont complètement revenues ; la santé est parfaite ; le diamètre splénique ; est de 10 centimètres.
L'âge et le type de la fièvre ne m'ont paru exercer aucune influence appréciable sur l'efficacité du traitement; il n'en est pas de même quant au volume de la rate. En effet, chez les malades qui ont guéri avec 1 ou 2 douches, cet organe n'avait que 8 et demi, 9 et 10 et demi cent, de diamètre vertical. Chez les malades dont la fièvre n'a été coupée qu'après la 3e douche, le diamètre splénique était de 11, 13,14, 14 et demi, et 15 et demi cent. Enfin, chez deux malades qui ont dû prendre 5 douches, ce diamètre était de 18 et 23 cent.
Si maintenant, à l'aide des observations qui ont été rapportées, on cherche à apprécier l'efficacité des douches froides dans le traitement de la fièvre intermittente, voici les résultats auxquels on arrive :
Sur 11 malades soumis au traitement, 7 étaient affectés de fièvre récente et avaient éprouvé de 3 à 17 accès (nombre des accès : 3,4,7, 8,10,15,17). La rate avait conservé 2 fois ses
DE LA MÉDICATION ANTIPÉRIODIQUE. 415
dimensions normales; 5 fois, au contraire, elle présentait une augmentation de volume plus ou moins considérable, son diamètre vertical variant entre 10 et 14 cent, et demi.
Ces 7 malades ont guéri. Chez l'un d'entre eux, une seule douche a suffi pour couper complétement la fièvre ; chez deux autres, 2 douches ont été nécessaires pour obtenir ce résultat et pour ramener la rate à son volume normal; les 4 derniers malades ont dû prendre 3 douches.
3 malades étaient affectés de fièvre intermittente ancienne (âge de la fièvre ; 2, 9,10 et 11 mois), ayant récidivé plusieurs fois et résisté à l'administration plus ou moins méthodique du sulfate de quinine.
Chez 3 d'entre eux, la rate avait acquis un développement considérable, son diamètre vertical étant de 15 et demi, 18 et 23 cent.
Ces 3 malades présentaient à un degré variable les caractères de la cachexie paludéenne; amaigrissement, anorexie, grande faiblesse musculaire, face altérée, teint jaune et terreux, anémie.
Ces 3 malades ont guéri. 3 douches dans deux cas, 6 douches dans un autre, ont suffi pour couper la fièvre; mais 8 à 11 douches ont été nécessaires pour faire disparaître les symptômes cachectiques et ramener un état de santé complétement satisfaisant.
Dans tous les cas, 2 à 4 douches ont suffi pour amener une amélioration très-remarquable dans les symptômes accessoires, tels que la céphalalgie, l'anorexie, la courbature, la faiblesse musculaire, etc.
Les faits que je viens de résumer m'ayant démontré l'efficacité des douches froides contre la fièvre intermittente, je dus rechercher si ce traitement était également propre à prévenir les rechutes. Or les 10 malades qui ont été traités à l'établissement hydrothérapique de Bellevue habitent tous des localités où la fièvre est endémique ; et comme tous avaient reçu des soins gratuits et subi le traitement sans répugnance, j'étais
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certain qu'ils auraient de nouveau recours à l'eau froide, à l'apparition du premier symptôme fébrile. Aucun ne s'est présenté une seconde fois. Je ne me suis point contenté de cette donnée; j'ai revu tous ces malades au bout de plusieurs mois, et j'ai acquis la certitude qu'aucune récidive n'avait eu lieu.
Si l'on considère que les faits pathologiques sont essentiellement comparables; que les effets produits par les douches froides ont été constamment les mêmes; si l'on tient compte de l'action exercée par elles sur les engorgements viscéraux , sur l'anémie et la cachexie ; si l'on remarque que toutes ces fièvres étaient le résultat d'une endémie paludéenne, qu'elles ont été observées et traitées dans le foyer marécageux, et qu'elles n'ont point récidivé; si l'on veut bien reconnaître enfin que je me suis placé dans toutes les conditions les plus rigoureuses de l'observation clinique et de l'expérimentation thérapeutique, on ne confondra pas, je pense, la médication par les douches froides avec les nombreux modificateurs qui peuvent accidentellement guérir ou suspendre une fièvre intermittente.
L'efficacité des douches froides a d'ailleurs été constatée, dans des circonstances très-remarquables, par un médecin dont on ne suspectera pas l'impartialité, puisque ses efforts tendent à faire prévaloir un médicament nouveau, destiné, selon lui; à remplacer le quinquina.
« Pendant l'été très-chaud de 1847, dit M. le docteur Baud (1), la commune de Meudon, où j'exerçais alors la médecine, fut soumise à une épidémie de fièvres et de diverses affections paludéennes , dont toutes les phases furent évidemment calquées sur celles de l'abaissement de niveau, par évaporation, des nombreux étangs disséminés sur le territoire de la commune. Bien rares et bien privilégiés furent les malades qui n'eurent pas à lutter, par d'incessants retours à l'usage du sulfate de qui(1)
qui(1) Nouveau mode de traitement des maladies périodiques, p. 5; Paris, 1850.
DE LA MÉDICATION ANTIPÉRIODIQUE. 417
nine, contre les incessantes récidives d'une fièvre incoercible. «Je ne fus pas de ce petit nombre, et pourtant c'est avec une consciencieuse vigueur que je m'étais administré le spécifique au début, aussi bien que dans les rechutes multipliées d'une fièvre tierce, qui m'enlevait à mes malades au moment où je leur étais le plus nécessaire.
«A bout de moyens, lisant le fatal : Medice, cura te ipsum ! sur la figure des nombreux récidives qui gémissaient autour de moi de l'impuissance du quinquina, j'eus recours aux douches froides, moins désireux encore d'obtenir ma guérison définitive que de faire jouir mes compagnons d'infortune du résultat de ma tentative, si elle réussissait. Une seule douche, prise au moment même du début d'un accès qui s'annonçait très-intense, suffit pour me guérir sans retour! Des cures radicales, un peu moins rapides seulement, furent obtenues sur divers fiévreux, cures dont le docteur Fleury. agrégé à la Faculté, a donné la relation, dans une notice adressée, l'année dernière, à l'Académie des sciences. » Je n'ai pas à rechercher ici pourquoi M. le Dr Baud, après avoir observé sur lui-même et sur beaucoup de ses malades la merveilleuse efficacité d'une médication si facile et si peu dispendieuse, s'est efforcé, au lieu de, travailler à sa propagation, de découvrir un fébrifuge nouveau et de faire prévaloir l'hydroferro-cyanate de potasse et d'urée; il me suffit de montrer qu'il a été mis à même de constater, dans des circonstances décisives,
la supériorité des douches froides sur le sulfate de quinine, De ce qui précède, et sauf observations nouvelles, je crois donc pouvoir déduire les propositions suivantes : 1° Dans le traitement de la fièvre intermittente récente, simple, périodique, avec ou sans engorgement de la rate, les douches froides peuvent être substituées au sulfate de quinine. En est-il de même pour les fièvres pernicieuses ? Deux de nos observations semblent le prouver, mais on ne saurait encore l'affirmer. 2° Dans le traitement de la fièvre intermittente ancienne,
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418 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
périodique ou irrégulière, ayant récidivé plusieurs fois et résisté à l'administration méthodique du sulfate de quinine, accompagnée d'un engorgement considérable et chronique de la rate ou du foie, de phénomènes cachectiques, anémiques, c'est-à-dire dans le traitement de l'intoxication paludéenne chronique, les douches froides doivent être préférées au sulfate de quinine. Plus rapidement et plus sûrement que celuici , elles coupent la fièvre, ramènent les viscères à leur volume normal, et font disparaître les phénomènes anémiques et cachectiques , sans que l'on ait à redouter les accidents que les hautes doses de sulfate quinique déterminent si fréquemment du côté du système nerveux et des voies digestives.
3° L'action curative des douches froides est complète; car non-seulement elle guérit la maladie, mais aussi elle en prévient les rechutes.
Je prie toutefois le lecteur de bien remarquer qu'en proclamant la supériorité des douches froides pour guérir nonseulement la fièvre et les congestions viscérales, mais encore, et ceci est bien plus important, l'empoisonnement miasmatique, l'anémie, la cachexie paludéennes, je n'entends établir cette supériorité qu'à l'égard du sulfate de quinine, et nullement quant au quinquina, que je n'ai pas expérimenté comparativement.
C'est qu'en effet, sans contester les précieux avantages justement attribués au sel quinique, je crois, avec tous les hommes qui ont pratiqué dans les grands foyers endémiques, que l'introduction de ce médicament dans la thérapeutique a exercé une influence funeste sur un grand nombre de médecins, en leur faisant oublier que, si le sulfate de quinine est le remède de la fièvre intermittente, le quinquina reste celui de l'intoxication paludéenne,
DE LA MÉDICATION HYGIÉNIQUE ET PROPHYLACTIQUE. 419
De la médication hygiénique et prophylactique.
Ce que nous avons à dire ici n'est que le corollaire de ce qui précède.
Nous avons montré l'influence exercée par l'eau froide sur le tempérament lymphatique ; il est acile d'en déduire l'utilité qu'il y aurait à recourir à ce modificateur pour combattre cette disposition organique non - seulement chez les adultes, mais encore et surtout chez les enfants, qui, dès l'âge le plus tendre, à deux ans par exemple, peuvent être soumis sans danger à des ablutions froides générales, et qui, à quatre ou cinq ans, prennent, pour la plupart, les douches non-seulement sans répugnance, mais encore avec plaisir.
Substituer au tempérament lymphatique un tempérament sanguin acquis; prévenir les affections scrofuleuses; favoriser le développement physique et intellectuel de l'enfant; rendre facile l'établissement de la puberté, de la menstruation ; éloigner les causes les plus fréquentes de l'hystérie, de la chlorose, d'un grand nombre de maladies nerveuses, de la grossesse pénible, de l'avortement : tels seraient les résultats produits par l'introduction des applications froides dans l'hygiène de l'enfance.
Tous les praticiens connaissent le rôle important que joue, en pathogénie, l'état organique et fonctionnel de l'enveloppe cutanée. Or, s'il est un fait acquis, incontestable, généralement accepté, c'est que les individus les plus sujets à contracter, sous l'influence du froid, de l'humidité, des vicissitudes atmosphériques, un coryza, une bronchite, la diarrhée, une angine, «ne névralgie, un rhumatisme, etc., perdent complétement cette susceptibilité lorsqu'ils ont suivi pendant quelque temps un traitement hydrothérapique. J'ai vu des hommes redoutant jusqu'au ridicule le moindre courant d'air, occupés sans cesse
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à se préserver du froid et de l'humidité, couverts de flanelle, affublés de vêtements chauds de toutes sortes, et toujours malades , malgré tous ces soins ; je les ai vus, après avoir passé une saison à Bellevue, renoncer à toutes précautions, se dépouiller de leur flanelle et de leurs vêtements supplémentaires, braver les intempéries des saisons, et ne plus être atteints d'aucune des affections dont ils avaient été sans cesse affligés pendant une partie de leur vie. L'action prophylactique exercée ici par l'hydrothérapie ne saurait être prise en trop sérieuse considération, et elle s'est manifestée d'une façon trèsremarquable pendant les épidémies de grippe qui, depuis six ans, ont sévi en France. A Bellevue, la maladie régnante a constamment épargné toutes les personnes qui subissaient le traitement hydrothérapique, tandis qu'elle a frappé avec plus ou moins de violence sur celles qui n'étaient point soumises à l'action de l'eau froide. Il en a été de même à l'époque de l'épidémie de 1849. Le choléra, qui avait complétement épargné Bellevue en 1832, quoique sévissant avec violence à Meudon, au bas Meudon, à Sèvres, à Chaville, et dans beaucoup de communes environnantes, le choléra ne s'y est pas montré davantage en 1849; mais les diarrhées, les cholérines, y ont été assez fréquentes. Or la plupart des personnes attachées à l'établissement hydrothérapique ont payé ce tribut à l'épidémie, mais tous les malades suivant le traitement ont été épargnés. Moi-même, soumis à de grandes fatigues, obligé de répondre aux exigences d'une double clientèle, à Bellevue et à Paris, je fus pris d'une cholérine intense qui, pendant huit jours, résista à tous les moyens préconisés en pareille circonstance,à l'opium, aux purgatifs, etc. Je pris alors la résolution d'avoir recours à l'hydrothérapie ; trois jours de sudation et de douches me débarrassèrent complétement.
L'introduction des applications froides dans l'hygiène des femmes , et principalement de celles qui appartiennent aux classes les plus riches de la société et qui habitent les grandes villes, serait un immense bienfait.
DE LA MÉDICATION HYGIÉNIQUE ET PROPHYLACTIQUE. 421
L'énorme fréquence, parmi les femmes du monde de Paris, de la chlorose, de l'anémie, de l'hystérie, des névroses, des névralgies, des gastralgies, des maladies nerveuses de toutes sortes, des palpitations, des avortements, de la fièvre puerpérale, des déplacements et des engorgements de l'utérus, n'estelle point due à l'oubli de toutes les règles d'une bonne hygiène?
Enfermées dans des appartements hermétiquement clos, surchargés de meubles, de tapis, de rideaux, de portières, chauffés par des calorifères qui y entretiennent une atmosphère sèche, viciée, et une température beaucoup trop élevée qui change toutes les conditions du climat; faisant du jour la nuit, et de la nuit le jour ; s'épuisant par des veilles, des bals, des spectacles, où, pendant plusieurs heures, elles restent exposées à l'action délétère d'un air confiné, altéré par les bougies et les lampes, par la respiration et les émanations d'un nombre d'hommes vingt fois plus considérable que ne le comporte l'étendue de l'espace qui les contient ; exposées aux influences de mille causes débilitantes, que font les femmes du monde pour contre-balancer l'action d'un si grand nombre d'agents morbigènes ?
Elles condamnent leur système musculaire à une inertie à peu près absolue ; elles ne se permettent qu'une alimentation insuffisante et mal choisie; elles abusent, jusqu'à l'extrême excès, des bains tièdes, des lavements tièdes, des injections tièdes, des ablutions tièdes, des émollients, des débilitants ; elles semblent prendre à tâche, en un mot, de favoriser l'action de toutes les causes de maladies qui pèsent sur elles.
Je suis intimement convaincu que l'eau froide substituée à l'eau tiède aurait des avantages considérables, et qu'elle apporterait le plus heureux changement dans un état de choses qui compromet non-seulement la santé des femmes du monde et leur bonheur domestique, mais encore le sort des générations futures.
Enfin j'ai vu des hommes âgés de 66, de 70, de 72 ans, se
422 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
soumettre à un traitement hygiénique, consistant en douches générales très-courtes, et en retirer de très-bons effets au triple point de vue de l'énergie musculaire, de l'accomplissement des fonctions digestives et de l'activité des fonctions génitales et urinaires.
En résumé, il est fort à désirer que, conformément à un usage déjà très-répandu en Angleterre , en Allemagne et en Amérique, les ablutions et les bains de pluie froids s'introduisent , en France, dans les habitudes quotidiennes de l'hygiène privée, et même qu'ils interviennent dans les mesures que prend le gouvernement dans l'intérêt de l'hygiène publique et populaire.
lies médications hydrothérapiques complexes.
Nous nous sommes efforcé, dans les pages qui précèdent, de décomposer la médication hydrothérapique, afin de nous rendre un compte exact des différentes influences qu'elle exerce sur l'organisme , des indications auxquelles chacune de ces influences répond, et nous avons établi ainsi dix médications distinctes, que nous avons étudiées au double point de vue de la physiologie et de la thérapeutique.
Ce n'est qu'à l'aide d'un semblable travail qu'il devenait possible de soustraire l'hydrothérapie à l'aveugle empirisme qui avait pesé sur elle jusqu'à présent, et qui, joint à beaucoup d'autres motifs de déconsidération, avait fait fermer devant elle les portes de la Faculté de médecine, et lui avait valu, en pleine Académie, l'affront et l'injustice d'une assimilation à l'homoeopathie et au magnétisme.
Ce travail de dissociation est d'ailleurs justifié par la pratique, car nous avons montré que certaines médications peuvent
DES MÉDICATIONS HYDROTHÉRAPIQUES COMPLEXES. 423
être, et sont en effet, souvent mises en usage isolément, de façon que l'hydrothérapie n'ait à exercer qu'une action simple et nettement déterminée. Il en est ainsi pour les médications antiphlogistique, sédative; pour toutes les médications qui n'exigent que des applications partielles d'eau froide.
Il n'en est plus de même lorsque les applications générales interviennent. L'action du traitement est alors toujours multiple; l'action tonique, reconstitutive, excitante, est alors constamment associée à toutes les autres influences, et cette médication complexe, qui présente de grands avantages, peut avoir quelques inconvénients.
Chez les sujets forts, robustes, sanguins, l'hydrothérapie produit souvent des palpitations, des congestions de la tête ou des poumons, des épistaxis, en un mot, tous les phénomènes qui accompagnent la pléthore, et l'expérience m'a appris qu'avant de commencer le traitement, il est souvent utile de tirer du sang aux individus placés dans les conditions que nous venons d'indiquer.
J'ai fait également, à cet égard, une remarque dont j'ai eu bien souvent occasion de vérifier la justesse, à savoir: que l'effet du traitement est en général beaucoup plus énergique et plus prompt chez les malades faibles et débilités que chez ceux qui ont encore conservé de la force, de l'embonpoint, une circulation active, et un sang riche en globules; aussi l'extrême débilité des sujets n'a-t-elle jamais été pour moi un motif d'appréhension ou de doute, tandis que les médecins par qui les malades m'étaient adressés s'informaient toujours, avec instance, si ceux-ci n'étaient point trop faibles pour pouvoir supporter le traitement hydrothérapique.
En procédant graduellement, avec prudence et lenteur, il n'est pas un malade, quelque faible qu'il soit, auquel l'hydrothérapie ne puisse être appliquée, et M. Burguières nous a montré la réaction s'opérant chez des cholériques devenus presque des cadavres (voy. p. 62, 63).
424 DE L'HYDROTHÉRAPIE RATIONNELLE.
Mais, si l'action multiple, complexe, de l'hydrothérapie a parfois les légers inconvénients que nous venons de signaler, et auxquels il est toujours facile de porter remède, elle présente des avantages inappréciables, auxquels cette méthode de traitement est en grande partie redevable de ses succès les plus beaux, de son efficacité inespérée dans un grand nombre de cas jugés au-dessus des ressources de la médecine, et ayant résisté à tous les agents de la thérapeutique et de l'hygiène.
Il est aisé de comprendre la puissance et les bienfaits d'une médication qui peut être simultanément tonique, reconstitutive, révulsive, résolutive, ou bien, le modificateur restant le même, réfrigérante, antiphlogistique, sédative. C'est grâce à cette action complexe que l'hydrothérapie empirique a pu obtenir des guérisons dont elle-même ne se rend pas un compté exact, et qu'elle attribue à une action éliminatrice presque toujours illusoire.
C'est cette action multiple qu'il nous reste à étudier, et nous, ne pouvons mieux faire que de mettre sous les yeux du lecteur; les faits dans lesquels elle s'est manifestée, en lui demandant la permission, toutefois, de faire dans le domaine de la pathos logie les excursions que nous jugerons utiles ou nécessaires à la parfaite intelligence des questions dont nous aurons à nous occuper.
Des congestions sanguines chroniques.
Je n'ai pas la prétention de tracer ici une histoire définitive; et complète des congestions sanguines chroniques ; mais l'on reconnaîtra que j'ai du moins jeté quelques jalons sur cette route inexplorée, si l'on considère (et ceci n'est pas une critique); que, dans le Traité de pathologie de M. Grisolle, vingt-deux lignes sont consacrées à l'étude de la congestion chronique envisagée en général, et que le traitement y est formulé de la
DES CONGESTIONS SANGUINES CHRONIQUES. 425
manière suivante : «Les congestions passives réclament rarement l'emploi des antiphlogistiques ; elles devront, le plus souvent, être combattues par les stimulants et les toniques administrés à l'intérieur, ou du moins en topiques ; mais il importe, avant tout, de placer les parties hyperémiées dans une position convenable.»
Il y a longtemps déjà que M. Andral a établi nettement l'existence de la congestion sanguine chronique, et montré le rôle que jouent les capillaires dans le mécanisme de sa production, ouvrant ainsi une voie nouvelle aux investigations des observateurs; malheureusement cette impulsion s'est perdue dans le vide, et aujourd'hui encore on peut répéter ce que M. Gerdy écrivait en 1834, à savoir: que pas plus dans les livres que dans les écoles, il n'est question de l'action des capillaires, qui se révèle surtout dans les maladies, et qui intéresse tant notre art.
Si la congestion sanguine occupe dans les ouvrages d'anatomie pathologique la place qui lui revient de droit, il n'en est pas de même dans les traités de pathologie; la congestion cérébrale, quelques congestions sanguines aiguës, y sont plus ou moins complétement étudiées, mais la congestion chronique y est à peine indiquée, et cependant c'est à elle que j'appliquerais volontiers ces paroles de Stahl : « Hanc itaque mor«borum chronicorum praecipuam materialem causam esse. » Depuis douze ans, un nombre considérable de faits m'a permis d'étudier et d'apprécier le rôle immense que joue en pathogénie la congestion sanguine chronique, ainsi que l'efficacité de l'hydrothérapie contre des lésions organiques et fonctiondélies qui résistent ordinairement à tous les agents de la matière médicale ; l'exposé succinct de mes observations et de mes recherches ne sera donc pas sans intérêt, et trouve naturellement ici sa place.
On connaît lé rôle pathogénique que l'école hippocratique a fait jouer à la congestion, et surtout à la fluxion, en établissant que les humeurs peuvent se porter sur un organe ou
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vers une ouverture naturelle, et donner lieu à une congestion, à une inflammation, à une dégénérescence ou à un flux.
Galien étudie avec un soin particulier la fluxion sanguine; il distingue la congestion de l'inflammation, et réserve spécialement pour cette dernière les émissions de sang.
Fernel tombe dans la confusion et les hypothèses en admettant que les fluxions et les congestions sont dues tantôt au sang, tantôt à la bile jaune ou noire, à la pituite , au sérum, à des gaz, etc., et en établissant entre elles des distinctions qui ne reposent que sur de vaines et obscures subtilités.
Je n'ai pas besoin d'exposer la doctrine de Stahl; tout le monde sait que cet homme illustre considère la congestion sanguine comme la principale cause des maladies soit aiguës, soit chroniques ; mais je dois rappeler que Stahl n'a eu en vue que la pléthore et la congestion sanguine active : " Inter omnia «ea quoe corpori ruinam et laesionem afferre possint, nihil ma" gis emineat quam sanguinis nimia copia, sive plethora... Quia asanguis ob nimiam copiam et abundantiam pervadere vasa ne« queat, nec circulari rite ; sed necesse est ut hinc inde in vasis «stagnet, segnius vel plane non progrediatur, partes infar«ciat, obstruat et ipse tandem in corruptelas et putredinem «obeat... Hanc itaque morborum acutorum et chronicorum «proecipuam materialem causam esse.»
Pour obvier aux dangers de cette pléthore, la nature, suivant Stahl, établit des fluxions sanguines salutaires, dont le siége varie avec le sexe et l'âge ; ou bien elle a recours à un moyen extrême, c'est-à-dire à une hémorrhagie.
Frédéric Hoffmann a mis en relief l'exagération de la doc-' trine stahlienne, en montrant que beaucoup de maladies et d'hémorrhagies apparaissent clans des conditions entièrement opposées à celles qui appartiennent à la pléthore.
Cullen adopte, en grande partie, les idées de Stahl. Barthez définit la fluxion « tout mouvement qui porte le sang, ou une autre humeur, sur un organe particulier avec plus de force ou suivant un autre ordre que l'état naturel," et il ajoute :
DES CONGESTIONS SANGUINES CHRONIQUES. 427
"La fluxion peut être aiguë ou chronique. » Mais cette proposition, dit avec raison M. Dubois (d'Amiens), aurait eu besoin de développement ; car on ne sait pas si l'on doit entendre par fluxion chronique ou une longue suite, une série de fluxions, ou un mouvement fluxionnaire continu, mais d'une lenteur remarquable.
Marandel a eu le mérite de dégager la question de toutes les théories, de toutes les hypothèses émises quant au mécanisme de la fluxion, et de la placer sur son véritable terrain, celui de l'observation et des faits : « Dans l'ignorance absolue, dit-il, où nous sommes de la nature ou de l'essence des maladies, ne devrons-nous pas, à l'exemple des auteurs qui ont écrit sur l'histoire naturelle ou la chimie, rechercher les caractères les plus constants avec lesquels chacune d'elles se présente. »
Marandel substitue au mot de congestion celui d'irritation, et il appelle ainsi une exaltation des forces vitales organiques, résultant de l'action d'un agent extérieur ou intérieur, et dont l'effet le plus général est de produire un afflux de liquide dans la partie irritée.
Il est évident, d'après cette définition, que Marandel ne
doit s'occuper que de la congestion active, et il en est ainsi en
effet ; mais il montre que cette congestion peut être nutritive,
séerétoire, hémorrhagique ou inflammatoire, et ceci est un
grand et véritable progrès.
C'est à M. Andral qu'appartient l'honneur d'avoir envisagé,
dans toute son étendue et sous toutes ses faces, l'importante
question qui nous occupe ; d'avoir montré que la congestion
sanguine n'est point toujours liée à une exaltation des forces
vitales, comme le voulait Marandel; à une exagération de
'a force impulsive du centre circulatoire, comme le dit
M. Jolly ; à la présence d'une cause excitante, comme le
prétend M. Martin-Solon.
M. Andral (1) définit la congestion sanguine ou hyperémie :
(1) Andral, Précis d'anatomie pathologique, t, I, p. 11 ; Paris, 1829.
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une accumulation insolite de sang dans les réseaux capillaires, et il distingue une hyperémie cadavérique, laquelle n'est autre chose que l'effet de la pesanteur sur les liquides de l'organisme privé de vie, et placé dès lors sous l'empire exclusif des lois physiques; une hyperémie physiologique, dont le caractère est d'être accidentelle, passagère, quelquefois périodique, et dont on trouve des exemples dans la congestion utérine qui précède le flux menstruel et accompagne la grossesse, dans la rougeur qui se répand sur la face sous l'influence d'une émotion morale, etc. ; enfin une hyperémie pathologique, laquelle peut être active, sthénique, aiguë, ou bien au contraire passive, asthénique, chronique, celle-ci reconnaissant pour cause une diminution de tonicité des vaisseaux capillaires.
M. Piorry, par ses travaux sur la pneumonie hypostatique, a fait connaître une forme très-importante de la congestion sanguine passive des poumons ; mais là se sont arrêtées les recherches des cliniciens, ainsi que l'on pourra s'en convaincre en lisant les considérations que nous allons présenter sur les causes, les symptômes, la marche, la durée, les terminaisons, le diagnostic et le traitement de la congestion sanguine chronique, envisagée soit en général, soit dans quelques-uns des principaux organes de l'économie.
Causes de la congestion sanguine chronique. — Deux ordres de causes peuvent donner naissance à l'hyperémie. Dans le premier cas, le réseau capillaire reçoit une quantité trop considérable de sang , et ici se placent comme causes la pléthore de Stahl, l'exaltation des forces vitales de Marandel, l'exagération de la force impulsive du coeur de M. Jolly, l'épine de Van Helmont, l'agent excitant de M. Martin Solon; toutes les causes, en un mot, de la congestion sanguine, active, aiguë. Dans le second cas, l'afflux du sang n'est point modifié, mais son retour vers le coeur est incomplet, le réseau capillaire ne se débarrasse pas suffisamment du liquide qu'il a reçu, et la congestion prend le nom de passive ou chronique. Ici, se pla-
DES CONGESTIONS SANGUINES CHRONIQUES. 429
cent comme causes tous les obstacles physiologiques, pathologiques, ou mécaniques au cours de la circulation veineuse; la déclivité, les altérations des veines et du solide, la ligature, la compression, etc.; ici, se place comme cause principale et la plus fréquente, la diminution de tonicité des vaisseaux capillairessignalée par M. Andral, et dont l'influence ne saurait plus être mise en doute, car tous les physiologistes admettent ajourd'hui que les capillaires concourent, à l'accomplissement de la circulation par leurs propriétés vitales propres, par leur puissance de contractilité, et M. Poiseuille a démontré expérimentalement ce phénomène en paralysant, pour ainsi dire, les vaisseaux au moyen du froid.
L'atonie des vaisseaux capillaires, l'affaiblissement de la vis a tergo peut dépendre d'une altération de ces vaisseaux euxmêmes; mais, dans l'immense majorité des cas, elle se lie à une altération générale, à l'appauvrissement du sang, à sa déglobulisation, à des troubles de l'innervation. « Il est un ordre de congestions, a dit M. Dubois (d'Amiens) qu'on peut regarder comme essentiellement chroniques; ce sont celles qui sont survenues sans mouvements fluxionnaires, qui se sont établies soit par le fait d'une débilité profonde de l'économie, soit par certains états du sang » (1). Les congestions chroniques se montent, en effet, chez les sujets lymphatiques, débiles, cacochymes, anémiques, chlorotiques, cachectiques, épuisés par une longue maladie, des pertes de sang considérables, la diète ou une alimentation insuffisante, la misère; chez les sujets en proie à la cachexie paludéenne, plombique, syphilitique; chez ceux qui ont été soumis à des fatigues excessives, à l'administration prolongée des purgatifs, des mercuriaux, des préparations iodées, des opiacés, du sulfate de quinine; elles sont très-fréquentes chez les femmes qui condamnent leur système
(1) Dubois (d'Amiens), Préleçons de pathologie expérimentale, page 139; Paris, 1841.
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musculaire à une inertie à peu près complète, qui passent leur vie dans des appartements trop échauffés et non suffisamnent aérés, épuisent leurs forces par les veilles, les plaisirs du monde, les grandes réunions, les bals, les spectacles.
Les influences morales doivent être rangées parmi les causes les plus fréquentes et les plus énergiques des congestions chroniques. Un grand nombre de fois, nous avons dû rattacher le développement des phénomènes morbides à des chagrins, des émotions violentes et pénibles, ayant exercé pendant longtemps une action perturbatrice et débilitante sur le système nerveux. Ce fait n'a rien d'ailleurs qui puisse étonner, si l'on se rappelle avec quelle rapidité des fluxions s'établissent sous l'influence de la plus simple émotion morale. M. Trousseau a particulièrement insisté sur les rapports intimes qui existent entre les fonctions intellectuelles, morales, affectives, et le développement de certaines congestions de la face et des organes génitaux. « C'est ici surtout, dit M. Dubois (d'Amiens) qu'il serait impossible de trouver quelque explication satisfaisante pour rendre compte d'un semblable phénomène, non pas tant de la propulsion sanguine en elle-même , mais de sa localisation si formelle et de ses rapports mystérieux avec certains sentiments. »
En résumé, les congestions chroniques se développent sons l'influence de toutes les causes débilitantes qui ont pour effet d'appauvrir le sang, d'abaisser le chiffre de l'élément globulaire, de déprimer l'innervation, de diminuer les forces vitales qui président à la contractilité des vaisseaux capillaires.
Des causes prédisposantes fort énergiques résident dans le développement relatif du réseau capillaire, dans les fonctions et la position de certains organes. Les congestions chroniques se montrent surtout dans les organes très-vasculaires, tels que les poumons, la rate, le foie, les reins; le phénomène de la menstruation favorise les congestions utérines ; la position déclive de l'utérus, du rectum, rend très-fréquente la congestion de ces parties, et il ne faut pas oublier, ainsi que je l'ai dit
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ailleurs(1), que les congestions sanguines des organes déclives peuvent se développer sous la double influence de la position, qui augmente l'action physique de la pesanteur , et de l'affaiblissement de la force vitale antagoniste qui réside dans la contractilité des capillaires.
Symptômes. — Les congestions chroniques ont des symptômes communs, locaux ou généraux, constitués par des phénomènes indépendants du siége de la maladie, et des symptômes spéciaux, qui varient suivant que la lésion occupe tel ou tel organe. Nous ne parlerons ici que des premiers. Symptômes communs. Le phénomène le plus général, celui qui se montre constamment dès que la maladie a acquis une certaine intensité et une certaine durée, est l'anémie. M. Andral l'a parfaitement indiquée en disant: «Par cela seul qu'une hyperémie existe depuis un temps plus ou moins long dans un organe, elle tend à s'établir en d'autres parties du corps, car toutes sont solidaires les unes des, autres ; la circulation capillaire, dérangée en un point, tend à se déranger en tous. En même temps que l'hyperémie se fixe sur un ou plusieurs organes, d'autres organes, par une sorte de balancement qui s'établit dans les forces circulatoires des capillaires, revivent moins de sang que de coutume, et tombent dans un état anémique d'une manière passagère ou permanente.»
Il semble, en effet, que le sang abandonne toutes les autres parties du corps, et spécialement les plus périphériques, pour se porter dans l'organe affecté. La peau est pâle, blafarde, d'un blanc gris ou jaunâtre ; elle est sèche, rugueuse, écailleuse, parcheminée, et lorsqu'on la plisse, il s'y forme de petite rides semblables à celles que présente le cuir de Russie; ses fonctions d'exbalation sont complétement abolies, la température la plus élevée, l'exercice le plus violent, n'y amènent pas la plus légère moiteur, et lorsqu'on parle aux malades d'en
(1) L. Fleury, Cours d'hygiène professé a la Faculté de médecine ; in Gazette des hôpitaux, n° du 24 mai 1851.
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faire disparaître l'aridité, ils vous répondent ordinairement:
jamais, par aucun moyen, vous ne parviendrez à me faire
transpirer.
La membrane muqueuse qui revêt les paupières, les lèvres, les gencives, la bouche, la langue, est pâle, décolorée, comme le sont tous les tissus privés de sang.
L'amaigrissement est un symptôme commun non moins remarquable que le précédent; les tissus adipeux et cellulaire disparaissent complètement, et les malades arrivent graduellement à un degré d'émaciation que ne dépasse point celui que l'on observe chez les phthisiques parvenus à la période ultime de leur maladie. C'est sur des malades affectés de congestion viscérale chronique que j'ai rencontré les exemples les plus tranchés d'amaigrissement extrême, squelettique, et cet état de maigreur frappe d'autant plus l'observateur, qu'il se montre sur des individus qui ordinairement ne sont pas obligés de garder le lit, qui marchent, mangent, dorment, se livrent à leurs occupations habituelles; en un mot, conservent jusqu'à un certain point les apparences de la santé, car les forces ne subissent pas, le plus souvent, une déperdition proportionnelle à celle qui porte sur le poids et le volume du corps.
Une susceptibilité extraordinaire au froid atmosphérique existe chez presque tous les malades ; des hommes qui ne craignaient nullement les vicissitudes atmosphériques, qui les bravaient continuellement soit à la chasse, soit en voyage, s'affublent de plusieurs paires de bas de laine, de chaussures fourrées, de caleçons de flanelle, de plusieurs gilets de coton, de laine, de flanelle; de peaux de chats, de lapins, de cygnes; de vêtements ouatés, même pendant les chaleurs les plus intenses de l'été ; ils redoutent le moindre courant d'air, l'entrebaillement d'une porte, d'une fenêtre; une température d'appartement, insupportable pour tout autre, est trop basse pour eux, et on les voit se blottir près de la bouche d'un calorifère ou dans le foyer d'une cheminée. Le froid des extrémités, et principalement des pieds, devient souvent pour les malades
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une sensation fort pénible; malgré l'emploi de plusieurs paires de bas de laine, de chaussures fourrées ou ouatées, malgré l'usage permanent de chaufferettes, d'édredons, de tous les moyens imaginables, en un mot, les pieds restent constamment glacés pendant la nuit comme durant le jour.
Les fonctions digestives sont toujours troublées à divers degrés. Ordinairement il existe une anorexie plus ou moins complète, et les malades ne mangent que ce qui est rigoureusement nécessaire à la vie ; il en est même dont on a peine à comprendre l'existence en présence d'une alimentation réduite à d'aussi minimes proportions. Souvent l'appétit est irrégulier, capricieux, déréglé; les malades ne recherchent que les crudités, les acides, la salade, les fruits verts, etc.; parfois l'appétit se conserve ou même est très-vif, mais, les digestions sont pénibles, douloureuses, laborieuses, et l'on observe tous les phénomènes qui caractérisent la gastro-entéralgie, compagne si fréquente de l'anémie. La constipation est à peu près constante et opiniâtre; les malades restent huit, dix, ou même quinze jours, sans aller à la garde-robe, et ils sont conduits ainsi à faire un usage quotidien, et souvent plusieurs fois répété dans un jour, de lavements émollients ou rendus excitants par l'addition d'huile, de sel, etc. La cause de la constipation est ici manifestement complexe ; elle se lie à la gastro-entéralgie, à l'anémie générale, à l'atonie des organes digestifs, et à la diminution des sécrétions intestinales.
Les organes génitaux participent presque toujours plus ou moins au trouble des différentes fonctions. Chez l'homme, ou rencontre souvent une anaphrodisie complète; les appétits vénériens sont éteints, l'érection est impossible, et nous avons vu des hommes jeunes, ardents, fort adonnés aux femmes, garder pendant plusieurs années une continence absolue, sans être sollicités par aucun désir. Parfois il existe des pertes sémites involontaires nocturnes, accompagnées ou non de rêves erotiques, mais ayant lieu, dans tous les cas, en l'absence de toute rigidité du pénis.
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Chez les femmes, à. moins de congestion utérine, la menstruation est irrégulière, douloureuse, peu abondante, ou même supprimée. Chez une malade affectée d'une congestion hépatique chronique, les règles, complétement supprimées depuis plusieurs années, n'ont reparu avec régularité et abondance , que lorsqu'un traitement convenablement dirigé eut obtenu raison de l'altération du foie.
Les fonctions d'innervation sont presque toujours profondément troublées. Parfois le désordre nerveux est primitif, et doit être considéré, ainsi que nous l'avons dit, comme la cause de l'état congestif ; d'autres fois il est consécutif, et ne se manifeste que plusieurs mois ou même plusieurs années après le développement de la congestion. Dans tous les cas, il s'aggrave incessamment, et l'on tombe alors dans ce cercle vicieux que j'ai déjà signalé. Plus le système nerveux est ébranlé, déprimé, plus la circulation capillaire s'allanguit, et plus la congestion augmente; d'un autre côté, plus les troubles de la circulation sont considérables, plus les fonctions d'innervation s'altèrent.
Les phénomènes nerveux revêtent souvent des formes spéciales , que nous indiquerons plus loin, et qui sont en rapport avec le siège de la congestion; considérés au point de vue le plus général, ils se traduisent par une sensibilité exagérée, par une impressionnabilité extrême aux agents extérieurs, au son, à la lumière, aux vicissitudes atmosphériques ; par une modification fâcheuse du caractère, qui devient quinteux irascible, susceptible, capricieux; par des douleurs névralgiques erratiques, irrégulières; par de la gastralgie, des palpitations nerveuses, par cet ensemble de symptômes, en un mol, qui a reçu les noms de névropathie générale, d'état nerveux.
L'augmentation de volume et de poids de l'organe congestionné est le dernier phénomène commun à toutes les congestions chroniques qu'il importe de signaler; au point de vue de la symptomatologie, il présente une grande importance, car il modifie toujours plus ou moins la position et les rapports non-seulement de l'organe malade, mais encore des organes
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voisins, et devient ainsi la cause de divers troubles fonctionnels; dans certains cas spéciaux que nous indiquerons, il donne lieu à des déplacements consécutifs, qui ajoutent singulièrement à la gravité de la maladie. Au point de vue du diagnostic, il constitue le seul signe qui permette de reconnaître positivement la nature, le degré, la marche de l'altération, et ici mieux que dans toute autre circonstance, on est mis en demeure d'apprécier la valeur d'un procédé d'exploration encore trop négligé : de la plessimétrie.
Marche, durée, terminaisons de la congestion sanguine chronique. — La marche des congestions chroniques a des caractères particuliers, spéciaux, qui méritent toute l'attention des observateurs, car ils fournissent une vive lumière au diagnostic , et de précieuses indications à la thérapeutique. Elle est intermittente au début et pendant un temps plus ou moins long, rémittente ensuite.
D'abord la congestion s'opère, disparaît et se reproduit à des intervalles plus ou moins éloignés, soit dans le même organe , soit dans divers points du corps, sans laisser aucune trace de son passage, de telle sorte que les malades ne font que peu d'attention à des indispositions peu graves, de courte durée, suivies de la disparition complète des accidents qui les caractérisaient. Mais, lorsque l'hyperémie s'est renouvelée un certain nombre de fois, lorsque les causes sous l'influence desquelles elle s'est montrée persistent ou s'aggravent, la stase sanguine ne se résout plus complétement, et il survient alors, dans l'organe affecté, une augmentation permanente de poids et de volume, et souvent un changement de position, qui donnent lieu à des troubles fonctionnels continus. Mais de nouvelles congestions se produisent, et la maladie marche alors par bonds, par saccades, et présente des exacerbations irrégugulières, des accès après chacun desquels les accidents permanents acquièrent une plus grande intensité.
A moins d'un concours fort heureux et très-rare de circonstances hygiéniques, les congestions passives ne guérissent
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guère spontanément; la matière médicale est à peu près impuissante, et il en résulte que la maladie, bien qu'elle ne compromette que rarement l'existence, les congestions hépatique et splénique exceptées, doit être considérée comme fort grave, en raison de sa longue durée et de sa résistance aux efforts de l'art.
J'ai vu un grand nombre de malades dont les accidents remontaient à 5, 8, 10,15 ou même 20 années, et qui avaient épuisé toutes les ressources de la médecine, tous les arcanes du charlatanisme, sans avoir pu obtenir non-seulement la guérison, mais même une amélioration de quelque durée et de quelque importance. Tous les praticiens savent combien il est de femmes dont la vie et le bonheur domestique sont empoisonnés par une congestion chronique de l'utérus, accompagnée d'engorgement, d'ulcération et de déplacement, et tous ceux qui voudront porter leur attention sur la congestion chronique du foie ne tarderont pas à reconnaître le rôle important et encore méconnu qu'elle joue en pathologie.
Les congestions chroniques peuvent-elles se transformer en une autre maladie? C'est là une question difficile dont nous nous occuperons dans le paragraphe consacré à l'anatomie pathologique.
Diagnostic.-« La plupart des hommes, a dit avec raison M. Malgaigne, dans une récente discussion académique, ne voient pas ce qui s'offre tous les jours à leurs yeux; il faut qu'on le leur révèle, il faut qu'on leur apprenne à voir, il faut qu'on les force à voir ! » Ces paroles, que justifient tant d'exemples bien connus, s'appliquent merveilleusement aux congestions sanguines chroniques, qui tous les jours se présentent à l'observation des praticiens et des nosographes, sans que leur description ait été tracée par ceux-ci, sans que leur nom soit jamais prononcé par ceux-là! Que deviennent donc ces congestions dans les livres et dans la pratique ? Elles se dissimulent sous les noms de phlegmasie chronique, de dégénérescence, de névrose, de névropathie, d' anémie, d'hypochondrie,
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d'hystérie, de nosomanie, de dyspepsie; souvent sous ladénomination, si élastique et si commode, d'engorgement, appliquée aux congestions de l'utérus, du foie et de la rate.
Que de congestions hépatiques prises pour des gastro-entérites chroniques, pour des cancers de l'estomac, pour des gastralgies , ou baptisées d'un nom qui ne devrait plus figurer que dans la séméiologie : celui de dyspepsie ! Que de congestions de la moelle prises pour des myélites, des ramollissements de la moelle, des méningites rachidiennes ! Que de congestions du poumon et du coeur considérées comme des asthmes, des palpitations nerveuses, de la chloro-anémie !
Le diagnostic des congestions chroniques est souvent entouré de difficultés; mais il me semble néanmoins qu'il est possible de l'asseoir sur des bases assez solides pour rendre les erreurs et les méprises peu fréquentes.
Les antécédents, l'ensemble des circonstances étiologiques, l'état général du sujet, les modifications subies par la circulation capillaire périphérique, par la calorification, par la coloration et les fonctions de la peau, l'absence de fièvre, la marche de la maladie, sont autant de signes dont on ne saurait contester la valeur et qui séparent assez nettement les congestions des phlegmasies chroniques.
Il est beaucoup plus difficile de distinguer les congestions chroniques des maladies nerveuses telles que la gastralgie, l'entéralgie, l'hystérie, l'asthme, la névropathie générale, etc., et ce n'est que par l'exploration attentive de chaque organe en particulier que l'on peut arriver à reconnaître l'existence et le siége de la congestion.
Nous avons dit que l'anémie accompagne presque constamment les congestions chroniques, et qu'elle est tantôt primitive, tantôt consécutive. Souvent elle absorbe l'attention du médecin, qui se contente de déclarer l'existence d'une chloro-anémie sans pousser plus loin l'examen du malade. Ici encore, ce n'est que par l'exploration de chaque organe que l'on est conduit au véritable diagnostic.
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Nous avons vu que toute hyperémie considérable produit une augmentation de poids et de volume, un changement de rapports et de position de l'organe affecté : ce sont ces phénomènes locaux, mécaniques, ce sont ces signes physiques, qui permettent d'établir un diagnostic positif, et ce sont eux qu'il importe de constater à l'aide d'un examen attentif et détaillé; de la palpation, de la mensuration, et surtout de la percussion plessimétrique. Combien de fois n'ai-je pas vu des médecins, souvent parmi les plus haut placés, méconnaître des congestions hépatiques et diagnostiquer une gastro-entérite chronique , une gastro-entéralgie ou une dyspepsie, parce qu'ils ne s'étaient livrés qu'à un examen superficiel et trop court; parce qu'ils s'étaient contentés de palper rapidement l'abdomen, parce qu'ils avaient négligé le seul procédé d'investigation qui fournît des données positives, mathématiques, si je puis m'exprimer ainsi: la plessimétrie.
Toutefois il faut se souvenir et tenir compte d'une circonstance capitale dans la marche des congestions chroniques et fort importante pour le diagnostic. Des variations fréquentes, rapides, brusques, considérables, ont souvent lieu dans le volume des organes hyperémiés ; M. Andral l'avait parfaitement vu et indiqué relativement à la congestion hépatique : « Ce qu'il y a de remarquable, disait-il, c'est l'extrême rapidité avec laquelle, d'une part, le foie peut acquérir souvent un volume prodigieux, et avec laquelle, d'autre part, il reprend son volume normal, dès que la gêne de la circulation veineuse est devenue moins considérable. » Ces variations de volume ont lieu non-seulement dans le foie, mais encore dans la rate, le rein, l'utérus, le coeur; il en résulte qu'avant de se prononcer, il faut explorer les organes à plusieurs reprises, à différents moments de la journée, avant et après les repas, quand on veut constater l'état du foie ; avant et après l'époque menstruelle, quand on s'occupe de l'utérus. Souvent la maladie est méconnue parce que le médecin se contente d'un seul examen, fait dans le mo-
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nient où le volume de l'organe a diminué et repris plus ou moins ses limites physiologiques.
Il est encore une circonstance dont il importe que le médecin soit prévenu ; souvent, lorsque la maladie est récente, la congestion se déplace et occupe tantôt un organe, tantôt un autre, de telle sorte qu'en ne la cherchant que dans un seul point, on court le risque de ne pas la rencontrer. Une jeune femme, dont la curieuse observation sera publiée en temps et lieu, me disait, en se préparant à recevoir la douche : aujourd'hui c'est le tour du foie; ou bien : aujourd'hui c'est le tour de l'utérus. C'est qu'en effet, chez elle, la congestion se déplaçait souvent du matin au soir, et occupait alternativement l'un ou l'autre de ces deux organes. La malade, chloro-anémique au plus haut degré, avait parfaitement la conscience de ce déplacement, et me donnait ainsi un avertissement dont l'examen plessimétrique et manuel venait attester l'exactitude.
Mais, à moins de se contenter de ce mot engorgement, dont le sens peut recevoir et a reçu tant d'interprétations diverses, il ne suffit pas d'avoir reconnu l'augmentation de volume subie par l'organe, il faut encore déterminer si elle est due à une simple congestion, à une lésion de nutrition telle que l'hypertrophie , ou bien à une dégénérescence, à la présence d'une matière hétérologue : cancer, tubercule, kyste hydatique, etc.
Cette distinction est souvent fort difficile à établir; la nature des symptômes généraux, la marche intermittente de la maladie, l'absence de douleurs locales très-vives, de bosselures, d'inégalités, de tumeurs à la surface de l'organe affecté, les variations qui se montrent dans son volume, fournissent des indications précieuses, mais ne suffisent point toujours pour lever tous les doutes, toutes les perplexités du praticien. Nous avons vu maintes fois des engorgements du foie, de la rate, de l'utérus, considérés, par des médecins très - éclairés comme devant être rattachés à une dégénérescence organique, disparaître complétement sous l'influence d'une médication
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appropriée, et fournir ainsi la preuve qu'ils n'étaient dus qu'à une simple congestion chronique.
Dans les cas douteux, on trouve dans le traitement hydrothérapique une pierre de touche non moins sûre que celle fournie par les mercuriaux et les iodures au diagnostic de certains accidents syphilitiques, dont la nature ne se dévoile pas tout d'abord aux regards de l'observateur.
Les douches froides, en effet, amènent instantanément dans les organes hyperémiés une diminution de volume que l'on n'obtient point lorsqu'il s'agit d'une dégénérescence organique, et qui s'accomplit suivant une LOI que nous avons fait connaître ( voy. p. 285).
Anatomie pathologique. — Je n'ai rien à ajouter aux descriptions, anatomiques qui ont été tracées par MM. Andral, Dubois (d'Amiens), Vogel, etc., et je ne veux ici que signaler les points encore obscurs sur lesquels nous ne possédons pas de données suffisantes.
Dans quelles limites la congestion sanguine disparaît relie après la mort, sans laisser aucune trace de son existence;pendant la vie ? On se saurait répondre à cette question, dans l'état actuel de la science. Pour arriver à une solution rigoureuse, j'ai entrepris, sur une vaste échelle, des recherches qui, je l'espère, me, conduiront à un résultat satisfaisant.
Sous quelles conditions différentes la congestion sanguine produit-elle l'hypertrophie, l'induration, le ramollissement, cette altération que M. Jobert a décrite, quant à l'utérus, sous le nom d'état fongueux, l'inflammation, la gangrène ? Quelles sont les lésions de sécrétion et de nutrition auxquelles elle peut donner lieu? Quelles sont les relations qui existent entre elle et certains produits hétérologues, tels que le cancer, le tubercule, etc.?Tous ces points si importants sont autant de desiderata sur lesquels nous,ne pouvons qu'appeler l'attention et les recherches des observateurs ; il ne nous a pas été donné de pouvoir les élucider.
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Traitement des congestions sanguines chroniques. — Les divers modificateurs dont le praticien peut disposer pour combattre les congestions sanguines chroniques doivent être partagés en deux classes ; car les uns ne s'adressent qu'au symptôme, à l'effet, tandis que les autres remontent jusqu'à la cause et aspirent à la faire disparaître.
Traitement palliatif. En présence d'une congestion sanguine , l'idée de recourir à des émissions de sang se présente naturellement à l'esprit; mais,si ce moyen réussit en effet parfaitement contre les congestions actives, sthéniques, aiguës, par pléthore, il est bien loin d'en être de même dans les congestions passives, asthéniques, chroniques, par anémie.
Les saignées générales sont constamment nuisibles et proscrites par tout le monde ; les saignées locales amènent parfois un soulagement momentanée ; mais, comme elles augmentent la débilité générale, les accidents ne tardent pas à se produire avec une nouvelle intensité ; les modifications qu'elles apportent d'ailleurs dans les conditions de quantité et de composition du liquide sanguin n'exercent aucune influence heureuse sur le développement de la congestion. Le sang ne serait plus représenté que par une goutte de sérosité, qu'il semble que cette goutte irait stagner dans l'organe habituellement congestionné. J'ai vu maintes fois des congestions chroniques du foie et de l'utérus augmenter de fréquence et d'intensité, en raison directe du nombre de saignées locales subies par le malade.
Les révulsifs constituent le véritable traitement palliatif des congestions sanguines; mais il faut que leur action soit puissante, et qu'elle puisse être facilement et fréquemment renouvelée. Les ventouses remplissent toutes les conditions désirables, soit qu'on ait recours aux verres à ventouses ordinaires, placés en grand nombre, soit qu'on fasse usage des appareils Junod, dont l'application exige des précautions et des ménagements.
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On a cité des cas de guérisons complètes obtenues par des applications longtemps et souvent répétées de ventouses ; je n'entends pas les contester, mais j'affirme qu'ils ne seront que rarement obtenus, à moins que l'on n'adjoigne aux révulsifs un traitement général énergique.
Les purgatifs doux, longtemps répétés, l'eau de Sedlitz, le calomel; les purgatifs violents, drastiques, tels que la médecine Leroy, l'eau-de-vie allemande ; les vomitifs, ont souvent été opposés avec succès aux congestions chroniques du foie. N'ont-ils agi qu'à titre de révulsifs? Je ne le pense pas. Dans les cas de ce genre, la congestion était certainement liée à un trouble survenu dans les fonctions sécrétoires du foie, et c'est en rétablissant l'intégrité de celles-ci, c'est en agissant comme évacuants que les purgatifs et les vomitifs ont dû amener la guérison. L'emploi de ces moyens exige d'ailleurs beaucoup de prudence'; car bien souvent, au lieu d'être utiles, ils sont fort nuisibles et aggravent singulièrement la maladie, en raison de l'irritation qu'ils provoquent dans les parties supérieures du canal digestif. On a voulu obvier à cet inconvénient, se prémunir contre ce danger, en ayant recours à l'aloès et aux purgatifs, qui, comme lui, exercent leur action sur les dernières portions du canal intestinal ; mais alors la médication n'a plus la même efficacité, et nous avons vu beaucoup de malades sur lesquels elle avait complétement échoué. Lorsque l'emploi des évacuants est indiqué par l'état saburral de la langue, par la teinte ictérique de la peau, par les signes évidents d'un embarras des premières voies, il est utile, en général, de commencer par l'administration de 5 à 10centigrammes de tartre stibié, et de prescrire ensuite l'usage quotidien et longtemps continué de purgatifs doux, tels que l'eau de Sedlitz et le calomel, pris à petites doses.
Une malade affectée d'une congestion chronique du foie, dont il sera question plus loin; et à laquelle j'ai donné des soins en 1840 conjointement avec M. Andral, n'a guéri qu'a-
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près trois années d'un pareil traitement, pendant lequel une centaine de bouteilles d'eau de Sedlitz ont été ingérées, l'émétique ayant été administré, en outre, sept ou huit fois.
Traitement curatif. Notre tâche est ici fort restreinte, et nous n'avons guère qu'à constater l'insuffisance de la matière médicale. Les stimulants et les toniques sont à peu près les seuls agents médicamenteux auxquels on puisse s'adresser avec quelque chance de succès. Mais que de difficultés, que de déceptions, que de dangers, environnent leur administration! tantôt ils n'atteignent pas le but, tantôt ils le dépassent; ici, ils restent complétement insuffisants; là, ils produisent des accidents qui obligent à en suspendre l'emploi; souvent ils ne sont pas supportés par les organes digestifs ; souvent, loin d'améliorer l'état du malade, ils l'aggravent, et favorisent la congestion en augmentant la force de contraction du coeur, en activant la circulation artérielle des gros troncs, sans modifier l'action des capillaires, sans venir en aide à la vis a tergo, sans rendre la circulation de retour plus satisfaisante.
Si l'on réfléchit aux conditions organiques, anatomiques, des congestions sanguines chroniques, si l'on tient compte des causes générales qui président à leur développement, on reconnaît a priori que le meilleur traitement, le plus efficace, doit être celui qui serait en même temps révulsif et reconstitutif, celui pi, en débarrassant l'organe du sang qui l'obstrue, agirait en même temps sur la composition de ce liquide et sur l'innervation, de manière à rétablir les fonctions de nutrition, à régulariser la circulation, à rendre aux vaisseaux capillaires la tonicité qu'ils ont perdue.
Quels sont les médicaments qui répondent à cette double indication? Les praticiens éclairés savent bien qu'il n'en existe guère; ils savent dans quelles limites on peut compter sur le fer, sur le quinquina, sur les toniques, et ils n'hésitent pas à placer de préférence leur confiance dans les ressources que présente l'hygiène ; dans L'EXERCICE MUSCULAIRE, la gymnas-
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tique, le séjour à la campague, une alimentation bien dirigée, LES BAINS FROIDS de rivière ou de mer.
C'est à l'aide de ces derniers moyens, en effet, que l'on peut espérer obtenir une guérison réelle, durable, et ce sont eux que conseillent tous les médecins qui ont secoué le joug du système de Broussais, et de la funeste doctrine du repos absolu, propagée par Lisfranc au grand détriment des femmes affectées de congestions chroniques de l'utérus.
Mais ce traitement hygiénique si simple, si facile en apparence, rencontre souvent, lui aussi, des obstacles sérieux sur sa route, et je ne crains pas de répéter ici ce que j'ai déjà dit plus haut.
« Souvent, lorsque lorsque la maladie est ancienne, le système musculaire, les fonctions digestives, l'innervation, ont subi une modification si profonde, que l'économie reste opprimée, sans pouvoir supporter l'application des agents propres à la relever. L'exercice est impossible ou provoque, malgré toute la prudence possible, une fatigue extrême, de la courbature, des douleurs musculaires et articulaires, de la fièvre, qui viennent encore augmenter la faiblesse générale. L'estomac a complétement perdu la faculté de digérer ; l'alimentation la plus légère, la plus modérée, provoque des douleurs gastriques, des mouvements fébriles, des phénomènes de réaction générale, qui obligent d'en revenir à une diète plus ou moins sévère. Il est des malades qu'on ne parvient ni à faire marcher ni à faire digérer, quels que soient les soins, la gradation qu'on apporte dans l'usage de l'exercice et des aliments. Les bains de mer sont trop excitants, augmentent les accidents nerveux, et ne tardent pas à ne plus pouvoir être supportés; les bains de rivières ne sont pas suivis d'une réaction suffisante, et sont alors beaucoup plus nuisibles qu'utiles, en repoussant le sang de la circonférence au centre et en augmentant les congestions viscérales. »
Dans ces circonstances, la perplexité du médecin devient fort grande ; les moyens de curation lui font entièrement dé-
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faut; il est réduit à une impuissance complète, et obligé de rester spectateur impassible d'une maladie qui va sans cesse en s'aggravant. — L'hydrothérapie le mettra désormais à l'abri de cette triste situation, et l'en fera sortir lorsqu'il y sera tombé.
Les DOUCHES FROIDES RÉVULSIVES, EXCITANTES , TONIQUES, RECONSTITUTIVES, lui fourniront un agent curatif d'autant plus précieux qu'il n'a pas de succédané, et que je le considère comme infaillible; car, par leur action révulsive, les douches combattent la lésion locale, la stase sanguine, tandis que, par leur action tonique et reconstitutive, elles font disparaître les causes générales de la maladie, causes qui se rattachent, comme nous l'avons dit, au sang, à la circulation, et au système nerveux.
Envisagée d'une manière générale, l'action des douches froides, dans le traitement des congestions sanguines chroniques , est très-facile à exposer et à comprendre.
Cette action est double; elle s'exerce simultanément sur l'organe hyperémié et sur l'état général du malade.
L'action locale se traduit par une diminution graduellement progressive du volume anormal de l'organe affecté, et par le retour définitif de celui-ci à ses limites et à ses fonctions physiologiques:
L'action générale se traduit par l'activité de la circulation capillaire, la coloration de la peau et des muqueuses, la régularisation du flux menstruel, le rétablissement des digestions, de la nutrition et dés forces musculaires, le développement de l'embonpoint, la cessation des troubles nerveux; en un mot, par la disparition de tous les phénomènes liés à l'anémie, et par le retour à un état de santé complétement satisfaisant.
Ce double effet sera mis en lumière dans les observations que nous allons mettre sous les yeux du lecteur, en faisant l'histoire particulière des différentes congestions sanguines que nous avons eu l'occasion d'étudier.
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Congestion chronique de l'utérus.
L'utérus est, comme chacun le sait, le siége de congestions sanguines physiologiques, périodiques, qui se résolvent chaque fois par l'hémorrhagie menstruelle ; lorsque, par une cause quelconque, la congestion utérine physiologique hémorrhagipare dépasse ses limites normales, l'écoulement des règles est précédé et accompagné de divers accidents. Les femmes accusent une sensation de poids, de tension , de gêne, de corps étranger volumineux dans le petit bassin ; elles éprouvent de la difficulté à marcher, à s'asseoir, à rester debout ; une sensation de chaleur, de gonflement, se manifeste dans le vagin, où s'établit, par voie de propagation, par continuité de tissus, une congestion sécrétoire qui donne lieu à une leucorrhée vaginale plus ou moins abondante; parfois la congestion occupe également la vulve, les petites lèvres, le clitoris, et quelques femmes sont alors tourmentées par un prurit vulvaire voluptueux et par d'incessants désirs vénériens. Dans les parties externes, la congestion est souvent nutritive et aboutit à l'hypertrophie , de telle sorte que dans certaines circonstances il se présente un phénomène très-curieux, à savoir : que les organes génitaux de la femme offrent à l'observateur la réunion de trois espèces de congestion sanguine : hémorrhagique,sécrétoire, et nutritive.
Chez une femme à laquelle je donne des soins depuis plus de quinze ans, j'ai vu la congestion nutritive augmenter graduellement le volume du clitoris et donner aux petites lèvres des dimensions telles, que j'ai dû, il y a quatre ans, en reséquer une grande partie, pour les ramener à leurs proportions primitives.
L'hypercongestion mensuelle de l'utérus est souvent accompagnée de douleurs excessivement vives, de tranchées, de contractions utérines, qui, pour ainsi dire, transforment la menstruation en un accouchement; je connais plusieurs femmes qui préfèrent les douleurs de l'enfantement aux souffrances
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atroces qu'elles endurent, chaque mois, pendant quarante-huit ou soixante-douze heures. Il n'est pas rare de voir survenir, dans ces circonstances, des accidents nerveux et des attaques hystériformes plus ou moins graves.
Lorsque l'abondance de l'hémorrhagie mensuelle est proportionnelle à l'intensité de la congestion utérine, tous les accidents disparaissent avec l'écoulement sanguin , et les femmes dont la menstruation est la plus pénible, la plus douloureuse , jouissent d'une santé parfaite pendant les intervalles qui séparent les époques menstruelles; mais fréquemment la
résolution n'est pas complète; l'utérus reste, après les règles, le
siége d'une congestion qui augmente chaque mois, et qui
donne ainsi naissance a un état morbide permanent.
Nous venons d'indiquer une des causes de la congestion chronique de l'utérus ; il en est beaucoup d'autres : la grossesse, l'accouchement, les excès vénériens, le coït accompli dans certaines conditions de disproportion entre les organes génitaux de l'homme et de la femme ; nous l'avons rencontrée chez presque toutes les femmes de très-petite taille mariées à des hommes robustes, d'une stature élevée, ayant un pénis volumineux et d'une grande longueur.
Ainsi que je l'ai déjà dit, la position déclive qu'occupe l'utérus prédispose puissamment aux congestions sanguines, et l'état morbide dont nous nous occupons ne tarde pas à se produire
produire agent quelconque vient, par une action souvent répétée, augmenter l'effet physique de la pesanteur,
diminuer l'énergie de la force vitale antagoniste, ou apporter un obstacle mécanique à la circulation. Ici viennent se placer,
comme causes déterminantes fréquentes, la constipation, l'usage des corsets, l'abaissement de la taille dans les vêtements de la femme, l'inertie musculaire, l'abus des lavements et des bains tièdes, l'abus de l'équitation, de la danse , surtout pendant l'époque menstruelle, etc. etc.
Quelle que soit la cause qui ait amené le développement d'une congestion utérine chronique, celle-ci augmente le vo-
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lume de l'organe, et surtout celui du col, qui atteint parfois des dimensions considérables ; l'augmentation de volume entraîne nécessairement l'augmentation de poids, et celle-ci, lorsqu'elle rencontre une femme amaigrie, débile, anémique, des ligaments utérins affaiblis, a pour conséquence l'abaissement de l'organe et souvent un second déplacement qui, d'après mes observations, est beaucoup plus souvent une antéversion qu'une rétroversion. Parfois même la matrice subit encore une inclinaison latérale et présente ainsi un triple déplacement.
L'antéversion utérine met la surface du col en contact direct avec le rectum, et l'intestin, ordinairement distendu par des matières fécales plus ou moins dures, exerce sur la muqueuse si fine du col utérin des pressions, des frottements, qui finissent par en amener l'ulcération ; de telle sorte que l'on rencontre sur la même malade l'état congestif, un déplacement unique, double ou triple, et une ulcération. Tous les praticiens qui ont observé les affections utérines savent combien cet état complexe se présente fréquemment; pour ma part,je l'ai constaté un grand nombre de fois, et j'en rapporterai des exemples remarquables.
Si quelques auteurs, et M. Duparcque en particulier, confondent, sous le nom d'engorgement utérin, des altérations trèsdiverses et très-nombreuses, il est certain que la plupart dès auteurs réservent, au contraire, cette dénomination pour désigner exclusivement la congestion utérine chronique, et l'existence simultanée de l'engorgement, du déplacement et de l'ulcération, est signalée par tous les auteurs. Ne vaudrait-il pas mieux toutefois faire disparaître du langage médical une expression dont le sens anatomo-pathologique n'est pas nettement défini, unanimement accepté, et qui a servi de prétexte à des discussions qui sont restées stériles pour la science.
La relation de cause à effet entre la congestion chronique et les déplacements est généralement acceptée; la dénégation est d'ailleurs impossible, en présence des faits nombreux qui prouvent qu'on ne peut obtenir le redressement complet et
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définitif de l'organe qu'après l'avoir ramené à ses dimensions normales. La question de fréquence soulève seule quelques dissidences; pour ma part, je crois, avec Lisfranc, avec M Émery, et beaucoup d'autres observateurs, que toute congestion qui a produit une augmentation notable dans le volume et le poids de l'utérus doit fatalement amener un changement plus ou moins considérable dans la position de l'organe.
L'influence de l'état congestif et du déplacement sur le développement et la persistance de l'ulcération est un fait non moins évident. Tous les praticiens savent qu'une ulcération, même superficielle, résiste ordinairement aux traitements les plus énergiques, tant qu'elle est accompagnée d'engorgement et de déplacement ; tandis qu'elle guérit pour ainsi dire spontanément, aussitôt qu'on est parvenu à rendre à la matrice son volume et sa position.
La congestion chronique de l'utérus est souvent accompagnée: de phénomènes nerveux qui, en raison de leur gravité et de leur persistance, finissent par devenir la maladie principale, celle qui attire exclusivement l'attention du médecin et exige le plus impérieusement son intervention. Les accidents hystériformes, l'hystérie proprement dite, constituent la forme névropathique appartenant spécialement à la congestion utérine ; mais souvent on observe, en outre, l'ensemble de symptômes que nous avons indiqués dans notre description générale des congestions chroniques: la gastralgie, les douleurs névralgiques ambulantes, l'état nerveux, en un mot.
La nature des relations qui existent entre les affections utérines dont nous venons de parler et la névropathie générale est diversement appréciée par les auteurs. Les uns n'admettent entre les deux ordres de phénomènes qu'une simple coïncidence; les autres les rattachent tous deux à une altération générale primitive dont ils ne seraient que les effets, à la débilité, à l'anémie, etc.; d'autres enfin considèrent les phénomènes nerveux comme essentiellement liés à l'affection utérine et comme
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le résultat des modifications mécaniques et sympathiques que celle-ci apporte dans l'exercice des diverses fonctions de l'économie.
Je ne prétends pas rejeter d'une manière absolue les deux premières doctrines, qui sont justifiées par un certain nombre de faits ; mais je crois que c'est la dernière qui est applicable à l'immense majorité des cas. Qu'on veuille bien considérer, en effet: 1° que lanévropathie générale est extrêmement rare chez l'homme; 2° que chez la femme elle est presque toujours accompagnée d'une affection utérine ; 3° que presque toujours encore elle est consécutive à cette affection, et ne se montre souvent que longtemps, que plusieurs années après elle ; 4° que souvent elle est consécutive à une affection utérine produite par une cause mécanique ; chez une femme dont l'état général est excellent et se maintient tel pendant un temps plus ou moins long ; 5° qu'on ne parvient à la faire complétement et définitivement disparaître qu'en ramenant l'utérus à ses conditions normales ; 6° que si le traitement qui s'adresse simultanément à l'affection générale et à la lésion locale est celui qui amène la guérison la plus prompte et la plus sûre, il est vrai de dire néanmoins que parfois on modifie fort heureusement les accidents nerveux par la seule application d'un moyen mécanique destiné à n'agir que sur l'utérus, par celle d'un pessaire, par exemple.
Pour me résumer, je dirai que la congestion utérine chronique est ordinairement primitive, et qu'elle a pour effet de produire un déplacement de la matrice, lequel devient souvent, à son tour, la cause d'une ulcération et d'accidents nerveux plus ou moins graves : des observations nombreuses m'ayant démontré que la névropathie liée aux affections utérines est produite beaucoup plus fréquemment par les déplacements que par l'engorgement congestif ou les ulcérations.
La congestion chronique de la matrice est presque toujours accompagnée d'un dérangement de la menstruation ; les douleurs, les accidents que nous avons signalés plus haut, se mon-
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trent avant et pendant l'écoulement menstruel, mais c'est surtout la quantité de celui-ci qui est modifiée. Tantôt l'écoulement menstruel est excessivement abondant et devient une véritable hémorrhagie ; tantôt, au contraire , il est réduit à une très-petite quantité, à quelques gouttes de sang. J'ai vainement cherché à me rendre compte de l'état organique local ou général qui correspond à l'une et à l'autre de ces modifications, lesquelles se sont montrées dans les conditions les plus opposées. Plus fréquemment néanmoins, on observe l'aménorrhée chez des femmes jeunes, robustes, sanguines, chez lesquelles une congestion mensuelle active, énergique, vient s'enter sur la congestion chronique de l'utérus, et la métrorrhagie chez des femmes débiles, anémiques, dont l'état général est alors singulièrement aggravé par les pertes de sang et vice versa. Dans ces dernières circonstances, le médecin doit rechercher avec soin s'il n'existe pas quelque complication; plusieurs fois j'ai pu rattacher les métrorrhagies à la présence méconnue d'une affection ovarique ou d'une polype utérin.
Quels sont les moyens dont le praticien dispose pour combattre la congestion chronique de l'utérus et tous les accidents qui en dérivent ?
Malgré les travaux récents qui ont imprimé une si heureuse impulsion à la thérapeutique des affections utérines, l'engorgement est encore un écueil contre lequel viennent chaque jour se heurter les praticiens. Le fer rouge, qui a fourni à M. Jobert de si beaux résultats, peut à juste titre être considéré comme le remède héroïque de l'engorgement avec ramollissement du col (état fongueux); mais son action n'est plus ni aussi sûre ni aussi puissante lorsqu'il s'agit de l'hypertrophie ou de l'engorgement avec induration ; ajoutons cependant, pour être juste, que de tous les moyens employés jusqu'à présent , c'est celui qui compte le plus grand nombre de succès ; nous avons vu M. Jobert obtenir, et nous avons obtenu nousmême, à l'aide de la cautérisation avec le fer rouge, la guérison complète d'engorgements indurés volumineux, qui pen-
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dant plusieurs années avaient résisté aux traitements les plus variés et les plus énergiques.
En dehors du fer rouge, on ne trouve guère dans les auteurs que contradictions et incertitudes ; le repos absolu de la malade, encore conseillé par quelques médecins, favorise la congestion utérine, et augmente par conséquent l'engorgement.
Les sangsues, appliquées sur l'hypogastre, les lombes, les reins, les cuisses, à l'anus ou sur le col utérin lui-même,sont pour M. Duparcque le traitement curatif essentiel de quelques engorgements utérins, et le traitement préparatoire indispensable de la plupart des autres ; mais Boivin et Dugès, Lisfranc, M. Chomel, sont bien loin de partager cette opinion; quant à nous, notre expérience personnelle nous porte à rejeter les saignées locales d'une manière à peu près absolue.
Les saignées générales spoliatives (250 à 300 grammes), préconisées par M. Duparcque, reposent sur une théorie erronée qui rattaehe l'engorgement utérin à l'état phlegmasique; elles ont presque constamment un résultat fâcheux ; plus on lire de sang, plus celui qui reste semble avoir de tendance à se précipiter vers l'utérus congestionné.
Les saignées générales dérivatives ou révulsives (15 à 180 grammes), tant prônées par Lisfranc et par quelques-uns de ses élèves, sont tombées dans un juste discrédit, elles sont aujourd'hui à peu près complétement abandonnées.
La ciguë, vantée par M. Récamier, l'iodure de potassium, prescrit par Lisfranc, les alcalins, les ferrugineux, les mercuriaux , n'ont qu'une efficacité douteuse, et, dans tous les cas, très-exceptionnelle.
Les vésicatoires, placés aux environs des organes sexuels; les exutoires, établis au bas des reins, au-dessus des ligaments de Fallope, sur les cuisses ou sur les jambes ; le séton, posé autour de la cavité pelvienne ou sur l'hypogastre, sont des moyens auxquels peu de malades veulent se soumettre, et dont l'efficacité n'est point suffisamment démontrée pour en compenser les graves inconvénients.
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Parlerai-je de l'abstinence prolongée (cura famis), qui, de l'aveu de M. Duparcque lui-même, ne réussit qu'en produisant l'amaigrissement, le dépérissement, le marasme, et l'atrophie (1)?
Priessnitz ne paraît pas avoir appliqué l'hydrothérapie au traitement des affections utérines, que probablement d'ailleurs il ne sait point reconnaître. MM. Scoutetten, Schedel, et Engel, ne les mentionnent point dans leurs ouvrages.
M. Baldou assure qu'il a eu souvent occasion d'admirer les beaux résultats obtenus par lui dans le traitement des maladies des organes génito-urinaires de la femme; mais il ne produit aucun fait de déplacement utérin, et quant à l'engorgement, on ne trouve dans son ouvrage qu'une seule observation fort incomplète, dont voici le résumé :
Une dame éprouvait depuis trois ans des douleurs utérines très-vives, et elle était arrivée à un tel point d'amaigrissement et de dépérissement qu'elle effrayait toutes les personnes qui la voyaient. Cette malade, que tous les médecins avaient regardée jusque-là comme atteinte d'une affection organique de l'utérus, avait fait des injections de diverses natures, et avait été cautérisée un grand nombre de fois; elle était affligée, en outre de sa maladie utérine, d'un catarrhe chronique et d'hémorrhoïdes.
Un examen attentif fit reconnaître à M. Baldou « que le col de la matrice était dur et résistant, un peu plus volumineux que l'état normal, mais il avait conservé sa forme ordinaire ; la matrice paraissait être dans un état analogue. La muqueuse qui recouvre le col de la matrice et celle qui tapisse la partie supérieure du vagin présentaient une demi-douzaine de points rouges, avec ulcérations superficielles très-douloureuses au toucher. »
Cette malade fut soumise au traitement hydrothérapique :
(1) Duparcque, Traité théor. et prat. des altérations organiques simples et cancéreuses de la matrice, p. 280 et suiv.; Paris, 1831.
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enveloppement dans des couvertures de laine, avec linges mouillés sur la poitrine et le bas-ventre; affusions avec frictions pendant une minute; injections, bains de siége de vingt minutes, bains entiers, douches, etc.
Les résultats de ce traitement furent les suivants :
Le cinquième jour, les douleurs utérines cessent ; le dixième, le toucher ne fait plus reconnaître les ulcérations du vagin (et celles du col utérin?); le trente-deuxième, la malade gagne à vue d'oeil de l'embonpoint et des couleurs. Le traitement est continué jusqu'à la fin du mois de mars ( malheureusement nous ne savons point quand il a été commencé ), et M. Baldou déclare qu'à cette époque le succès est complet (1).
Nous voulons le croire sur parole ; cependant nous aurions été désireux de savoir si la vue concordait avec le toucher quant aux ulcérations, si le col avait cessé d'être un peu plus volumineux que l'état normal, et si la matrice ne paraissait plus être dans un état analogue.
Telle est cette observation que l'auteur place dans le chapitre consacré aux maladies des organes génito-urinaires, et que, quelques lignes plus bas, il présente comme un exemple de catarrhe chronique guéri par l'hydrothérapie ; le lecteur en appréciera la valeur.
M. Lubansky a eu souvent occasion d'appliquer l'hydrothérapie au traitement des affections utérines , mais il avoue qu'il s'est préoccupé surtout de l'état général des malades, et que les troubles locaux ne lui ont fourni que des indications secondaires ; de là, probablement, des résultats qui nous paraissent ne pas avoir été complétement satisfaisants.
En effet, M. Lubansky nous apprend, avec une louable franchise, que le traitement a échoué sur trois malades, dont l'une présentait une antéversion de l'utérus, l'autre un engorgement du col accompagné de douleurs névralgiques; la maladie de la
(1) Baldou, loc. cit., p. 294-298
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troisième n'est pas indiquée (1). A côté de ces insuccès, se place néanmoins un fait qui mérite d'être signalé.
Une femme atteinte d'un engorgement, d'un abaissement, et d'une antéversion de l'utérus, ayant été traitée pendant plusieurs mois par Lisfranc, ayant subi l'introduction d'un pessaire par les mains de M. Hervez de Chégoin, présentant depuis plusieurs années des symptômes locaux et généraux fort graves, a été notablement soulagée par un traitement de quatre mois et demi ; l'antéversion subsistait toujours, mais l'engorgement et l'abaissement avaient disparu (2).
Ayant traité, depuis plusieurs années, un grand nombre d'affections utérines, j'ai dû rechercher si quelques indications locales et générales n'avaient pas été jusqu'alors trop négligées ou méconnues, et voici ce que j'écrivais dans le Compendium de médecine :
« Les bains froids ont pour effet primitif de congestionner l'utérus, et pour effet consécutif, ou réactionnel, de ramener le sang du centre vers la circonférence, et par conséquent d'activer la circulation capillaire périphérique. Lisfranc, ne tenant compte que de l'effet primitif rejette l'emploi de ce moyen dans le traitement de l'engorgement utérin, parce que, selon lui, il ne peut qu'augmenter la congestion dont la matrice est le siége. Les craintes de Lisfranc ont été souvent justifiées par l'usage des bains de rivière, des bains en cuve, des bains de siége ; mais elles ne seront jamais réalisées si l'on a soin de ne point prolonger outre mesure l'effet primitif de l'eau froide, et de provoquer une réaction suffisamment énergique. Les procédés dans lesquels l'eau froide frappe toute l'enveloppe cutanée avec une certaine force de projection remplissent parfaitement ces deux conditions. Les bains de pluie, les douches, sont extrêmement utiles contre les indura(1)
indura(1) loc. cit., p. 324-326. (2) Lubansky, loc. cit., p 300-307.
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tions résultant de congestions antérieures ; ils modifient rapidement et fort heureusement l'état général et l'affection locale.
« Depuis que ces lignes ont été écrites , ajoutais-je en 1849, j'ai vu les douches froides exercer une action remarquable sur la digestion, la nutrition, la circulation et l'innervation; je les ai vues amener en peu de temps la résolution de congestions spléniques considérables, d'hypertrophies anciennes de la rate et du foie ; je les ai vues modifier la vitalité des parties fibreuses qui unissent les os entre eux, et faire disparaître des engorgements articulaires de la nature la plus grave, et je me suis demandé alors si les douches froides ne seraient pas appelées à jouer un rôle important dans le traitement des affections utérines ; je me suis demandé si, par l'activité qu'elles impriment à la circulation capillaire périphérique, elles ne combattraient point la congestion de l'utérus aussi efficacement que celle de la rate, du foie, du poumon, etc. ; si, par l'énergie qu'elles impriment à l'absorption interstitielle, elles ne résoudraient point des engorgements utérins, hypertrophiques ou indurés, aussi bien que des hypertrophies spléniques, hépatiques, que des engorgements articulaires ; si elles n'exerceraient pas une action heureuse sur les ligaments de l'utérus comme sur ceux de l'épaule ou du genou; si, en ramenant l'appétit, l'embonpoint, si, en régularisant l'innervation, elles ne combattraient pas efficacement les symptômes généraux et sympathiques, quelquefois si graves, qui accompagnent les maladies de l'utérus; je me suis demandé enfin si, rationnellement administrées, les douches froides ne répondraient pas aux indications locales et générales qui occupent la première place dans le traitement des engorgements de l'utérus » (1).
Le succès a justifié mes prévisions; un grand nombre de femmes, affectées d'engorgement utérin, s'étant présentées à l'établissement hydrothérapique de Bellevue, je les ai sou(1)
sou(1) Fleury, Mém. sur les douches froides appliquées au traitement des affections utérines, in Gazette médicale de Paris, 1849.
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mises à un traitement dans lequel j'ai eu recours exclusivement à des douches froides, générales et partielles, internes et externes, c'est-à-dire à des douches en pluie ou en nappe, à des douches ascendantes rectales et vaginales, à des bains de siége à eau courante ou dormante, ne croyant pas devoir suivre les errements des hydropathes, qui accordent la préférence aux boissons à haute dose, aux sudations forcées, aux compresses excitantes, etc., et j'ai constamment obtenu la résolution des engorgements qui ont été soumis à cette médication, dont les observations suivantes prouveront l'efficacité.
OBSERVATION. — Mme D. est âgée de 34 ans, d'une constitution robuste, d'un tempérament sanguin très-prononcé; la menstruation s'est établie à l'âge de 13 ans et demi, mais fort difficilement; pendant un an, elle fut irrégulière, douloureuse, et donna lieu à des métrorrhagies très-abondantes plutôt qu'à un flux menstruel physiologique. Au bout de cet espace de temps, survinrent des symptômes de chlorose qui ne firent que s'aggraver pendant trois années, et qui, après avoir diminué graduellement l'abondance des règles, finirent par amener une aménorrhée complète : les menstrues furent supprimées pendant sept mois. La malade fut envoyée aux eaux de Plombières et n'y trouva aucun soulagement; à son retour, elle reçut les soins de M. Trousseau, qui prescrivit le fer à hautes doses. Sous l'influence de ce médicament, les symptômes chlorotiques s'amendèrent et le flux menstruel se rétablit; mais depuis cette époque, il a toujours été accompagné de douleurs très-vives se faisant sentir pendant les trois premiers jours de l'écoulement.
A l'âge de 21 ans, la malade se maria et devint grosse immédiatement; la grossesse fut très-pénible; pendant les trois premiers mois, il y eut une incontinence d'urine qui résista à tous les moyens employés pour la combattre, et pendant toute la durée de la gestation, Mme D. éprouva des douleurs vives et presque continuelles dans la région hypogastrique.
L'accouchement eut lieu le 18 septembre 1835 par les mains de M, Lebreton; il fut long et pénible, le travail ayant duré soixantetreize heures ; il ne fut suivi cependant d'aucun accident, et Mme D. se leva le dixième jour pour reprendre sa vie habituelle-, pendant l'hiver, elle alla beaucoup dans le monde et au bal.
Peu de temps après l'accouchement, se manifestèrent des accidents qui, d'abord légers, allèrent en augmentant pendant l'espace de
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douze années, sans avoir été combattus par aucun traitement; ils finirent par amener un état morbide grave, caractérisé par les phénomènes suivants: douleurs hypogastriques fréquentes, tiraillement dans les aines et dans les cuisses; pendant la marche, et surtout en s'asseyant, sensation au périnée d'un corps étranger volumineux et pesant; la marche est difficile, pénible, elle provoque des douleurs très-vives, et une lassitude insupportable qui se fait particulièrement sentir dans les jamb